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jeudi 28 juillet 2022

Cosquer v.2, la grotte du futur

Le célèbre colloque des trois pingouins peints dans la grotte Cosquer près de Marseille, à une époque glaciaire, il y a 20 000 ans.

Au cœur de l’édifice appelé "Villa Méditerranée" ou "l’agrafeuse", dans le port de Marseille sur l’esplanade J4, vient d’ouvrir à la visite publique la réplique d’une grotte ornée par de lointains ancêtres du paléolithique. C’est la troisième en France, après les diverses versions de la grotte de Lascaux (v.4 ou v.5, depuis 1983), et celle de la caverne du Pont d’Arc (ou Chauvet v.2, en 2015).

Elle reproduit une grotte découverte une dizaine de kilomètres au sud-est de Marseille, dans la calanque de la Triperie, par le scaphandrier Henri Cosquer en 1991. 

À l’époque où ses parois ont été décorées, voilà 19 000 à 27 000 ans, la mer était à 8 kilomètres de l'emplacement actuel de Marseille.
Au commencement ce furent des silhouettes de mains négatives, au pochoir, et des signes tracés du doigt, puis vinrent 8000 ans plus tard des animaux, gravés ou peints, quelques chevaux, trois pingouins, des poissons, des morses et des sacs en plastique informes où les paléontologues disent reconnaitre des méduses. Ah, ça n’est pas la basilique qu’est Lascaux, ni même l’église qu’est Chauvet, mais quand même, des pingouins et des morses, à Marseille !

Puis la glace de la planète a fondu et l’eau a recouvert lentement la région jusqu’à Marseille, 100 mètres plus haut, noyant déjà près de la moitié de la partie ornée de la grotte dont l’entrée se trouve maintenant à 37 mètres sous le niveau de la mer. 
Et l’eau monte toujours, imperturbablement. On dit qu’elle ne s’arrêtera pas de sitôt. 

Comme à Pont d’Arc, la copie est plus une imitation "à la manière de sapiens" qu’un facsimilé. Les scènes les plus marquantes ont été concentrées sur un seul niveau, pour permettre la visite dans des modules d’exploration automatisés. Cela se passe au sous-sol, qui se trouve être réellement sous le niveau de la mer, mais on ne le voit pas. On y accède par une cage de descente mise en scène pour y faire croire. Et là, toutes les minutes, de 9h à 19h30, un wagonnet de 6 places part pour un périple de 220 mètres et 35 minutes d’exploration, scrupuleusement synchronisées avec les éclairages et les commentaires diffusés dans des casques. Il y aurait même de vrais plans d’eau. On se croirait à Disneyland ou dans le Train fantôme.
Évidemment, pas question de suspendre le spectacle pour poser des questions ou attendre les esprits plus lents.

Tout cela est bien alléchant, et le succès exceptionnel* du premier mois montre que le public est avide d’endroits frais pour se divertir et fuir une heure ou deux la canicule et l’ennui.

* 100 000 visiteurs en 34 jours, soit 2940 par jour, quand les prévisions déjà très optimistes en attendent 1370 par jour en moyenne annuelle.

Mais pourquoi diable, pour perpétuer la mémoire d’une réalisation humaine qui aura survécu presque 30 000 ans avant de se diluer dans l’eau, la reproduire à une niveau plus bas que l’original, dans un bâtiment dont l’étanchéité reste sensible, et sur un emplacement qui sera submergé dans moins de 100 ou 200 ans, disent les prévisions optimistes ? Pour que les touristes du futur découvrent émerveillés la copie Cosquer v.2 en tenue de plongée sous-marine, comme l’avait fait le découvreur de la grotte originale ? 

En réalité personne ne pensait une seconde à l’avenir lointain et ne comptait préserver un quelconque souvenir de quoi que ce soit. 
Le bâtiment Villa Méditerranée, geste architectural un peu décrié et sans véritable destination, impressionnait moins les badauds par sa silhouette d’agrafeuse que les contrôleurs budgétaires pour ses couts d’exploitation. En face, le Mucem**, ouvert en 2013, recevait plus d’un million de visiteurs par an. Enfin les copies de grottes ornées rencontrent encore un succès populaire certain (au moins les premières années). Alors l’équation économique a été jugée favorable à l’établissement d’une attraction culturelle sur la même esplanade

** Musée national des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée.

Pour un public qui préfèrerait que son temps de cerveau ne soit pas totalement pris en charge, il existe bien un site internet du ministère de la Culture, construit à la façon de l’excellent site consacré à la grotte Chauvet, mais il a été un peu cochonné et sa visite n’est pas aussi agréable. On ne comprend jamais clairement où on est, le déplacement de salle en salle relève du jeu vidéo à mystères, les gravures sont difficiles à déchiffrer, et il faudra de l’opiniâtreté ou de la chance pour trouver la gravure du meurtre de l’homme-phoque ou le colloque des pingouins peints.

