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lundi 25 septembre 2023

Ce monde est disparu (8)

D'Abraham Pether (le père d’Henry et Sebastian Pether), un incendie près de Londres, 96cm, plutôt réussi, longtemps attribué à Joseph Wright of Derby, parti contre 23 000$. Un des seuls tableaux attractifs de la vente avec le portrait de Ramsay.

"Au Louvre, tous les tableaux sont éclairés, alors qu'en fait y'en a les trois quarts qu'on regarde pas."
Le grand café des brèves de comptoir, Tome 3. JM. Gourio.


Dans le monde de l’art, la sphère des ventes aux enchères se porte bien, comme celle de la spéculation boursière (le cours de l’or a presque doublé depuis 5 ans). La finance sait profiter de ces petites contrariétés que sont les conflits frontaliers, les tracas météorologiques variés et autres pépins planétaires. 

Cependant il n’y a pas tant de ventes millionnaires qu’on le croirait. Les faussaires ont beau redoubler d’activité, le nombre de chefs-d’œuvre du passé n’augmente pas vite.


Pour rester toutefois en haut de l’affiche, et assainir leur stock, les maisons d'enchères ratissent tout ce qui peut évoquer des noms connus, Caravage, Rembrandt, Velázquez… Elles les affublent discrètement d'une des locutions péjoratives officielles (suiveur de, d’après, atelier de, attribué à, cercle de, école de…), y ajoutent des œuvres qu’elles ont du mal à vendre, des tableaux ratés de peintres mineurs et concoctent ainsi de belles ventes au rabais. Elles les conseillent aux investisseurs débutants (new buyers).


Ainsi Sotheby’s vient d’ouvrir les soldes automnaux, le 20 septembre à Londres. La vente était ouverte depuis quelques jours sur internet, d’après un catalogue de reproductions passables. À l’heure de la clôture de chaque lot une simulation d’enchère virtuelle chronométrée venait procurer le petit frisson de la compétition, parce que même à distance, dépenser son argent les yeux fermés doit rester un amusement. 


Et l’opération a bien fonctionné, tant le marché est confiant en son avenir.

75% des croutes ont disparu, parfois à de très bas prix pour une maison prestigieuse, moins de 1000$ en l'absence de seuil de réserve. 

On notera, dans les liens vers la vente (voir plus haut), le grand retour de Catherine Windsor par Ramsay, invendue en 2022, qui est reparue puis disparue sans bruit, contre 10 000$. La copie de Rembrandt, pourtant assez ressemblante vue de loin, n’est pas partie, contrairement au médiocre Caravage et au Velázquez qui ont dépassé les prévisions, mais pas dans les proportions de ce vilain portrait par Margareth Carpenter, mystérieusement disputé jusqu'à 15 fois les estimations !  


Et c’est presque tous les jours comme ça, chez Sotheby’s, comme dans toutes les grandes maisons d'enchères, qui sont finalement les Compagnons d’Emmaüs du riche.

jeudi 13 octobre 2022

Un Vermeer de plus ou de moins

Pour ne pas encore ennuyer le lectorat avec une reproduction du sempiternel Vermeer, voici un détail pas mal non plus par son collègue de l'époque à Delft, Pieter de Hooch, actuellement à la Gemäldegalerie de Berlin.


Examinons aujourd’hui les dernières nouvelles extraites du site Essential Vermeer, dont le nom signifie "le Vermeer de première nécessité", et qui pourchasse à travers la planète tout ce qui concerne ce peintre qui fascine tellement les amateurs que Ce Glob en a parlé deux fois en septembre dernier, et en 2021, et en 2018, 2017…, ce qui est excessif, il faut bien le dire, en regard de sa production si réduite. Mais n’est pas Picasso qui veut, qui bouclait 650 à 700 œuvres quand Vermeer en finissait à peine une. 

