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mercredi 18 septembre 2024

Ce monde est disparu (15)

Du Puigaudeau, Feu d'artifice et kiosque à musique sur le Grand Canal (c.1905)
hst. 100x81cm, marché de l'art. 

À la vue de cette illustration, vous vous dites déjà "Ça y est, la carte postale de Venise maintenant ! La prochaine fois on aura droit à une portée de chatons.N’exagérons pas, mais on ne peut pas toujours parler seulement des artistes qui fréquentent salons à la mode et salles de vente prestigieuses. L’auteur de cette sympathique carte postale est Ferdinand Loyen du Puigaudeau, peintre breton, ou presque. 

Il fut, à l’ouest de la France, près de Nantes, ce qu’Henri Le Sidaner était au nord, en Picardie, à la même époque, de 1890 à 1930, impressionniste tardif pour le style, et pour l’inspiration fasciné par la lumière des crépuscules.
Pour le reste il était son exact contraire ; quand Henri entretenait l'embonpoint naissant du propriétaire dans son grand jardin de Gerberoy, entouré de familiers et d’hydrangéas en fleurs, Ferdinand cuvait dans son manoir en location, au Croisic, dépressif et alcoolique conclut l'article de l’Encyclopédie.

Tous deux exclusivement paysagistes, Le Sidaner et Du Puigaudeau ne pouvaient ignorer le cliché des clichés depuis deux siècles, Venise.
Le Sidaner y passera, après un court séjour en 1892, les deux hivers de 1905 et 1906 et en fera quelques dizaines de tableaux, dont en 1907 "Venise, la sérénade", l’un de ses plus grands (2,5m²), et à date le plus cher (2,1M$). Le succès venu il y retournera et y aura même une salle d’exposition officielle à la Biennale de 1914.
Du Puigaudeau passera 5 mois à Venise, de l’été à l’hiver 1904, en rapportera des dizaines d’esquisses, quelques moyens formats et des ennuis d'argent. Ce tableau en illustrationqui doit disparaitre en vente chez Nice Enchères le 26 septembre prochain, large d’un mètre, soigneusement élaboréa certainement été réalisée de retour en Brière, vers 1905.

C’est un beau Du Puigaudeau classique, un peu doucereux, certainement. L’estimation de 30 à 40 000€ parait faible, une autre imposante vue du Grand canal, où il a également réuni tous les sujets bateaux vénitiens, est partie contre 129 000€ en 2015.

Anecdote, le kiosque à musique illuminé, à droite de l’église San Giorgio Maggiore, cabote sur le Grand Canal dans d’autres tableaux de Du Puigaudeau, ici à la pointe de la Dogana, et ici près de l’église de la Salute. Les notices, étourdies, disent que c’est un manège, certainement parce que le peintre a représenté ainsi beaucoup de manèges dans les fêtes foraines nocturnes de Pont-Aven. Mais on voit mal, vu les forces impliquées, un carrousel tourner autour d’un axe qui flotterait sans être solidement arrimé à la terre ferme, et puis le peintre a soigneusement représenté des musiciens assis - on distingue le manche d’une contrebasse - autour du chef d’orchestre, qui lève même les deux bras pour attirer leur attention sur la version de la Salute.

Du Puigaudeau mourra démuni en 1930. Le Sidaner riche et décoré en 1939. Il avait passé quelques mois en Bretagne, en 1922, pour réaliser une série de tableaux. Au Croisic il était hébergé dans un hôtel avec vue sur le port, à quelques centaines de mètres du manoir de Kervaudu où vivait et peignait alors Du Puigaudeau. On n'a pas trouvé de trace d’une rencontre.

Mise à jour le 3.10.2024 : comme pressenti, le tableau disparaissait à 3 fois l'estimation haute, soit 112 500€.

lundi 8 juillet 2024

Histoire sans paroles (52)


L’affaire de la crue de la Seine
Fin janvier 1910, en quelques jours, Paris s’est crue Venise. La préfecture de police envoyait alors les inspecteurs de l’identité judiciaire. Ils inspectèrent, prirent des mesures, réfléchirent. Le citoyenmarchant sur l’eauattendait un responsable.
Un siècle plus tard, le suspect court encore et menace toujours. Mais pas d’inquiétude, la science a progressé, elle connait le coupable et le surveille. Et en cas de récidive, elle est préparée, elle a inventé un nouveau mot : la résilience des populations.
 
