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samedi 28 septembre 2024

Nuages (48)

Si l'on nous demande quelle est l'odeur de la terre, nous répondrons : L'odeur que l'on recherche est celle qui se fait souvent sentir, le sol n'étant pas remué, au moment du coucher du soleil, dans le lieu ou l'arc-en-ciel a placé ses extrémités.

Pline l’ancien, Histoire naturelle (an 77 de l'ère commune) Livre 17-11



jeudi 29 février 2024

Chronique exorbitante du 29 février

Jean-Léon Gérôme - Promenade intime au clair de Lune de Louis 14 et Mme de Maintenon, 1896, 139cm. Marché de l’art, estimé 600k€, invendu en mai 2021 chez Sotheby’s.
Louis 14 est l’un des 125 élus bienfaiteurs de l'Humanité, 
aux côtés de Bowie et de Josephine Baker dans une liste que l'artiste Jeff Koons vient d'envoyer symboliquement sur la Lune. Gérôme et Koons ont tant d’affinités dans le kitch qu’il est curieux que ce dernier n’ait pas inclus Gérôme dans sa liste, qui compte pourtant Dalí et Warhol.


Aujourd’hui 29 février est le jour astronomique, le jour fictif ajouté à son calendrier par une humanité désorganisée, pour remédier aux incohérences de la mécanique céleste qui n’a jamais été capable d’ajuster la durée d’une révolution de la Terre autour du soleil à la durée de la rotation de la Terre sur elle-même, pour que les saisons arrivent toujours aux même dates. C’était pourtant la moindre des choses, sinon, à quoi bon créer ces animaux pensants garnis de jabots, pourpoints, rhingraves, bas de soie et souliers à talon qui arrondissent si bien le mollet ?

   

Par bonheur, nous dit le père Pline dans le livre 18 de son Histoire naturelle, "le dictateur César […] ramena l'année à la révolution solaire avec l'aide de Sosigène, astronome habile", et on célèbre ainsi aujourd’hui le 515ème de ces jours supplémentaires depuis la recommandation de Sosigène à César. 

Ce qui ferait pas mal de numéros de la Bougie du Sapeur, ce quotidien digne du style de l’Almanach Vermotqui ne parait que le jour bissextil, et qui inaugure aujourd’hui, dans son numéro 12 seulement, un feuilleton à épisodes, quadriennaux donc, histoire de fidéliser son lectorat.


Alors à jour astronomique, chronique astronomique.

Nous examinerons aujourd'hui un projet artistique exorbitant.  


Perdus dans la surveillance attentive de vos dépenses quotidiennes vous n’avez probablement pas remarqué que des bienfaiteurs de l’humanité, par exemple Jeff koons ou Elon Musk, œuvraient dans l’ombre pour notre salut.


Koons, rappelez-vous, c’est ce chef d’entreprise à la tête d’une usine d’une centaine d’ouvriers qui fait fortune dans le kitch et le luxe tapageur. On connait ses immenses petits chiens ou lapins en ballons chromés hors de prix (des dizaines de millions aux enchères), ses machins géants en plastique de couleur, son mariage avec une fameuse députée italienne et leurs œuvres pornographiques (Google ne les montrera que si vous ajoutez un mot magique dans la recherche), bref un artiste de notre temps.


Quant à Musk, ses bienfaits technologiques pour la planète sont connus de tous, ses milliers de satellites qui ont pris possession du ciel comme une armée de nouvelles étoiles, ses voitures électriques de plus de deux tonnes, ses expériences d’implants électroniques dans les cerveaux humains qui permettront bientôt de changer de chaine de télévision sans les mains, son pilotage hystérique des réseaux sociaux, et ses fusées monumentales qui brulent des milliers de tonnes de carburant pour livrer des pizzas sur la Lune et bientôt sur Mars.


C’est justement une fusée de Musk qui vient de propulser vers la Lune le 15 février dernier un engin commercial qui devait (voir plus bas en note* la raison de ce verbe à l'imparfait), le 23 février, déposer non loin de son pôle sud du matériel pour la NASA et un petit cube transparent de 20 centimètres pour Koons, cube contenant 125 sphères inoxydables de 2,5 centimètres de diamètre, peintes à l’imitation de phases de la Lune, appelé donc "Moon phases".  


