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mercredi 20 juillet 2022

Le neveu de Ruysdael

Jacob van Ruisdael - Paysage au crépuscule avec berger et deux chiens, 1648, 68 x 52cm (Vente Christie's 07.07.2022, 4M$), restauration numérique.
 
Les salles de ventes proposent couramment de vieux paysages de campagne, remplis d'arbres, encrassés et illisibles. On y distingue parfois un ou deux personnages qui passent. Les consciencieux commissaires-priseurs trouvent qu’ils ressemblent aux tableaux de Jacob van Ruisdael et s’arrangent pour en glisser le nom dans l’intitulé des tableaux, qui en deviennent hollandais. Mais les véritables Ruisdael, dont chaque centimètre carré respire la liberté du pinceau et la délicatesse de l'inspiration, comme celui qu’on présente ici, sont rares sur le marché. 

Large de 68 centimètres et signé en 1648 (en bas à droite), il représente une simple scène bucolique de crépuscule près de Haarlem. Jacob a alors 20 ans. Son oncle Salomon van Ruysdael (avec un Y) est directeur de la guilde des peintres de Haarlem et vient de l’accueillir parmi ses membres. Il lui a appris, au long des années de formation, cette peinture de paysages nonchalante et sans arrière-pensée qu’il venait d’inventer avec quelques collègues, qui ne durera que trois décennies, et qu’on ne pourrait comparer qu’aux pré-impressionnisme, deux siècles plus tard, quand Corot et ses confrères exploreront la région de Barbizon et la forêt de Fontainebleau, inspirés par le commerce naissant de la peinture en tubes et les joies et surtout désagréments de la pratique en plein air.

Bien que peu vu ce panneau de Ruisdael présente un pédigrée sans histoires. Acheté en 1977 (1M$ d’aujourd’hui), confié à quelques expositions, notamment à Fukushima fin 2015 (!), on pouvait le voir, en prêt, au musée Frans Hals de Haarlem entre 2002 et 2017.

Christie’s vient de le vendre contre l’équivalent de 4 millions de dollars (4M$).
À qui ? un musée, un particulier ? Le prêtera-t-il ?

En attendant la réponse en voici une bonne reproduction, subtilisée sur le site de Christie’s qui a sérieusement régressé en matière de présentation des œuvres et ne permet désormais plus de les télécharger, tout en nous gratifiant d’une interface digne des débuts de l’informatique au siècle dernier.

Deux versions sont disponibles ici, deux fois plus grandes que le panneau original (4 fois en surface). Ci-contre l’état actuel photographié par la maison de ventes, et en haut de page une version numériquement restaurée où la couche uniforme de vernis jaunissant a été atténuée.

samedi 25 juillet 2020

Les Christo vivent encore

Les Christo, célèbre duo d’entrepreneurs américains spécialisé dans le divertissement populaire de grande envergure, connus pour leur impressionnante habileté à obtenir l’appui des élites et dirigeants politiques et pour l’autofinancement de leurs réalisations, est mort définitivement, avec le décès de Christo le 31 mai dernier (si cette phrase donne l’impression de flotter grammaticalement entre le pluriel et les singuliers, l’auteur n’y est pour rien, c’est un problème courant avec les duos).

Le duo était composé de Jeanne-Claude Denat de Guillebon, porte-parole qui s’occupait surtout de la commercialisation des documents préparatoires et du financement et de la logistique des installations, et de Christo Javacheff, qui réalisait les études techniques, les plans, esquisses, dessins et maquettes des projets. Les investisseurs étaient rémunérés en œuvres de Christo.
En 1994, après 20 ans de collaboration, Jeanne-Claude (madame Christo) obtenait que son nom soit systématiquement cité à égalité au générique de leurs projets, ce qui était bien naturel. Elle mourut en 2009.

Le duo était renommé pour la création d’évènements populaires, d’une durée de 16 jours (pour faire 3 weekends), autour de l’emballage sous toile plastifiée de monuments en vue, comme la statue de Victor Emmanuel 2 à Milan en 1970, le Pont-neuf de Paris en 1985, l’imposant Reichstag de Berlin en 1995, mais aussi pour quelques autres réalisations aquatiques à succès comme les merveilleux quais flottants sur le lac d’Iseo en Lombardie, en 2016. Ces évènements étaient toujours gratuits pour le public.  


Avec le succès vinrent la mode et les imitateurs. À la saison froide, les statues des sites historiques du Domaine public français se mettent à copier Christo, comme ici au château de Fontainebleau.

Christo était obsédé par le phénomène du drapé, d’où sa compulsion pour les emballages gigantesques. C’est un engouement très partagé. Le drapé cache les objets, mais les évoque, en montrant leurs formes élémentaires, comme la neige adoucit et simplifie les volumes d’un paysage. Il permet tous les fantasmes sur la réalité qu’il masque.
Certains, iconoclastes, pensent même que l’emballage par Christo embellissait les monuments laids et massifs qu’il dissimulait.

Fatalement, avec le succès, les Christo eurent des ambitions artistiques, égocentriques, voire pharaoniques, jusqu'à multiplier les esquisses, maquettes, modèle réduit, d’un tombeau dans le style égyptien, plus haut que la pyramide de Khéops, constitué de centaines de milliers de barils de pétrole, et qu’ils souhaitaient ériger en plein désert d’une des petites dictatures familiales de la péninsule arabique, l’émirat d’Abu Dhabi.
Contrairement à leurs autres réalisations toujours éphémères, ils l’imaginaient éternel.