Ci-dessous, Porte de la Gare, Paris 13ème, le 31 janvier 1910.

samedi 19 mars 2022

Fin d'un monde


Ce tableau de Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne, ne serait pas de Canaletto. Les catalogues de l’œuvre du peintre et le Chicago Art Institute, musée qui le détient (avec un pendant), l’attribuent à un suiveur anonyme, sans justifier cet avis, ou parfois l’ignorent. C’est toutefois une reprise, à la fois très fidèle pour certaines parties, et totalement réinventée pour d’autres, d’une gravure incontestée de Canaletto. Est-ce qu’un copiste aurait pris ces libertés ? Et on y retrouve le plus beau style du peintre, les nuances nacrées des coloris et ses touches cursives et liquides traçant les effets de la lumière sur les détails ensoleillés.


Du temps de Canaletto, Venise déclinait déjà. Ses tableaux, si détaillés, en témoignent ; les murs se fissurent, se couvrent de moisissures, l’humidité ronge. La cité n’est plus qu’un décor mélancolique encadré d’or dans les salons ou les souvenirs de riches touristes anglais.

Tout aura été tenté pour sauver Venise, jusqu’au projet titanesque, au 21ème siècle, de stopper les hautes eaux en fermant la lagune pour empêcher l’eau d’entrer, projet fourni avec les détournements, manigances politiques et malversations diverses qui siéent
Mais ces efforts sont inutiles. On ne peut rien contre l’eau, qui ne connait pas d’obstacle. C’est à cause de l’insouciance de la liaison des atomes d’hydrogène dans les molécules d’eau, dit la chimie, qui a réponse à tout.

Et puis le niveau global des mers monte irrémédiablement. Année après année les prévisions s’aggravent. 50 centimètres avant la fin du siècle. Le deuxième volet du dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) l’affirme. Mais qui lit les rapports du GIEC ?
Au moins le secrétaire général des Nations-Unies, puisque l’organisme dépend de son administration. Et sa dernière lecture l’a bouleversé. Il n’a pu se retenir de l’annoncer dans une poignante déclaration de 99 secondes, le 28 février 2022.

Personne ne l’a écouté, ou si peu. C’est son problème, au secrétaire général de la planète Terre, tout le monde se fout de ses recommandations. Alors forcément ça le navre, quand ses centaines de climatologues lui annoncent qu’on a passé un point de non retour, et qu’on atteindra inévitablement un minimum de réchauffement de 1,5° en 2030, 2° en 2050 et 3° en 2100, escorté de toutes les catastrophes naturelles collatérales, et en tenant compte pourtant des promesses des États (qui ne seront jamais tenues).

Quand l’assiduité de ses riches clients anglais mollissait, Canaletto trompait parfois son ennui sur des gravures ou de petits tableaux d'architectures disparates, des caprices dont il avait découvert l’idée à Rome chez Codazzi et Panini. Il mêlait des vestiges de toute époque et de tout lieu, arches, temples romains, palais vénitiens, en un point imaginaire où seraient venues s’engloutir l’une après l’autre toutes les civilisations de la Terre.

Dans ses cauchemars Monsieur le secrétaire général de la Planète erre sans doute parmi ces ruines.


Canaletto, vue architecturale d’une ville portuaire imaginaire sous un portique et une lanterne (gravure)

lundi 11 mars 2019

Améliorons les chefs-d'œuvre (14)


Un peintre consciencieux n’est jamais pleinement satisfait de son travail. Et il n’est pas rare qu’il retouche son œuvre jusqu’au dernier moment, même après l’avoir vernie, qu’il ajoute des ombres, accentue un effet. Turner était renommé et abondamment moqué pour modifier sensiblement ses tableaux jusqu’au dernier des jours de vernissage.
Il devient alors quelquefois délicat, pour un restaurateur qui rafraichit un vernis trop obscur, de distinguer une ombre tardive, sciemment ajoutée par le peintre, de l'effet de la crasse déposée par le temps.
Il aura tendance à forcer l’amélioration parce qu’il faut bien montrer son habileté et rentabiliser le temps passé. Les effets de volume et de profondeur en souffriront.

