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dimanche 24 février 2019

Tableaux singuliers (11)


Ippolito Caffi, védutiste italien au 19ème siècle, fasciné par les phénomènes météorologiques et lumineux, peignit Venise dans tous ses états, submergée par l’acqua alta, sous la neige, dans le brouillard, illuminée de feux de Bengale... Ce Glob parlait de lui en 2011.

En 2016 et 2017, au moment d’une copieuse et longue rétrospective Caffi au musée Correr, place Saint-Marc à Venise (157 œuvres pendant 8 mois), réapparaissait un tableau étrange, d’une collection privée, une « Éclipse de soleil à Venise vue des Fondamente nuove ».
C’est un grand tableau, 152 cm sur 84. Au dos serait inscrit, en italien, « 8h du matin, à Venise le 8 juillet 1842, CAFFI ».

Cette représentation de la fin de la phase de totalité de l'éclipse solaire, dont l'ombre enténébra Venise ce matin-là, est fausse. Jamais une éclipse ne diffuse pareille tranche de lumière, comme projetée par un phare, comme si le Soleil et la Lune flottaient à l’intérieur de l’atmosphère terrestre. En réalité le ciel passe, à la fin d’une éclipse totale, de nocturne (à part l’horizon crépusculaire) à diurne, dans sa totalité, et la lumière baigne l’atmosphère en quelques secondes, sans balayer de manière perceptible l’espace comme un rideau qui s’ouvrirait. Le phénomène est le même, inversé, au début de la phase de totalité.

Or Caffi, reporter fidèle des évènements atmosphériques, s’il les exaltait souvent, ne les transformait pas. Comment expliquer cette image erronée ?

Essayons une explication.

Caffi n’a pas assisté à l’éclipse totale du 8 juillet 1842 et l’a peinte d’après des témoignages. Peut-être était-il à Rome ce jour-là. C’est une malchance, car on connait le détail de tous ses voyages, et en 1841 et 1842, il pérégrinait entre Padoue, où il réalisait une série de fresques, Milan, Belluno sa ville natale, Venise et Rome. Or les quatre premières sont dans la zone d’ombre de l’éclipse, mais pas Rome (voir illustration ci-dessous).
Caffi n’a d’ailleurs jamais pu voir d’autre éclipse totale, puisqu’aucune éclipse n’a jamais traversé les lieux de ses voyages quand il y était.

Il est cependant évident que de retour dans sa région en 1842, il a interrogé des témoins pour réaliser son tableau. Et leur description, à un détail près, a été précise et fiable.

En consultant l’exceptionnel et légendaire site de Xavier Jubier, qui permet de rechercher et tracer toutes les éclipses solaires sur cinq millénaires, on constate que l’éclipse du 8 juillet 1842 a duré environ une minute à Venise, précisément à 7h06 (heure d’aujourd’hui), et que le soleil était orienté vers l’Est-Nord-Est à une altitude de 20°.
Or on vérifie, en superposant le tableau à une vue récente des mêmes Fondamente Nuove (quais du nord de la ville) par Google street view, que le décor a peu changé en 170 ans, et que l’orientation et la hauteur des astres sur le tableau correspondent parfaitement aux conditions de l’éclipse.
De plus, bien que les couleurs d’ensemble en soient assez fausses, la teinte crépusculaire de l’horizon et, en dessous, l’illumination de l’eau de la lagune au retour du soleil sont des notations justes des effets lumineux de la fin de la phase de totalité.

Mais, détail que Caffi témoin n’aurait pas oublié, l’orientation du soleil reparaissant derrière la lune est fausse. Le peintre place le croissant en bas à droite, qu'il prolonge d'un quartier de lumière imaginé en simulant mentalement le phénomène, alors qu'en réalité le soleil qui se levait quittait le trajet de la lune vers le haut à droite, ce que montrerait la simulation de l'éclipse sur un logiciel d’astronomie.

Ainsi, Caffi a scrupuleusement reproduit ce qui lui a été dit par les témoins, mais certains effets sont difficiles à décrire, et il a probablement réalisé le tableau un peu vite, sans leur soumettre des esquisses préparatoires.
Quelques mois plus tard, il partait de Naples pour un voyage de deux ans, plein d’étapes ensoleillées, vers Constantinople, Athènes, Le Caire, jusqu’au désert de Nubie.
 
Trajet de l'éclipse solaire totale du 8 juillet 1842 (calculs par X. Jubier)

mardi 17 mai 2011

Caffi, biographie

Caffi Ippolito, védutiste tardif.

16 octobre 1809, Belluno, nord-est de l'Italie,
20 juillet 1866, près de Lissa (Vis) en Croatie.

Un tableau d'Ippolito Caffi est toujours une surprise. Comme pour Hubert Robert dans les musées français, on ne visite pas un musée italien pour voir un Caffi. On ne sait même pas qu'il y en a un. On le découvre au bout d'un couloir, dans une pièce silencieuse, entouré de paysages italiens un peu sombres. C'est un petit panorama urbain peint avec précision et de délicates lumières vivement colorées, comme avec de la gouache. Une ville qu'on croit reconnaitre, avec des ruines, des monuments et des petites silhouettes humaines. Un Canaletto en miniature.

En haut et en bas, Venise, au centre Constantinople et Rome. Tous sont dans des collections privées, sauf Constantinople (à Brescia) et la fête nocturne en bas à gauche (au musée de Belluno).

Caffi aura trop aimé Venise. Sous la neige, les hautes eaux, le brouillard, les feux d'artifices, il l'a représentée mille fois.

Il y étudiera 4 ans, avant de partir pour Rome en 1832 où il rencontrera Corot, et le succès. Il voyagera beaucoup, en Europe et au Moyen-Orient (1843), mais reviendra à Venise en 1847 pour soutenir l'insurrection de la ville, menée par Daniele Manin, contre l'occupant (la Vénétie était alors province autrichienne, cédée par Bonaparte en 1797).
Prisonnier quelques mois, évadé, victorieux pendant la courte période de la république de Saint-Marc, propagandiste exilé quand l'Autriche reprendra Venise en 1848, acquitté en 1859, on le retrouvera dans la lutte pour la libération et l'unification de l'Italie, prisonnier politique, puis illustrateur de l'armée de Garibaldi à Naples en 1860, enfin à nouveau vénitien sous surveillance policière en 1862.

1848, Pie 9 bénit, place du Quirinal à Rome (musée de Trévise).

En 1866, Venise (comme Rome) ne fait pas encore partie du Royaume d'Italie. Les alliés prussiens sont sur le point d'y déloger les autrichiens. Alors les italiens fraichement unifiés, en surnombre et mieux armés, penseront s'assurer un avantage diplomatique par une bataille navale facile en chassant les autrichiens de l'ile de Lissa (aujourd'hui Vis) sur les côtes de la Dalmatie. Ippolito Caffi embarquera sur le Re d'Italia, puissante frégate cuirassée. Mais les forces italiennes sont mal organisées, c'est un fiasco. Vers midi, le Re d'Italia est éperonné par le Ferdinand Max et coule en quelques minutes.

Caffi ne verra jamais Venise dans le Royaume d'Italie. Il demeure peut-être parmi les petites silhouettes humaines qui se noient, peintes avec précision par Carl Frederik Sorensen, sur le tableau de la bataille de Lissa, exposé dans le musée d'histoire militaire de Vienne, en Autriche.