Retenez le code 204 et pensez à scruter les plafonds.

dimanche 18 décembre 2016

Améliorons les chefs-d'œuvre (12)

Tu es jeune et dynamique, mais malgré tout les choses vieilles t’intéressent, par curiosité, et tu aimes le langage parlé sommaire et approximatif. Alors rejoins-nous sur la retransmission Facebook Live avec le journal Le Monde et visite avec nous Lascaux 4, la toute dernière réplique de la grotte de Lascaux, qui ouvre justement au public le 15 décembre.
C’est une copie incroyable « avec 16 points de mesure sur chaque dessin représenté sur les parois (9’00"). »

Tu es jeune et handicapé. Ça n’est pas grave, tout est adapté à ton handicap. Tu seras également équipé d’un compagnon de visite, une tablette, et un casque connecté avec un fil. Il détectera « la langue dans laquelle tu parles et ton adresse mail (9’55") » et « si tu es malentendant tu pourras y grossir les textes pour mieux les entendre (9’45"). »

Tu ne connais rien à la préhistoire d’il y a longtemps. Pas de problème, le guide obligatoire te parlera dans un micro, tu l’entendras clairement dans ton casque, et il te dira ce que tu dois regarder et penser.

Tu es un peu claustrophobe ou tu crains le froid et l’humidité. Ne t’inquiète pas, la visite de la réplique (qui ne reproduit toujours qu’une partie accessible de la grotte originale) est très rapide. Au bout de 30 minutes tu seras libéré dans le grand hall du Centre international de l’art pariétal où tu pourras alors jouer à loisir avec les technologies virtuelles devant d’autres reproductions partielles de la grotte (recyclées de Lascaux 3), et puis « Il y a un cinéma en 3D et des animations totalement modernes donc ce qui est intéressant c'est que les enfants vont beaucoup s'amuser (3’40"). »

Enfin tu aimes emporter des images en souvenir des visites qui t’ont marqué et pour les montrer aux malheureux qui n'y seront pas allés, mais tu sais que les photographies sont interdites pendant la visite du facsimilé de Lascaux. Ne t’en fais pas, tu achèteras des cartes postales, et puis sinon tu pourras revoir ces 75 minutes de Facebook live, ou même retourner à Lascaux 4.

Lascaux, l'original du deuxième cheval chinois, paroi droite du diverticule axial 
(extrait du beau site officiel Lascaux.culture.fr)


Autres citations de la retransmission Live et commentaires des spectateurs en ligne :  

13'40" « on évite de l'appeler Lascaux 4. Et pour ceux qui s’intéresseraient au vrai Lascaux, elle va bien et se régule toute seule. »
 
37'00" « Si on ne les préserve pas les peintures risquent de disparaitre. La réplique est faite pour protéger Lascaux et l'offrir au public mais ça n'est pas du tout dans un but commercial, loin de là, c'est dans un but de recherche. »  

72'38" Le téléphone de la marque Apple est cité pour la 3ème fois en une heure. Tu n’as pas d’iPhone ? Alors là, on n’a pas de solution à te proposer.

« Pour des hommes préhistoriques leurs esprits étaient assez développés »

« Il y a t'il des pokémons dans la grotte ? »

« Est-ce que c'est de l'art ? »
  

dimanche 30 août 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (7)

Un des ours du petit diverticule à l'est de l’entrée de la grotte Chauvet originale, tracé d’un geste assuré à l’ocre rouge.

Le 18 décembre 1994, un certain M. Chauvet et deux amis, spéléologues, découvrent au lieu-dit de la Combe d’Arc sur une falaise qui longe la rivière Ardèche l’entrée obstruée de ce qui s’est révélé être l’une des plus riches grottes ornées de l’art paléolithique européen.

Le style des œuvres y est globalement moins raffiné que dans les grottes d’Altamira ou de Lascaux, mais les techniques et les figures de style en sont étonnamment proches bien qu'éloignées de 10 à 15 000 ans, d’après les datations (encore très discutées) du charbon de bois qui les aurait tracées.

D’éminents scientifiques de divers ministères eurent alors le privilège d’étudier longuement et scrupuleusement la grotte. Ils décidèrent en toute impartialité, pour protéger la caverne, que le public ne devrait jamais avoir le droit de visite, à l’exception des mêmes scientifiques, des découvreurs de la grotte, des « Officiels », et de leurs familles et amis.

Puis s'ensuivirent, comme il est naturel autour des plus grandes réalisations de l’Humanité, vingt années de petitesses administratives et de mesquineries judiciaires à propos de l’exploitation commerciale du nom du site, de la propriété de la terre et des droits de l’image sur les œuvres pariétales.

Et comme le public, indifférent aux questions d’authenticité, est toujours prêt à affluer aveuglément à tout événement qui l’éloigne de son ennui ordinaire, on décida de créer une copie, deux kilomètres au nord de l’original.
Ce fut rondement fait en trois ans, avec de la dynamite et beaucoup de béton (voir le documentaire Les génies de la grotte Chauvet).
Le résultat n’est pas un véritable facsimilé car pour respecter l’enveloppe budgétaire les surfaces artistiquement ou paléontologiquement sans intérêt ont été ignorées et les 8500 mètres carrés au sol de la grotte ont été ainsi concentrés sur 3000 mètres carrés.