Qui a admiré la « Jeune fille au turban - ou à la perle » de Vermeer, avant sa rénovation à la veille de la grande rétrospective à La Haye en 1996, et l’a revue plus récemment, ne peut réprimer une sensation de fraicheur, certes, mais aussi une impression de platitude. Le regard étonné de la jeune fille ne semble plus se tourner vers ce peintre hollandais oublié pendant plus de trois siècles qui l’a surprise près de parler, mais vers le spectateur moderne, à la lumière un peu crue d’un vernis encore frais.
Il y a sans doute, dans cette impression, une part de subjectivité, mais les preuves du décapage parfois exorbitant des chefs-d’œuvre ne sont pas rares.

Rappelons l’étude de Michael Daley, sur ArtWatch, où l’on voit des volumes, jusqu'à certaines pièces de tissu, disparaitre du monumental plafond de la chapelle Sixtine de Michel-Ange, dans les années 1980, sous des mains expertes, et l’innombrable cohorte de personnages bibliques transformée en un joli catalogue de mode décoré de corps athlétiques plus ou moins déshabillés et d’aplats bleus et roses.
Rappelons également ce vapeur en train de sombrer au large dans le tableau de Turner « Rockets and blue lights » et que le restaurateur a fait couler définitivement, avec tous ses passagers, en l’effaçant derrière un nuage de fumée.

Hier, le grand musée de peinture ancienne de Venise, l’Accademia, présentait fièrement le résultat de la restauration du célèbre portrait de vieille femme de Giorgione, « la vecchia ».
C’est l’occasion, au moyen d'une habile superposition d’images fournies par un article de presse admiratif, d’en comparer les effets. Et comme dans une réclame dermatologique, la différence est aveuglante (voir l'illustration animée, va-et-vient de 2 secondes).

Avant l’opération, la vieille femme souriait d’une sorte de rictus espiègle, le regard était ironique, les rides marquées.
Après l’opération, le sourire a disparu, remplacé par une béance hébétée, les yeux ne clignent plus, le visage est lisse. La grand-mère encombrante a été lavée, maquillée, bourrée de calmants, et enfermée dans un « établissement pour personne âgées dépendantes ».

Mais ne le dites pas aux restaurateurs. Froissés qu’on ait douté de leur savoir-faire, ils affirmeront qu’ils n’ont fait qu’enlever des retouches tardives ajoutées par d’autres mains. Et après tout, peut-être ont-ils raison. On finira bien par s’accoutumer à cette vision renouvelée de l’œuvre. On ne l’appellera plus « la vieille », mais « le légume ».
 

dimanche 24 février 2019

Tableaux singuliers (11)


Ippolito Caffi, védutiste italien au 19ème siècle, fasciné par les phénomènes météorologiques et lumineux, peignit Venise dans tous ses états, submergée par l’acqua alta, sous la neige, dans le brouillard, illuminée de feux de Bengale... Ce Glob parlait de lui en 2011.

En 2016 et 2017, au moment d’une copieuse et longue rétrospective Caffi au musée Correr, place Saint-Marc à Venise (157 œuvres pendant 8 mois), réapparaissait un tableau étrange, d’une collection privée, une « Éclipse de soleil à Venise vue des Fondamente nuove ».
C’est un grand tableau, 152 cm sur 84. Au dos serait inscrit, en italien, « 8h du matin, à Venise le 8 juillet 1842, CAFFI ».

Cette représentation de la fin de la phase de totalité de l'éclipse solaire, dont l'ombre enténébra Venise ce matin-là, est fausse. Jamais une éclipse ne diffuse pareille tranche de lumière, comme projetée par un phare, comme si le Soleil et la Lune flottaient à l’intérieur de l’atmosphère terrestre. En réalité le ciel passe, à la fin d’une éclipse totale, de nocturne (à part l’horizon crépusculaire) à diurne, dans sa totalité, et la lumière baigne l’atmosphère en quelques secondes, sans balayer de manière perceptible l’espace comme un rideau qui s’ouvrirait. Le phénomène est le même, inversé, au début de la phase de totalité.

Or Caffi, reporter fidèle des évènements atmosphériques, s’il les exaltait souvent, ne les transformait pas. Comment expliquer cette image erronée ?

Essayons une explication.

