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jeudi 13 octobre 2022

Un Vermeer de plus ou de moins

Pour ne pas encore ennuyer le lectorat avec une reproduction du sempiternel Vermeer, voici un détail pas mal non plus par son collègue de l'époque à Delft, Pieter de Hooch, actuellement à la Gemäldegalerie de Berlin.


Examinons aujourd’hui les dernières nouvelles extraites du site Essential Vermeer, dont le nom signifie "le Vermeer de première nécessité", et qui pourchasse à travers la planète tout ce qui concerne ce peintre qui fascine tellement les amateurs que Ce Glob en a parlé deux fois en septembre dernier, et en 2021, et en 2018, 2017…, ce qui est excessif, il faut bien le dire, en regard de sa production si réduite. Mais n’est pas Picasso qui veut, qui bouclait 650 à 700 œuvres quand Vermeer en finissait à peine une. 

Le Louvre, qui n’en détient que deux - l’Astronome ou astrologue, et la Dentelière - n’aura bientôt plus de Vermeer à mettre sous les yeux du touriste, pour une longue période. 
Dans un entrefilet non daté mais probablement de l’été 2022, Essential Vermeer signale que l’Astronome - avec 49 autres œuvres - se trouve actuellement à 7000 km de Paris, au Louvre Abu Dhabi, prêté pour un an sans doute. Il sera donc absent de la rétrospective Vermeer à Amsterdam en 2023, comme il l’avait été de la rétrospective de 1996 à La Haye. 

Le Louvre chérit ses deux Vermeer (jusqu’à un certain montant, bien sûr), et il n’avait pas envisagé de se séparer de sa Dentelière en 2023. Mais il vient, au dernier moment de changer d’avis, d’après Essential Vermeer sur la même page, et aurait promis de la prêter pour la rétrospective, ce qui porterait à 28 sur 34 le nombre de Vermeer alors regroupés à Amsterdam ! Enfin plutôt 28 sur 35, car Essential Vermeer considère que le catalogue du peintre comporte 35 œuvres certaines (et 2 très douteuses), alors que nous en avions annoncé 34, un peu légèrement, le 20 septembre dernier.

On apprend cependant, toujours sur la même page d’Essential Vermeer un peu plus bas, que la National Gallery of Art de Washington (NGA), qui détenait jusqu’à présent 4 tableaux de Vermeer, n’en aurait plus que trois vrais, et un faux ou plutôt "attribué à Vermeer", ce qui est pire qu’un faux dans les degrés de la déchéance, le faux conservant le prestige d’avoir réussi à tromper un temps les experts. 
Le musée annonçait en effet le 7 octobre qu’après deux années d’analyses d’une haute scientificité, au moyen de la "technologie innovatrice de la reflectance hyperspectrale", son 4ème Vermeer, la Jeune fille à la flute, n’en était plus un (définitivement cette fois, car il y avait déjà un doute sur sa paternité), que bien que peint exactement avec les matériaux et la technique des vrais tableaux de Vermeer, il n’était pas réalisé avec le même "niveau d’expertise". Le musée en conclut que c’est l’œuvre d’un proche ou d’un atelier (on ne lui connaissait ni élève ni atelier). Il n’envisage pas l’hypothèse d’une esquisse, d’une ébauche, alors que d’autres tableaux fermement attribués au peintre sont aussi peu finis que cette femme à la flute et au curieux chapeau chinois. 

L'affirmation est courageuse, certainement parce que la NGA est le seul musée américain financé par l’État fédéral. Tout autre musée, financé par des fonds privés, des donations, aurait détecté une foule d’indices justifiant une attribution certaine à Vermeer, histoire de ne pas dévaloriser sa collection. 

Ainsi le nombre de Vermeer vient de repasser à 34. Il suffisait d’attendre. Le décompte des œuvres de Vermeer est une science exigeante, faite d’observations scrupuleuses et de patience.

mardi 11 juin 2019

Améliorons les chefs-d’œuvre (15)



Examinons ces deux tableaux de Vermeer.

À gauche, Femme debout au virginal, une scène disparate, sans unité. Chaque élément est isolé, comme sur un collage où auraient été réunies les marottes du peintre, le virginal, la chaise à la perspective douteuse, les deux tableaux collés au fond, si mal intégrés qu’on ne voit plus qu’eux, surtout le cupidon boudiné qui en devient la figure centrale, accentuée par la légère contreplongée sur le portrait de femme éteint par un contrejour fade et sans relief.
La vraie réussite du tableau est le mur de gauche, et ses subtiles nuances de lumière. Bref, un Vermeer inachevé (ou un pastiche), exposé aujourd’hui à l’infortunée National Gallery de Londres, dont les deux Vermeer sont aussi insipides.
Notons que le tableau du cupidon est reproduit à l’identique sur un autre tableau de Vermeer, mais dans ce cas fondu dans la pénombre, la Scène de musique interrompue de la collection Frick à New York.

À droite, la mauvaise reproduction du tableau d’une Femme lisant une lettre, habituellement exposé à la Gemäldegalerie de Dresde, en Allemagne, aujourd'hui en cours de restauration. Le délicat profil et son reflet sur la vitre se fondent dans une atmosphère lumineuse cohérente. Tout concourt à isoler le personnage dans cet instant suspendu, notamment le rideau jaune un peu démonstratif du premier plan, et le mur du fond, vide, et qui a été blanc.