Les copistes des œuvres graphiques disent avoir « reproduit les gestes originaux avec les matériaux de l’époque - notamment l’ocre et le charbon de bois - et sacrifié ainsi un peu de l'exactitude au profit de la dynamique et du souffle qui anime les figures ». Ils insistent en se qualifiant de faussaires plutôt que copistes (« Les génies de la grotte Chauvet » à 7’30 et revue Science et avenir 819, mai 2015, p.11).
On le constatera sur le site internet de la réplique. Parcimonieux, il mêle discrètement quelques rares reproductions des parois de la copie, appelée « Caverne du pont d’Arc », à des parois originales furtivement sous-titrées « Grotte Chauvet Pont d’Arc ». On remarquera peut-être sur les copies l’application avec laquelle les faussaires contemporains ont imité le style de leurs lointains confrères de la préhistoire. Cela donne à leurs traits un aspect un peu sec, que le temps se chargera certainement d’user et d’adoucir.

Le public peut visiter la copie depuis le 25 avril 2015.
La presse unanime a poli pour l’occasion l’artillerie des superlatifs, à l’exception d’un journaliste anglais dans The Guardian qui s’exclame « Qui paierait pour aller voir un faux Rembrandt ? »
Question éternelle. Manifestement beaucoup de monde, répondent les premiers chiffres de fréquentation, pour l’instant le double des estimations, environ 60 000 visiteurs par mois (pour mémoire les découvreurs touchent 3% de la recette).

Pourtant la réplique se visite au pas de course, dit-on, en 50 minutes dans la pénombre, l’humidité et le brouhaha, derrière un guide obligatoire, à raison d'un groupe de 28 toutes les 4 minutes. La durée de chaque station est rigoureusement chronométrée après quoi son et lumière sont coupés.
Et pour qu’il n’en reste aucun souvenir toute photographie y est strictement prohibée, ou peut-être pour ne pas permettre la comparaison avec le site original, ou pour accélérer ce flux lucratif et vendre plus de cartes postales, ou pour respecter les droits d’auteur des artistes préhistoriques, qui sait ?

Finalement on a maintenant une grotte Chauvet nommée caverne, certes un peu rétrécie et surpeuplée mais avec tout le confort moderne, parking, toilettes et boutique de souvenirs.
L’amateur exigeant aura peut-être intérêt à visiter le superbe site virtuel officiel de la grotte originale qui lui procurera des heures d’une admiration moins frelatée.
 

lundi 13 avril 2015

L'art de la reproduction

Véronèse, Noces de Cana, détail.

Tandis que les adorateurs de la vérité attendent dans l'anxiété les conclusions de l'expérimentation de la « copie chinoise de Dulwich », on apprend aujourd'hui, par la revue Télérama, qu'une reproduction imprimée des Noces de Cana a été inaugurée avec force pompe et cérémonial il y a déjà sept ans, au réfectoire du couvent de San Giorgio Maggiore à Venise, et qu’à l’instar des facsimilés des grottes préhistoriques et leurs peintures rupestres, elle y est admirée avec la dévotion qu’on réserve d’habitude aux œuvres originales.

L’histoire remonte au 6 octobre 1653 quand le peintre Paolo Caliari, dit Véronèse, reçoit des moines bénédictins de San Giorgio le paiement d’une immense toile qu’il vient de terminer en 16 mois. Elle couvre le mur du fond du réfectoire, sur 9.90 mètres par 6.66.
Elle représente un repas de noce à Cana où l’un des invités nommé Jésus a fait livrer six jarres de vin qu’on commence à servir aux convives. À 35 ans Véronèse est déjà célèbre pour ses immenses scènes bibliques et architecturales débordant de personnages puissants et colorés.

Puis en 1797, le jeune Bonaparte vainqueur de l’Italie, déjà obsédé par tout ce qui est grand, fait découper la toile en sept morceaux pour la transporter jusqu’au Louvre à Paris où elle est reconstituée.
Elle y est toujours exposée, et les tentatives diplomatiques de restitution à Venise échouent régulièrement.

C’est alors qu’en 2006 une entreprise madrilène spécialisée dans la « conservation des héritages culturels », Factum Arte, armée d’appareillages photographiques et d’imprimantes sophistiqués, de colle, de ficelle, et assistée de beaucoup de main d’œuvre et des autorisations et finances requises, se lança dans la création d’un facsimilé (1) des Noces de Cana.

Et le 11 septembre 2007, l’objet était dévoilé devant les yeux embués d’un parterre d’aristocrates et d’ecclésiastiques. Tous étaient certainement conscients de ne regarder qu’une photographie de luxe, mais la reproduction pharaonique de cette toile gigantesque les émut fort, dit-on.

Comme on le voit, la fausse caverne de Pont d’Arc en Ardèche, la copie chinoise de Dulwich, la réplique espagnole de Venise, sont les indices d’une évolution des mentalités. La valeur émotionnelle souveraine, idolâtre, fétichiste, accordée à l'œuvre originale n’a peut-être plus longtemps à vivre.