Caffi n’a pas assisté à l’éclipse totale du 8 juillet 1842 et l’a peinte d’après des témoignages. Peut-être était-il à Rome ce jour-là. C’est une malchance, car on connait le détail de tous ses voyages, et en 1841 et 1842, il pérégrinait entre Padoue, où il réalisait une série de fresques, Milan, Belluno sa ville natale, Venise et Rome. Or les quatre premières sont dans la zone d’ombre de l’éclipse, mais pas Rome (voir illustration ci-dessous).
Caffi n’a d’ailleurs jamais pu voir d’autre éclipse totale, puisqu’aucune éclipse n’a jamais traversé les lieux de ses voyages quand il y était.

Il est cependant évident que de retour dans sa région en 1842, il a interrogé des témoins pour réaliser son tableau. Et leur description, à un détail près, a été précise et fiable.

En consultant l’exceptionnel et légendaire site de Xavier Jubier, qui permet de rechercher et tracer toutes les éclipses solaires sur cinq millénaires, on constate que l’éclipse du 8 juillet 1842 a duré environ une minute à Venise, précisément à 7h06 (heure d’aujourd’hui), et que le soleil était orienté vers l’Est-Nord-Est à une altitude de 20°.
Or on vérifie, en superposant le tableau à une vue récente des mêmes Fondamente Nuove (quais du nord de la ville) par Google street view, que le décor a peu changé en 170 ans, et que l’orientation et la hauteur des astres sur le tableau correspondent parfaitement aux conditions de l’éclipse.
De plus, bien que les couleurs d’ensemble en soient assez fausses, la teinte crépusculaire de l’horizon et, en dessous, l’illumination de l’eau de la lagune au retour du soleil sont des notations justes des effets lumineux de la fin de la phase de totalité.

Mais, détail que Caffi témoin n’aurait pas oublié, l’orientation du soleil reparaissant derrière la lune est fausse. Le peintre place le croissant en bas à droite, qu'il prolonge d'un quartier de lumière imaginé en simulant mentalement le phénomène, alors qu'en réalité le soleil qui se levait quittait le trajet de la lune vers le haut à droite, ce que montrerait la simulation de l'éclipse sur un logiciel d’astronomie.

Ainsi, Caffi a scrupuleusement reproduit ce qui lui a été dit par les témoins, mais certains effets sont difficiles à décrire, et il a probablement réalisé le tableau un peu vite, sans leur soumettre des esquisses préparatoires.
Quelques mois plus tard, il partait de Naples pour un voyage de deux ans, plein d’étapes ensoleillées, vers Constantinople, Athènes, Le Caire, jusqu’au désert de Nubie.
 
Trajet de l'éclipse solaire totale du 8 juillet 1842 (calculs par X. Jubier)

mercredi 5 septembre 2018

Histoire sans paroles (30)




Oui, Venise encore.
Oui, crépusculaire, encore.
Et un peu stylisée, en outre.
Et alors ?

mercredi 28 septembre 2016

Tableaux singuliers (5)

Tout amateur de Venise connait ces vastes vues limpides peintes avec une précision au millimètre et où fourmillent de minuscules personnages affairés et indifférents.
L’auteur en est le plus souvent Antonio Canal, dit Canaletto, initiateur et grand fournisseur de ces paysages dessinés à l’aide de la chambre obscure et peints avec un flegme d’entomologiste.
C’est la Venise du 18ème siècle, la Venise du déclin, quand la ville est devenue un décor de carnaval, et qu’il ne lui reste que d’exhiber son passé en attendant la proche invasion du tourisme de masse.

Pendant une vingtaine d’années, de 1723 à 1745 Canaletto est assisté de son père et, en 1735 de son neveu Bernardo Bellotto dit Canaletto le jeune. Le père meurt en 1744, et le neveu, très brillant, s’absente souvent à partir de 1743, et va peindre Rome, Florence, Turin où ses vues ne concurrencent pas celles de l’oncle.

Le principe, hérité de certains maitres hollandais comme Van der Heyden, est de peindre avec le plus de minutie possible un quartier de la ville que les clients reconnaitront et seront fiers de suspendre sur leurs murs. Et comme le client cherche en général la grandeur, la majesté, l’ostentation, on trouvera toujours dans ces tableaux des édifices illustres. Parfois le point de vue choisi les éloigne un peu au second plan. Si le premier plan est en travaux ou en ruines, l’intégrité du peintre veut qu’il le reproduise également avec exactitude.