L’ambition de Koons en faisant livrer cette boite de billes sur le sol lunaire est de "créer un site patrimonial éternel", "apporter un sens au dialogue" et "communiquer globalement aux gens que l’art peut transformer nos vies", dit-il. Ailleurs il ajoute "[c’est] une continuation et une célébration des réalisations de l’humanité au sein et au-delà de notre propre planète".

C’est bien ce qu’on avait compris. Cet homme voit loin, très loin, sa pensée flotte déjà dans le vide sidéral. Précisons qu’il a obtenu pour cela l’approbation du Gouvernement américain, propriétaire de la Lune depuis qu’il y a envoyé le pied de l'Homme en juillet 1969, comme chacun sait. 


Sur Terre, pour transformer nos vies, les mêmes 125 lunes inoxydables seront mises en vente séparément. Les prix ne sont pas publiés. Elles mesureront cette fois 40 centimètres. Près du pôle sud de chacune sera collée un petite pierre précieuse indiquant le site d’alunissage, et leur boite transparente portera gravée le nom d’une "personnalité qui a apporté une contribution considérable à travers l’histoire - Each moon phase will have the name of an individual throughout history that has made a tremendous contribution".


Là encore on mesurera la grandeur du concept en consultant la liste des 125 personnalités distinguées par l'artiste. 

À votre avis, qu’obtient-on en demandant les 125 personnalités les plus importantes de l’histoire de l’Humanité à un riche américain contemporain, d’intelligence moyenne mais débrouillard, à la culture modeste mais qui se préoccupe de ne pas vexer les communautés influentes pour ne pas porter préjudice à son bizness ?


Cette liste absurde est sur le site du projet à la page Explore. Choisissez le bouton List et classez l’ensemble dans l’ordre alphabétique (enfin, ça ne sera que l’ordre idiot anglo-saxon, celui des prénoms). 

Pour le plaisir de la consternation nous l’avons traduite en français et classée en familles plus bas en fin de chronique.


***

(*) Aux dernières nouvelles, contrairement à ce qu’annonçaient orgueilleusement comme un alunissage historique tous les médias le 23 février - la première fois qu’une entreprise privée se pose en douceur sur la Lune puisque tous les "essais privésont pour l’instant été des échecs l’engin n’a malheureusement pas aluni normalement.

Les images promises en direct des alentours n’ont pas été diffusées et l'Entreprise admet depuis le 25 février que la sonde est sur le flanc, qu’elle peut communiquer, qu’on ne sait pas encore si les instruments scientifiques de la NASA seront opérationnels, et que "la seule charge utile payante située du mauvais côté de l’atterrisseur, pointant donc vers la surface lunaire, est un projet artistique statique". Il s’agit hélas du projet de Jeff Koons. 


L'impérissable chef-d’œuvre a-t-il fini coincé dans une boite de conserve cabossée ou éparpillé comme un jet de billes sur le sol gelé dans l’obscurité quasi permanente du cratère "Malapert A", au pôle sud de notre satellite naturel, un détritus humain de plus ?

On n'aura sans doute jamais la réponse, ni les images. Aujourd'hui les médias pavoisent, Koons remercie tout le monde sur les réseaux, ses lunes "sont sur la Lune". On ne sait dans quel état. Dans quelques heures la sonde entrera dans la nuit lunaire pour deux semaines. Tout s'éteindra. La Nasa commence à chauffer ses avocats sur les détails du contrat commercial.  


Charles Malapert, savant distingué au 17ème siècle, n’était pas dans la liste des immortels contributeurs de Jeff Koons. 