***
(1) On distingue généralement copie et facsimilé. Un facsimilé est une reproduction exécutée avec les moyens les plus modernes dans le but d'obtenir un résultat extérieurement identique à l'original. Une copie est fabriquée avec les mêmes moyens que l'original. 
Le facsimilé démontre les capacités de la technologie employée. La copie, parce qu'elle est réalisée à la main, fait la preuve de la virtuosité d'un copieur, et c'est certainement pourquoi elle est mieux placée dans l'échelle des valeurs. Une copie acquiert parfois le statut d'œuvre originale quand les dates de sa réalisation et de celle de son modèle commencent à se confondre dans le temps, comme pour les copies romaines de la statuaire grecque.

lundi 20 octobre 2014

Chacun sa vérité

L’idée était ingénieuse. Elle venait de deux archéologues, Tilman Lenssen-Erz et Andreas Pastoors. Demander à des chasseurs bochimans de déchiffrer des traces de pas préhistoriques laissées depuis des milliers d’années dans des grottes du sud-ouest de la France.

Les Bochimans (ou Bushmen, ou Sans), peuple de la brousse, habitent l’Afrique australe depuis 50 000 ans, et depuis ils pistent les animaux de la savane en lisant leurs empreintes dans le sable. Aujourd’hui opprimés et plus ou moins exterminés pour des intérêts miniers, quelques dizaines de milliers d’individus survivent de petits métiers dans le désert du Kalahari, notamment en servant de guides aux riches touristes friands de chasse.

Sylvia Strasser a fait un reportage touchant et un peu long de leur épopée archéologique, « Des pisteurs sur les traces du passé », diffusé il y a peu sur la chaine Arte et aujourd'hui disponible sur le site YouTube (faites vite avant que la cupidité et le droit d’auteur ne l’éliminent) et sur les réseaux de partage clandestins.

On y voit pendant les 70 premières minutes trois sympathiques bochimans désignant sur le sable du désert de vagues traces à peine visibles et précisant aux deux archéologues béats qu’une antilope est passés à 6h23 le matin et qu’une zorille mâle a croisé son chemin de 50 degrés environ, à 6h57.

Les 20 dernières minutes sont plus palpitantes. Les trois bochimans emmitouflés découvrent émerveillés le train à grande vitesse, les automates de lavage de voitures et les verts paysages des Pyrénées sous la pluie.
On les emmène à Cabrerets près de Cahors, dans la célèbre grotte du Pech-Merle.
Dans un passage de la caverne une mare d’argile a enregistré voilà plus de 10 000 ans douze empreintes de pieds.
Depuis un siècle des générations de paléontologues et d’éminents podologues se sont ruiné la santé à déchiffrer le sens de ces traces désordonnées, imaginant le plus souvent la danse rituelle d’une ou deux personnes, l’expression d’une forme de religion primitive. Il faut dire que depuis qu’il a acquis une certaine conscience de lui-même le brave Sapiens (qui sait tout) est incapable de penser l’inconnu sans lui attribuer une cause créatrice externe, une origine divine.
Or après l’examen minutieux des traces de pas, les trois pisteurs africains sont formels ; ils n’y voient pas l’exécution d’un mystérieux cérémonial paléolithique, mais simplement les allées et venues ordinaires de cinq femmes et hommes de tous âges qui passaient par là (une femme de 25 ans avec un garçon de 10 ans, deux hommes, de 35 et 50 ans, et une femme qui portait une charge).

Après cet épisode sacrilège, les gentils archéologues, en bons scientifiques qui trouvent leur plaisir dans la contradiction, conduisent alors les pisteurs dans la grotte du Tuc d’Audoubert, une des cavernes de la rivière Volp, dans les Pyrénées ariégeoises.
Là, dans une grande cavité d’accès malaisé, ont été modelés il y a 15 000 ans deux bisons d’argile. Alentour, près de 150 traces de pieds, uniquement des talons, ont toujours intrigué les scientifiques qui y voient quelque danse mystérieuse.
Pour les bochimans, plus terre à terre, la scène est immédiatement lisible et ils en refont sans peine la chronologie, où un homme de 38 ans et un enfant de 14 ans prélèvent l’argile dans un bassin en contrebas et l’emportent pour la modeler. Ils attribuent l’absence des doigts imprimés dans le sol au degré de séchage de l’argile.

Finalement les archéologues, et la cinéaste sont ravis. Ces explications si précises, comme des évidences, les laissent admiratifs, quand les interprétations classiques faisaient appel à toute une théorie de croyances et de symboles.
Et cette petite aventure en forme de fable aura au moins pointé du doigt la manie insidieuse, le travers de raisonnement qui consiste à idéaliser ce qu’on ne comprend pas encore, et à l’attribuer à un au-delà de circonstance.

Art rupestre, « In situ » par Mygalo, fort d’Aubervilliers, juillet 2014.

