jeudi 28 juin 2018

Comment assouvir une passion coupable


Kandinsky, Gabriele Munther peignant dehors sur un chevalet (détail), 1910
(vente Sotheby's 19.06.2018, 6M€)

Peut-être aimez-vous l’art moderne, voire l’art contemporain.
Mais comme vous n’en voyez, sur internet et sur les sites des musées, que de rares et microscopiques vignettes, jamais de belles illustrations en pleine page, vous croyez que les amateurs de cet art se cachent au fond de longs souterrains où ils ruminent sans fin leur opprobre.

Pourtant il n’y a pas à en rougir, aimer l’art de votre époque n’est pas un vice (enfin, sauf si vous aimez la peinture de Bernard Buffet. Il y a tout de même des limites).

Nous le savons depuis la visite du site vide d’images de la fondation Magritte ; les lois de protection des droits d’auteur, plus dures d’année en année, exigent le paiement de royalties afin que vivent les ayants droit. Il faut payer pour voir.
Mais cette pratique rapporte seulement à ceux qui sont déjà célèbres. Pour l’artiste encore vivant mais obscur qui soupire après renom et fortune, nous n’insisterons pas sur l’erreur que constitue une absence de visibilité sur internet. Tant pis, le grand public le découvrira peut-être dans cent ans, quand ses ambitions seront, avec lui, réduites en cendres.

Miró, Femme oiseau (détail), 1969 (vente Sotheby's 16.05.2018. 6,8M€)
Walton Ford, It makes me think... (détail), 2011 (vente Christie's 17.05.2018. 1,2M€)

Pour les fervents assoiffés d’art moderne, il existe tout de même un moyen d’en admirer de superbes reproductions toujours renouvelées, de les collecter et de se constituer un musée personnel.
Car la cupidité et la mondialisation du commerce de l’art poussent les marchands à utiliser les moyens de communication les plus actuels pour attirer et décider le client, donc à publier des images de grande qualité sur internet.
C’est pourquoi les sites des maisons de vente aux enchères, Sotheby’s, Drouot, surtout Christie’s, sont les seuls à diffuser gratuitement des reproductions en haute définition des œuvres les plus contemporaines, qu’il est souvent possible de télécharger ou de copier.

Pillez-les sans retenue, vous vous constituerez une base d’images introuvables et soulagerez ainsi votre passion. Essayez même l’addiction, visitez-les régulièrement, car la période de liberté d’une belle reproduction ne dure pas.

Rothko, N°7 dark over light (détail), 1954 (vente Christie's 17.05.2018. 30,6M$)
Rothko, Sans titre (détail), 1969 (vente Sotheby's 16.05.2018. 8,8M$)


Après quoi il vous faudra résister à l’envie de partager votre collection sur un site ou un blog. Vous seriez impitoyablement poursuivi (et bientôt interdit préventivement de publication, si l’on croit les menaces actuelles orwelliennes de règlementation européenne du droit d’auteur).

Pourtant, comme les œuvres mises aux enchères sont le plus souvent destinées à des collections privées, et seront matériellement invisibles pour des années probablement, votre collection recèlera rapidement de vrais « incunables électroniques ». Il serait alors bienvenu de créer un lieu secret et virtuel de partage et d’échanges de ces images clandestines.

Finalement, la passion de l’art moderne et contemporain, quand elle n’est pas un divertissement de millionnaire, est bien un délit honteux et une manie dégoutante.

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