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mercredi 3 août 2022

"Détruire, disent-elles", une variante

Marc Chagall est un peintre très apprécié parce que ses tableaux sont frais et enfantins, que tout le monde s’aime et y vole dans les airs, humains, chevaux, et même les anges, et joue du violon. Les vaches aussi. Et il y a des couleurs, du bleu, du jaune, du rouge et du vert, notamment. C’est en quelque sorte le Peynet de la peinture moderne. Une telle simplicité suscite inévitablement des imitateurs.

Madame X, riche, distinguée et américaine, avait acheté aux enchères chez Sotheby’s en 1994, contre 180 000$ d'aujourd'hui, une aquarelle du maitre dont elle s’était amourachée jusqu’à l’accrocher dans sa chambre à coucher.
Pour la maison de ventes le pédigrée de l’œuvre ne faisait alors aucun doute et elle jugea inutile de le présenter au comité Chagall, organe créé en 1988, après la mort du peintre, par ses petites-filles devenues légalement juges ultimes en matière d’authenticité des œuvres de leur grand-père.

En 2020, par manque de place et par désaffection, madame X, toujours conseillée par Sotheby’s, décidait de se défaire de l’œuvre. Sotheby’s proposait de la soumettre à l’expertise du comité Chagall, simple formalité qui renforcerait grandement sa valeur marchande, et faisait signer à l’ingénue intéressée la clause classique d’irresponsabilité de la maison de ventes quant aux résultats de l’expertise.

Hélas, trop accaparée par une longue vie de réceptions et de bienfaisance, madame X n’avait pas eu le temps de lire notre chronique du 26 avril 2014, où la même maison d'enchères avait vendu en 1992, pour 240 000$ actualisés, un tableau du même peintre à un collectionneur anglais, et où croyant en tirer quelque profit, ledit amateur insulaire l’avait soumis 20 ans plus tard au comité du même nom, et s’était vu en retour prié par la justice de détruire l’œuvre devant huissier en tant que faux, et de payer tous les frais de procédure.

Le respect de la réglementation sur les droits d’auteurs interdit de reproduire ici des œuvres de Marc Chagall avant l'an 2056. C'est regrettable, c'est imbécile, mais c'est la loi. Il faut bien que les héritières du comité Chagall aient les moyens de payer les timbres des centaines de lettres de refus (parfois surtaxées vers l'étranger) et d'entretenir le bucher des œuvres qu'elles excluent du catalogue. En compensation, voici une photo de vacances absolument incongrue qui aurait mieux illustré notre rubrique d’histoires sans paroles stagnante depuis juillet 2021.


Le comité déclara en 2020 que l’aquarelle de madame X présentait effectivement les thèmes récurrents chers à Chagall, les amoureux, le bouquet, le cheval, le coq, le croissant de lune, mais qu’ils "manquaient de réelle présence" et que c’était un faux inspiré d’autres tableaux du maitre. Les mêmes causes ayant, en règle générale, à peu près les mêmes effets, le comité prévoyait, conformément à la loi française, d'en demander à la justice la saisie et la destruction. 

Évidemment fort déçue, madame X poursuit maintenant la société de ventes en justice.
Sotheby’s, qui en a vu d’autres, rétorque que l’action n’a aucun fondement juridique puisque le délai pendant lequel elle garantit l’authenticité des œuvres, qui est de 5 ans, est ici largement dépassé. Cependant magnanime, elle accorde à madame X un avoir de 18 500$, qui représenterait le bénéfice fait sur la vente de 1994.

Nous retiendrons donc de cette mésaventure qu’en matière d’œuvres d’art l’authenticité expire précisément 5 ans après la vente, après quoi elles peuvent bien être attribuées à n'importe qui, mais qu’une certaine part de repentir ou d'excuse du vendeur, représentant environ 20% du montant de la transaction, reste envisageable après ce délai, geste qui permet de réduire d'autant la déception de l’acheteur. 

Retenons également des bévues de la maison Sotheby’s sur Chagall qu’elle n’est pas véritablement experte en la matière. Depuis 9 ans, elle n’a proposé à la vente qu'environ 3200 Chagall dits authentiques, dont seulement 80 à 90 ont dépassé un million de dollars, et c’est un hasard si les 2 Chagall jusqu’à présent les plus chers en vente publique l’ont été le 14 novembre 2017, lors d’une même vente, pour 16 000 000$ et 28 500 000$, exactement à New York chez Sotheby’s.

samedi 26 avril 2014

Détruire, disent-elles

Un collectionneur anglais avait acheté pour une somme importante en 1992 un petit tableau représentant une femme nue attribué à Marc Chagall, peintre aux réalisations colorées et naïves. L'œuvre était alors soutenue par un expert russe ami de Chagall.
Vingt ans après, pour se rassurer sur la valeur de son investissement (probablement avait-il quelques doutes) le brave homme présentait il y a peu le tableau à une émission de la chaine anglaise BBC consacrée aux contrefaçons (Fake or fortune).

Première erreur. Le tableau s'est révélé peint avec des pigments trop récents au regard de sa datation. Par ailleurs il a depuis quelques années disparu des livres d'experts qui discutent de Chagall. C'est donc certainement un pastiche.
Deuxième erreur, la production anglaise, pourtant avertie, choisit de le soumettre au jugement du Comité Chagall, présidé par les deux petites-filles du peintre.

Et depuis, ces dames ne veulent pas rendre le tableau. Elles le confirment faux et souhaitent saisir la justice, aux frais du propriétaire, afin de faire respecter une vieille loi française de 1895 qui autorise à détruire devant huissier une œuvre dont les ayants droit pensent qu'elle pourrait entacher la mémoire de l'artiste (deux œuvres de « Miro » ont ainsi été pulvérisées en 2013).

Quand on sait les incertitudes que soulèvent les questions d'attribution, les avis d'experts qui fluctuent parfois au vent des modes ou des intérêts qui les financent, une décision aussi imprudente et fatale a de quoi effrayer l'amateur de peinture naïve. Hier encore, un tableau du musée de Tessé au Mans, jusqu'alors relégué comme copie ou « école de » Bartolomeo Manfredi, vient d'être attribué au maitre lui-même, après restauration. De plus, on ne voit pas bien en quoi ces destructions pourraient, comme le disent certains, décourager les faussaires. Mais elles découragent certainement les propriétaires de tableaux dans la recherche de leur authenticité.

Et puis franchement, le tableau en cause est tellement médiocre, qui pourra croire qu'on a pu un jour le prendre pour une œuvre de valeur, même de Chagall ?

Mise à jour le 07.07.2022 : la cour d'appel en 2019, en opposition à la rigidité de la loi, mais pas contredite plus tard par la cour de cassation, a considéré que la mention "Reproduction" visible et indélébile au dos de la toile suffirait.  

Faux arbre en bronze de Guiseppe Penone, depuis 1999 dans le jardin des Tuileries à Paris.