Mise à jour du 29.02.2024 à 8h : Quelques heures après la publication de cette chronique, et une semaine après l'accident, l'entreprise qui a créé l'engin vient de diffuser 3 photos du moment de l'alunissage. On y distingue nettement le pied cassé dont la rupture a mis l'appareil sur le flanc. Un article de l'AFP dans Le Monde relate que malgré l'échec d'un certain nombre (non précisé) des expériences et analyses prévues et d'après un responsable de l'organisme public "[la mission] est un succès du point de vue de la NASA"

Aucun média n'en parle pour l'instant, mais il y a de fortes probabilités pour que la boite de billes de Koons - dans une position désagréable mais espérons-le pas trop humiliante - ait conservé son intégrité et soit encore présentable à l'œil des visiteurs extraterrestres du futur

Ainsi, tout est bien qui finit bien, la civilisation en déroute peut poursuivre sa tentative désespérée de fuite d'une planète qu'elle a ruinée. Le moraliste Jacques Rouxel ne disait-il pas de ses Shadoks "Plus ça rate, plus on a de chance que ça marche" ?


Mise à jour du 26.04.2025 :
 
Nous en étions restés, sur le site du fabriquant de l'engin lunaire, au communiqué du 29.02.2024 récapitulant la mission IM-1, transformant l'échec quasi total des expériences sur la Lune en succès de l'ingéniosité américaine et suivi d'un étrange paragraphe délirant sur les "énoncés prospectifs" (Forward-Looking Statements) qu'on lirait sans surprise dans les attendus du procès de Joseph K

Confiante, la NASA et son sous-traitant ont persévéré avec la mission IM-2 qui alunissait le 06.03.2025. Les communiqués du fabriquant sont un peu désordonnés mais on comprend bien que l'engin, à nouveau, s'est posé sur le flanc. On apprendra peu après que toutes les expériences prévues (notamment le forage du sol lunaire, on le devine) étaient abandonnées.

Quand on sait que la NASA a déjà signé des contrats de dizaines de millions de dollars pour les missions IM-3 et IM-4, on ne peut qu'applaudir les têtes pensantes qui ont imaginé que confier l'exploration (et l'exploitation) de l'espace à des entreprises privées permettrait de réduire les dépenses. 


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Liste des personnalités immortelles d'après Jeff Koons :


▶︎ Personnalités politiques anglo-saxonnes : 7

Abraham Lincoln, Benjamin Franklin, Elizabeth 1, George Washington, Thomas Jefferson, Winston Churchill

▶︎ Personnalités politiques des autres cultures : 12

Alexander le Grand, Catherine la Grande, Cléopâtre, Genghis Khan, Jules César, Louis 14, Louis 2 (de Bavière sans doute), Mahatma Gandhi, Ménès, Napoléon Bonaparte, Nefertiti, Ramsès 2, Mansa Musa

 ▶︎ Personnages mythologiques ou légendaires : 12

Apollon, Confucius, Gautama Bouddha, Homère, Jésus, Mahavira, Moïse, Sappho, Shōtoku Taishi, Sri Krishna, Vénus, Zarathoustra

▶︎ Scientifiques : 23

Ada Lovelace, Albert Einstein, Archimède, Aristote, Cai Lun, Charles Darwin, Démocrite, Ferdinand Magellan, Galilée, Hippocrate, Hypatie, Isaac Newton, Johannes Gutenberg, Johannes Kepler, Louis Daguerre, Lucrèce, Max Planck, Nicolas Copernic, Nikola Tesla, René Descartes, Richard P. Feynman, Stephen Hawking, Thalès de Milet

▶︎ Activistes, défense des droits humains et civiques : 11

Booker T. Washington, Desmond Tutu, Florence Nightingale, Harriet Tubman, Helen Keller, Malcolm X, Maya Angelou, Rosa Parks, Sacagawea, Sojourner Truth, Susan B. Anthony

▶︎ Artistes musique, danse, cinéma : 14

Anna Pavlova, Billie Holiday, Buster Keaton, David Bowie, Elvis Presley, Etta James, Grace Kelly, Jean-Sébastien Bach, Joséphine Baker, Lucille Ball, Ludwig van Beethoven, Marilyn Monroe, Mozart, Pyotr Ilyich Tchaikovsky

▶︎ Artistes littérature : 13

Dante Alighieri, Emily Dickinson, Gabriel García Márquez, Geoffrey Chaucer, Jane Austen, Jorge Luis Borges, Machiavel, Marcel Proust, Ovide, Pétrarque, Virginia Woolf, Voltaire, William Shakespeare

