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mercredi 20 août 2025

De La Tour, la douche de l’automne (2 de 2)

Avertissement : les reproductions des La Tour sur internet (et aussi dans la plupart des éditions sur papier) sont désastreuses, les couleurs sont vulgaires, souvent fausses, les rouges et les jaunes sur-saturés. Celle du musée de Washington ne fait pas exception. Ce détail en illustration, d’un La Tour du Louvre, n’a rien à voir avec l’exposition d’automne mais au moins ses couleurs sont-elles à peu près justes.


Nous sommes donc restés suspendus, depuis quelques jours, à cette question de la plus haute importance : 
Y aura-t-il un motif réellement raisonnable de risquer une dépression nerveuse en se rendant à Paris au 158 boulevard Haussmann à l’heure d’ouverture des musées à partir du 11 septembre prochain ? 

Qu’en disent les médias ?

On ne trouve en réalité aujourd'hui qu’un article susceptible de nous informer un peu plus sérieusement que le site du musée sur le contenu de cette exposition Georges de La Tour, il est sur le site de la revue Connaissance des Arts. 
Et il titre sans hésiter "Le mystère Georges de La Tour, maître du clair-obscur, bientôt dévoilé dans une exposition exceptionnelle". Vous vous en doutez, c’est un cliché du markéting, il n’y aura ni mystère ni révélation particulière, sauf si vous étiez persuadés que La Tour était un cycliste renommé ou un grand vin de Bordeaux.

Puis on y lit "la première rétrospective en France depuis près de 20 ans" ; en réalité la dernière rétrospective de La Tour date de 30 ans, mais surtout, ne vous attendez pas à une véritable rétrospective, en tout cas dans sa définition habituelle de présentation chronologique ou thématique d’une part représentative d’une œuvre. Et l’article d’insister en précisant "Une vingtaine de toiles conservées partout dans le monde […] soit près de la moitié de celles attribuées au peintre Lorrain !". 
Oh la vilaine menterie !
Si 40 à 43 tableaux sont effectivement attribués à la main de La Tour par les spécialistes, la dernière rétrospective en 1997 au Grand palais de Paris en exposait l’intégralité connue alors, parmi 65 œuvres aux degrés divers d’attribution. La prétendue rétrospective du Boulevard Haussmann n’en présentera au mieux que 9, et autant de mauvaises copies (comme on le verra plus bas).
Quant à leur provenance "partout dans le monde", modérons l’expression : 15 parmi les 18 "La Tour" viendront de France, de province.

Enfin, on nous promet, en plus du petit nombre de La Tour, des toiles, sans doute pas plus d’une quinzaine sinon les murs déborderaient, d’autres peintres dont on ne saura rien, mais qui auront un rapport avec le sujet.

Alors quels La Tour sont annoncés ?

Rappelons que nous ne sommes pas à New York, où le Metropolitan museum met en ligne, avant une exposition, son contenu intégral. Ici, à Paris, chez Culturespace, on communique dans le mesquin, et seulement l’information flatteuse. Le but est d’attirer le consommateur, pas de l’instruire. Alors on justifie l’exposition d’un prétexte creux "on privilégie une approche thématique destinée à cerner l’originalité de La Tour, lié par son épure formelle et son naturalisme subtil à la révolution du caravagisme", qu’on accompagne de 5 images qui font l’essentiel de l’opération de markéting, des images déjà connues voire très connues du public, les seules qui seront fournies aux médias. 

On a tout de même procuré au site partenaire Connaissance des Arts (L'ŒIL) une sorte de liste des La Tour exposés (remise ci-dessous dans un ordre chronologique incertain) :

1 à 11 : Un ensemble représentant le Christ et les apôtres provenant de la cathédrale d’Albi.
Il s’agit de la série des portraits conservés au musée d’Albi. Ce sont les débuts de La Tour, pas des œuvres majeures. Les 11 tableaux feront sans doute le voyage ; ils sont peu demandés. Il faut dire que seulement 2 sont jugés authentiques. Les 9 autres sont de (très) mauvaises copies. 

12 : Portrait de Saint Philippe, prêté par le Chrysler Art museum de Norfolk (USA). C’est la version authentique d’une des 9 copies précédentes. Les deux versions seront-elles présentes, et côte à côte ?  

13 : Vielleur au chien, prêté par le musée du Mont-de-Piété à Bergues (Nord). C’est, comme les n°1-12, un tableau des débuts de La Tour. Énormément restauré, il ne reste plus grand chose de la main du peintre, mais le chien, dont on dit qu’il a été relativement préservé, est magnifique.