Ainsi dans les œuvres de l’oncle comme du neveu, vues réelles ou imaginaires, les paysages ordinaires sans un monument mémorable sont rarissimes. C’est pourquoi ce tableau du musée de Bristol où on les remarque à peine est si singulier. Il représente un endroit désolé et banal de la lagune, non loin de la vieille tour en ruines de Malghera au centre (détruite au 19ème siècle). À l'horizon une vague silhouette rappelle un peu l’église de la Salute.

Les experts attribuent le dessin du British Museum à l’oncle, ce serait l’original, mais la question est discutée. Un dessin similaire de la main du neveu est conservé à Darmstadt.
La peinture est sans trop de contestation (depuis quelques décennies seulement) attribuée au neveu, sur des critères de style dans certains détails.
Cette scène triviale et sans grand attrait (ce qui fait son charme un peu surréel aujourd’hui) ne risquait certainement pas de menacer les affaires de l’oncle, qui commençait alors à connaitre une certaine désaffection de la clientèle.

Canaletto s'en ira pour Londres en 1746, et représentera pendant 10 ans la Tamise et les monuments anglais, pour revenir mourir à Venise.

Bellotto pendant ce temps rencontrera lui aussi un succès considérable dans les cours de Dresde, Vienne, Munich, et enfin de Varsovie où il mourra, 12 ans après son oncle. 

lundi 13 avril 2015

L'art de la reproduction

Véronèse, Noces de Cana, détail.

Tandis que les adorateurs de la vérité attendent dans l'anxiété les conclusions de l'expérimentation de la « copie chinoise de Dulwich », on apprend aujourd'hui, par la revue Télérama, qu'une reproduction imprimée des Noces de Cana a été inaugurée avec force pompe et cérémonial il y a déjà sept ans, au réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore à Venise, et qu’à l’instar des facsimilés des grottes préhistoriques et leurs peintures rupestres, elle y est admirée avec la dévotion qu’on réserve d’habitude aux œuvres originales.

L’histoire remonte au 6 octobre 1653 quand le peintre Paolo Caliari, dit Véronèse, reçoit des moines bénédictins de San Giorgio le paiement d’une immense toile qu’il vient de terminer en 16 mois. Elle couvre le mur du fond du réfectoire, sur 9.90 mètres par 6.66.
Elle représente un repas de noce à Cana où l’un des invités nommé Jésus a fait livrer six jarres de vin qu’on commence à servir aux convives. À 35 ans Véronèse est déjà célèbre pour ses immenses scènes bibliques et architecturales débordant de personnages puissants et colorés.

Puis en 1797, le jeune Bonaparte vainqueur de l’Italie, déjà obsédé par tout ce qui est grand, fait découper la toile en sept morceaux pour la transporter jusqu’au Louvre à Paris où elle est reconstituée.
Elle y est toujours exposée, et les tentatives diplomatiques de restitution à Venise échouent régulièrement.

C’est alors qu’en 2006 une entreprise madrilène spécialisée dans la « conservation des héritages culturels », Factum Arte, armée d’appareillages photographiques et d’imprimantes sophistiqués, de colle, de ficelle, et assistée de beaucoup de main d’œuvre et des autorisations et finances requises, se lança dans la création d’un facsimilé (1) des Noces de Cana.

Et le 11 septembre 2007, l’objet était dévoilé devant les yeux embués d’un parterre d’aristocrates et d’ecclésiastiques. Tous étaient certainement conscients de ne regarder qu’une photographie de luxe, mais la reproduction pharaonique de cette toile gigantesque les émut fort, dit-on.

Comme on le voit, la fausse caverne de Pont d’Arc en Ardèche, la copie chinoise de Dulwich, la réplique espagnole de Venise, sont les indices d’une évolution des mentalités. La valeur émotionnelle souveraine, idolâtre, fétichiste, accordée à l'œuvre originale n’a peut-être plus longtemps à vivre.

***
(1) On distingue généralement copie et facsimilé. Un facsimilé est une reproduction exécutée avec les moyens les plus modernes dans le but d'obtenir un résultat extérieurement identique à l'original. Une copie est fabriquée avec les mêmes moyens que l'original. 
Le facsimilé démontre les capacités de la technologie employée. La copie, parce qu'elle est réalisée à la main, fait la preuve de la virtuosité d'un copieur, et c'est certainement pourquoi elle est mieux placée dans l'échelle des valeurs. Une copie acquiert parfois le statut d'œuvre originale quand les dates de sa réalisation et de celle de son modèle commencent à se confondre dans le temps, comme pour les copies romaines de la statuaire grecque.

mardi 1 mai 2012

Envies de Venise (4 de 4)

Dernières vues de Venise, sans commentaires.