Le Louvre, qui n’en détient que deux - l’Astronome ou astrologue, et la Dentelière - n’aura bientôt plus de Vermeer à mettre sous les yeux du touriste, pour une longue période. 
Dans un entrefilet non daté mais probablement de l’été 2022, Essential Vermeer signale que l’Astronome - avec 49 autres œuvres - se trouve actuellement à 7000 km de Paris, au Louvre Abu Dhabi, prêté pour un an sans doute. Il sera donc absent de la rétrospective Vermeer à Amsterdam en 2023, comme il l’avait été de la rétrospective de 1996 à La Haye. 

Le Louvre chérit ses deux Vermeer (jusqu’à un certain montant, bien sûr), et il n’avait pas envisagé de se séparer de sa Dentelière en 2023. Mais il vient, au dernier moment de changer d’avis, d’après Essential Vermeer sur la même page, et aurait promis de la prêter pour la rétrospective, ce qui porterait à 28 sur 34 le nombre de Vermeer alors regroupés à Amsterdam ! Enfin plutôt 28 sur 35, car Essential Vermeer considère que le catalogue du peintre comporte 35 œuvres certaines (et 2 très douteuses), alors que nous en avions annoncé 34, un peu légèrement, le 20 septembre dernier.

On apprend cependant, toujours sur la même page d’Essential Vermeer un peu plus bas, que la National Gallery of Art de Washington (NGA), qui détenait jusqu’à présent 4 tableaux de Vermeer, n’en aurait plus que trois vrais, et un faux ou plutôt "attribué à Vermeer", ce qui est pire qu’un faux dans les degrés de la déchéance, le faux conservant le prestige d’avoir réussi à tromper un temps les experts. 
Le musée annonçait en effet le 7 octobre qu’après deux années d’analyses d’une haute scientificité, au moyen de la "technologie innovatrice de la reflectance hyperspectrale", son 4ème Vermeer, la Jeune fille à la flute, n’en était plus un (définitivement cette fois, car il y avait déjà un doute sur sa paternité), que bien que peint exactement avec les matériaux et la technique des vrais tableaux de Vermeer, il n’était pas réalisé avec le même "niveau d’expertise". Le musée en conclut que c’est l’œuvre d’un proche ou d’un atelier (on ne lui connaissait ni élève ni atelier). Il n’envisage pas l’hypothèse d’une esquisse, d’une ébauche, alors que d’autres tableaux fermement attribués au peintre sont aussi peu finis que cette femme à la flute et au curieux chapeau chinois. 

L'affirmation est courageuse, certainement parce que la NGA est le seul musée américain financé par l’État fédéral. Tout autre musée, financé par des fonds privés, des donations, aurait détecté une foule d’indices justifiant une attribution certaine à Vermeer, histoire de ne pas dévaloriser sa collection. 

Ainsi le nombre de Vermeer vient de repasser à 34. Il suffisait d’attendre. Le décompte des œuvres de Vermeer est une science exigeante, faite d’observations scrupuleuses et de patience.

dimanche 19 juin 2022

Invendus (3)

Détail du magnifique portrait de sa femme vers 1755-1760 par Allan Ramsay (musée d’Edimbourg - national galleries of Scotland) 
 
On aura noté l'irrésistible attrait de Ce Glob pour ces merveilles de la création artistique qui atteignent des prix records en vente publique. Elles illustrent la marche victorieuse du génie humain vers d’inaccessibles horizons. Mais il y a parfois des déceptions.

Dans la famille des grands portraitistes de l’aristocratie anglaise au 18ème siècle, qui rivalisaient de raffinement maniéré pour obtenir les faveurs de la Royal Academy et les commandes de la Couronne, à peine une génération avant que débarquent sur le marché les Reynolds, Romney et Gainsborough, il y avait Allan Ramsay

Peintre officiel du roi en 1760, très sollicité, sa production est inégale ; froideur protocolaire des expressions, mollesse des attitudes, des traits, de la touche même, fréquents défauts de dessin notamment de perspective dans les yeux des modèles (il y a des preuves), mais quelquefois des portraits sensibles, raffinés, où la touche est légère et vaporeuse et le dessin mieux maitrisé, comme ce joli portrait de Lady Anne North en dentelles, bonbon sous cellophane vendu, en 2008, 780 000 dollars d'aujourd'hui (il demandait alors un bon débarbouillage, on peut s’en faire une meilleure idée dans une copie faite par le fils d’un assistant de Ramsay), et invendu en 2017 après restauration. 