Mais les bochimans étaient-ils eux-mêmes convaincus de leurs propres conclusions ? N’ont-ils pas exagéré le trait parce qu’ils savaient faire ainsi plaisir aux archéologues fascinés par leur savoir-faire ancestral ?
Les scientifiques auraient peut-être dû faire preuve d’un peu plus de rigueur, par exemple en séparant les trois pisteurs et en confrontant leurs hypothèses.

mercredi 16 janvier 2013

Le véritable peintre de Lascaux


La scène du Puits (Lascaux version 3.2). Elle a fait l'objet de centaines d'interprétations très autorisées, qui en disent certainement plus sur les fantasmes des commentateurs que sur les intentions du peintre.


Ne rêve pas, lecteur crédule, à la vue de ce titre racoleur. Car Ce Glob est Plat, malgré des moyens d'investigation modernes et un évident désir de savoir, n'a pas découvert l'identité du créateur des peintures qui tapissent les parois de la grotte de Lascaux, à Montignac en Dordogne. Mort depuis au moins 17 000 ans, les archives municipales font défaut.
Mais Ce Glob est Plat révèlera un secret plus grand encore, sciemment enseveli par les exploitants régionaux actuels, le nom du véritable inventeur de Lascaux 3. Pas le Lascaux zéro (1), celui que les bactéries lessivent imperturbablement, mais le Lascaux quasiment éternel, celui qu'on pourra cloner à l'infini, et dont voici l'histoire.

Le visiteur de « Lascaux l'exposition internationale » qui se tenait à Bordeaux fin 2012 sur les quais de la Garonne aura été surpris d'apprendre, de la bouche d'un guide arrogant, qu'il se tenait alors dans Lascaux 3, fruit d'une technologie ultramoderne et jamais exposé au public. Surpris parce que ce visiteur avait pu admirer les mêmes panneaux mobiles de la Nef et du Puits, aussi finement réalisés, sous le nom de Lascaux 3 également, quatre ans auparavant dans l'exposition « Lascaux révélé », à Montignac. Il y aurait plusieurs Lascaux 3 ?

L'histoire commence en 1981 quand Renaud Sanson, machiniste et décorateur de théâtre collabore à la finalisation de la première reproduction officielle et partielle de la grotte, Lascaux 2. Avec le support bienveillant de Jacques Marsal, un des découvreurs de Lascaux en 1940, il décide de réaliser une copie de la caverne.
De tribulations en péripéties et grâce à quelques commandes, il crée un atelier de reproduction (ZK productions, Atelier du facsimilé pariétal), forme une équipe et perfectionne une technique unique de facsimilés en voiles de pierre (relevés au laser 3D, modelage de coques, projection stéréophotographique).

Vingt ans après, Sanson a convaincu. En 2003, Le Conseil général de la Dordogne lui commande Lascaux 3, copie itinérante des panneaux de la Nef (la Vache noire, les Cerfs nageant, les Bisons croisés) et du Puits (l'homme-oiseau et le bison blessés).
En mai 2005, l'Atelier du facsimilé pariétal est ouvert au public accompagné d'un grand bruit médiatique ; le badaud peut y suivre en détails les étapes du copiage. Dans la presse on promet Lascaux 3 à Paris avant fin 2007, puis à Tokyo.
Mais Sanson est un passionné, un méticuleux, peut-être pas un gestionnaire. ZK productions ne respecte pas ses engagements. Le Conseil général s'impatiente. La liquidation judiciaire est prononcée le 5 juin 2008.
Société d'économie mixte du Conseil général, la Semitour rachète l'atelier qui devient Atelier des facsimilés du Périgord (AFSP).
En juillet 2008, sous le nom de « Lascaux révélé » (ou Lascaux 3) une exposition semblable à celle de 2005, mais plus étoffée et mise en scène avec des films projetés sur les parois moulées, est inaugurée dans l’atelier de Montignac. Sanson en est encore le concepteur, l'orchestrateur et le porte-parole. C'est un succès.

Mais dès février 2009, remplacé par le directeur de la Semitour, Sanson ne dirige plus. L'atelier doit être libéré pour produire à la chaine du Lascaux 3, itinérant et international, du Lascaux rentable. L'exposition est démantelée pour être installée au musée du Thot à Thonac près de Montignac où croupissaient déjà des copies de l'époque de Lascaux 2. Cinq mois plus tard y est lancé « Toute la grotte de Lascaux », billet groupé pour visiter Lascaux 2 et 3, qui aura peu de succès.

Et le Conseil général se commande (à lui-même) un nouveau Lascaux 3 (disons Lascaux 3.2). pour cela l'AFSP utilisera désormais les données de la base documentaire constituée par Sanson, les moules des parois faits sous sa direction et les artisans qu'il a instruits, mais on ne le verra plus jamais. On fait parler à sa place un plasticien insipide et ennuyeux, disciple ingrat qui ne le citera jamais. Les vainqueurs commencent à réécrire l'Histoire. Renaud Sanson n'a pas existé.

Puis il sera licencié en mars 2010. La suite, sans fin, sera judiciaire.