14 à 16 : On l’a vu, Culturespace a ratissé les provinces françaises. Après Albi et Bergues, Épinal prête Job raillé par sa femme, récemment restauré, et Nancy, fermé pour des années encore, prête toujours sa Femme à la puce à qui le demande poliment.
Le coup de maitre, c’est d’avoir obtenu du musée de Rennes le célébrissime Nouveau-né, un des 3 plus beaux tableaux du monde (oui, oui, 3), devenu une icône dont toute porte de réfrigérateur même peu cultivée se doit d’accueillir les propriétés magnétiques.
À Rennes, les conditions d’exposition du tableau se sont dégradées au fil des années ; il a été recouvert d’une vitre anti-reflets qui l’affuble de mouvantes lueurs verdâtres devenues plus visibles encore depuis qu’il est relégué dans une pièce à l’éclairage déficient et artificiel. Ça ne sera pas pire au musée Jacquemart, mais alors qu’à Rennes jamais personne ne s’y réfléchit, on peut prédire qu’il sera bientôt dénaturé dans les médias jusqu’à la nausée, et inabordable boulevard Haussmann.    

17 : La Madeleine pénitente, venue de la National Gallery of Art de Washington. Encore une merveille. Ne croyez pas les brun-roux et surtout le jaune inqualifiable de la reproduction américaine. Croyez plutôt cette médiocre photo de la version du musée indéfiniment fermé de Nancy, qui aurait pu être empruntée en même temps que la dame qui s’épuce, pour éviter le voyage Washington-Paris ; quoique plus courte elle est aussi belle ; c’est une version dite d’atelier (mais La Tour n’a pas eu d’atelier, seulement un ou deux élèves). 

18 : Enfin les Joueurs de dés prêté par le Preston park museum de Stockton-on-Tees (GB). Sorte de pastiche surchargé de La Tour, qui divise encore les experts aussi bien sur l’époque d’exécution que sur les mains qui l’auraient réalisé, cet étrange collage contient néanmoins quelques beaux détails.

***
Et voilà le compte-rendu d’une exposition à venir rondement mené. L’information concédée étant fragmentaire, une ou deux surprises restent évidemment possibles.
Entrevoir 4 chefs-d’œuvres, quelques curiosités, et si l’éclairage le permet, les vraies couleurs des tableaux de la Tour : à vous de voir.

Si vous pensez n’avoir jamais le temps d’aller les admirer séparément en province (vous devez, par exemple, courir sauver la planète des méfaits d'un climat récalcitrant), le musée propose des visites de luxe nettement plus calmes, à un groupe de 15 personnes avec guide, les jours de semaine avant l’ouverture, entre 9h et 10h, pour 42€ (au lieu de 18€50). Dans ce cas n'attendez pas, les places libres s'épuisent déjà. 
Il y aura alors peut-être moyen de s’isoler quelques secondes devant un tableau…


***


Mise à jour du 29.08.2025 : Scoupes ! Si l'on croit trois articles récents, le nombre de La Tour de l'exposition serait augmenté de 5 tableaux, mineurs essentiellement, mais modifiant un peu les décomptes puisque le nombre total de La Tour, toujours si on suppose la série d'Albi complète, passerait de 18 à 23, les tableaux de l'étranger passeraient à 6 sur 23, et les La Tour jugés authentiques seraient de 12 sur 23 (au lieu de 9 sur 18). 


Un article promotionnel de Connaissance des Arts sur les expositions de septembre ajoute évasivement un tableau à la liste des La Tour, le Reniement de Pierre, de Nantes. C'est hélas de très loin le moins intéressant des 3 La Tour que conserve le musée de Nantes. Comme le tableau de Stockton, le seul point où s'accordent les spécialistes est qu'il contient très peu de la main du peintre, avec quelques petits détails réussis invisibles sur les mauvais clichés disponibles. 


On lit également dans un copieux article de 10 pages sur La Tour dans la revue Connaissance des Arts "Au sein de l’exposition, seul l’admirable Saint Jérôme du musée de Grenoble ..." Ainsi Grenoble aurait prêté son La Tour. C'est un La Tour des débuts déjà bien maitrisés, des débuts cruels et véristes qu'on peut moins aimer que les formes épurées de la maturité mais qui restent impressionnants de virtuosité.


Un long article sur La Tour dans BeauxArts Magazine de septembre recense, dans un petit encadré sur l'exposition, les La Tour de l'étranger parmi lesquels 3 "nouveaux" :

Les larmes de saint Pierre, du musée de Cleveland, un des rares La Tour datés (1645), un des rares peints avec du bleu sombre et du bleu-vert, un peu démonstratif pour un La Tour mais attrayant. 