Il en résulte une grande disparité des cotes de Ramsay dans les ventes publiques.

Patientez, GIF animé en cours de chargement (10Mo)Le marché proposait, en mars dernier, un très fin portrait de Catherine Windsor, que le descriptif par Sotheby’s disait en assez bon état général malgré un vernis encrassé (dans l'illustration ci-contre le vernis a été enlevé numériquement)

En dépit de ses qualités expressives - Titien n’aurait pas fait beaucoup mieux - le tableau n'a pas été vendu.
Sotheby’s l'aurait pourtant laissé partir pour moins de 10 000 dollars. C'est peu pour un portrait dont nombre de nos musées régionaux pourraient faire leur Joconde.

Alors pourquoi le bouder ? Parce que le catalogue l’attribue à "Allan Ramsay et atelier" et l’estime donc d’une moindre valeur ? 
Le monde de l’art dispose d'une gamme de locutions pour nuancer ses attributions, et sa propre responsabilité. 
L’expert en Ramsay de Sotheby’s aura sans doute eu connaissance d’indices qui l'ont fait douter (mais qui ne seront pas dévoilés au public, sinon tout le monde serait expert !). L’absence apparente de signature, peut-être. C’est à mettre à son crédit, car en bonnes commerçantes les maisons de vente ont un peu tendance, comme les assureurs, à présenter en minuscules caractères ce qui pourrait faire hésiter le client.

On le sait, un tableau certifié de la main d’un peintre renommé peut rapporter des dizaines voire des centaines de fois plus que le même tableau, indiscernable, peint par un élève ou un assistant de l’atelier. C'est un biais cognitif très commun qui donne la primauté à ce qu’on imagine savoir d’un objet plutôt qu'à des impressions immédiates ; le cerveau se croit plus malin que ces sensations et les réduit au silence. 

Pourtant, dans la hiérarchie des locutions, "Ramsay et atelier" est proche de l’authenticité, loin des "attribué à Ramsay", "école de Ramsay" ou "d’après Ramsay", et les exemples d'attribution non crue par les enchérisseurs ne sont pas si rares. 
Mais Catherine Windsor comtesse de Plymouth n’aura pas eu de chance, cette fois-ci.

Il y a encore beaucoup de discrétion dans les procédures d’enchères une fois le marteau abaissé, comme en 2016, lors de la curieuse non vente du célèbre tableau de Merson, le Repos pendant la fuite en Égypte, qu'on a vu reparaitre pomponné 3 ans plus tard. 
Dans quelques mois, on verra vraisemblablement revenir la comtesse et son châle bleu travaillé de fils d'argent.

***
Note : les fidèles contrariés de ne pas trouver les chroniques nommées Invendus (1) et Invendus (2) les trouveront sous d’autres titres en cliquant sur le mot clef Invendus ci-dessous.

vendredi 19 avril 2019

Au doigt mouillé

Certains jouent aux enchères de l’Hôtel des ventes comme à la bourse ou aux courses de chevaux. Pris d’une intuition qu’ils attribuent à leur longue pratique de la spécialité, ils décident d’engager une fortune sur un bout de papier crayonné d’une main anonyme.

Mais ils croient seulement décider. Car les neurosciences les plus récentes nous ont appris que les décisions sont prises par le cerveau humain avant même qu’il en informe la conscience. Et quand il la prévient, on peut supposer qu’il le fait pour ne pas avoir à supporter la culpabilité des erreurs de jugement, et en transférer la responsabilité à l’humain conscient, qui ne sait pas vraiment ce qui se fomente dans ses couloirs obscurs.