Lascaux l'exposition internationale (ou Lascaux 3.2) ouvrira en octobre 2012. On y trouvera, en plus pédagogique, le contenu de l'exposition de 2008 et des guides prétentieux qui embrouillent à plaisir le touriste naïf en prétendant qu'il n'y a pas d'autre Lascaux 3. On raconte pourtant qu'il y aurait même une troisième copie de la vache noire, une vache 3.3, promise par contrat à un musée espagnol, et que la Justice recherche encore mais que personne n'a retrouvée jusqu'à présent.
Lascaux 3.2 passera six mois en 2013 au Field museum de Chicago, et à Montréal en 2014...

Et si Lascaux 4, le Centre d'art pariétal de Montignac, parvient jamais à voir le jour, il ne sera, comme le Lascaux du parc du Thot, qu'un assemblage de morceaux des versions du Lascaux de Sanson (2).

Dans un film de 53 minutes (3) déposé anonymement sur Internet en hommage à Renaud Sanson, le même plasticien usurpateur et inexpressif, ancien élève, affirme (à 43'50") que Lascaux a été peint par des êtres supérieurs qui accomplissaient sans savoir qu'ils accomplissaient (sic) ! Il veut peut-être parler de Renaud Sanson et de Lascaux 3.
Hâtez-vous de le regarder, car les vainqueurs officiels le feront bientôt disparaitre d'Internet sous prétexte du droit d'auteur (ils essaient actuellement d'obtenir de l'État tous les droits sur les œuvres pariétales de Cro-magnon et sa famille !).
Et vous pourrez alors raconter à vos petits-enfants la véritable histoire du peintre de Lascaux 3. 

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
***
(1) Le lecteur déjà égaré par les numéros de version de Lascaux aura avantage à réviser ce récapitulatif de 2010. 
(2) Le Conseil scientifique de la grotte de Lascaux vient d'autoriser Lascaux 4 à refaire des relevés 3D et photographiques de la grotte (9ème réunion de juin 2012). Les données de Sanson étaient peut-être incomplètes.
(3) Lascaux 3 l'exposition internationale la genèse.

vendredi 31 août 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (3)

Décidément, le mot d'ordre libertaire de Ce Glob est Plat, « Améliorons les chefs-d'œuvre », a fait en quelques mois beaucoup d'émules. Pour preuve cette mésaventure qui fait actuellement scandale à Borja près de Saragosse, dans le nord de l'Espagne, et dans le monde entier.

Vous connaissez certainement l'histoire. Accoutumée aux petits travaux que nécessite régulièrement l'église du Sanctuaire de Notre-Dame de la Miséricorde dans les faubourgs de Borja, une très vieille femme dévote avait décidé de sauver le Christ d'une dégradation déjà bien avancée. C'était un portrait médiocre peint à la fresque par Elias Garcia Martinez, obscur décorateur et professeur à Saragosse, mort en 1934. La vieille dame avait déjà repeint la tunique pourpre du Christ en faisant au passage une grossière erreur de perspective, avec la bénédiction du prêtre de la paroisse.

Forte de cette approbation, elle s'est donc attaquée au visage qui se décomposait. Emportée par une indéfectible foi chrétienne et des limites techniques incontestables, elle transforma la mauvaise croute en un étrange pâté, dans le style d'un Georges Rouault ou Modigliani terminé au chiffon par Francis Bacon.
Plus de 20 000 internautes déjà ont néanmoins trouvé du charme à ce Christ zombi au point de signer une pétition pour sa préservation.


Soyons modestes, Ce Glob est Plat n'est pas l'inventeur de ce concept prometteur d'amélioration des chefs-d'œuvre du passé. L'archétype, le modèle indépassable, c'est le Spéléo-Club albigeois qui le 5 mars 1992, aidé d'un groupe d'Éclaireurs de France adolescents et filmé par la télévision régionale, effaçait soigneusement, à la lessive et la brosse dure, deux bisons maladroitement dessinés par un peintre inconnu il y a au moins 20 000 ans dans la grotte de Mayrière à Bruniquel.
C'était une méprise, l'intention était bonne, la grotte était aussi couverte de graffitis récents. Ils en obtinrent le prix igNobel d'archéologie en 1992.
Ironie, la peinture rupestre avait été découverte par le même club de spéléologie 40 ans plus tôt. Ce qui prouve bien qu'en matière d'art le progrès n'existe pas.

Mise à jour du 20.09.2012 : la suite devient lamentable, naturellement. La Fondation propriétaire de l'église prélève un euro par visiteur. La vieille dame va demander à la Justice sa part des milliers d'euros, en droits d'auteur. 

jeudi 30 septembre 2010

Belle journée pour les champignons

Le 12 septembre 2010, un soleil resplendissant se répandait sur le pays. Au lever, le Roi de la France, voyant que que c'était un beau jour pour les champignons, rassemblait quelques sujets amis et partait d'un pas décidé dans son petit hélicoptère fêter le 70ème anniversaire de la découverte de la grotte de Lascaux et de ses spectaculaires peintures pariétales, à Montignac en Dordogne.
Quelques minutes plus tard, après une visite émue de la grotte originale, qui démontrait que les peintures n'étaient pas encore effacées par les nettoyages chimiques successifs, le Roi de la France s'abimait dans un discours visionnaire. Cette allocution déconcerta plus d'un amateur du paléolithique, moins par l'imprécision de ses références préhistoriques (1) que par sa fougue prophétique : il annonçait un Lascaux 4, et dans son élan un Lascaux 5.
Vous en étiez restés à Lascaux 2, et pas vraiment informés des nouveautés du paléolithique, vous n'imaginiez pas la fièvre des «remakes» remuer les berges indolentes de la Vézère. Qui vous le reprocherait ? Mais à Lascaux, le passé change tellement vite. Faisons une rapide rétrospective.

