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lundi 2 août 2021

Le Vermeer nouveau arrive

 
Depuis que les amateurs de la musique du passé ont entendu arriver, dans les années 1970, les interprétations « historiquement informées », c’est à dire jouées avec des instruments datant strictement du vivant du compositeur, tous les arts ont été contaminés par cette prétention à l’authenticité qui impose de montrer les œuvres comme on imagine qu’elles ont été présentées et perçues à l'époque de leur création. 
Double illusion de croire qu’on peut reconstituer non seulement l’objet exact, mais encore, dans les mentalités d’aujourd’hui, l’état d’esprit des habitants de ce passé lointain.
 
Revenons donc sur ce gros bambin grassouillet découvert par radiographie sur le mur du fond du tableau de Vermeer conservé à Dresde, figurant une femme lisant une lettre devant une fenêtre ouverte. Un cénacle d’experts a pensé que ce Cupidon bedonnant et allégorique avait été masqué après la mort du peintre, et qu’il fallait donc le restituer comme Vermeer l’a peint (on le retrouve sur d’autres Vermeer, comme celui de la National Gallery à Londres).

AltEn juin 2019, il était à moitié dévoilé (on le découvrait ici)
La dernière photo publiée par le musée, qui en révèle 75%, est certainement ancienne puisqu'après 4 ans de restauration le tableau est au centre de « la plus importante exposition Vermeer en Allemagne », qui doit réunir à Dresde 10 tableaux du peintre, dès le 10 septembre 2021 et pour 4 mois. 

Pour susciter la curiosité et le désir, créer la surprise, et rentabiliser la dépense, le SKD (Collection d’art d’État de Dresde) se réserve l’exclusivité de l’image du nouveau Vermeer et l'escamote même dans ses publicités (note d'authenticité, constatez que le papier à lettre de l'époque était fait de caoutchouc).
 
Imaginons alors l’impression générale que ce Vermeer nouveau de 2021 devrait produire, en le simulant avec le Cupidon de Londres. Dans l’illustration en GIF ci-dessus, il apparait 5 secondes toutes les 10 secondes.

Et enterrons dignement l'ancien Vermeer, qui disparait avec un peu de notre passé, en conservant soigneusement une dernière image de bonne qualité avant restauration (la reproduction mise en ligne par le musée de Dresde est déplorable, et déjà rongée par le Vermeer nouveau).

Mise à jour le 2.09.2021 : Le SKD vient enfin de publier une petite reproduction du Vermeer nouveau (et une meilleure 2 semaines plus tard avec un dossier consultable en ligne). On notera que les murs, du fond et de dehors on été sérieusement lessivés et sont maintenant absolument blancs. Les fruits au premier plan ont pris un aspect artificiel. Quant au Cupidon, on en a suffisamment parlé.  
Mise à jour le 12.09.2021 : comme on l'avait craint en 2019, fière de son résultat, l'équipe de restauration de Dresde a proposé son aide au musée de Berlin pour effacer le mur blanc derrière la Femme au collier de perle, dernier Vermeer à résister au nettoyage forcé, derrière lequel des traces de carte géographique apparaissent en radiographie. Mais la responsable des peintures de cette époque au musée de Berlin les a remerciés poliment, affirmant qu'une étude relativement récente avait conclu que la carte recouverte était inachevée.  

mardi 11 juin 2019

Améliorons les chefs-d’œuvre (15)



Examinons ces deux tableaux de Vermeer.

À gauche, Femme debout au virginal, une scène disparate, sans unité. Chaque élément est isolé, comme sur un collage où auraient été réunies les marottes du peintre, le virginal, la chaise à la perspective douteuse, les deux tableaux collés au fond, si mal intégrés qu’on ne voit plus qu’eux, surtout le cupidon boudiné qui en devient la figure centrale, accentuée par la légère contreplongée sur le portrait de femme éteint par un contrejour fade et sans relief.
La vraie réussite du tableau est le mur de gauche, et ses subtiles nuances de lumière. Bref, un Vermeer inachevé (ou un pastiche), exposé aujourd’hui à l’infortunée National Gallery de Londres, dont les deux Vermeer sont aussi insipides.
Notons que le tableau du cupidon est reproduit à l’identique sur un autre tableau de Vermeer, mais dans ce cas fondu dans la pénombre, la Scène de musique interrompue de la collection Frick à New York.

À droite, la mauvaise reproduction du tableau d’une Femme lisant une lettre, habituellement exposé à la Gemäldegalerie de Dresde, en Allemagne, aujourd'hui en cours de restauration. Le délicat profil et son reflet sur la vitre se fondent dans une atmosphère lumineuse cohérente. Tout concourt à isoler le personnage dans cet instant suspendu, notamment le rideau jaune un peu démonstratif du premier plan, et le mur du fond, vide, et qui a été blanc.

Dans ses 25 tableaux d’intérieur figurant des personnages dans un coin de pièce, Vermeer a toujours comblé cette surface vide au fond de la pièce, par des tableaux (16 fois sur 25), ou par des cartes géographiques (5 sur 25). À l’exception de 4 scènes dont le mur reste vide : la célèbre Laitière d'Amsterdam, la Dentelière du Louvre, la Femme au collier de Berlin, et cette Liseuse de Dresde.
Dans les deux premières, l’absence de décoration murale s’explique par la modestie des activités ménagères décrites et des lieux où elles s’exercent, cuisine, buanderie ou office.
Restent les deux inexplicables murs vides de la Femme au collier et de la Liseuse. Inexplicables parce que l’époque n’était pas aux effets graphiques expressifs, et qu’il fallait, pour vendre au bourgeois, faire réaliste et cossu, remplir l’espace en représentant avec exactitude, ou embelli, ce que le client voyait chez lui.

Et si ces murs restés vides sont pour les amateurs d'aujourd’hui les plus purs dans la peinture de Vermeer, parce qu’ils suspendent si parfaitement l’instantané quand un fouillis d’objets aurait dispersé l’attention, il n’en allait pas de même pour le peintre.
On peut l’affirmer, parce que ces deux uniques murs vides ne le sont pas, en réalité.
Les experts savent, depuis qu’ils les ont examinés aux rayons X, que la Femme au collier était encadrée d’une carte de géographie, et la Liseuse d’un tableau représentant un cupidon (on distingue encore la bande sombre du cadre).

Tous pensaient que le blanchiment tardif des murs était dû à des repentirs du peintre. Or la restauration de la Liseuse a révélé que le mur aurait été repeint des années, voire des décennies, après la mort du peintre. Admirons la précision. Alors après consultation de dizaines d’experts internationaux, le musée a choisi de ressusciter le cupidon. Illusion de l’authenticité !
Imbu de sa vérité, il l’expose temporairement au public de Dresde dans un état intermédiaire (illustration infra), et on y reconnait déjà le même cupidon que sur les tableaux de Londres et de New York.




Ainsi ce tableau que peu ont vu parce que Dresde ne l’a presque jamais prêté (notamment pas à la grande rétrospective Vermeer de La Haye en 1997), et dont aucune bonne reproduction ne circule, sera bientôt affublé d’un gros cupidon rose gonflé comme un Jeff Koons. On ne verra plus que lui. Une raison de moins d’aller à Dresde, déjà mal desservie.

Et craignons que ce respect intransigeant de la volonté présumée du peintre, ce vent d’intégrisme puritain, n’atteigne rapidement Berlin, qui n’est après tout qu’à 165 kilomètres de Dresde. Qui sait ce qui arriverait alors à la Femme au collier de perles ?