Ils étaient deux, le 12 avril 2019, lors d'une vente à Drouot, à croire qu’un dessin de la Renaissance attribué à Giovanni Francesco Penni, un assistant du peintre Raphaël, était en réalité de la main du maitre.
C’est un petit dessin pas vraiment séduisant de 12 centimètres par 20, légèrement abimé et très moucheté de rousseurs, représentant d’un trait estompé un groupe de quatre personnages bibliques.
Le dessin était estimé entre 5 et 7 000 euros. Le plus opiniâtre des deux enchérisseurs l’empocha contre 1 400 000 euros, frais compris. Soit 200 fois l’estimation haute.

Il y a, disent les spécialistes, dans nombre de tableaux de Raphaël, des morceaux entiers de la main de Penni, comme d’autres assistants (il en aurait embauché une cinquantaine dans sa courte vie).
L’estimation du griffonnage défraichi en devient un exercice de haute voltige, à moins que l’acheteur soit confortablement maintenu en l’air par un filin invisible du sol, une preuve qu’il sortira de sa poche au moindre coup de vent.

Mise à jour le 11.07.2019 : record explosé en juin chez Schuler Auktionen à Zurich, un portrait de jeune homme considéré comme de l'école de Sandro Botticelli, estimé 7000CHF (6400€) est parti à 6 400 000CHF, soit 914 fois l'estimation haute.

jeudi 4 mai 2017

Les Le Nain et le Maitre des Jeux

Les trois toiles du mystérieux Maitre des Jeux,
à l'exposition Le Nain, Lens 2017.

On sait peu de choses des peintres des siècles passés, au moins jusqu’au 19ème. Les musées sont remplis de leurs œuvres mais leur histoire est une énigme. Il suffit d'y piocher au hasard, on n’y trouve que des mystères. Et le mystère se vend bien.
Nous parlerons donc du « Mystère Le Nain » puisque c’est le titre de la grande exposition organisée par le Louvre à Lens et consacrée à ces trois frères, peintres à Paris au milieu du 17ème siècle, et qui signaient d'un laconique « Le Nain ».

On s'attendait donc à des révélations, des découvertes sensationnelles, 39 ans après la grande rétrospective Le Nain de 1978 à Paris.
En fait, rien de bien nouveau.
Il y a dans la production des frères Le Nain, comme on le savait déjà en 1978, quelques tableaux superbes, d’une main virtuose, représentant des paysans pensifs à la pose un peu empruntée, attribués à un certain Louis mort en 1648, et puis d'autres tableaux assez moyens et parfois médiocres donnés à Antoine mort en 1648 ou à Matthieu mort en 1677. L'affaire se complique un peu quand les experts voient dans certains tableaux les mains de deux des trois frères.
Tout cela n’a pas vraiment changé et les attributions valsent encore comme elles le faisaient en 1978, au point que la même exposition présentée en 2016 aux États-Unis, à Fort Worth puis San Francisco, n'a pas fait l'objet du même catalogue qu’à Lens, tant il y avait de désaccords entre les commissaires d'exposition. Comme le raconte monsieur Rykner dans La Tribune de l’Art, nombre de tableaux on changé de prénom, voire de nom de l’auteur, en traversant l'Atlantique.

Le « mystère » de la signification de leurs tableaux n’est pas nouveau non plus. On savait que leurs représentations de paysans étaient soigneusement fabriquées en atelier, avec des modèles, des objets et des animaux qu'on retrouve au long de leurs œuvres, et qu'ils répondaient à une mode que les frères avaient sans doute créée et qui mélangeait la rigueur d’une inspiration peut-être religieuse à l’influence des peintres de paysans flamands et hollandais.

