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dimanche 23 juin 2013

Le ministre et le nénufar

La réforme de l'orthographe 
Contrarie les paléographes 
Depuis qu'un L vient d'être ôté 
À imbécillité.
Pierre Perret, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine (1992)

Michel Rocard est un homme d'état convaincu, gestionnaire avisé, internationaliste passionné.
À 83 ans il résume sa vie en 5 épisodes de 30 minutes diffusés sur France-culture dans l'émission À voix nue, du 17 au 24 juin, et les enregistrements sonores en sont disponibles. Clarté, verve, éloquence.

Dans le 4ème épisode, il est premier ministre de la France et pilote la rectification de l'orthographe française de 1990. Il revient longuement sur les intentions commerciales et géopolitiques de la réforme, les anecdotes, les règles absurdes, le délire des défenseurs de l’inviolabilité de l'orthographe sacrée, les coups bas de Mitterrand, de François Cavanna, de Jean Dutourd et les trois camions de policiers chargés de protéger des rectifications si minimes que personne, vingt ans après, ne les connait ni ne les applique, excepté les grands dictionnaires, les correcteurs des logiciels de traitement de texte, et Ce Glob est Plat.
C'est entre la 9ème et la 23ème minutes de l'épisode.

Après quoi vous ne serez plus surpris de trouver ainsi écrits boite, chaine, aigüe, ambigüité, règlementaire, ile, joailler, imbécilité, serpillère, charriot, ognon, flute, gout ou aout, avec 1400 autres mots.


Le 8 juin 1985, le président de la république des Seychelles, Albert René France, inaugurait l'électricité sur l'ile paradisiaque de La Digue. L'évènement se déroulait en créole.

lundi 27 mai 2013

Comptes de faits (2)

Il aura fallu des siècles aux archéologues, paléographes, philologues et autres méticuleux historiens pour démontrer que « le Livre » à l'origine des principales religions monothéistes n'était pas un récit historique écrit d'un seul jet par un certain Moïse, mais un recueil de légendes inspirées de lointaines religions et compilées à partir de 700 ans avant notre ère.
Il aura fallu des siècles de fouille pour établir que nombre d'aventures contées dans la Torah, la Bible ou le Coran étaient des copies (parfois mot pour mot) de vieilles fables mésopotamiennes.

L'étape la plus marquante de ces tribulations fut certainement la découverte, dans les fouilles de la bibliothèque du roi Assurbanipal à Ninive (près de Mossoul dans l'actuel Irak), de douze tablettes d'argile qui reproduisaient un texte déjà vieux de plus de mille ans et relataient la célèbre épopée du roi Gilgamesh. La onzième retraçait l'histoire d'un déluge infligé par les dieux en punition du comportement turbulent des hommes.

Le 3 décembre 1872 à Londres, George Smith, assyriologue autodidacte, lisait sa traduction de cette onzième tablette devant la Société d'archéologie biblique et un parterre d'officiels médusés.

On se souvient tous à peu près du récit biblique du Déluge, dans la Genèse. Quelques générations après la Création, remarquant que ça forniquait en tous sens entre frères et sœurs, même les animaux, et que ça n'hésitait pas à se trucider pour piquer la femme du voisin, Dieu un peu dégoûté décidait de tout effacer pour recommencer à zéro. Suivait le récit de la manière astucieuse imaginée pour que Noé, sa famille et un tas d'animaux en vrac s'en sortent, au moyen d'un gros tanker bricolé in extremis.
On ne sait pas très clairement pourquoi Dieu épargna alors Noé et les siens, mais en pure logique il fallait bien qu'il restât des témoins pour qu'il y eût une suite à raconter.

Et bien ce jour mémorable du 3 décembre 1872 au British Museum, les auditeurs de George Smith reconnurent précisément ce récit qu'ils connaissaient déjà, mais transposé dans un monde païen, un monde qui précédait la Bible d'au moins mille ans. Tout y était, l'avertissement, la construction de l'arche, le déluge, le sacrifice, jusqu'au oiseaux identiques. L'élu ne s'appelait pas Noé mais Utnapishtim.
Imaginez le montant colossal de droits d'auteur si les inventeurs de la mythologie mésopotamienne se mettaient à réclamer leur pourcentage sur les ventes de Bibles, dont 2,5 milliards d'exemplaires circulaient en 1992, d'après le regretté Quid (encyclopédie des vanités du monde, disparue en 2006). 500 millions de plus que les inénarrables pensées et poèmes du président Mao.

« Homme de Shurruppak, fils d’Ubara-Tutu, démolis la maison, construis un bateau, laisse les richesses, cherche la vie sauve, renonce aux possessions, sauve les vivants, fais monter à l’intérieur un rejeton de tout être vivant. Quant au bateau que tu construiras, celui-là, que ses dimensions correspondent entre elles, égales en seront la largeur et la longueur, couvre-le comme est couvert l’Abîme. » [...]

