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samedi 29 décembre 2018

Le saviez-vous ? (Vermeer révélé)


Vermeer, détail de La laitière (Rijksmuseum Amsterdam)

Avertissement : tous les textes en italique sont des citations. 
Saviez-vous que tous les tableaux réalisés par Vermeer ne représentent même pas, en surface, un seul tableau de Rembrandt, la « Ronde de nuit », qu’il a réalisée en à peine quelques mois, parmi des centaines d’autres peintures ?
On imagine le brave Vermeer, ce paresseux, avec son petit pinceau fin, tirant la langue pour essayer de faire un rebord de fenêtre bien rectiligne, sans déborder, pendant que Rembrandt distribue des taches de lumière jaune à tour de bras et en met un peu partout en dehors de la toile, dans tout l’appartement, au grand dam de madame Rembrandt, ce qui est cependant la bonne méthode, la productivité, pour ne pas devenir un peintre oublié, comme l'a été Vermeer pendant plus de deux siècles.

Vermeer, détail de Femme écrivant une lettre (Washington NGA)

Saviez-vous que la « Femme écrivant une lettre », de Vermeer, a parcouru, en expositions internationales, plus de 250 000 km autour de la Terre, soit la moitié de la distance à la Lune (1), alors que ce fainéant de Vermeer n’est sorti qu’une fois de Delft, de toute sa vie, pour aller à Amsterdam, soit un trajet en bus de 109 kilomètres (aller et retour par Flixbus pour 4,99€, on le suppose) ?

Saviez-vous que le rapport du nombre de femmes sur le nombre d’hommes figurés dans les tableaux de Vermeer est quatre fois supérieur à celui de la moyenne chez les peintres de la même époque, mais que les femmes ne portent pas d’étiquette sur ses toiles, donc on ne peut pas connaitre leur nom ?

Saviez-vous que, bien qu’il ait agrémenté ses tableaux de tapis couteux de Turquie, d’exquises porcelaines de Chine, de chapeaux de feutre en peau de castor nord-américain d’excellente qualité, le peintre a connu une fin amère, et qu’il a sombré dans la déchéance et le désarroi au point de mourir en à peine un jour et demi ?

Vermeer, détail de Femme au collier de perles (Berlin Gemäldegalerie)

Ces nouvelles sont garanties par les plus grands musées. Vous découvrirez toutes ces merveilleuses précisions dans ce que Google appelait en 2015 « l’Institut culturel » rebaptisé depuis « Google Arts et Culture », et sous-titré « Nourrissez votre cerveau ».

Vous y apprendrez aussi que Vermeer est incontournable, qu’il transcende l’espace et le temps (bien que vieux de plusieurs siècles), qu'il nous invite à oublier nos vies si affairées, et surtout qu’on ne sait pas comment il a fait et qu’on n’en percera jamais le secret. En bref, c’est un peintre mystérieux, ce qui le distingue nettement des autres peintres de son époque, dont on sait encore moins de choses, mais qui seraient sans doute moins mystérieux que Vermeer si l’on s’y intéressait un peu.

Mais vous n’apprendrez pas, par exemple, où est exposé un tableau comme le Géographe. Car la réalité ne se trouve pas dans ce Städel Museum dont on ne prend pas la peine de préciser la ville. Elle est sur les serveurs de Google, en haute définition. C'est là qu'est le Monde. Vialatte disait que Dieu lui-même n’était après tout qu’un dictionnaire Larousse un peu plus complet (La Montagne 22.12.1953). Eh bien nous avons trouvé Dieu. Il (ou Elle) se trouve à cette adresse sur internet sous le pseudonyme de Google Arts et Culture.
Et on remerciera, pour une fois, son envergure commerciale et ses prétentions universalistes pour avoir convaincu les grands musées nationaux, généralement si avaricieux (jusqu'au musée du Louvre), de dévoiler un peu de leurs collections dans une qualité réellement enivrante pour le voyageur immobile.

***
(1) Cette affirmation n'engage que son auteur(e).
 

dimanche 12 août 2018

Autoportraits... et poursuite du vent

Toute activité humaine est naturellement égocentrique. Et quand elle s’exerce dans le domaine de l’art, activité qui a déjà pour ambition de se faire remarquer, il n’est pas rare que l’auteur patauge avec complaisance dans la mégalomanie.

