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dimanche 11 juin 2023

Ce monde est disparu (4)


Le solstice d’été, le jour le plus long de l’année, approche, pas en Tasmanie bien sûr, où ce sera le plus court, mais dans les salles de ventes parisiennes, notamment. 
Cette année c’est le 21 juin, et les experts du cabinet Turquin et la maison Tajan en profiteront pour mettre en lumière une étonnante découverte ; il fera encore jour, entre 20h et 21h, quand ils présenteront aux enchères un nouveau tableau nocturne de Georges de La Tour ! Les experts, à quelques détails subtils, affirment qu'il représenterait un certain Jacques, saint de son état.

C’est entendu, il n’est sans doute pas de la main de Georges, c’est peut-être une copie du fils, il présente des détails un peu faibles, le bougeoir caché, la transparence du livre, un léger maniérisme, une préciosité qu’on attribue, comme pour les toiles de Nancy, Le Mans ou Nantes (*), à un hypothétique atelier dont on ne sait absolument rien - on n’ose pas imaginer une baisse de qualité de la main du maitre - mais on y trouve des traits superbes, le dessin des plis de la robe éclairés par la bougie, les mains... Et puis c’est un thème nouveau à ajouter à la courte iconographie de La Tour, et une couleur inattendue, ce rose soutenu, ou rose crevette vaguement corail, saumon peut-être, voire Pantone+ CMYK P37-xxU à P41-xxU, bref, disons rose orangé. 

(*La médiocrité de ces 3 reproductions est désolante, mais il semble qu’en la matière la félicité, en France, soit inaccessible : les photos des La Tour exilés dans les musées américains sont admirables mais les modèles sont très rarement visibles, quand les images fournies par les musées français sont lamentables mais on peut plus facilement visiter les originaux (quoique le nouvel éclairage artificiel rosâtre avec lequel le musée de Nantes irradie ses peintures du 17ème siècle depuis peu, donc ses trois La Tour - alors que la pesante peinture académique du 19ème y bénéficie des grandes baies de lumière naturelle - rend désormais cette visite déplaisante).

Dans l’histoire du peintre cette découverte n’est certes pas un séisme comme le fut celle de l’incontestable Jean-Baptiste en 1993 (au musée de Vic-sur-Seille), et malgré l’exclamation promotionnelle de M. Turquin "[ce tableau] modifie la compréhension que nous avions du grand peintre lorrain", il ne fera sans doute pas l’objet d’une préemption de l’État, alors que l’estimation autour de 135 000$, modeste, le permettrait. 

C’est tout de même une chose rare et de grande qualité qui rappelle que des retrouvailles sont encore possibles. Depuis 100 ans, après un oubli total de trois siècles, presque 80 œuvres ont été retrouvées, dont une bonne moitié attribuable à La Tour avec certitude.
Et le bon monsieur Cuzin, anciennement conservateur des peintures du Louvre, qui vient de publier en 2021 sur La Tour une somme que la publicité dit superbe mais qu’on ne peut pas même voir dans les librairies de province tant il est cher, devra encore revoir ses calculs.

L’évènement astronomique sera visible pendant 5 jours à l’Espace Tajan, 37 rue des Mathurins, Paris 8, du 16.06 au 20.06 (sauf dimanche), de 10h à 18h, et de 10h à 15h le jour du solstice et de la re-disparition du tableau, on ne sait vers où. 
Venez nombreux.

Mise à jour le 22.06.2023 : Pas de grande bataille mais toutefois une enchère de 427 000$, 3 fois les estimations, soit 561 000$ avec commission et taxes. Est-il disparu définitivement ?

lundi 6 mars 2023

Comment peindre vite un Caravage

Menacé de décapitation par la justice pontificale pour avoir tué un noble influent, Caravage, fuyant Rome puis Naples, séjourne de 1607 à 1608 à La Valette, sur l’ile de Malte, où il peint 5 ou 6 tableaux dont l'immense (5,20m de large) décapitation de Jean-Baptiste (détail ci-dessus) pour la cathédrale de la ville. C’est l’un des deux seuls tableaux signés de Caravage (avec une tête de Méduse de 1597). Il s’est identifié au décapité en signant de son prénom "f michelAng…", en imitant un tracé au doigt dans le sang du saint.