Le dieu Erra-gal arrache les vannes, le dieu Ninurta arrive et fait déborder les barrages, les dieux Anunnaki brandissent les torches, de leur éclat divin, ils embrasent la terre. Le lourd silence du dieu Adad advient dans le ciel et change en ténèbres tout ce qui était clair. Les assises de la terre se brisent comme un vase. Un jour entier, l’ouragan se déchaîne, impétueux, il se déchaîne et le Déluge déferle. Sa violence survient sur les gens comme un cataclysme. [...]

L’hirondelle s’en alla, s’élança, mais aucun perchoir ne lui apparaissant, elle fit demi-tour. Je fis sortir le corbeau et le laissai aller. Le corbeau s’en alla, et, voyant les eaux s’écouler, il se mit à manger, voltigea, fienta et ne fit pas demi-tour.
Traduction R.J. Tournay et Aaron Shaffer, éditions du Cerf, 2007

Pour conclure, tout lecteur perspicace et bien informé aura relevé l’absolue inutilité de cette grande purge que fut le Déluge, comme des fléaux qui suivirent, la tour de Babel, la destruction de Sodome et Gomorrhe, les dix plaies d'Égypte. Car depuis, fornication, exterminations, corruption ont refleuri de plus belle, au point qu'on peut légitimement se demander si toute cette histoire ne souffre pas d'un petit problème de conception.


Tablette d'argile n.11 de l'épopée de Gilgamesh conservée au British Museum de Londres, copie Ninivite en écriture cunéiforme de la description du Déluge.


samedi 11 août 2012

Les valeurs orthopédiques

Axiome 1 : l'article L.141-5 du code du sport interdit (sauf autorisation expresse) d'utiliser l'adjectif dérivé du nom de la ville d'Olympie qui sert à désigner des jeux organisés tous les quatre ans. On le remplacera donc dans cette chronique par l'adjectif « orthopédique » qui en est relativement proche au moins sur le plan de la prononciation. Ceci nous évitera le paiement d'une lourde rémunération au Comité National ou International Orthopédique.

Axiome 2 : l'article L.141-5 du code du sport interdit d'utiliser, sans autorisation largement rétribuée, le symbole orthopédique constitué de 5 anneaux multicolores enchevêtrés, ou toute variation graphique qui l'évoquerait. Alors qu'il est censé être dans le domaine public depuis 2007 en France (puisque créé en 1913 par P. de Coubertin mort en 1937).

En temps normal, le Comité International Orthopédique est essentiellement occupé à régler ses problèmes internes de corruption et à désigner la prochaine ville qui aura la chance de s'endetter sur les 40 ans à venir en échange de l'hébergement éphémère des prochains Jeux Orthopédiques. Il surveille néanmoins le respect de son privilège, l'utilisation commerciale de cet inépuisable patrimoine constitué d'un drapeau et de trois mots du dictionnaire.

Mais lorsque l'échéance des Jeux Orthopédiques approche, quand l'Homme choisit de s'oublier dans l'admiration patriotique des dieux du stade et demande à la crise de repasser dans trois semaines, c'est l’explosion printanière, l'argent jaillit de mille sources et irrigue la planète, les médias bourgeonnent, c'est le grand cirque de l'amnésie, la gabegie universelle.

Dès lors comment gérer cette abondance publicitaire avec comme seuls moyens quelques petites routines d'administrateurs cooptés ? On en confie le gardiennage au pays organisateur des Jeux, qui peut le faire en usant de pouvoirs de police, ce qui est bien pratique. Par exemple cette année, à Londres, six immeubles privés ont été truffés de lance-missiles, et les habitants, des gens modestes, ont été prévenus peu avant les Jeux, qu'ils avaient la chance d'être choisis pour le système de défense des Jeux Orthopédiques.

Mais cette fois, pour partager les dépenses, le pays organisateur réputé défenseur des droits de l'individu et des libertés civiles, s'est en partie déchargé au profit du Comité Orthopédique en lui confiant, par une loi de 2006, l'Orthopedic Game Act, certains pouvoirs publics : police du langage (certaines associations de mots étant payantes), censure, dénonciation, procédures d'exception.
Le descriptif sur SILex, le blog de Calimaq, des contrôles effectués sur les lieux des Jeux par les escouades des agents du Comité Orthopédique chargés de contrôler et sanctionner le mépris des interdictions est édifiant : pas le droit d'ingurgiter d'autres frites et sodas que ceux des sponsors, d'utiliser sous toutes formes les symboles orthopédiques, de porter des tee-shirts vantant la concurrence, d'utiliser les mots interdits, de transmettre une image des jeux sur les réseaux sociaux...
Toutes ces privations de liberté au seul bénéfice d'entreprises commerciales influentes n'étonneront pas outre mesure l'habitué de Ce Glob est Plat. Elles ont le goût du déjà-vu. C'est la même cupidité qui interdit au visiteur d'un musée ou d'un site remarquable d'enregistrer un souvenir, même flou et mal cadré, de son passage.