▶︎ Artistes arts plastiques : 20

Andrea del Verrocchio, Andy Warhol, Apelle, Artemisia Gentileschi, Donatello, Édouard Manet, Gian Lorenzo Bernini, Léonard de Vinci, Louise Bourgeois, Mary Cassatt, Masaccio, Michel-Ange, Pablo Picasso, Peter Paul Rubens, Phidias, Praxitèle, Rembrandt, Salvador Dalí, Titien, Vincent van Gogh

▶︎ Philosophes divers et autres sportifs : 12

Amelia Earhart (traversée de l’Atlantique), Arète de Cyrene, Friedrich Nietzsche, Ileana Sonnabend (marchande de tableaux pop art), Emmanuel Kant, Mère Teresa, Muhammad Ali (Boxeur), Phryné (prostituée grecque), Platon, Socrate, Swami Vivekananda, Søren Kierkegaard

▶︎ Personnage mystérieux : 1

Atom(e) Personne ne porte ce nom sur internet, ou alors une société de vente et livraison de pièces détachée d’électroménager. Koons veut-il parler du niveau d’organisation responsable des réactions chimiques dans la matière ? 

Alors l’atome est effectivement le seul "personnage" qui ait réellement compté dans toute cette histoire.


samedi 20 mars 2021

Tableaux singuliers (14)

« Parrhasios, dit-on, proposa la dispute à Zeuxis. Celui-ci apporta des raisins peints avec tant de vérité que des oiseaux vinrent pour les becqueter ; l'autre apporta un rideau si naturellement représenté, que Zeuxis, fier de la sentence des oiseaux, demanda qu'on tirât enfin le rideau, pour voir le tableau. Alors, reconnaissant son illusion, il s'avoua vaincu avec une franchise modeste, attendu qu’il n'avait trompé que des oiseaux, alors que Parrhasios avait trompé un artiste, qui était Zeuxis. »
Pline l’ancien (23-79), Histoire naturelle (livre 35, sur Zeuxis, peintre au 5ème siècle avant notre ère)

Les peintres de trompe-l’œil pensent souvent que l’illusion est d’autant plus crédible que le motif peint est commun, d’où une profusion de pommes, de verres d’eau, de pinceaux, et de diverses choses banales et immobiles qui renseignent avant tout sur le contenu du grenier de l’artiste, de son atelier ou de sa cuisine.

Pour éviter l’ennui devant ces objets répétés à l'infini, quelques peintres plus subtils ajoutent à leurs assemblages des choses insolites, des rébus, ou des points de vue inattendus, dignes quelquefois des géniales inventions de Cornelius Gysbrechts.


Jacques Poirier (Paris 1928-2002), qui a longtemps été illustrateur notamment de livres pour la jeunesse, a consacré ses 20 dernières années au trompe-l’œil virtuose et ironique.
Didier Leplat lui rend hommage dans une galerie de 35 reproductions hélas trop petites pour deviner avec précision les rébus peints et en comprendre les multiples sous-entendus.
Remarquons néanmoins l’exhaustif « J’ai ce qu’il te faut », la triste « Vanité » en bien mauvais état, ou encore le « saint Sébastien » transpercé avec ce que Poirier avait sous la main.

Notant les prix (assez représentatifs) atteints la semaine dernière, en vente publique à Lyon chez De Baecque, par deux extraordinaires petits tableaux (20,5 x 16cm) de Poirier, 2800€ et 6000€ hors frais, on s’interrogera sur la rentabilité de la discipline. 
Un trompe-l’œil de dimensions moyennes demande 400 à 500 heures de travail (plusieurs mois) d’une déraisonnable et incessante concentration.    
 
Le tableau en illustration, le plus cher, est intitulé « Jacques Poirier s'excuse de n'avoir pas eu le temps d'exécuter le motif de ce panneau ». C’est le texte manuscrit peint sur la carte de visite peinte sur l'envers du panneau, peint lui-même sur l'endroit.
Y a-t-il plus jubilatoire ?

vendredi 27 décembre 2019

Passons, passons...