Il y a quelque temps déjà nous avons dévoilé que Caravage, cet inventeur de génie qui bouleversa l’histoire de la peinture en remplaçant les douces ombres de la Renaissance par de crasseuses ténèbres, peignait de la main droite et portait donc l’épée à gauche, révélation essentielle.
Aujourd’hui nous découvrirons dans une courte vidéo de 15 minutes, que contrairement à la belle fiction qu’on raconte encore pour endormir les enfants, Caravage ne peignait pas ses grandes toiles sans dessin préparatoire.

Le site ARTEnet publie des vidéos décrivant de façon digeste, démonstrations à l’appui, les techniques picturales des peintres italiens classiques, agrémentées de force références. C’est très bien fait, mais il y a peu de versions françaises des vidéos, seulement Caravage et Léonard semble-t-il.

Comme on ne connait toujours aucun dessin sérieusement attribuable à Caravage, et que les moyens d’investigation scientifiques ne révélaient pas de traces de dessin sous les couches de pigment de ses tableaux, on accordait généralement foi à la légende et aux sources anciennes qui prétendaient qu’il peignait sans faire la moindre esquisse, sans même dessiner.
Pourtant la perfection de la mise en scène des personnages, dans la plupart des ses œuvres, où tout est calculé pour que le sujet s’inscrive parfaitement dans le cadre (en croix, en cercle, en escalier…), contredisait aisément cette prétendue improvisation. Mais Caravage comme Léonard est un génie, et un génie est capable de faire des miracles, de découvrir les lois de la gravitation des siècles avant Galilée et Newton, ou de peindre des tableaux sans les mains, avec un pinceau magique comme dans les films de Walt Disney.

En réalité, les implications de Caravage dans nombre de rixes attestent son caractère impétueux, emporté, et son credo étant de représenter strictement la réalité, sans enjolivement ni fioriture, il jugeait sans doute inutile de perdre du temps à faire des dessins préparatoires qu’il aurait fallu reporter laborieusement sur la toile, donc les dessiner une deuxième fois, et faire à nouveau poser les modèles de longues heures pendant lesquelles les mouvements et la lumière déplaceraient encore les plis et les ombres.

Ainsi s’est-il fabriqué une méthode rapide. Sans doute à partir d'un croquis jetable de la mise en place des personnages, il gravait directement sur la toile apprêtée les contours déterminants du dessin, avec un poinçon afin que la trace reste sensible malgré les couches de peintures qui les recouvriraient, contours qu’il affinait ou précisait d’un pinceau rapide au pigment noir. Il ajoutait parfois, du même pinceau, les grandes lignes d'un rare décor. 
Puis il faisait poser les modèles l’un après l’autre. Pour chacun, il dessinait le modelé directement au pinceau sur la toile, avec une seule couleur siccative plus ou moins délayée, souvent d’une manière détaillée comme il l'aurait fait sur une étude préparatoire, avant de passer au coloriage.

Les instruments d'investigation modernes - dont l’inévitable scanner à réflectographie multispectrale à infrarouge - ont montré des "traces évidentes de dessin préparatoire dans beaucoup des œuvres du peintre" (dit la vidéo à 4’05"). 

Un tableau fait à la va-vite par le peintre fuyard peu avant sa mort, lors d’une dernière étape en Sicile à Messine, l’Adoration des bergers (actuellement au musée de Messine), ressemble assez à un tableau inachevé et illustre bien les étapes de sa méthode (malgré des reproductions disponibles catastrophiques)

Cette manière accélérée de peindre occasionnait évidemment erreurs et repentirs. Chaque personnage étant réalisé séparément, en commençant curieusement par ceux du fond, d’après les examens, il arrivait que le suivant, plus proche, déborde et recouvre une partie pourtant achevée du précédent (voir la vidéo à 12’17"). L'optimisation n'était pas toujours optimisée.

Et puis les personnages couvrant souvent toute la toile, qui est grande, Caravage n’avait pas toujours le recul suffisant pour éviter certaines erreurs de proportions et de perspective. Par exemple dans les Pélerins d’Emmaüs, à la National Gallery de Londres, la main droite de l’homme à la gauche du Christ (en rouge) donne l’impression d’être, en fonction de la perspective, deux fois plus grosse que sa main gauche. 