Il y a 17 ou 18 000 ans donc, Cro-magnon, un Homo sapiens un peu négligent, après la chasse, essuyait ses mains grasses et sanguinolentes sur les parois d'une caverne de Dordogne.

Lascaux 1
Découverte en 1940, très aménagée en 1948 pour y industrialiser le tourisme (1000 visiteurs par jour), la grotte commence à montrer des signes de corrosion dès 1955. L'installation d'un système de régulation thermique et hygrométrique en 1957 n'empêche pas l'apparition d'algues vertes et d'une couche opaque de calcite qui envahit les parois en 1960. En 1963, Lascaux 1 est définitivement fermée pour le public sans privilèges. Le système de régulation est remplacé en 1965, et des relevés sont réalisés par l'Institut Géographique National pour aboutir, après nombre de péripéties financières, à l'ouverture au public de Lascaux 2.

Lascaux 2
C'est l'étonnante et exacte duplication d'une partie de la grotte (salle des taureaux et diverticule axial), à 250 mètres de l'original, ouverte au public en 1983. Quelques morceaux supplémentaires (vache noire de la nef, scène du puits...) sont exposés dans le parc du Thot, triste Disneyland de la préhistoire en plastique, à 4 kilomètres, près du château de Losse.
Et Lascaux 2, se décompose également. De Lascaux 1, elle a hérité les 1000 visiteurs quotidiens et les maladies qu'ils transmettent. Sa restauration est devenue nécessaire (lancée en 2009 à raison de 4 mois par an pendant 5 ans) car elle reste la seule source sérieuse de finances. Pour combien d'années ? Trop près de l'original, le trafic qu'elle génère est considéré par certains comme une des principales causes de la dégradation de l'équilibre du site.

Lascaux 3
Décalcomanie en kit, ruineuse expérimentation sans lendemain pour certains, conçu, pour d'autres, comme le Lascaux de l'avenir, en pièces légères et mobiles destinées à la promotion de l'art paléolithique français à travers la planète, ce fac-similé de voyage, partiel (seule la nef est copiée), n'a jamais vraiment voyagé. Exposé en 2009 dans le parc du Thot, sous le nom de «Lascaux révélé», à la place des morceaux volants de Lascaux 2 (mis au rebut sans précautions), il semble aujourd'hui inhumé sous les difficultés techniques, financières, ou les rivalités locales (2).

Lascaux 4
Lascaux 1 qui s'estompe, Lascaux 2 menacé, Lascaux 3 enterré, il fallait bien, ce jour ensoleillé du 12 septembre 2010, que le Roi de la France dévoile un avenir radieux. Ce sera Lascaux 4, projet de Centre d'art pariétal à Montignac, qui exposera - d'après Le Monde - la prochaine copie de la grotte, moderne et complète, peut-être avec des morceaux de Lascaux 3 dedans, ou de sa technologie.
Mise à jour du 12.09.2012 : le nouveau gouvernement, après avoir éjecté le Roi de la France au printemps, vient d'enterrer le projet Lascaux 4 en annulant son aide financière, sous les protestations d'Yves Coppens. De vagues promesses ont alors été murmurées.

Lascaux 5
Et comme les projets autour de Lascaux sont pharaoniques et leur dénouement hypothétique, le Roi de la France a finalement évoqué la réalisation d'un Lascaux 5, un Lascaux populaire, démocratique, que le prolétaire explorerait chez lui après le travail, en allumant son ordinateur. On se met alors à rêver d'une France où les sujets simuleraient pour leurs enfants admiratifs, sur les écrans familiaux, les déplacements surexcités de leur minuscule souverain dans les décors en décomposition de la caverne originale, comme Super Mario dans le célèbre jeu vidéo.

L'invasion des taches grises, que rien ne semble pouvoir arrêter, est particulièrement visible ici, à droite, autour des cornes de la vache noire de la nef (à gauche Lascaux 2, à droite Lascaux 1. L'angle de vue et surtout l'éclairage différent trop entre les deux photos pour permettre une comparaison précise).