En réalité, le seul mystère un peu neuf, pour l’amateur négligent qui en était resté au catalogue de 1978, c’est l’existence et l’identité du Maitre des jeux.
En 1978, peu après la rétrospective, certains tableaux magnifiques, dont l’admirable « Danse d’enfants au joueur de pochette » et les « Joueurs de trictrac », qui étaient alors considérés comme des chefs d’œuvre des Le Nain, furent inopinément attribués à un peintre flamand et inconnu qui aurait travaillé à Paris à la même époque. En raison des thèmes de ses tableaux il fut appelé le « Maitre des jeux ».
Aujourd’hui encore, à part une poignée de tableaux au style semblable éparpillés sur la planète à Cleveland, Paris, Toledo, Cologne ou Reims, on n’en sait pas plus sur cet obscur peintre anonyme.

Les organisateurs de l’exposition ont eu l'excellente idée de consacrer une place importante à une quinzaine de tableaux donnés hier encore aux Le Nain, dont trois toiles de ce mystérieux « Maitre des jeux ».
Et on comprend, à la contemplation de ses scènes où les gestes et les regards sont suspendus, isolés, découpés dans l’espace comme dans le temps, qu’ils aient été pendant plus de deux siècles considérés parmi les plus beaux tableaux des Le Nain.

On peut les voir à Lens pendant deux mois encore.


Le Maitre des Jeux, Danse d'enfants
Cleveland museum of art (attribué au cercle des Le Nain)

Le Maitre des Jeux, Danse d'enfants au joueur de pochette
Belgique, collection particulière

Le Maitre des Jeux, Repas de famille
Toledo museum of art

dimanche 14 février 2016

Le calvaire du musée de Gand

Jérôme Bosch, le portement de croix, huile sur panneau c.1516, Gand Musée des beaux-arts.


Quand, en vue de fêter dignement l’anniversaire de sa mort, une bande d’experts internationaux s’agglutine pendant 6 ans autour des rares tableaux d’un peintre disparu depuis 5 siècles, on peut s’attendre à tous les débordements. Car tant de dépenses et d’expertise ne peuvent être engagées pour rien et produiront nécessairement des découvertes.

Comme pour Rembrandt en son temps, c’est aujourd’hui le tour de Jérôme Bosch, le peintre des délires et des chimères, l'inspirateur des surréalistes et de leurs collages incongrus quatre siècles plus tard.
Mort en 1516, une rétrospective de 71% de ses œuvres présumées originales sera présentée du 13 février au 8 mai, à Bois-le-Duc (Den Bosch) en Hollande où il naquit et mourut.
Puis 75% seront exposés du 31 mai au 11 septembre à Madrid où il ne mit jamais les pieds de toute sa vie pantouflarde.
L’écart de 4% représente le prodigieux et célébrissime « Jardin des délices » qui ne bougera pas du musée du Prado.

La bande d’experts réunie pour l’occasion s’est appelée BRCP (Bosch Research and Conservation Project).
Bien entendu, elle a attribué à la main de Bosch quelques œuvres qu’on disait jusqu’alors de son entourage, et inversement détrôné deux ou trois tableaux, dont un, que les experts du monde entier désignaient comme « la plus impressionnante et peut-être la dernière des œuvres authentiques incontestées de Bosch » (Bosch Tout l’œuvre peint, Rizzoli 1966). Ce tableau destitué c’est le « Portement de croix » du musée des beaux-arts de Gand en Belgique.
On dit que l’attribution de cette composition hallucinante jusqu’alors regardée comme l'égale du Jardin des délices dans l’œuvre de Bosch était depuis quelques temps discutée.

Les experts, qui ont « utilisé les techniques les plus récentes », estiment avec une grande précision que le panneau a été peint dans l’entourage ou l’atelier de Bosch, mais vers 1520, soit 4 ans après sa mort.
Cependant l’affaire n’est pas encore totalement jugée. Le musée de Gand, mortifié, soutient que l’examen du tableau n’est pas terminé et que la publication des conclusions du BRCP est prématurée, et que de toute manière ça reste quand même un chef d’œuvre, na !