Cela ne se fit pas, mais le duo conclura cependant bientôt son existence par un geste posthume triomphal, si tout va bien.
Car le survivant devait être à l’honneur au printemps dernier avec l’emballage de l’Arc de triomphe de Paris, sur la place de l’Étoile, combiné à une exposition au Centre national d’art et de culture de Beaubourg. Mais les méfaits du virus à couronne puis la mort de Christo ont bouleversé ce programme.

Finalement, l’occultation monumentale est renvoyée au 18 septembre 2021, et l’exposition est ouverte depuis le 1er juillet 2020, dans un Beaubourg en travaux. Étienne Dumont l’a visitée, et le relate sur son blog avec son habituelle liberté de ton. Il n’a pas été emballé.
 

mercredi 17 septembre 2014

Un peu d'éthologie


Qui a vu un jour un être proche emporté par l’exaltation, la déception ou la douleur devant un match de football, qui a entendu ses exclamations injurieuses, ses réflexions primaires, qui a observé sa ferveur idolâtre excitée par le fanatisme patriotique est fatalement pris de compassion devant cette affection qui défigure le visage et réduit le jugement.

Il se prend à chercher l'origine de ce mal étrange, mais le problème n'est pas simple, car il constate vite que les critères à peu près objectifs, comme le talent des joueurs ou la qualité des combinaisons de jeu y sont de peu de valeur. Sans quoi tous vénèreraient les mêmes équipes, ce qui n'est pas le cas, chacun admirant généralement les porteurs des couleurs de son pays, de sa ville, de son clocher.

Il faut fouiller plus loin dans les profondeurs de l’esprit humain.
Étienne de la Boétie écrivait déjà au milieu du 16ème siècle « la nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l’éducation le lui donne ». Car c'est pendant la longue période d’éducation de l’humain que sont implantées les règles d'appartenance au groupe. L'enfant comprend qu'il ne serait rien sans les autres, qu'il leur doit d'être vivant, et qu'il devra manifester sa gratitude en respectant leurs conventions et reproduisant leur comportement. Lentement la soumission au groupe se dépose par couches dans son subconscient, et devient un réflexe au point qu’on la croit instinctive.

Et le réflexe profite alors de la moindre faiblesse pour ressurgir. Dès que pointe pour l’humain l'envie de reposer un peu sa conscience raisonnante, le groupe est là qui l’aide à résister contre le flot sans fin de la réalité, comme il lui a jadis permis de survivre.
Lors des manifestations populaires, cette réaction d’abandon est soutenue et amplifiée par la présence immédiate des autres.

C'est certainement la solution de facilité, le refuge infantile, mais cet effacement des responsabilités individuelles recèle peut-être des vertus constructives, on entend parfois dire qu’une société est plus que l’ensemble de ses composants.
Les avis sont partagés. D’autres pensent qu’elle est nécessairement moins, qu’elle est son plus petit dénominateur commun, comme Jacques A. Bertrand, fin connaisseur, le dit dans Les autres c’est rien que des sales types « Le Groupe échappe à la plupart des lois mathématiques et biologiques courantes, ainsi qu'au bon sens le plus commun. En effet, dans le Groupe, les neurones ne s'ajoutent pas, ils se retranchent. Le quotient intellectuel du Groupe est inférieur à celui du plus bête des éléments qui le composent. Constitué de trouillards, le Groupe n'a pas peur. Le groupe fait des choses que pratiquement aucun de ses membres n'aurait songé à faire tout seul. »

C’est qu’en fait le groupe n’est ni plus ni moins que ses composants. Il n’est rien qu’un nombre. Pâte malléable et sans cervelle il se laisse entrainer par le premier courant venu. Que sa cause soit juste ou non n’importe pas. Il peut même arriver qu’il fasse le bien.

Sait-on combien il faut fondre d’individus pour former un groupe ?

Et puis à l’extérieur il y a les autres, les rétifs, ceux qui, par on ne sait quelle inconséquence de la nature, refusent de suivre le groupe. Ils voudraient bannir les drapeaux des compétitions sportives, éliminer les hymnes, peut-être les compétitions elles-mêmes, les frontières, les pays et puis quoi encore, les guerres sans doute ? Pauvres malades.

mercredi 5 mars 2014

Tout s'emballe (dévoilement)

Amphitrite, détail d'une mosaïque datant d'environ 2000 ans (Herculanum, maison de Neptune et Amphitrite).

L'objet mystère voilé de la semaine passée n'était évidemment pas de Christo, comme l'a déduit un lecteur constant et perspicace, mais plus prosaïquement une statue de Charles Cordier, sculpteur prolifique et honoré au 19e siècle.

Elle représente Amphitrite triomphante, figure de la mythologie grecque, réalisée en 1863 pour le parc du château de Fontainebleau où elle se trouve encore de nos jours, avenue des cascades.

Elle est, comme les sculptures de valeur des grands parcs de la région parisienne, protégée des intempéries par une toile pendant les mois d'hiver, et légèrement découverte au beau temps.