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mardi 4 décembre 2012

Le fétiche

Le 18 avril 1955 à l'hôpital de Princeton (New Jersey), le docteur Thomas Stoltz Harvey autopsie Albert Einstein. Il pèse soigneusement le cerveau qu'il a extrait sans l'autorisation de l’intéressé, le photographie avec précision en noir et blanc puis le range en gros morceaux dans des bocaux à cornichons. Il referme discrètement tout ce qu'il a ouvert et s'offre une petite distraction en prélevant également les yeux qu'il confiera à l'oculiste du défunt.

Après quelque temps, Harvey obtient l'autorisation du fils d'Einstein et peut conserver le viscère paternel à condition de publier une étude scientifique sérieuse sur l'objet.
En 1960, il n'a toujours rien publié et refuse de restituer l'organe. Il est alors licencié de l'hôpital et commence une vie d'errance à travers l'Amérique, avec ses bocaux de formol.

À Philadelphie (Pennsylvanie) Harvey fait découper le cerveau en 240 portions (170 selon certaines sources) de 10 centimètres cubes qui sont numérotées selon l'atlas de Von Economo, et qu'il distribuera épisodiquement, parcimonieusement, gratuitement et en tranches fines, à quelques spécialistes jusqu'en 1996. Harvey pensera toujours être ainsi détenteur de la clef d'une découverte scientifique majeure.

Puis il est quasiment oublié pendant 35 ans.

Au printemps 1994, Kenji Sugimoto, professeur d'histoire des sciences à Nara, au Japon, et obsédé par le cerveau d'Einstein, est filmé par le documentariste Kevin Hull dans une odyssée à travers les États-Unis, en quête du docteur Harvey et de son trésor. Il le déniche inespérément à Lawrence, au Kansas, où il est alors employé sur une chaine de fabrication de pièces de plastique, après avoir perdu le droit d'exercer la médecine en 1988.
Le film est envoutant comme un reportage de Werner Herzog ou un épisode du magazine Strip-tease. Il y a sur Internet une version originale anglaise sous-titrée en suédois et de mauvaise qualité.
Vers la fin du film, Harvey prend un morceau flottant dans le plus petit de trois bocaux qu'il vient d'apporter, et en découpe une tranche comme on le ferait d'un saucisson à l'ail. Sugimoto comblé et rayonnant l'emporte au Japon « Je suis né à Nagasaki deux ans après la bombe. On dit Einstein responsable de la bombe, mais je ne lui reproche pas. J'aime toujours Albert Einstein. »

En 1997, Michael Paterniti, journaliste, réalisera un reportage sur l'homme qui a volé le cerveau d'Einstein (son livre paraitra sous le titre « Driving Mister Albert »). En Buick, il conduira Harvey (et un récipient Tupperware) de Princeton à Berkeley (Californie), pour apporter les restes sacrés à la petite-fille d'Einstein. Elle les refusera. Ils seront alors remis au remplaçant d'Harvey à l'hôpital de Princeton.

Thomas Stoltz Harvey mourra le 5 avril 2007, à 95 ans.
On trouvera ici en français, et là en anglais deux récits plus détaillés des mésaventures du cerveau d'Einstein.


Nul besoin d'être neurochirurgien pour reconnaitre la perfection de l'architecture du cerveau d'Einstein photographié ici le 18 avril 1955. On notera la ressemblance avec le chou-fleur Romanesco, ce qui ne surprendra personne. 
En surimpression, un des derniers quartiers restant du découpage de l'auguste organe par le docteur Harvey. On peut y lire probablement les traces des dernières préoccupations du savant.


En fin de compte, le cerveau d'Einstein était-il particulier ? Quelques découvertes ont été faites, prétendent certains ; un lobe pariétal gauche un peu surdéveloppé, des cellules gliales hors norme par endroits, une absence de démarcation entre deux zones fonctionnelles habituellement séparées... On se disputera longtemps encore sur le sujet.
Le cerveau de l'écrivain Tourgueniev pesait 2000 grammes, celui d'Anatole France 1500 et celui d’Einstein 1250. C'est peu. Mais sa particularité aura été, au moins, d'avoir dirigé la vie d'un des plus importants savants de l'histoire de l'Humanité.
Et l'Humanité vénère ses savants et leur rend dignement hommage. Ainsi, une application destinée aux tablettes numériques intitulée « Atlas du cerveau d'Einstein » propose pour 8,99 euros d'admirer comme dans un kaléidoscope 348 fines tranches du célèbre encéphale. Le tout, proprement ordonné et assisté d'un puissant zoom, prête à la chose un aspect éminemment scientifique.

C'est peut-être là la découverte que Thomas Harvey aura cherchée toute sa vie, en vain. Réussir à exploiter, même après qu'il a cessé de fonctionner, le cerveau d'un savant de renommée mondiale.


mardi 27 novembre 2012

Peut-on vivre sans cerveau ?