Passons, passons puisque tout passe
Je me retournerai souvent
Guillaume Apollinaire (Cors de chasse, dans Alcools)
Ici s'élève un grand débat entre la science et le vulgaire. La science prétend que les hommes sont répandus sur le pourtour de la terre, qu'ils ont les pieds à l'opposite les uns des autres, que partout le ciel est également sur leurs têtes, et que partout le point de la terre foulé par les pieds de ses habitants est le centre pour chacun. Le vulgaire demande pourquoi les hommes placés à l'opposite ne tombent pas : comme s'il n'était pas facile de répondre qu'eux aussi ont le droit de s'étonner que nous ne tombions pas ! Il y a une opinion intermédiaire, et que la foule si indocile trouve probable : c'est que le globe est inégal, semblable pour la figure à une pomme de pin, et que la terre est habitée tout autour de cette espèce de cône. 
Pline l’ancien, Histoire naturelle, Livre 2, (an 77 de l’ère actuelle)

Visiteur, qui pose pour la première fois ton regard sur ce blog, sache que tu arrives dans un endroit peu fréquentable (et d’ailleurs très peu fréquenté). Sous une apparence austère parfois attrayante, tu constateras qu’il peine à respecter les valeurs dites sacro-saintes, les nations, les drapeaux, les religions, les institutions.
Tu noteras qu’il méprise les souverains affublés d’un numéro, en l’écrivant en chiffres arabes, qu’il ne fête pas les dates anniversaires des grands hommes, ni des grandes femmes, qu’il informe sur les expositions généralement après leur fermeture, et surtout, qu’il escamote l’accent circonflexe sur les mots aout, gout, abime ou maitre.

Bref, tu abordes un blog inconvenant.
Si, en dépit de cet avertissement, tu as décidé de poursuivre, apprends qu’il va faire, sous tes yeux, un pas supplémentaire dans l’ignominie et piétiner ses principes en célébrant son propre anniversaire.


Le 27 décembre 2006, dans un premier billet balourd mais déjà assoiffé de vérités scientifiques et… disons artistiques, le blog réclamait des images, que jamais il n’obtint, du verso d’une admirable statue d’Arsinoë 2, qui venait de sortir des eaux de Canope, ville engloutie près d’Alexandrie dans la baie d’Aboukir. Elle gisait là parmi d’autres débris dans un dépotoir à statues dont la religion était périmée, sauvée d’un recyclage moins noble par l’engloutissement de la cité.
Toutes ses représentations, sur internet et dans la presse, la montraient de face, de trois-quart, très rarement de profil, et jamais de dos. Personne depuis n’a proposé de dévoiler ce secret.

Tu penses certainement, visiteur, que le titre du blog comporte déjà une faute d’orthographe et une ambigüité, soit une inversion de lettres s’il entend écrire le mot blog, et dans ce cas ce serait un anglicisme inélégant, soit une faute d’orthographe s’il veut parler de la Terre, hypothèse plausible à la vue de l’illustration du bandeau de titre.

L’équivoque était délibérée.
À un blog ambitieux, il fallait des lecteurs susceptibles d’accepter n’importe quoi. Et c’est dans les exclus, dont on entendait déjà que l’internet et les réseaux sociaux étaient envahis, chez ceux qui souffrent d’être dévalorisés, socialement, affectivement, et qui sont prêts à adhérer à n’importe quelle explication qui ne serait pas celle de la société qui les ignore, que le blog pensait trouver des lecteurs.

Les adeptes de la Terre plate étaient parmi les mieux inspirés. Leur refus pathologique d’accepter la réalité quand elle ne coïncide pas avec leur vision du monde a quelque chose de Don Quichotte, leur opiniâtreté à réécrire autrement les règles les plus élémentaires de la science a tout de la poésie pataphysique et des prémices d’une grande religion. À n’en pas douter, c’était l’avenir.