Ainsi le grand compositeur de musique de films américains, Gustave Mahler, qui, avec les 100 minutes de sa 3ème symphonie, avait pulvérisé le record de 80 minutes des symphonies 5 et 8 du tenant du titre, Anton Bruckner, n’était toutefois pas pleinement satisfait. Après plus d’une décennie d’un entrainement intensif, il parvenait à faire exécuter à Munich, le 12 septembre 1910, sa 8ème symphonie, par un effectif de 1029 musiciens, un pour trois spectateurs. Tous les écrivains et musiciens célèbres du continent s’y ruèrent.

En peinture, l’unité de mesure de cette pompeuse surenchère est classiquement le mètre carré. Un artiste réellement consciencieux, avec pour horizon les cimaises des musées, ne barbouillera pas moins de 4 mètres carrés par œuvre.
Mais il est une spécialité plus rare, peu pratiquée car très périlleuse, qui est un peu le sommet de la mégalomanie car elle allie quantité et narcissisme : c’est le double, le triple, voire le quadruple autoportrait.

L’autoportrait simple est une manie courante chez le peintre comme chez l’écrivain, par mesure d’économie, peut-être, car l’auteur est son modèle le plus proche, et disponible, mais surtout par un nombrilisme primordial. Albrecht Dürer, par exemple, s’aimait tant qu’il s’est représenté souvent, très avantageusement, selon l’iconographie usuelle d’un Christ salvateur, ou déambulant au centre d’un massacre biblique de corps mutilés, de têtes et de membres, et tenant bien en évidence un petit panneau portant son nom et son monogramme, comme un guide dans un groupe de touristes.

L’outil essentiel à l’autoportrait du peintre est le miroir. L’autoportrait double, c’est à dire le peintre se représentant peignant son autoportrait, également visible sur la toile, demande un deuxième miroir (n’est-ce pas ?). Au-delà, pour l’autoportrait triple ou plus, on utilise des montages, des photographies, ou des complices travestis.
Le miroir inverse l’image sur un axe vertical. Si l’on en faisait les statistiques, 85% des autoportraits devraient montrer un peintre gaucher. S’il s'est figuré droitier, vous pouvez parier avec une chance de gain de 85% qu’il à utilisé deux miroirs, le second redressant le renversement vertical opéré par le premier. (vous suivez toujours ?)


Voici en illustrations quelques exemples épineux. Ne les examinez pas sans avoir au préalable avalé deux ou trois comprimés d’aspirine.



En haut à gauche, Salvador Dalí, qui était droitier, peint cet autoportrait au miroir avec sa femme posant en 1973, soit (version laborieuse) en regardant, dans un petit miroir qu’il tient de la main gauche, la scène reflétée par un très grand miroir qui se trouve dans son dos, soit (version simplifiée) d’après une photographie de la scène prise par un tiers à la place du grand miroir. 

En dessous à gauche, Léon Spilliaert, peintre belge assez neurasthénique qui pratiquait couramment l’autoportrait, s’est peint ici en 1908 au lavis, pastel et crayons de couleurs, dans une pièce présentant deux grands miroirs parallèles qui se regardent. Au moins le semble-t-il, si on ne remarque pas certaines imprécisions, comme le premier reflet du peintre, de dos, qui est manquant, et les feuilles de papier blanc dont l’orientation devrait être inversée en alternance. L’essai est louable mais ne procure pas le vertige qu’Orson Welles créait en 1941 en montrant, avec les mêmes moyens, le désespoir du citoyen Kane

En haut à droite, Norman Rockwell, le plus célèbre des illustrateurs de la vie de l'Américain moyen du nord, réalisait en 1960, pour une couverture du Saturday Evening Post, ce triple autoportrait malicieux, à l’occasion de la parution de sa propre autobiographie (oui, ça se complique un peu dans le genre narcissique). Il l’a réalisé d’après des photographies qu’il a mises en scène et dont on trouve des exemplaires sur internet. Quelqu’un à même pensé un jour qu’il serait malin de sculpter la scène figurée sur l’illustration. On trouve probablement cet objet en trois dimensions dans le musée uniquement consacré à Norman Rockwell, à Stockbridge dans le Massachusetts (arrivé à ce point, le thermomètre à vanité ne fonctionne plus). 

En bas à gauche, Alfred Le petit, journaliste et caricaturiste, a peint cet autoportrait quadruple en 1893. C’est un record sans doute, mais certainement un montage total. L’auteur de ces lignes a vidé un tube entier de comprimés sans parvenir à reconstituer la position des différents miroirs. 

En bas à droite, Giorgio de Chirico peint en 1922 cet autoportrait singulier et ironique (peut-être), où il est dévisagé par son propre buste de profil. Il serait savoureux qu’il ait réalisé lui-même le buste pour le peindre (de Chirico était également fervent sculpteur), mais il est sans doute imaginaire.