Ombres, lueurs, reflets, lumières.

LES LUMIÈRES






vendredi 27 avril 2012

Envies de Venise (3 de 4)

Quelques vues de Venise sans commentaires.

Ombres, lueurs, reflets, lumières.

LES REFLETS



samedi 14 avril 2012

Envies de Venise (2 de 4)

Quelques vues de Venise sans commentaires.


LES LUEURS






dimanche 8 avril 2012

Envies de Venise (1 de 4)

Tout à coup, au bout d'une de ces petites rues, il semblait que dans la matière cristallisée se fût produite une distension. Un vaste et somptueux campo à qui je n'eusse assurément pas, dans ce réseau de petites rues, pu deviner cette importance, ni même trouver une place, s'étendait devant moi entouré de charmants palais pâles de clair de lune. C'était un de ces ensembles architecturaux vers lesquels, dans une autre ville, les rues se dirigent, vous conduisent et le désignent. Ici, il semblait exprès caché dans un entrecroisement de ruelles, comme ces palais de contes orientaux où on mène la nuit un personnage qui, ramené chez lui avant le jour, ne doit pas pouvoir retrouver la demeure magique où il finit par croire qu'il n'est allé qu'en rêve.
Marcel Proust
La fugitive (Albertine disparue), chapitre 2, séjour à Venise.

Tout a été dit sur Venise. Cinq-cents millions de fois, si on croit un célèbre moteur de recherche (et si on inclut les pages en langue étrangère). Tout a été dit, même jusqu'au dégoût (qu'on se rappelle le guide des toilettes de la ville).
Mais que faire contre une obsession ? La satisfaire. Alors le mois sera consacré à des vues de Venise, sans commentaires.



LES OMBRES



samedi 18 février 2012

L'âge de la pierre

Imaginez une planète où la nature a été beaucoup plus généreuse que sur la plupart des autres planètes. Où elle s'est assoupie mollement sous la caresse des vagues de l'océan, durant des milliards d'années, si bien que la vie, et même une sorte d'intelligence, ont eu le temps d'expérimenter, de s'épanouir, de croitre. Imaginez partout des fleurs en sucre, des oiseaux, des lacs de miel, des mers de lait d'amandes.

Imaginez sur cette planète un pays producteur de sirop d'érable, où tout le monde croit au Père Noël et pense qu'il est à l'origine de tous ces bienfaits. Un pays où quelques uns savent que ça n'est qu'une farce absurde destinée à endoctriner et asservir les faibles et les ignorants. Un pays qui cache ses femmes (et parfois les lapide) car leur beauté est l'œuvre du Père Fouettard.

Imaginez dans ce pays un poète naïf qui soudain exprime sur les murs de la ville des doutes (tièdes et plutôt révérencieux) sur le Père Noël. Imaginez alors la réaction de tous ces cerveaux vidés par des siècles de lessivage, quand craignant pour ses privilèges, un triste clown télédiffusé et pleurnichard les menace de la vengeance du Père Fouettard s'ils ne décapitent pas immédiatement le jeune renégat.

Imaginez enfin le silence de la planète entière, qui ne croit pas nécessairement au même Père Noël, et qui calcule que sauver la tête d'un pauvre incrédule ne vaut pas le risque de perdre les flots quotidiens de ce sirop d'érable qui adoucit tant de maux.

Vous jugeriez sans doute cette Humanité indigne de la terre qui l'a créée et juste bonne à retourner à l'âge de la pierre d'où son esprit pesant et superstitieux n'est jamais sorti.

Heureusement, tout cela n'existe pas.


Tuez tous les artistes, Venise janvier 2010

mercredi 18 janvier 2012

La vie des cimetières (41)

Vues pittoresques de cimetières italiens, Venise San Michele, Gênes Staglieno, Milan Monumentale, et Milan encore.






mardi 17 mai 2011

Caffi, biographie

Caffi Ippolito, védutiste tardif.

16 octobre 1809, Belluno, nord-est de l'Italie,
20 juillet 1866, près de Lissa (Vis) en Croatie.