Un sondage fameux et très respectable, réalisé avec beaucoup de sérieux, de mathématiques, et de biais de toutes sortes par l’Ifop a largement confirmé ce choix depuis.
Il se proposait, souvenons-nous, de mesurer la croyance des Français dans les grands mensonges supposés manipulés par les pouvoirs occultes des sociétés secrètes ou des gouvernements corrompus. Pour donner un exemple de la qualité des questions imaginées par l’Ifop, parmi les complots proposés (liste p.99), étant sous-entendu que tous sont faux, la question suivante était posée « Êtes-vous d’accord ou pas avec l’affirmation que Dieu a créé l’homme et la Terre il y a moins de 10 000 ans ? », et 18% des sondés y répondaient positivement.
Vous noterez que ceux qui pensent qu’un dieu à créé l’ensemble il y a plus de 10 000 ans, hélas nombreux, ne pouvaient pas se prononcer, ni ceux, rares sans doute, qui pensent que tout cela s’est créé sans aide extérieure il y a moins de 10 000 ans. On mesure là toute la finesse de la méthode.

La question qui regarde le blog était plus claire « Êtes-vous d’accord ou pas avec l’affirmation qu’il est possible que la Terre soit plate et non pas ronde comme on nous le dit depuis l’école ? »
9% des sondés ont répondu positivement. Ce qui fait beaucoup de lecteurs potentiels.
Hélas, le sondage lui-même était noyauté par les servants d'un vaste complot mondial, car en 13 ans de chroniques d’une régularité astronomique, aucun adepte de la Terre plate n’a jamais pris contact ni laissé un commentaire sur le blog. Pas un lecteur de plus. Les spécialistes pensent aujourd'hui qu’il n’y a en réalité que quelques milliers de fidèles, et essentiellement aux États-Unis (Flat Earth Society).

Pourtant le blog avait concocté une documentation pointue destinée à soutenir les adeptes de la planéité, et déniché à l’appui de leurs certitudes le témoignage inestimable d’Augustin d’Hippone, le fameux Saint Augustin, lointain héritier des chimères de l’imputrescible Platon, et le plus grand penseur du christianisme. Il écrivait dans La cité de Dieu (16-9) au début du 4ème siècle :
« Quant à leur fabuleuse opinion qu’il y a des antipodes, c’est-à-dire des hommes dont les pieds sont opposés aux nôtres et qui habitent cette partie de la terre où le soleil se lève quand il se couche pour nous, il n’y a aucune raison d’y croire. Aussi ne l’avancent-ils sur le rapport d’aucun témoignage historique, mais sur des conjectures et des raisonnements, parce que, disent-ils, la terre étant ronde, est suspendue entre les deux côtés de la voûte céleste, la partie qui est sous nos pieds, placée dans les mêmes conditions de température, ne peut pas être sans habitants. Mais quand on montrerait que la terre est ronde, il ne s’ensuivrait pas que la partie qui nous est opposée ne fût point couverte d’eau. D’ailleurs, ne le serait-elle pas, quelle nécessité qu’elle fût habitée, puisque, d’un côté, l’Écriture ne peut mentir, et que, de l’autre, il y a trop d’absurdité à dire que les hommes aient traversé une si vaste étendue de mer pour aller peupler cette autre partie du monde. »
On comprend aisément qu'un argumentaire aussi robuste ait pu influencer plus de 1000 ans de science en Occident ! D’ailleurs Augustin mériterait d’être le parrain de ce blog. Car il ne faut pas blâmer les apôtres de la Terre plate. À leur manière, excentrique et malhabile, ils essaient de refaire l’histoire de la science. Les aurait-elle écoutés, l’espèce humaine n’aurait peut-être jamais réussi à transformer ce petit caillou, fut-il plat ou globuleux, en enfer.

Un autre échec de l’histoire du blog, parmi tant d’autres, fut la recherche pathétique du nom d’un sculpteur dont la signature peu lisible est gravée sur la statue d’une fillette assise sur une tombe, dans le cimetière monumental de Milan, en Italie du nord.
Pas la moindre proposition depuis 10 ans. Effrayant silence des espaces infinis de l’internet !

Mais ne nous attardons pas sur ces revers, et réjouissons-nous, puisque cette chronique célèbre un anniversaire. Voici une surprise, en vidéo. Elle dure 4 minutes. Le commentaire n’est qu’en anglais, mais à une minute et 13 secondes, vous verrez qu’on peut se passer de tout commentaire. Elle a été filmée en novembre 2016 au British Museum, à Londres, mais aurait pu l’être à Saint Louis, dans le Missouri, au printemps 2018 (à 15min.20) ou à l’Institut du monde Arabe de Paris, fin 2015 (à 20min.57) ou peut-être de retour au musée des antiquités de la Bibliotheca Alexandrina d’Alexandrie, en Égypte, qui sait ?


