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dimanche 14 avril 2024

Ce monde est disparu (12)

Francis Silva, Lever de soleil à Tappan Zee (Vente Sotheby's 3.12.2008, résultat : 2 570 000$

Francis Silva est un peintre américain qui embarrasse les critiques et les maisons de vente qui ne savent pas que dire de lui. Il a laissé peu de traces autres que ses tableaux.


Plus ou moins autodidacte, il n'a pas été impressionné par les courants de peinture de son temps. Il sillonnait, pour y trouver ses motifs, la côte nord-est des États-Unis, de Cape Ann, près de Gloucester - où il a peut-être vu des toiles de Fitz Lane qui venait d’y mourir - à Long Branch, au sud de New York, où il mourut à son tour en 1886. 

Seule période de sa vie un peu documentée, on sait qu’il s’était enrôlé dans l’infanterie contre les sudistes dans la guerre de sécession de 1861 à 1865, et avait participé à des évènements relatés dans les livres d’histoire, si bien que les commentateurs espéraient des tableaux héroïques, des illustrations de première main pour une biographie exemplaire. Hélas après la guerre civile Silva n’a peint que des paysages marins calmes, limpides, horizontaux. Parfois les restes d’une épave étaient poussés mollement par la marée, rien de plus.

Alors on trouve dans les essais sur Silva des avertissements du genre "il n’existe aucune preuve que Silva ait eu des conceptions luministes de son art", suivis évidemment d'un long chapitre, justement, sur le luminisme dans la peinture de l’école de l’Hudson river (les métiers de la plume sont souvent payés au nombre de caractères). 


Parmi les 110 chefs-d'œuvre de la peinture américaine de 1760 à 1910 exposés à Paris en 1984 - les États-Unis s’étaient séparés pendant 6 mois de leurs principaux chefs-d’œuvre - imaginez l’impensable, le Louvre prêtant simultanément ses plus beaux La Tour, Chardin, Ingres, Watteau - parmi ces 110 chefs-d’œuvre américains donc, il n’y avait pas de tableau de Silva.

C’était il y a 40 ans. Aujourd’hui Silva reste peu connu, et moyennement apprécié, comme dans l’essai cité plus haut où on le dit "artiste charmant mais dépassé… un peintre qui exploitait ses talents au mieux de ses capacités… et même s’il ne rejoindra jamais les anciens, il témoigne de notre époque démocratique". Pour le dire autrement, il a fait de son mieux, il est au moins la preuve que dans notre pays on peut venir de rien et parvenir à faire l'objet d'une étude verbeuse de 41191 caractères dont 6901 invisibles.

Ça n’est pas très charitable. Il est vrai qu’on peut finir par s’ennuyer devant trop de Silva.


Cependant sa cote grimpe doucement, et atteint parfois des sommets - voir le commentaire de notre illustration d'entête - mais reste très disparate, comme le montrent les enchères récentes illustrées sans ordre ci-dessous, de gauche à droite et de haut en bas.

1. Octobre sur l'HudsonChristie's 22.05.2014, 941 000$
2. La plage de Long Branch - Christie's 18.01.2024, 78 000$
3. Octobre sur l'Hudson - Sotheby's 3.12.2008, Invendu
4. L'Hudson, au loin les Catskills - Sotheby's 19.04.2023, 254 000$
5. Sur la North River - Sotheby's 19.01.2024, Invendu
6. Cape Ann - Sotheby's 19.01.2024, Invendu

lundi 9 mai 2022

Le paysage de Fitz-Henry Lane

Lane F.H, Coffin's beach, 1862 (Boston MFA)

Les Étasuniens sont bienheureux. ils ont, jalousement consignés dans leurs vastes musées, les plus grands peintres paysagistes du 19ème siècle, A. Bierstadt, A.T. Bricher, F.E Church, S.R. Gifford, W.S. Haseltine, M.J. Heade, W. Homer, G. Inness, J.F. Kensett, F.H. Lane… Arrêtons-nous au L. 
Ils les ont classés, après leur décès, dans "l’École de la rivière Hudson" parce qu’ils pratiquaient le paysage essentiellement aux alentours de l’Hudson, entre Boston et New York, mais la plupart ne se connaissaient même pas. Et il ne faut pas la confondre avec "l’École luministe américaine", qui regroupe un sous-ensemble des peintres de l’Hudson river school. À moins que ce soit l’inverse. De toute manière ils ne se fréquentaient pas non plus.

D’ailleurs qui les connait en Europe ? L’Amérique est possessive. La dernière fois qu’elle a montré sérieusement aux Français la richesse de son 19ème siècle (élargi), c’était au Grand palais de Paris en 1984, l’exposition Un nouveau monde, chefs-d’œuvre de la peinture américaine 1760-1910 : 115 parmi ses plus précieuses peintures. 
Un beau geste ! Un bouleversement ! Madame X par Sargent, le Renard dans la neige de Homer, les horizons marins de F.H. Lane (alors Fitz Hugh, aujourd’hui Fitz-Henry), épurés, précis, presque naïfs, les paysages de Kensett, aux couleurs si délicates qu’on ne peux même pas les reproduire. La France alors découvrait l’Amérique.

On objectera que leurs paysages sont trop grandioses parfois, au point que, pour ne pas souffrir de la comparaison, leur cinéma inventera dans la foulée le procédé Technicolor.
Mais c’est parce que leur pays est colossal, cascades, geysers, cyclones, concrétions, déserts, tout y est démesuré. Et la vallée de la Mort ! Le soleil peut y cuire une omelette, parait-il ! Tandis que sur la plage de Trouville, on mâchonne nos œufs durs en regardant Eugène Boudin poser ses petites touches rouges et bleues sur un fond gris, les pieds pataugeant dans le sable.

Si elle ne prête pas beaucoup ses paysages peints, l’Amérique en fait des catalogues. 
Le musée de Cape Ann à Gloucester dans le Massachusetts, où F.H. Lane a vécu presque toute sa vie, et qui possède une belle série de ses œuvres, vient de rendre public un site consacré à son catalogue raisonné
Il documente précisément, pathologiquement, l’univers de Lane, le sujet unique de ses tableaux, la côte autour de Gloucester, le port et les navires, l’emplacement exact du peintre quand il a réalisé telle vue, le descriptif technique de la goélette représentée, le plan de sa voilure, et quelques études captivantes, comme ce dossier sur 4 facsimilés peints par Lane et son élève très douée, Mary Blood Mellen.

Tout est en anglais, mais les principaux navigateurs sur internet traduisent aujourd’hui de façon transparente vers le français. Les reproductions des tableaux sont correctes, parfois bonnes.


Lane F.H. florilège de paysages. Le détail de chaque tableau se trouve dans le catalogue raisonné.