Il restera à découvrir qui, dans l’entourage contemporain de Bosch dont on ne sait rien, aurait pu peindre un des plus beaux chefs d'œuvre de Jérôme Bosch. Comme c’est un tableau unique et qui n’a pas d’équivalent dans la peinture de l’époque, on pourra toujours, en l’absence de preuve objective, en dire n’importe quoi.

Entourage de Jérôme Bosch, le portement de croix (détail), huile sur panneau c.1520, Gand Musée des beaux-arts. (Photo JFP)

dimanche 27 juillet 2014

Un revenant

Il y a, aux musées des beaux-arts de Rennes et de Nantes, les deux plus beaux tableaux du monde (surtout à Nantes). Ce sont des choses qui ne se discutent pas. Ils sont ce que l'être humain a créé de plus sublime, de plus parfait, comme le Taj Mahal en architecture, le Clavier Bien Tempéré en musique, ou les Coquillettes aux Cèpes.

Celui de Rennes, fruit d'une saisie révolutionnaire des biens du clergé en 1794, représente deux femmes. L'une, de face, un nouveau-né sur les genoux, l'autre de profil, à gauche, cache de sa main la flamme d'une bougie.
Celui de Nantes a été acheté par la ville en 1810, avec la collection de François Cacault, riche diplomate. Il figure de profil un vieillard endormi à la lecture d'un livre, et face à lui, sur la gauche, un enfant richement vêtu lui adresse un signe des mains. Son bras cache la flamme d’une bougie qui éclaire faiblement la scène.

Georges de La Tour - Le songe de saint Joseph, c. 1640
Musée des beaux-arts, Nantes.

Unanimement admirés, quelquefois vénérés, ils seront durant plus d'un siècle attribués aux plus grands noms, de Schalcken, Honthorst, Valentin, à Le Nain, Zurbaran, Velázquez, parfois Rembrandt ou Vermeer !

Le tableau de Nantes arborait pourtant, en haut à droite, une signature lisible, « Gs De La Tour F... », comme un autre tableau de la même collection, d'un style nocturne semblable, représentant six personnages dont quatre soldats jouant aux dés (Le reniement de Pierre), signé et daté de 1650 en bas à droite « G. De La Tour inv. et fec. /MDCL ». On ne saurait être plus explicite.
Mais personne n'avait entendu parler d'un G. De La Tour, peintre au milieu du 17ème siècle.

Disons presque personne. Car Augustin Calmet, moine bénédictin, abbé de Sénones, savant notamment dans le domaine des esprits, vampires et autres revenants, fouilleur d’archives, écrivait à Nancy en 1751, dans une compilation intitulée Bibliothèque lorraine ou histoire des hommes illustres qui ont fleuri en Lorraine : « Tour (Claude du Ménil de la) natif de Lunéville, excellait dans les peintures des nuits. Il présenta au roi Louis 13 un tableau de sa façon, qui représentait un Saint Sébastien dans une nuit ; cette pièce était d'un goût si parfait que le Roi dit ôter de sa chambre tous les autres tableaux, pour n'y laisser que celui-là. La Tour en avait déjà présenté un pareil au Duc Charles 4. Ce tableau est aujourd'hui dans le château de Houdement, près de Nancy. »
Ainsi un siècle après sa disparition, on se souvenait d’un certain La Tour, d’une anecdote sur sa notoriété de peintre, et de la localisation d’une œuvre de sa main.
Puis le silence des archives l’ensevelit à nouveau pour un autre siècle.