Finalement l'idéal orthopédique de paix et d'égalité entre les êtres humains est atteint. Tout le monde porte le même tee-shirt, orné d'un unique symbole, et pour le reste, tout est payant.

Dans quelques jours, les lieux seront abandonnés au vent et à la pluie londonienne, les rats et les cafards grignoteront les derniers papiers gras, et le souvenir des Jeux ne sera plus entretenu dans le cœur des Londoniens que par la dette colossale qu'il faudra lentement rembourser et les édifices pharaoniques qu'il s'agira d'user de temps en temps.

Et subsistera l'article L.141-5. Comme les valeurs orthopédiques, il est éternel.


dimanche 2 janvier 2011

Ga.. Bu.. bip.. bip.. Zo.. Meu...

Le métier de chercheur est généralement ingrat. Et plus encore pour les chercheurs d'intelligences extra-terrestres. Ils sont la risée de leurs camarades scientifiques et font l'objet de blessants quolibets, comme par ce sénateur américain, lors d'un vote pour reconduire le budget du projet SETI de détection de signaux artificiels, qui se serait exclamé « Avant de chercher des intelligences extra-terrestres, essayons déjà d'en trouver dans notre assemblée ! ».

On les moque comme on le ferait de croyants adeptes d'une quelconque religion monothéiste, alors qu'ils ont pour eux la faveur des probabilités. En effet si les dieux ont toutes les chances de n'être que les lubies de personnalités psychotiques (les preuves sérieuses de leur existence étant actuellement égales à zéro), les statistiques les plus pessimistes admettent qu'il existe au moins un exemplaire d'organisation de la matière ayant conduit à des êtres évolués. La preuve se trouverait actuellement sur la Terre. L'idée ne relève donc plus de la croyance. Il est vrai qu'à la vitesse où les civilisations modernes se détruisent sur Terre, la seule preuve irréfutable risque de devenir bientôt très discutable.

Et bien ces chercheurs qu'on a si longtemps plaisantés pourront désormais marcher tête haute et le regard droit, car des signaux d'intelligence extra-terrestre auraient été captés. C'est du moins le gros titre du numéro de janvier (le 488ème) de la revue « Ciel & Espace ». Il s'agit bien sûr de la revue éditée par l'AFA, l'irréprochable Association Française d'Astronomie reconnue d'utilité publique, et pas de n'importe quelle publication de vulgarisation scientifique dont les gros titres toujours alléchants nous font croire que les virus du sida, de la faim dans le monde ou des années bissextiles ont été vaincus.

On pensait donc que tous les programmes d'écoute du cosmos qui se sont succédés depuis 50 ans étaient restés infructueux, conformément aux principes Rouxeliens de la logique Shadok « C'est en essayant continuellement qu'on finit par réussir, ou en d'autres termes, plus ça rate, et plus ça a de chances que ça marche ». Balivernes, car « Des signaux extraterrestres auraient été captés ». Et c'est le créateur de ces programmes, Francis Drake, spécialiste reconnu, auteur de la célèbre équation d'estimation du nombre de civilisations extra-terrestres dans la galaxie, qui le déclarerait dans un entretien exclusif.
Certes le public avale couramment des informations plus incroyables encore, ne serait-ce que les truismes des horoscopes ou les promesses des politiciens, mais si la déclaration de Francis Drake est confirmée et prouvée, la chose est d'importance et méritait bien un gros titre.
Imaginez l'enrichissement des discussions de palier. Figurez-vous la régénération des conversations de comptoir.

Alors, Francis Drake a-t-il réellement identifié des signaux extra-terrestres ?
Bien entendu, nous ne dévoilerons pas ici le contenu de l'article, afin de ne pas porter préjudice à une revue immémoriale qui, rappelons-le, contrairement à Ce Glob est Plat, existait déjà au millénaire précédent.