- Un couple de vieillards en deux grands portraits, du MFA de San Francisco. Ils dateraient des débuts du peintre, comme le vielleur au chien de Bergues. Certains spécialistes doutent de leur attribution.  


Tout cela reste à vérifier, au moins en librairie dans le catalogue de l'exposition.


***


Mise à jour du 07.09.2025 : Deux nouveaux articles viennent d'ajouter 9 tableaux à la liste des La Tour de l’exposition ! Et pas uniquement des tableaux mineurs, au point qu’on se demande comment peuvent être exposés les 32 La Tour et quelques autres (comme Adam de Coster, parait-il) dans les quatre petites pièces du musée. Les chiffres passent ainsi, sous réserve d’inventaire, de 23 à 32 La Tour, les étrangers de 6 à 12, et les La Tour certainement authentiques de 12 à 16.


Est-ce que cela peut modifier votre décision ? Non, évidemment si vous aviez décidé d’y renoncer à cause des conditions de visite, qui ne peuvent qu’empirer, mais oui, éventuellement, si vous pensiez vous abstenir en raison de la proportion importante de tableaux mineurs et de copies (mais vous ne verrez pas plus des grands chefs-d’œuvre nocturnes)


Les 2 nouveaux articles : ilgiornaledellarte, Connaissance des Arts.
Les 9 nouveaux tableaux :
- Les deux versions de Jérôme pénitent (Stockholm et Grenoble). Excellente chose que de pouvoir les comparer
- Les deux versions des Tricheurs (Louvre et Fort Worth). Même remarque que ci-dessus. Les couleurs de la version américaine, qu'on connait peu, sont rares et d'une remarquable délicatesse. 
- Sébastien soigné par Irène, du musée d’Orléans, assez triste copie.
- Fillette au braisier, du Louvre d'Abu Dabi, très peu sinon rien de la main de La Tour.
- L'argent versé (Lvov ou Lviv, Ukraine), les tout débuts de La Tour.
- Souffleur à la pipe (Tokyo, musée Fuji), plutôt joli mais de gros défauts de dessin (la bouche notamment), certainement de la main d'Étienne, fils de La Tour.
- Saint Grégoire (Lisbonne ???), trois points d'interrogation suffiront.
- Saint Jacques découvert très récemment, on invoque encore les mains d'un atelier hypothétique. 

Décidément, on n’en finira jamais avec cette exposition, on racle les fonds de tiroir, à quelques jours de l’ouverture, comme si les musées étrangers ou de province pas vraiment sûrs de leur La Tour se précipitaient pour leur ajouter un peu d’authenticité dans une grande "rétrospective".
Allez, ajoutons pour faire un mauvais jeu de mots et arriver aux "33 La Tour" le douteux Vielleur de Remiremont

mercredi 13 août 2025

De La Tour, la douche de l’automne (1 de 2)

Georges de La Tour, La bonne aventure (New York Metropolitan museum),
ce qui nous attend le 11 septembre prochain (détail).

Fidèle à une habitude ancienne - parler des expositions après qu’elles ont fermé leurs portes - Ce Blog innovera aujourd'hui dans l’inactuel, en jugeant une exposition qui n’a pas encore eu lieu. 
Elle ouvrira dans un mois, le 11 septembre 2025, et pour 4 mois et demi, au musée Jacquemart-André, au cœur de Paris. Et il faut dire que des fées - hélas pas totalement dégrisées - se sont penchées sur son berceau.

La première fée, celle qui, depuis que l’Institut de France lui a confié les clefs du musée Jacquemart en 1996, organise ses expositions, c’est la fameuse Culturespace, cette entreprise qui vulgarise les œuvres déjà populaires des musées, en en projetant des reproductions mouvantes sur les murs de lieux divers et inappropriés, inondées des musiques et des commentaires appropriés. 
Filiale d’Engie, anciennement Gaz de France, on imagine sa science de la peinture. Qu’on se rappelle sa catastrophique exposition Caravage sans Caravage en 2018, et en 2025 dans le même musée, cet éloge de la médiocre fille du peintre Orazio Gentileschi. Sa spécialité est le markéting et le montage de faux évènements culturels. Avec ses déboires auprès de la justice (entre autre pour parasitisme) et ses pratiques douteuses, c’est un peu le retour de la Pinacothèque de Paris de triste mémoire. 