Enfin, l'impression de collage, de juxtaposition un peu artificielle qu'on ressent souvent devant les personnages de Caravage est ici sensible avec l’extraordinaire panier de fruits, chef-d'œuvre de la nature morte, qui semble en équilibre instable et près de basculer dans le vide.

mardi 19 septembre 2017

La Bible d'Amiens (1 de 2)

La cathédrale d’Amiens en Picardie est une des plus renommées de l’art gothique, pour ses dimensions (la plus vaste de France, 7 700 mètres carrés habitables loi Carrez, 42 mètres sous plafond, prévoir travaux), pour ses stalles de chêne gigantesques historiées de scènes où plusieurs milliers de personnages rejouent les plus fameux tableaux bibliques, et surtout parce qu’elle est un des sept ou huit édifices religieux (d’après Wikipedia) à revendiquer la détention du crâne (complet ou non) de saint Jean Baptiste, cet autre prophète du christianisme, concurrent malheureux de Jésus, décapité par l’envahisseur romain.
Et c’est bien la ferveur lucrative des foules de pèlerins, attirés par la relique depuis 1206, qui a permis le financement de la plus grande et la plus voyante des cathédrales de toute la chrétienté, en remplacement de l’ancienne devenue trop petite et détruite par les flammes en 1218.

Pour ces raisons, et un tas d’autres, la cathédrale d’Amiens est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1981, ce qui signifie que c’est un monument exceptionnel dont la perte, en cas de mauvais entretien, de guerre, ou d’anéantissement de la planète, occasionnerait une grande affliction pour la communauté internationale qui ne manquerait pas d’en admonester les responsables.

On dit que la relative rapidité d’édification de la cathédrale lui donne, malgré les interventions mégalomaniaques de Viollet-le-Duc au 19ème siècle, une grande unité stylistique. En tout cas, les personnages, par centaines, des trois portails de la façade qui regarde le couchant sont d’origine, c’est à dire sculptés entre 1220 et 1230.
On le remarque à la fraicheur candide des expressions et la simplicité arrondie des formes.
La scène du tympan du portail central figure pourtant un jugement dernier, avec ses morts qui sortent des tombes et qui sont aiguillés vers les délices de l’enfer ou l’ennui du paradis, mais l'indolence des attitudes évoque plutôt une file d’attente devant chez le boulanger, un dimanche matin.
Tout est calme, les prophètes sont sereins et les anges souriants et bienveillants. Jésus au centre, sur le trône, semble dire qu’il préfèrerait ne pas se mêler de tout cela.

Illustrations : portails ouest de la cathédrale d'Amiens, l'aristocratie (prophètes, saints, anges et dieux). Le peuple sera illustré dans la chronique à suivre.

Anges et prophètes (cathédrale d'Amiens, portail ouest-septentrional)

Ange et martyrs (détail du précédent)

Prophète (détail du premier)

Ange et Vierge (cathédrale d'Amiens, portail ouest-méridional)

Jésus et saints (cathédrale d'Amiens, portail ouest-central)

vendredi 6 décembre 2013

Impressions de Vic-sur-Seille

Vic-sur-Seille est un village lorrain, tranquille, près de Nancy.

Un temps capitale administrative de l’évêché de Metz, puis terre d'accueil de plusieurs ordres religieux, il connait son zénith, et le début de son déclin au cours du 17ème siècle.
Le peintre Georges de La Tour y nait en 1593, ne le quitte qu'en 1620 pour Lunéville, à vingt kilomètres, et y revient souvent.
Viennent la guerre de Trente Ans et ses dévastations, les épidémies de peste bubonique, et la Révolution française qui disperse ordres religieux et structures administratives. Les tableaux de La Tour sont éparpillés, ou détruits. Le peintre est oublié.

Puis Vic-sur-Seille s'éteint doucement.


En 1993 apparait en vente publique aux enchères une sorte de miracle, un tableau figurant saint Jean-Baptiste dans le désert, attribué sans conteste à La Tour, mais de thème et de forme tellement inattendus que les experts hésitent, puis le datent de la fin de la vie du peintre, vers 1650.

Après de romanesques péripéties politico-financières le tableau est préempté par l'État français pour constituer le cœur d'un musée Georges de La Tour dans son village natal.
Le musée ouvre finalement en 2003, et fait preuve, depuis, d'un étonnant dynamisme, comme le montre l'exposition actuelle « Saint Jérôme et Georges de La Tour ».


À Vic-sur-Seille il n'y a plus de gare rue de la Gare. On y trouve trois ponts sur la Seille, trois boulangeries, et une maison d'accueil spécialisée. Il y aurait même une rue Perdue. Le reste est à vendre.

Dans une petite pièce protégée du musée Georges de La Tour est accrochée une toile sombre et méditative. C'est l’œuvre d'un peintre qui n'avait plus rien à prouver, ni personne à séduire. Le dépouillement définitif.

Au-dehors la place Jeanne d'Arc est vide, la rue de l'Abattoir est déserte, le brouillard et le silence gagnent.