Lascaux 0 (zéro)
C'est le sobriquet donné par dérision à Lascaux 1, la grotte originale. Après une longue période de stabilité, le remplacement du système de régulation, en 2000, a déclenché un processus qui semble inéluctable. Dès 2001, un champignon microscopique infeste la grotte de moisissures blanches, c'est Fusarium Solani. En dépit des communiqués officiels déclarant l'envahisseur refoulé, des femmes de ménage expertes en nettoient encore les parois deux fois par mois, en 2006. L'année suivante se dessinent et se multiplient des taches grises et diffuses, dans la nef, l'abside et le passage (souvent nommées taches noires). Depuis, les comités d'experts se succèdent au rythme des remaniements ministériels et des sommations scandalisées de l'Unesco qui avait décrété la grotte «patrimoine mondial de l'humanité» en 1979, et qui menace maintenant de la rétrograder dans la liste infamante du patrimoine en péril. Vexée, la France proteste et accumule contre-expertises et contre-vérités officielles. Lentement, de son côté, la grotte s'obstine à s'effacer, digérée par les bactéries et les champignons.

Après tout est-ce si grave ? Y a-t-il un intérêt à ensevelir définitivement une œuvre dans un sanctuaire exclusivement réservé au plaisir d'un roitelet d'opérette et de quelques scientifiques intronisés ?
Un jour, une convulsion de la Terre emportera l'ensemble, avec les thermomètres, les hygromètres, les sismomètres et les anémomètres.

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
 
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1. « Le brave néandertalien avait parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs... qu'il y faisait bon vivre » (discours des Eyzies au pôle international de la préhistoire, 12.09.2010). Attribuer ainsi les peintures de Lascaux à des néandertaliens hédonistes, alors qu'aujourd'hui la science les dit peintes dans une période glaciaire, habitée par des Homo sapiens frigorifiés et seule espèce humaine survivante ! Mais le Roi de la France peut très bien avoir un avis personnel sur ces questions, les manuels scolaires en tiendront compte.
2. Lascaux 1 est désormais, depuis 1963, une propriété de l'État français, les autres Lascaux appartiennent à des entreprises privées, au Conseil général de la Dordogne ou à des collectivités locales concurrentes.
Il est difficile de trouver des informations unanimes sur le sujet de Lascaux et de ses clones, notamment depuis que la gestion de la France est mise en cause. Les contradictions sont fréquentes. Il est donc possible, malgré les efforts de documentation, que certaines affirmations de cette chronique soient inexactes.

samedi 25 août 2007

Lascaux 2, le retour

Au-dessus d'eux les explosions avaient cessé depuis quelques jours. C'était une bonne idée d'avoir fait construire cet abri. Il fallait maintenant essayer de retrouver Alis qui avait fui avant la reprise des tirs.
La lourde porte blindée grinça un peu.
Dehors, le spectacle était désolant. Une partie de la colline en face avait disparu. Presque toute la végétation également, pour ce qu'ils en voyaient à travers l'épais brouillard noir. Même en plein jour, la torche électrique était utile. Ils longèrent le seul chemin praticable le long de l'ancien ruisseau. En bas tout était dévasté, à part un immense bloc de rocher gris qui avait résisté.

Des gémissements semblaient venir de là, d'un passage étroit au ras du sol poussiéreux, probablement pratiqué par une explosion. Gala qui était plus petite s'y glissa.
Le conduit s'évasait rapidement en une vaste caverne couverte de peintures représentant toutes sortes d'animaux fabuleux. Elle se souvint avoir entendu parler de grottes peintes dans la région il y a des siècles, quand il y avait encore des animaux. Les galeries étaient désertes, ses appels résonnaient. Au fond, sur un panneau, un texte était écrit dans un alphabet qu'elle ne reconnaissait pas «Grotte de Lascaux 2, inaugurée par M. Jack Lang Ministre de la culture, le 19 novembre 1984».

Elle appela encore... Alis n'était pas ici.
Elle regarda une dernière fois les
étranges animaux, fascinée. Mais il y avait plus urgent. Il fallait rejoindre Moza et trouver de la viande fraîche pour ce soir.

Grand taureau
(Lascaux 2, copie partielle de Lascaux, Montignac, Dordogne)

Que le lecteur sensible ne s'effraie pas. Tout ceci n'est que fiction. Il est possible que la réalité en diffère un peu.
Cet été pluvieux ayant été propice aux activités culturelles souterraines, Ce Glob Est Plat a reçu d'une jeune lectrice une carte postale qui représentait un taureau, détail d'un ensemble datant d'environ 17000 ans, peint sur les parois de la grotte de Lascaux 2 voici à peine 25 ans. Ce paradoxe chronologique précipita la rédaction dans un abîme de perplexité. Un reporter fut alors chargé de répondre sans délai aux questions suivantes:
— Ce qui est unique est-il nécessairement authentique ?
— Éprouve-t-on la même impression devant une copie que devant un original ?
— Pourquoi se sent-on trahi quand on apprend avoir admiré une copie ?
— Pourquoi cette vénération pour l'objet authentique ?

Mercure en bronze, probable copie romaine d'un original grec inconnu
(Naples musée national d'archéologie)

Notre reporter est revenu peu après avec l'historiette que vous venez de lire, prétendant qu'elle répondait à toutes nos interrogations, et ajoutant « la vérité est une construction de l'esprit. Elle n'a besoin que d'être cohérente pour être acceptable ».
La rédaction réfléchit actuellement au libellé du motif de licenciement.