Délicate question médicale. Le très savant Albert Einstein l'affirmait. D'après lui l'Homme est capable d'exécuter sans cerveau quelques fonctions de base, comme marcher en rangs et au pas cadencé au son d'une musique militaire, avec comme seule ressource sa moelle épinière. Il faut reconnaitre que la médecine n'était pas sa spécialité, mais il a tout de même mis au point les fondements théoriques de la bombe atomique et de plein d'autres petites choses utiles.

Par ailleurs on a bien découvert des braves gens qui vivaient normalement et apparemment sans cerveau, comme en 2007 ce fonctionnaire dont l'organe était tartiné en une fine couche sur la paroi interne de sa boite crânienne presque vide.

Ces histoires sont palpitantes. C'est pourquoi il faut écouter Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin CEA Saclay, qui a inventé des procédés révolutionnaires d'observation des fonctions du cerveau (résonance magnétique à très haut champ).
C'est un peu le docteur Mabuse et son hypnose télépathique. Mais Le Bihan, lui, ne songe pas à détruire l'humanité. Il devise modestement sur l'exploration de la conscience humaine, dans une récente émission médicale de la radio France Culture, comme dans une salon de thé.

Il y parle de la découverte de la localisation matérielle de la parole dans le cerveau par Paul Broca, en 1861. Et on frémit un peu quand il dit avoir vu l'excitation des molécules dans les zones du plaisir, ou constaté une plus grande densité de matière blanche chez les musiciens à la mesure des quantités d'heures de pratique.
On tremble aussi lorsqu'il précise qu'une électrode posée sur le cerveau et déplacée par erreur d'à peine deux millimètres peut entrainer le patient dans une insoutenable envie de suicide, ou quand il affirme avoir reconnu la traduction de formes simples et de lettres de l'alphabet dans l'observation directe du cortex visuel primaire. Le rêve du docteur Mabuse.

Par bonheur, quelques anecdotes récréatives ponctuent ce pataugeage dans la conscience, comme lorsqu'il évoque, succinctement, la destinée rocambolesque du cerveau d'Albert Einstein en personne. Mais cette histoire méritait d'être un peu plus détaillée. Elle le sera dans la prochaine chronique de Ce Glob est Plat.
Cette admirable sculpture antique démontre que la beauté peut aisément se passer de cervelle.
Buste d'Aphrodite, époque d'Hadrien, copie d'un original grec du 4ème siècle avant notre ère, découvert dans l'amphithéâtre antique de Capoue où il décorait le porche d'accès aux gradins supérieurs (Naples, musée national d'archéologie, inv.6019).

mardi 4 octobre 2011

Le solvant, le journaliste et la particule

L'économie mondiale s'effondre lentement, mais l'information va de plus en plus vite. Pas vraiment dans le cerveau du journaliste et du blogueur, où elle s'enlise à la vitesse des signaux électriques neuronaux (disons quelques mètres à la seconde), mais dans les expériences des physiciens où le neutrino vient de dépasser le photon (la vitesse de la lumière) d'une courte tête. Nous y reviendrons.

De la vitesse du solvant

Pantxika de Paepe, conservatrice du musée de Colmar, et ainsi grande prêtresse de l'illustre retable d'Issenheim peint par Mathias Grünewald vers 1516, le trouvait un peu sombre et le voulait plus gai et pimpant. Le Christ mort, les corps déformés par la souffrance, les paysages fantastiques étaient, dit-elle, enténébrés par l'effet des années sur le vernis qui les recouvre. Aussi en confia-t-elle la restauration à Carole Juillet qui connait bien les panneaux du retable mais avoue manquer d'étude sérieuse sur les couches de vernis. Alors, guidée comme elle le dit par sa sensibilité, elle expédia en une semaine le nettoyage d'un panneau et demi, à l'aide d'une collègue experte et de grand gestes furtifs qui inquiétèrent les observateurs habitués aux milliers de Coton-Tige et aux longs mois méticuleux que prend traditionnellement ce genre d'opération.



Sur le panneau de la tentation de saint Antoine, avant restauration, un cartouche accuse
« Où étais-tu Jésus, que n'étais-tu présent pour guérir mes blessures. »


Alerté, le ministre a ordonné la suspension du lessivage. Pantxika dit avoir respecté les procédures administratives et justifie la précipitation par la nécessité d'éviter que le solvant n'atteigne la couche de peinture sous le vernis. Explication déconcertante, parmi d'autres contradictions. Il s'agissait donc de prendre le solvant de vitesse !

