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dimanche 12 août 2018

Autoportraits... et poursuite du vent

Toute activité humaine est naturellement égocentrique. Et quand elle s’exerce dans le domaine de l’art, activité qui a déjà pour ambition de se faire remarquer, il n’est pas rare que l’auteur patauge avec complaisance dans la mégalomanie.

Ainsi le grand compositeur de musique de films américains, Gustave Mahler, qui, avec les 100 minutes de sa 3ème symphonie, avait pulvérisé le record de 80 minutes des symphonies 5 et 8 du tenant du titre, Anton Bruckner, n’était toutefois pas pleinement satisfait. Après plus d’une décennie d’un entrainement intensif, il parvenait à faire exécuter à Munich, le 12 septembre 1910, sa 8ème symphonie, par un effectif de 1029 musiciens, un pour trois spectateurs. Tous les écrivains et musiciens célèbres du continent s’y ruèrent.

En peinture, l’unité de mesure de cette pompeuse surenchère est classiquement le mètre carré. Un artiste réellement consciencieux, avec pour horizon les cimaises des musées, ne barbouillera pas moins de 4 mètres carrés par œuvre.
Mais il est une spécialité plus rare, peu pratiquée car très périlleuse, qui est un peu le sommet de la mégalomanie car elle allie quantité et narcissisme : c’est le double, le triple, voire le quadruple autoportrait.

L’autoportrait simple est une manie courante chez le peintre comme chez l’écrivain, par mesure d’économie, peut-être, car l’auteur est son modèle le plus proche, et disponible, mais surtout par un nombrilisme primordial. Albrecht Dürer, par exemple, s’aimait tant qu’il s’est représenté souvent, très avantageusement, selon l’iconographie usuelle d’un Christ salvateur, ou déambulant au centre d’un massacre biblique de corps mutilés, de têtes et de membres, et tenant bien en évidence un petit panneau portant son nom et son monogramme, comme un guide dans un groupe de touristes.

L’outil essentiel à l’autoportrait du peintre est le miroir. L’autoportrait double, c’est à dire le peintre se représentant peignant son autoportrait, également visible sur la toile, demande un deuxième miroir (n’est-ce pas ?). Au-delà, pour l’autoportrait triple ou plus, on utilise des montages, des photographies, ou des complices travestis.
Le miroir inverse l’image sur un axe vertical. Si l’on en faisait les statistiques, 85% des autoportraits devraient montrer un peintre gaucher. S’il s'est figuré droitier, vous pouvez parier avec une chance de gain de 85% qu’il à utilisé deux miroirs, le second redressant le renversement vertical opéré par le premier. (vous suivez toujours ?)


Voici en illustrations quelques exemples épineux. Ne les examinez pas sans avoir au préalable avalé deux ou trois comprimés d’aspirine.



En haut à gauche, Salvador Dalí, qui était droitier, peint cet autoportrait au miroir avec sa femme posant en 1973, soit (version laborieuse) en regardant, dans un petit miroir qu’il tient de la main gauche, la scène reflétée par un très grand miroir qui se trouve dans son dos, soit (version simplifiée) d’après une photographie de la scène prise par un tiers à la place du grand miroir. 

En dessous à gauche, Léon Spilliaert, peintre belge assez neurasthénique qui pratiquait couramment l’autoportrait, s’est peint ici en 1908 au lavis, pastel et crayons de couleurs, dans une pièce présentant deux grands miroirs parallèles qui se regardent. Au moins le semble-t-il, si on ne remarque pas certaines imprécisions, comme le premier reflet du peintre, de dos, qui est manquant, et les feuilles de papier blanc dont l’orientation devrait être inversée en alternance. L’essai est louable mais ne procure pas le vertige qu’Orson Welles créait en 1941 en montrant, avec les mêmes moyens, le désespoir du citoyen Kane