La seconde fée, soutien financier de l’exposition, c’est la fameuse banque Natixis, experte également, mais plutôt spécialisée dans les erreurs de gestion, de management, et de placements dit l’encyclopédie, sauvée de la crise financière de 2008 par les "finances publiques".

Dans les locaux exigus du musée Jacquemart illuminés par ces deux insignes magiciennes, on se prépare à vivre une "rétrospective inédite", dit la presse passe-plat ; trois ou quatre tableaux illustres parmi une vingtaine d’œuvres mineures d’un peintre inestimable et rare, saucissonnées avec d'autres toiles secondaires dans 4 petites pièces (environ 200 mètres carrés au total). Imaginez, ou revivez peut-être, ce que cela représente de faire entrer au chaussepied 30 ou 40 personnes dans une pièce de 50 mètres carrés.

Alors vous vous interrogez : comment pensent-ils nous attirer dans pareil traquenard, quel baume y apaiserait un tel calvaire ?
C’est là qu’interviennent la méthode de Culturespace, et les médias, même spécialisés, qui diffusent les yeux fermés sa publicité prémâchée, additionnant erreurs, mensonges et omissions. 

Et c’est la question que nous examinerons dans la prochaine chronique :
Y a-t-il une bonne raison d’aller se détruire l'humeur au musée Jacquemart-André cet automne ?



Georges de La Tour, La bonne aventure (autre détail).

jeudi 15 mai 2025

Célébrons un bicentenaire (2 de 2)

La Vierge et l'Enfant avec les saints Louis et Marguerite (peintre inconnu néerlandais ou français)
Constituée de 31 mégapixels (pour 15 mégaoctets), l’image peut demander quelques secondes de chargement. Le panneau original est large de 106 cm, la reproduction fait 163 cm, donc affichez l’image à 65% pour visualiser le panneau dans ses dimensions réelles.


Tout ce que nous pensions découvrir sur les célébrations du bicentenaire de la National Gallery de Londres grâce à la tenace perspicacité des médias (on comprend qu’ils demandent une cotisation pour ça) était en réalité décrit en détail, mot pour mot, et directement accessible sur le site du musée, sous un petit lien perdu en bas de page, parmi les communiqués de presse. 

Pareillement, nous avions apprécié la discrétion du musée sur l’invité(e) tiré(e) au sort qui passerait la nuit dans le musée et ferait gratuitement la publicité de la literie des magasins Marks & Spencer et des croissants du chef étoilé. Eh bien un autre communiqué de presse nous décrivait déjà sa biographie : conférencière, gérante d'associations caritatives et surtout artiste, mère et grand-mère de 10 enfants, élue parmi 22 000 admissibles et souriante (photo à l’appui).   
Les images de son réveil au cœur du musée couverte de miettes de croissant dans son lit fastueux de marque M&S ne sont pas encore publiques. Espérons qu’on lui aura fourni un peigne et une brosse à dents avant la conférence de presse du soir.

Quasi seule dans la nouvelle salle 54 du musée, la bienheureuse aura tout de même rencontré la Vierge, avec l’Enfant et les saints, Louis, roi de France, et Marguerite, sur ce panneau étrange, anonyme, ayant appartenu à une famille anglaise du Dorset, convoité depuis des décennies par la National Gallery, négocié en vente privée début 2025 par Sotheby’s au prix spécial, insiste le musée, de 22 millions de dollars (après conversion), et décrit dans un autre communiqué de presse

Aucune expertise n’a jusqu’à présent réussi à l’attribuer à un peintre connu. Il faut dire qu’il n’a pas été exposé depuis 65 ans et qu’il est pour la première fois publié en couleurs. Documenté dès 1602 à Gand, en Belgique, il est peint à l’huile sur des planches d’un chêne de la Baltique abattu en 1483. Les spécialistes le datent entre 1500 et 1510 et lui trouvent des ressemblances de style avec Jan Gossaert (Mabuse) et Jean Hey (Maitre de Moulins). On pourrait leur objecter qu’aucun des deux n’a jamais succombé, comme ce peintre anonyme le fait ici sur les visages de la sainte, de l’ange à droite et surtout de l’Enfant, à la difficulté qu’éprouvent même de bons dessinateurs à placer correctement et aligner les yeux sur des visages vus de trois-quarts. 
Erreurs de dessin qui s'effacent devant les qualités de rendu et de présence des matières, la bizarrerie singulière, voire unique, et humoristique de l’iconographie, et l’atmosphère étrange pour une scène religieuse. 