Un tableau d'Ippolito Caffi est toujours une surprise. Comme pour Hubert Robert dans les musées français, on ne visite pas un musée italien pour voir un Caffi. On ne sait même pas qu'il y en a un. On le découvre au bout d'un couloir, dans une pièce silencieuse, entouré de paysages italiens un peu sombres. C'est un petit panorama urbain peint avec précision et de délicates lumières vivement colorées, comme avec de la gouache. Une ville qu'on croit reconnaitre, avec des ruines, des monuments et des petites silhouettes humaines. Un Canaletto en miniature.

En haut et en bas, Venise, au centre Constantinople et Rome. Tous sont dans des collections privées, sauf Constantinople (à Brescia) et la fête nocturne en bas à gauche (au musée de Belluno).

Caffi aura trop aimé Venise. Sous la neige, les hautes eaux, le brouillard, les feux d'artifices, il l'a représentée mille fois.

Il y étudiera 4 ans, avant de partir pour Rome en 1832 où il rencontrera Corot, et le succès. Il voyagera beaucoup, en Europe et au Moyen-Orient (1843), mais reviendra à Venise en 1847 pour soutenir l'insurrection de la ville, menée par Daniele Manin, contre l'occupant (la Vénétie était alors province autrichienne, cédée par Bonaparte en 1797).
Prisonnier quelques mois, évadé, victorieux pendant la courte période de la république de Saint-Marc, propagandiste exilé quand l'Autriche reprendra Venise en 1848, acquitté en 1859, on le retrouvera dans la lutte pour la libération et l'unification de l'Italie, prisonnier politique, puis illustrateur de l'armée de Garibaldi à Naples en 1860, enfin à nouveau vénitien sous surveillance policière en 1862.

1848, Pie 9 bénit, place du Quirinal à Rome (musée de Trévise).

En 1866, Venise (comme Rome) ne fait pas encore partie du Royaume d'Italie. Les alliés prussiens sont sur le point d'y déloger les autrichiens. Alors les italiens fraichement unifiés, en surnombre et mieux armés, penseront s'assurer un avantage diplomatique par une bataille navale facile en chassant les autrichiens de l'ile de Lissa (aujourd'hui Vis) sur les côtes de la Dalmatie. Ippolito Caffi embarquera sur le Re d'Italia, puissante frégate cuirassée. Mais les forces italiennes sont mal organisées, c'est un fiasco. Vers midi, le Re d'Italia est éperonné par le Ferdinand Max et coule en quelques minutes.

Caffi ne verra jamais Venise dans le Royaume d'Italie. Il demeure peut-être parmi les petites silhouettes humaines qui se noient, peintes avec précision par Carl Frederik Sorensen, sur le tableau de la bataille de Lissa, exposé dans le musée d'histoire militaire de Vienne, en Autriche.


vendredi 11 février 2011

Le tableau interdit

Faisons aujourd'hui un hommage aux téméraires résistants d'OrsayCommons, qui ont bravé à deux reprises déjà les débonnaires gardiens du musée d'Orsay, en exhibant leurs minuscules mais redoutables appareils photo numériques, malgré la prohibition impérieuse et les centaines de panonceaux rouges disséminés comme à la frontière des deux Corée, et afin de manifester leur désapprobation devant l'interdiction illégale et discrétionnaire de photographier les lieux.
Et cet évènement est l'occasion de parler enfin d'un peintre peu connu, régulièrement oublié, dépoussiéré tous les 20 ans pour illustrer quelque exposition sur le post-impressionnisme en Lombardie, Angelo Morbelli (Alessandria 1853 - Milan 1919), peintre italien étiqueté divisionniste et réaliste.

Morbelli Angelo, Jour de fête à l'hospice Trivulzio, 1892, médaille d'or à l'exposition universelle de 1900, actuellement au musée d'Orsay. Par fraternité pour les manifestants d'OrsayCommons, cette photo d'une œuvre du domaine public a été ignominieusement prise sans autorisation, depuis l'annonce de l'oukase vénal et félon du musée d'Orsay.

En librairie ou sur Internet, on ne trouve quasiment rien sur Morbelli.
Sur les quais, à Paris, le vieux catalogue italien d'une rétrospective à Alessandria au printemps 1982 (75 œuvres), dans un coin mal éclairé du musée Ca' Pesaro à Venise une vue mélancolique de l'hospice Trivulzio, une autre sur un mur inapprochable du palais Pitti à Florence, un ou deux tableaux à Milan ou Turin, quelques liens déjà morts autour d'une exposition à Turin, en 2001.