En haut à droite, Norman Rockwell, le plus célèbre des illustrateurs de la vie de l'Américain moyen du nord, réalisait en 1960, pour une couverture du Saturday Evening Post, ce triple autoportrait malicieux, à l’occasion de la parution de sa propre autobiographie (oui, ça se complique un peu dans le genre narcissique). Il l’a réalisé d’après des photographies qu’il a mises en scène et dont on trouve des exemplaires sur internet. Quelqu’un à même pensé un jour qu’il serait malin de sculpter la scène figurée sur l’illustration. On trouve probablement cet objet en trois dimensions dans le musée uniquement consacré à Norman Rockwell, à Stockbridge dans le Massachusetts (arrivé à ce point, le thermomètre à vanité ne fonctionne plus). 

En bas à gauche, Alfred Le petit, journaliste et caricaturiste, a peint cet autoportrait quadruple en 1893. C’est un record sans doute, mais certainement un montage total. L’auteur de ces lignes a vidé un tube entier de comprimés sans parvenir à reconstituer la position des différents miroirs. 

En bas à droite, Giorgio de Chirico peint en 1922 cet autoportrait singulier et ironique (peut-être), où il est dévisagé par son propre buste de profil. Il serait savoureux qu’il ait réalisé lui-même le buste pour le peindre (de Chirico était également fervent sculpteur), mais il est sans doute imaginaire.

dimanche 29 septembre 2013

La lumière est à gauche


C'étaient les dernières années du 16ème siècle à Rome. Un peintre de 25 ans venu de la région de Milan, Michelangelo Merisi, connaissait un succès considérable en bouleversant les codes de la peinture de son temps. On le surnommait Le Caravage.

Avant lui la peinture était faite de douceur, d'onctueuses et multicolores délicatesses. La lumière qui illuminait les sujets était d'une source idéale, celle de l'esprit. C'était la Renaissance. L'Homme était redevenu la mesure de toutes choses. Son avenir était rayonnant. Le Maniérisme qui lui succédait, en déformant l'espace et les mouvements, avait seulement un peu amolli le tout.
Caravage ne voyait pas la vie ainsi. Il la montra crue, brutale, violente avec du sang et de la saleté. Il plongea la peinture dans un réalisme radical. La lumière ne venait plus de l'humain, elle tombait de l'extérieur de la toile, comme une fatalité, un éblouissement. Et les ombres se transformèrent en ténèbres.

Pour copier ainsi exactement la nature et les effets de la lumière crue sur les corps, sans interpréter ni corriger, il fallait faire poser les modèles sous l'éclairage intense et ponctuel d'une source très localisée, sans réflexion parasite. Et pour représenter des figures en grandeur nature, la toile devait nécessairement être éclairée par la même source, en se débrouillant pour que la main du peintre ne produise pas d'ombre sur le travail en cours.
Toute personne qui a dessiné à la lueur d'une lampe sait cela. Un peintre droitier qui ne veut pas peindre sur l'ombre de sa main choisit la source de la lumière à gauche. Inversement pour un gaucher.
Ce n'est donc pas un effet du hasard si, parmi les 80 à 90 tableaux connus du peintre, seulement cinq ou six sont éclairés par la droite, comme l'Enterrement de Santa Lucia de 1608, actuellement dans l'église homonyme de Syracuse en Sicile (voir l'illustration). Tous les autres sont éclairés par la gauche. Le plus souvent en haut à gauche.

On peut en dire autant de la plupart des suiveurs de Caravage, Valentin de Boulogne, Georges de La Tour dans ses tableaux diurnes, Vermeer dont la fenêtre est toujours placée à gauche... Et ainsi de suite, pour 85% des peintres avant la découverte de l’éclairage électrique, probablement, puisque les sites consacrés aux gauchers estiment qu'ils représentent 15% de la population.

Caravage était donc droitier. Cela n'a bien sûr aucun intérêt. D'autant que cela ne répond pas à la question des circonstances pratiques de création de ses rares toiles « gauchères ».

Le 28 mai 1606, il tuait un milicien en duel à l'épée, qu'il portait sans doute à gauche. Condamné à mort, il fuyait Rome.