En 1863, Alexandre Joly, bibliothécaire et conservateur du musée de Lunéville écrivait dans le journal de la Société d'archéologie lorraine tome 12, p. 90-96, un article sur « Du Mesnil-La-Tour, peintre ». La notice de Calmet avait stimulé sa curiosité, et une exploration minutieuse avait ramené à la surface un nombre suffisant de documents d’archives pour dessiner en ombre chinoise une silhouette biographique.
Ces sept pages sont émouvantes (cliquer sur le numéro de la page 90 dans l’index à gauche). Joly corrige les erreurs de Calmet et retrace quelques évènements de la vie d’un peintre dont le prénom est en réalité Georges, né à Vic-sur-Seille. Il cite le titre de quelques tableaux, mais il n’en situe aucun.
Il termine son article par cette phrase « Un jour ou l'autre on découvrira peut-être, sur les parois de quelque église de campagne, une toile délabrée de cet artiste, qui suffira, je l'espère, pour combler cette lacune. [...] Attendons. »

Georges de La Tour - Signature en haut à droite du Songe de Joseph.

En 1900, Louis Gonse, historien de l’art, membre éminent d’organes très officiels, pressentait, dans « Les chef-d'œuvres des musées de France, la peinture » un lien formel entre le tableau de Rennes (le Nouveau-né, alors attribué à un Le Nain et dont il disait « Cette œuvre me hante ! ») et un tableau du musée d’Épinal qui figure un vieil homme nu assis humblement et sermonné par une femme debout imposante et qui tient une bougie (Job et sa femme en prison). Il écrivait « j'approche, malgré moi, le tableau d'Épinal de l'admirable Nativité de Rennes. Je signale l'analogie, sans aller plus loin. »

Les pièces du puzzle se rapprochaient lentement.

La révélation vint alors d’un jeune allemand historien d'art, fouineur érudit et qui avait voyagé en Bretagne en 1912, Herman Voss. Il connaissait les textes de Calmet (sa biographie laconique avait été reproduite en Allemagne en 1803 et 1849) et de Joly.
Voss publia dans une revue allemande (Archiv für Kunstgeschichte) un court article d’une page dans lequel il réunissait les deux tableaux signés de Nantes et le Nouveau-né de Rennes, en les attribuant au La Tour de Lunéville dévoilé par Calmet et Joly. Mais c’était en 1915, les échanges entre l’Allemagne et l’Europe étaient alors exclusivement consacrés à la fourniture de chair à canons.
Il faudra attendre un article de 1922, et peu à peu des tableaux poussiéreux sortiront des réserves de musées, des d'églises, des collections, et des documents d’archives complèteront un peu la vie et l’œuvre de Georges de La Tour.

Voss deviendra plus tard, un peu malgré lui, directeur du musée du Führer de Linz qui prévoyait de rassembler les pillages artistiques des nazis.
Il mourra en 1969 sans assister à l’accomplissement de son intuition de 1915, la grande rétrospective Georges de La tour de 1972 qui transformera ce revenant obscur en un des plus grands peintres de tous les temps et déplacera 350 000 visiteurs à l’Orangerie des Tuileries de Paris.

Hulton E.C., le musée de Rennes vers 1900 (détail).
Le Nouveau-né, à droite, était alors attribué à un des frères Le Nain.

Les trois tableaux de cette renaissance ont été parfois réunis. En 1934, pour l’exposition « les peintres de la réalité » au musée de l’Orangerie, en 2006 pour la reprise de la même exposition, et lors des deux grandes rétrospectives du peintre en 1972 à l’Orangerie et en 1997 au Grand palais, toujours à Paris mais jamais en Bretagne.
Aujourd’hui c’est chose faite, et jusqu’au 17 aout au Musée des beaux-arts de Rennes où ils illustrent ensemble une petite exposition attachante sur le thème de la redécouverte du peintre « Trois nuits pour une renaissance ».

Signalons qu’on trouvera quasiment l’intégrale des documents et articles citant La Tour dans un livre de poche très illustré, « Georges de La Tour, histoire d'une redécouverte », de Cuzin et Salmon, dans la collection Découvertes de Gallimard, édité en 1997 à l'occasion de la rétrospective.
Peut-être est-il encore disponible.