Enfin rappelons aux lecteurs de tout genre qu’une petite zone de saisie « Rechercher dans ce blog » permet d’y trouver n’importe quel mot incongru et de flâner parmi 680 chroniques richement illustrées, qui peuvent être lues avec des années de retard sans que la constance de leur futilité encyclopédique n’en pâlisse. Ils y dénicheront des informations insoupçonnées et inactuelles sur la peinture, le droit d'auteur et les cimetières, et sur toutes sortes d’animaux et de végétaux, éléphants, autobus, Tati, Kubrick, et même Mozart (mais que les inconditionnels de la planéité ou de la platitude ne cherchent pas les mots Terre ou globe, ils en ressentiraient sans doute de l’amertume).

vendredi 17 août 2018

Nuages (44)

Pline l’ancien, avocat, procurateur, amiral, conseiller de l’empereur Vespasien, aura néanmoins trouvé le temps de compiler, de ses lectures, les connaissances scientifiques et techniques de son temps dans un énorme annuaire en 37 livres (3000 pages au format ePub) qu’il appela « Histoire naturelle » (Naturalis Historia, en latin) ; une énumération consciencieuse et chiffrée. Un travail de Romain.

On y découvre par exemple que « Chez l'homme, la longueur est la même depuis les pieds jusqu'à la tête que d'une main à l'autre […]. Le côté droit est plus fort que le gauche ; chez quelques-uns les deux côtés sont également forts ; chez d'autres c'est le côté gauche qui prédomine, ce qu'on n'observe jamais chez les femmes. » (*)

Sur le sujet des nuages, l’Ancien est indécis. Pour lui, ils sont créés dans un tourbillon cosmique (un peu confus) de la nature contre elle-même. « Ainsi la nature a des mouvements alternatifs, le monde est emporté avec une grande vitesse comme par une machine de guerre, et la discorde s'en accroît. Nulle pause n'est possible dans le combat, mais une rotation perpétuelle l'entraîne, et montre successivement à la terre la sphère infinie où siègent les causes des choses. Parfois même, en interposant les nuages, elle jette au-devant du ciel un autre ciel ; c'est le royaume des vents. »

Mais il reconnait que des nuages plus modestement terre-à-terre peuvent naitre de l’humidité. «  Je ne nierai pas qu'indépendamment de ces causes, il se forme de la pluie et du vent ; car il est certain que la terre exhale des brouillards, […] et qu’il se forme des nuages, soit par la sublimation de l'humidité, soit par la condensation de l'air en eau. »

Quant à mesurer leur distance précise, il estime que ce serait perte de temps. « Plusieurs auteurs ont rapporté que les nuages s'élèvent à une hauteur de 900 stades [166 km]. Ces choses sont ignorées et insolubles ; mais il faut en parler, parce qu'on en a parlé. Dans ces problèmes l'argumentation géométrique est la seule qui ne trompe jamais, et à laquelle il faut recourir si l'on se complait à aller plus loin dans ces recherches, sans toutefois songer à mesurer de pareilles dimensions (le vouloir serait user de son loisir avec folie), mais en se bornant à des évaluations approximatives. »



L’Histoire naturelle était le Quid de l’époque. Aujourd’hui les jeunes ne connaissent pas le Quid, cette énumération de tous les records et de toutes les vanités, qui nous rassurait en nous persuadant que tout le savoir du monde tenait dans un gros livre de 5 kilos (**). Le tranquillisant était renouvelé annuellement, de 1963 à 2007.
Il a été emporté, comme l’Histoire naturelle et comme tant d’autres sous les cendres de l’encyclopédie en ligne Wikipedia, qui tient seulement dans un petit appareil de 100 grammes (et accessoirement dans quelques milliers de serveurs informatiques nettement plus lourds).