Dans ses 25 tableaux d’intérieur figurant des personnages dans un coin de pièce, Vermeer a toujours comblé cette surface vide au fond de la pièce, par des tableaux (16 fois sur 25), ou par des cartes géographiques (5 sur 25). À l’exception de 4 scènes dont le mur reste vide : la célèbre Laitière d'Amsterdam, la Dentelière du Louvre, la Femme au collier de Berlin, et cette Liseuse de Dresde.
Dans les deux premières, l’absence de décoration murale s’explique par la modestie des activités ménagères décrites et des lieux où elles s’exercent, cuisine, buanderie ou office.
Restent les deux inexplicables murs vides de la Femme au collier et de la Liseuse. Inexplicables parce que l’époque n’était pas aux effets graphiques expressifs, et qu’il fallait, pour vendre au bourgeois, faire réaliste et cossu, remplir l’espace en représentant avec exactitude, ou embelli, ce que le client voyait chez lui.

Et si ces murs restés vides sont pour les amateurs d'aujourd’hui les plus purs dans la peinture de Vermeer, parce qu’ils suspendent si parfaitement l’instantané quand un fouillis d’objets aurait dispersé l’attention, il n’en allait pas de même pour le peintre.
On peut l’affirmer, parce que ces deux uniques murs vides ne le sont pas, en réalité.
Les experts savent, depuis qu’ils les ont examinés aux rayons X, que la Femme au collier était encadrée d’une carte de géographie, et la Liseuse d’un tableau représentant un cupidon (on distingue encore la bande sombre du cadre).

Tous pensaient que le blanchiment tardif des murs était dû à des repentirs du peintre. Or la restauration de la Liseuse a révélé que le mur aurait été repeint des années, voire des décennies, après la mort du peintre. Admirons la précision. Alors après consultation de dizaines d’experts internationaux, le musée a choisi de ressusciter le cupidon. Illusion de l’authenticité !
Imbu de sa vérité, il l’expose temporairement au public de Dresde dans un état intermédiaire (illustration infra), et on y reconnait déjà le même cupidon que sur les tableaux de Londres et de New York.




Ainsi ce tableau que peu ont vu parce que Dresde ne l’a presque jamais prêté (notamment pas à la grande rétrospective Vermeer de La Haye en 1997), et dont aucune bonne reproduction ne circule, sera bientôt affublé d’un gros cupidon rose gonflé comme un Jeff Koons. On ne verra plus que lui. Une raison de moins d’aller à Dresde, déjà mal desservie.

Et craignons que ce respect intransigeant de la volonté présumée du peintre, ce vent d’intégrisme puritain, n’atteigne rapidement Berlin, qui n’est après tout qu’à 165 kilomètres de Dresde. Qui sait ce qui arriverait alors à la Femme au collier de perles ?

lundi 22 juin 2015

Rembrandt, le retour

Rembrandt, David joue de la harpe pour le roi Saül (La Haye, Mauritshuis)

Comme Caravage ou Corot, Rembrandt est un des peintres phares qui ont modelé notre vision du monde et que la postérité a généreusement crédités de tableaux produits par d’autres, suiveurs et imitateurs anonymes.
Et puis, avec le temps, l’analyse scientifique des peintures progressant avec l'évolution des techniques, on observe l’érosion lente du catalogue de leurs œuvres indiscutables.

Les plus anciens se souviendront peut-être du grand nettoyage qu'avait subi le catalogue des œuvres attribuées à Rembrandt à la fin des années 1960, sous l'autorité d'Horst Gerson, expert incontesté. Le nombre de tableaux authentiques était alors passé d'environ 600 à 420. Une fonte d'un tiers qui avait causé chez les collectionneurs et les admirateurs du peintre de grandes déceptions, des banqueroutes, voire pire.
Puis d'autres catalogues d’autres experts suivirent qui réduisirent encore le décompte.

On pensait le phénomène irrémédiablement à sens unique, mais le musée Mauritshuis de La Haye présente aujourd’hui et jusqu'au 13 septembre, en vedette d’une exposition intitulée « Rembrandt ? L’affaire Saül et David », un tableau qui, au contraire, revient d’un séjour de 45 ans dans les enfers de l’anonymat.
Acheté sur le marché de l’art comme Rembrandt authentique par Abraham Bredius en 1898, offert au musée et unanimement admiré, il était banni par Gerson en 1969. Il faut dire que son examen détaillé révélait une toile rapiécée comme une vieille chaussette, à l’aide notamment d’un morceau de portrait de religieuse par un imitateur d‘Antoon Van Dyck, recouvert de peinture brune.

Dernier épisode, le tableau vient d’être consciencieusement restauré par le Mauritshuis et son exposition couronne 8 années d’une étude approfondie. Histoire de créer un peu de rumeur médiatique la publicité de l'exposition laisse un léger mystère sur l'attribution à Rembrandt, mais la lecture attentive du site du musée lève tout doute sur les conclusions du groupe d’experts internationaux qu’il a réunis.

Et après tout, peu importe.
Rappelons aux amateurs décontenancés par la valse des étiquettes qu'un tableau n'est pas beau parce qu'il est de Rembrandt, d'ailleurs il en a raté un certain nombre, mais c'est parce qu'un bon nombre de tableaux d'un Monsieur Rembrandt sont des merveilles de clair-obscur et de profondeur humaine qu'il est un peintre influent et inoubliable.