De la vitesse de pensée du journaliste de télévision

Pendant ce temps, à l'occasion d'une exposition sur les œuvres postérieures à 1900 du peintre norvégien Edward Munch, son tableau Le Cri, icône de la peinture scandinave, est accroché à Paris, au Centre Pompidou. Enfin, c'est ce qu'affirme pendant une minute et 50 secondes un reportage sur le sujet diffusé sur France2, chaine d'État. Il débute par une scène effroyable où des centaines de visiteurs armés de leur téléphone se battent pour photographier le chef d'œuvre. Et le journaliste d'affirmer « Pour l'apercevoir, il va falloir jouer des coudes et bousculer son voisin ». Alors par quel absurde revirement le même commentateur vient-il démentir son affirmation, à 10 secondes de la fin du reportage, en précisant que le célèbre tableau n'est pas présent à l'exposition ?

On ne le saura probablement jamais, la science n'a pas réussi à calculer la vitesse de la pensée dans le cerveau du journaliste de France2. Les capteurs ne sont pas assez sensibles. Le Cri est resté à Oslo.



De la vitesse du neutrino

En attendant, la nature essaie de contrarier nos plus grands savants. Aucune particule qui transporte de l'énergie ou de l'information ne peut dépasser la vitesse du photon dans le vide. C'est la règle, établie par Albert Einstein lui-même. C'est dire le respect qu'on lui doit. Depuis 1905, malgré de sournoises tentatives, personne n'a réussi à la prendre en défaut. C'est pourquoi les physiciens de l'expérience OPERA ont refait mille fois leurs calculs, jusqu'à mettre des piles neuves dans leur calculette, mais trouvent toujours le même résultat extravagant : quelques perfides particules, des neutrinos, seraient allées légèrement plus vite sous terre que la lumière dans le vide. Déconcertés, les pauvres scientifiques incrédules demandent publiquement l'aide de leurs confrères.
C'est l'information du mois. Le sujet passionne. Théories excentriques et avis farfelus fleurissent les commentaires et les forums. Les plus chimériques déterrent les sempiternels paradoxes temporels, les plus sérieux supposent que le photon aurait finalement une masse, les circonspects soupçonnent l'erreur de calcul et les enthousiastes proclament la découverte la plus importante de la physique du 21ème siècle. N'exagérons pas. La véritable découverte sera, s'il est confirmé, d'expliquer le phénomène. Et ça prendra des années, des décennies, peut-être des siècles.

Finalement, l'intérêt de cet épisode est de mettre en lumière le seul moyen satisfaisant de comprendre le monde, la confrontation collective des points de vue et de l'expérimentation. Le moteur de la science est le doute, la remise en cause permanente des théories. Le philosophe américain John Dewey disait que la pensée ne commence qu'à la survenance d'un problème à résoudre. Avant, tout n'est qu'habitudes, idées reçues et conventions.

lundi 24 novembre 2008

Quand meurent les liens

Dans l'inépuisable univers que la déesse Gougueule a créé il était inévitable que les plus grandes félicités côtoient le mal absolu, sans quoi ni l'un ni l'autre n'existeraient. Et le chroniqueur consciencieux qui tente de maintenir un blog présentable le sait bien. Le monde s'effrite et disparaît petit à petit autour de lui, gagné par la lèpre, la décomposition. Et ce fléau absolu arbore un nombre, c'est 404, le nombre de la Bête. C'est le numéro d'erreur retourné à l'intrépide navigateur s'aventurant vers des sites qui sont éteints, des pages qui se sont décomposées, des blogs dissous, des liens morts, des mondes inexistants, des trous noirs.

Ce Glob Est Plat est un blog qui n'intéresse quasiment personne. En cela il a été distingué comme représentatif de la grande majorité des blogs par un aréopage de scientifiques désœuvrés. Ils l'ont alors étudié avec des dispositifs sophistiqués et après quelques semaines de cogitations leurs conclusions sont tombées sous la forme d'un graphique désespérant et d'une prévision catégorique «dans 27 ans le blog flottera seul dans un espace totalement narcissique, ayant perdu tout contact avec le monde». Les moqueurs diront que c'est déjà un peu le cas.

La preuve mathématique de l'irrémédiable.Alors que faire ? Colmater au fur et à mesure les fuites signalées par le lecteur charitable. Mais ça ne sera pas toujours facile. L'Internet libre et amoral des premières années s'amenuise, remplacé par celui du profit, du bénéfice jusqu'à l'écœurement, du crétinisme souverain comme dans cet exemple où les paroles d'une chanson populaire sont interdites à la lecture alors qu'est diffusé sur la même page le clip chanté par l'auteur, paroles et musique. Ou dans l'exemple de la Métamorphose de Kafka, supprimée sans doute par les éditeurs ou traducteurs, sangsues écervelées qui n'ont pas encore compris qu'elles font ainsi mourir les liens qui les faisaient connaître.

Mise à jour de 10h25 : quelques heures seulement après la mise en ligne de ce billet un généreux donateur anonyme proposait des substituts parfaitement vivants aux deux liens morts cités en exemple (voir le commentaire ci-dessous). Cette résurrection est un miracle. Le taux d'erreurs 404 du blog est passé de 7% à 6%. La déesse Gougueule existe !