Mais où qu’elle se trouve, une encyclopédie ne contiendra jamais que des connaissances passées, dépassées.
Ainsi Pline ne vante du Vésuve que les flancs couverts de vignobles renommés. Il ne peut pas savoir que quelques mois après la publication de son Histoire naturelle, ces pentes seront recouvertes de cendres et qu’il y trouvera alors, asphyxié, sa propre mort, sur la plage de Stabies près de Pompéï.

Il avait conclu le dernier livre de son Histoire naturelle par ces mots « Salut, Nature, mère de toutes choses, et daigne m'être favorable, moi qui seul entre tous les Romains, t'ai complètement célébrée. »

***
(*) Les traductions du latin sont d’Émile Littré vers 1835. 
(**)  Les auteurs auraient d’ailleurs dû l’appeler Quot (Combien) plutôt que Quid (Quoi).

lundi 4 décembre 2017

Tripoter des extraterrestres (2 de 3)

Les météorites remontent, comme l’affirmait régulièrement Vialatte à propos de tout et de rien, à la plus haute antiquité. Depuis ces temps lointains, les humains (ceux qui n’avaient pas l’entendement embrumé par des à priori) ont observé et constaté que des pierres, parfois nettement métalliques, tombaient du ciel.

Le plus antique récit, gravé sur l’argile, l’Épopée de Gilgamesh, décrit ainsi le premier songe du roi, sur la tablette 1 (illustration 1), « Alors que m’entouraient les étoiles célestes, une sorte de bloc venu du ciel est lourdement tombé près de moi, j’ai voulu le soulever, il était trop lourd, j’ai voulu le déplacer, je ne pouvais le bouger  ».

Plus tard, il y a plus de 3000 ans, apparait dans la langue égyptienne le mot « fer venu du ciel », et la lame d’un poignard finement ouvragé découvert auprès de la momie du pharaon Toutankhamon est faite d’un fer météoritique (il ne contient pas les mêmes proportions d’éléments, notamment de nickel, que le fer terrien).

Le philosophe grec Anaxagore, cité par Laërce, affirme que le ciel tout entier est fait de pierres en rotation qui tombent lorsque leur mouvement cesse. Le romain Pline les croit soulevées et emportées par le vent, et les chroniques chinoises les consignent avec minutie, mais il faut attendre le 19ème siècle et les météorites d’Alès, de Chassigny et d’Orgueil, pour que la chose soit prise au sérieux, étudiée scientifiquement, et finalement acceptée par l’opinion comme une phénomène naturel.

Les météorites tombées à Alès (Alais) le 15 mars 1806 (ill.2, un reste de quelques grammes sur 6kg) et à Orgueil le 14 mai 1864 (ill.3, une part des 14kg) sont parmi les très rares reliques connues de la nébuleuse primitive qui a formé le système solaire. Ce sont comme des morceaux de soleil avant qu’il ne se contracte et s’échauffe. Elles contiennent des traces d’hydrocarbures, de Xénon, de diamant, et de temps en temps un savant américain en mal de financement, mollement démenti par la communauté de ses collègues, découvre dans un éclat les marques du passage d’une forme de vie extraterrestre.

Découverte en Patagonie en 1951, la « pierre » d'Esquel (ill.4) est devenue un mythe, la Marilyn Monroe des météorites. Sa beauté vient de son alliage de fer et de nickel constellé de grains d’Olivine qui s'est forgé dans la région frontière d’un astéroïde où les couches de silicates flottaient dans le fer liquide. Ses 750 kilos ont été débités en tranches fines translucides comme le cerveau d’Einstein, et les éclats, de plus en plus petits, se vendent actuellement au prix de l’or au kilogramme (35 euros le gramme).

Le Muséum d'histoire naturelle prétend que la météorite de Tiberrhamine (ill.5) a été découverte au cœur du désert algérien en 1967. Laissons le croire à cette légende. Il est évident que c’est un pavé extrait d’une rue du Quartier latin tout proche du musée, reliquat des soulèvements populaires du printemps 1968 dont le joyeux désordre a certainement perturbé la rigueur de ses travaux de classification et de nomenclature.

À suivre dans un troisième et dernier épisode...