Ci-dessus, le message extra-terrestre capté par Francis Drake grâce à l'immense radiotélescope d'Arecibo. Malgré la puissance des super-calculateurs utilisés pour le déchiffrer et tournant sous Windows 98, son sens n'est pas encore élucidé, mais le rythme si particulier de ses symboles exclurait, d'après les philologues, toute intervention du hasard ou de la nature.

samedi 4 septembre 2010

La sclérose des plaques

Les adeptes de Pythagore, vieux routiers de la numérologie, n'en croyaient pas leurs yeux lorsqu'ils ont vu circuler, au printemps 2009, les premières plaques d'immatriculation françaises au nouveau format, copie exacte du système italien.
Car la nouvelle numérotation débutait à la lettre A. Et ce qui peut sembler logique pour le mortel de base ne l'est pas toujours pour un numérologue avisé (1). En effet, les plaques italiennes (semblables donc aux françaises) ayant déjà épuisé toutes les combinaisons jusqu'à la lettre C, il était évident qu'allaient donc circuler en Europe des voitures aux numéros identiques, alors qu'un des objectifs déclarés du nouveau système est de «répertorier les véhicules volés au niveau européen».
Mais nos numérologues pensaient - leur candeur est touchante - qu'un système qui se dit «européen» avait prévu une méthode pour distinguer les inévitables «homonymes» (2), puisqu'un autre objectif majeur du système est de «lutter contre la délinquance automobile en améliorant l'efficacité des contrôles des forces de l'ordre...»

Et bien les premières erreurs policières où des véhicules et leurs conducteurs, victimes de cette homonymie, ont été arrêtés par les forces de l'ordre, viennent démentir l'optimisme des numérologues. La preuve est faite : dans la base d'information de la délinquance européenne, les numéros de voitures volées italiennes et françaises sont identiques (3).

Afin d'aider les services de police, voici un petit truc simple pour différencier une immatriculation. Le nombre 000 n'ayant pas été jugé valide pour l'administration française, toute voiture dont le bloc central est 000 sera donc nécessairement italienne. Ou peut-être slovaque. En tous cas elle ne sera pas française, ce qui est déjà un grand pas vers l'identification d'un véhicule.


Alors un jour sur la route, si vous êtes arrêtés sans ménagement par un barrage de police sûr de son droit et surarmé, ne manifestez pas votre terreur, levez calmement les mains en l'air. Avec un peu de chance, il s'agira d'une petite erreur due à cette imprévoyance bien humaine dans la grande harmonisation européenne.

Cette amusante anecdote rappelle l'histoire fameuse de la sonde américaine «Mars Climate Orbiter» dont personne ne prévoyait qu'elle s'écraserait sur le sol martien avant même d'avoir commencé sa mission, en septembre 1999. L'enquête démontra que des éléments de navigation chargés du calcul des poussées, fournis par Loockeed, s'exprimaient en livres anglo-saxonnes, alors que la NASA, depuis longtemps convertie au système métrique international, espérait ces valeurs en newtons. C'est bête (4).
Mais c'est l'éternelle malédiction de la tour de Babel. L'humain, ce gros orgueilleux, croit pouvoir contrôler la circulation routière en Europe et comprendre la météorologie sur Mars. Or le Bon Dieu, qui est jaloux de tant de pouvoir, fait échouer ces projets grandioses en inventant de sournoises différences de langage entre les hommes.





À la nouvelle numérotation ont été joints de discrets aménagements du Code de la Route. En cas de vol de voiture notamment, des peines exemplaires seront appliquées (Photo : San Gimignano, musée de la torture et de la peine de mort).



***
1. Pour désamorcer toute critique qui prétendrait abusive la classification de cette chronique dans la catégorie «numérologie», au prétexte qu'une lettre n'est pas un chiffre, nous rappellerons qu'en numérologie les mots n'ont pas le sens trivial que leur attribue le langage courant, et qu'un alphabet n'est qu'un système de numération comme un autre où chaque lettre possède la valeur de sa position dans l'alphabet et dans le mot. Dans le cas de la numérologie minéralogique, l'alphabet, légèrement mutilé, comporte 23 lettres (les voyelles I, O et U étant administrativement exclues pour éviter certaines confusions ou plaisanteries, ainsi que l'association de deux S ou deux W).
2. Le code des lettres signifiant le pays, minuscules en blanc sur fond bleu, à gauche, est illisible pour les systèmes d'identification automatisés (radars).
3. On remarque, sur le site officiel SIV, une phrase ajoutée en fin de page, qui précise «La présence de tirets entre les blocs de chiffres et les blocs de lettres permettra de distinguer les plaques françaises des plaques italiennes». Signalons tout de même que les plaques italiennes affichent parfois des tirets, et que la Slovaquie a choisi le même système de numérotation avec, nuance délicate, un tiret (ou un logo) entre les deux premiers blocs. Tout ceci est bien complexe et un peu oiseux puisque ces petits caractères ne sont de toutes façons pas lus par les radars. (Informations vérifiables dans le foisonnant site de l'association Francoplaque)
4. Lisez l'histoire passionnante, voire touchante, qu'en fait Philippe Labrot sur son site consacré à la planète Mars, monumental, fascinant et si bien écrit.