Affichage des articles dont le libellé est Rouge. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Rouge. Afficher tous les articles

lundi 29 mai 2023

Ce monde est disparu (3)


Jean-Léon Gérôme, peintre habituellement très académique, pourfendeur et empêcheur de ses collègues impressionnistes, oubliait quelquefois le kitch, le pompeux, la rentabilité. C’était le cas dans les esquisses qu’il n’envisageait pas de vendre, comme cette étude d’ibis rouges (il l'a tout de même signée) d’où émane un charme un peu surréaliste, et qui vient de disparaitre, le 24 mai peu après 10 heures, chez Sotheby’s à New York, plutôt discrètement. On pense inévitablement aux immenses planches ornithologiques d’Audubon qui fascinèrent l’Europe et l’Amérique dans les années 1830, quand Gérôme était adolescent.

Deux jours et quelques minutes plus tard, au même endroit, disparaissait un autre animal que la décence nous interdit d’afficher ici, mais que la rigueur scientifique nous oblige à signaler. Estimé 4000 dollars par les experts de la chose, il s’en allait contre 280 000, 70 fois l’estimation (et 6 fois le prix des ibis), c’est dire la passion qu’il aura soulevée !
Il s'appelait Pompon, jouet adoré qui désennuyait dit-on la reine Marie-Antoinette d’Autriche, portraituré ici par un peintre dont on ne connait par chance à peu près rien, Jacques Barthélémy Delamarre, académicien en 1777. On ne regrettera pas sa disparition (nous parlons du tableau du  toutou)
Une reproduction d'une haute précision anatomique - à vos risques et périls, tout trouble consécutif et séquelle ne feront l’objet d’aucun dédommagement - est visible ici. Les informations techniques sur l’objet sont détaillées là.

vendredi 31 décembre 2021

C’est trop injuste

Quatre tableaux rouges, bruns et noirs de Mark Rothko. L'exactitude des couleurs n'est pas garantie, les bonnes reproductions sont rares sur internet.

Mark Rothko est un artiste envoutant, passé par les étapes courantes des peintres du 20ème siècle, de la figuration simplifiée, genre Matisse, aux grandes plages de couleurs vives superposées de la maturité (la période préférée du public et du marché de l’art), puis, définitivement insatisfait malgré le succès et affaibli par la maladie, aux surfaces brunes, grises et noires. il s’est suicidé à 67 ans.


Un tableau rouge, brun et noir de Philippe de Champaigne, peint en 1664 et vendu chez sotheby’s le 10 novembre 2021.
 
Philippe de Champaigne, « bon peintre et bon chrétien », à l’art rigoureux et dépouillé comme celui de Rothko, avec les mêmes couleurs, aurait peint 11 portraits du cardinal de Richelieu, d’après Wikipedia. Sa manière n’a pas sensiblement changé au long de sa vie. Il est mort renommé à 72 ans.

Au 17ème siècle, peindre était un artisanat. Il exigeait un long apprentissage. Après 350 à 400 ans les tableaux de Champaigne sont intacts. On n’en dira peut-être pas autant des toiles de Rothko dans trois siècles. 

Le portrait de Jérôme Bignon reproduit ci-dessus, peint en 1664 par Champaigne, vient d’être acquis aux enchères chez Sotheby’s pour l’équivalent de 65 000 dollars, dans la fourchette de l’estimation. Ça n’est pas un record pour le peintre, mais un bon indicateur. 
La moindre toile de Mark Rothko sur le marché ne s’enlève pas à moins d’un million de dollars, et on trouve 5 fois le nom du peintre dans le palmarès des œuvres de plus de 50 millions de dollars, à l’égal de Van Gogh, et pas loin de Picasso.
En résumé, pour le prix d’un tableau de Rothko, on en achètera environ 1000 de Philippe de Champaigne (c’est une hyperbole, bien entendu, Champaigne n’a jamais peint tout ça).

Comment les œuvres de ces deux artistes, à qui on reconnait autant de talent et qui mirent le même raffinement à peindre d’austères formes colorées sur des toiles tendues, peuvent-elles avoir aujourd’hui des valeurs si éloignées ? 
On nous répondra que les cotes et les prix sont le reflet des désirs du moment, qui dépendent des inclinations d’une société, des engouements de la mode, et qui sont injustes puisqu’ils font des choix.

Soit.