Et puis il y a ce site émouvant sur le village de Colma di Rosignano et les témoignages touchants des descendants d'Angelo Morbelli, sur sa maison et son atelier préservés avec affection.
C'est tout.
On se rappellera un jour, au hasard d'une exposition, que c'était un grand styliste, et comme Georges de La Tour, Chardin, ou Jean-Baptiste Millet, un peintre des choses et des êtres modestes et silencieux, éclairés par un soleil de fin du jour.

4 tableaux de Morbelli, de gauche à droite et de haut en bas : In risaia 1901 (Boston, museum of fine arts), Il natale dei rimasti 1903 (Venise, Ca' Pesaro), Il capitello 1919 (Milan, Coll. privée), Angolo di giardino 1912 (Rome, galerie nationale d'art moderne).

vendredi 23 juillet 2010

La vie des cimetières (31)


... Mais le silence en sait plus sur nous que nous-mêmes,
Il nous plaint à part soi de n'être que vivants,
Toujours près de périr, fragiles, il nous aime

Puisque nous finirons par être ses enfants
.

Jules Supervielle

Extrait de «Bonne garde», dans «La fable du monde», 1938.


samedi 10 juillet 2010

Nuageux avec risques de pluie

Se trouver précisément sur la fine bande de quelques dizaines de kilomètres que parcourt sur Terre l'ombre de la Lune au moment d'une éclipse totale du Soleil est certainement un des spectacles les plus impressionnants pour un être vivant, même dépourvu d'imagination.
En plein jour, au cœur d'une soudaine pénombre apparait dans un ciel étoilé un gigantesque trou noir cerclé d'un anneau de lumière, toute vie est suspendue pendant plusieurs minutes comme si les astres s'arrêtaient. Le spectateur se sent impliqué dans quelque chose d'immense, de cosmique, comme l'écolier devant la baleine du muséum d'histoire naturelle, ou l'usager qui voit arriver l'autobus.

Et le véritable chasseur d'éclipses ne peut pas le rater quand l'évènement, déjà rare, se produit de surcroit sur un des lieux les plus mythiques de la planète, sur l'ilot le plus isolé de l'océan Pacifique où d'immenses têtes de pierre alignées regardent passer les nébulosités subtropicales et les touristes égarés, aux antipodes.
D'ailleurs vous êtes peut-être déjà en route, rampant épuisé et déshydraté sur les graviers du désert d'Atacama, maudissant le voyagiste qui vous a fait croire qu'une expédition si exceptionnelle se méritait et se rentabilisait en vous faisant crapahuter dix jours durant dans les endroits les plus inhospitaliers des alentours, pour justifier les 7500 euros qui endetteront vos prochaines années. Mais vous résistez à toutes ces humiliations, parce que vous savez que le miracle systématique se produira demain, 11 juillet 2010, entre 20h08'48" et 20h13'35" en temps universel (1). Soyez ponctuel, la mécanique céleste n'attend pas (2).

Au cas où la petite note en bas de page vous aurait échappé, sur le contrat du voyagiste, rappelons que les conditions météorologiques en cette période de l'année sur l'ile de Pâques ne sont pas vraiment propices, et qu'il y a près de deux malchances sur trois pour que les nuages et la pluie fassent chavirer votre rendez-vous astronomique et solaire (3). La météo annonce pour demain des risques de pluie.
Déjà, une masse nuageuse se profile (4).

Ceci n'est pas une éclipse, bien que les couleurs en soient très proches. Ceci n'est pas une baleine non plus. Peut-être un autobus.


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1. 14h08 en heure locale, 22h08 en heure française.
2. Il faudra attendre sept ans, le 21 aout 2017, la prochaine éclipse qui ne passera pas en plein milieu des océans. Elle dessinera son pinceau d'ombre sur toute la longueur des États-unis, d'ouest en est. Et la suivante la croisera du sud au nord-est, le 8 avril 2024 seulement.
3. Pour mémoire, vivre une éclipse totale sous les nuages c'est un peu comme écouter des commentaires radiophoniques sur un spectacle qu'on ne verra pas.
4.
Le deux liens conduisent, le premier vers une vue par satellite actualisée du Pacifique centrée sur l'ile de Pâques et le second vers le bulletin météo actuel de l'ile, au moment de votre consultation.