Quelques excentricités notables

✵  l’Enfant torture un chardonneret, 
✵  le trône de la Vierge repose sur des planches brutes clouées,
✵  la posture douloureuse du dragon bavant, et ses oreilles en forme de nageoires, 
✵  l’ange de gauche joue de la guimbarde (instrument qui produit le son d’un ressort métallique quand il se détend), 
✵  toutes les figurines sculptées sur les chapiteaux des pilastres et jusqu’au sceptre du roi sont nues, parfois dans des attitudes curieuses, comme celles qui s’enlacent aux pieds d'un singe, ou cette autre, un angelot peut-être, qui exhibe un anus ostentatoire.

dimanche 30 mars 2025

La culture en supermarché

Le boulanger d’Eekloo, d’après van Dalem ou van Wechelen, c.1600 (coll. privée ?). Il existe une dizaine de versions de cette prétendue légende du boulanger d'Eekloo. La réalité était plus prosaïque : on expérimentait alors aux Pays-Bas les premiers supermarchés. L’organisation n’en était pas optimale et les spécialités étaient parfois confondues, primeur, perruquier, boulanger, charcutier.   


"Donner l’accès à la culture partout et pour tous" : c’est la rengaine de la ministre temporaire de la Culture. Autrement dit démocratiser la culture.


Comme les ministres qui l’ont précédée, on l’aura informée sur ces enfilades de salles du musée du Louvre où les surveillants sont plus nombreux que le public, quand au même moment on refuse l’entrée au 30 001ème visiteur du jour, parce qu’au premier étage de l’aile Denon, le 30 000ème tente de se frayer un passage dans la salle 711. Ce sont les consignes. 

Quand l’un des objectifs du ministère est de rentabiliser ce vieux patrimoine dont elle a la charge, on comprend que la ministre y voie une sorte de gaspillage. 

 

Le projet de la présidente actuelle du Louvre - isoler l’encombrante Joconde dans un circuit distinct, avec sa propre entrée, son propre tarif, et ainsi espérer satisfaire l’ambition à peine voilée de passer de 9 à 12 millions de visites par an - demandera des années de travaux et n’augmentera sans doute pas sensiblement  les visites dans les salles habituellement délaissées du musée. Parmi une population, la part qui s’intéresse aux choses du passé semble modérée et stable ; il suffit de compulser les statistiques de fréquentation des musées (on ne parle pas des expositions temporaires, qui attirent le public en proportion de la quantité de publicité mise en œuvre, quel que soit le sujet).


Mais voilà, quand on est ministre, ou quand on préside un musée, on croit encore que si les gens ne se pressent pas pour admirer les choses et les lieux qui ont imprégné notre propre vie, la culture officielle, c'est que leur méconnaissance et leur condition modeste les en empêchent, mais qu’ils en rêvent. 

Aussi, après d’incalculables réunions dépensées auprès de cabinets de conseil en stratégie, est né le projet "J’habite au Louvre" devenu en 2025 "Le Louvre au centre". Titres évocateurs et attractifs, puissance du marketing !

D'abord partenariat à Lille en 2022 entre le Louvre et URW, groupe immobilier qui possède des dizaines de centres commerciaux, puis fin 2024 à Villeneuve-la-garenne avec la présidente du musée en représentante de commerce, l'opération aura été récupérée par la ministre de la culture.


Ainsi au long de 2025, 6 centres commerciaux de la société URW, à Rosny-sous-bois, Dijon, Lyon, Paris, Rennes et enfin Lille, recevront, pour environ un semaine, 22 chefs-d’œuvre du musée du Louvre accompagnés d’un personnel d’animation et d'un dispositif d'appareils ludiques mais culturels, baby-foot culturel, boite à selfie culturel…


La liste des œuvres exposées n’est pas connue mais on remarquera sur les vidéos quelques locomotives du musée : la Joconde (ça alors !), la grande odalisque d’Ingres et son cadre d’une remarquable laideur, le Scribe accroupi, et des noms moins connus mais académiques et très tendance, comme Vigée-Lebrun, Flandrin, Benoist.

Levons tout doute afin d’éviter la déconvenue d’un public pointilleux : les peintures sont en réalité des photographies et les marbres sont en plastique.


Mais déambuler derrière un caddie plein des provisions hebdomadaires, parmi les posters de merveilles de l’histoire de l’art choisies spécialement pour nous, abandonner en toute sécurité les enfants à la garderie érudite du musée, pendant qu'on musarde dans le rayon des fruits et légumes, y a-t-il approche plus démocratique de la culture ? 


Et c'est bien la faute des dictionnaires si le mot vulgariser est proche synonyme de démocratiser, et synonyme exact de trivialiser.