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mercredi 21 mai 2025

Pauvres Danois

Jørgen Sonne, la veille du Solstice d’été (148cm) Ribe Kunstmuseum

Le peuple danois fête la saint-Jean, le solstice d’été, vers 1860. Insouciant, il ne sait pas encore ce qui le menace.


On a souvent parlé du bonheur du peuple danois et de l’Âge d’or de sa peinture.

Hélas les choses ne s’arrangent guère, comme partout sur la planète. Les Danois sont entourés sans issue par la Mer du Nord et la Baltique, la plus empoisonnée des régions maritimes du globe (ne lisez pas empoissonnée), et avec l’accélération de la montée du niveau des mers, leurs terres émergées qui s’élèvent - si l’on peut dire - aujourd'hui en moyenne à 30 mètres, ne tarderont pas à sérieusement rétrécir.

Tout cela risque de gâter leur félicité. Les œuvres des peintres de l’Âge d’or suffiront-elles à leur consolation ? 


C’est alors que vient s’incruster dans cette histoire déjà navrante Aspergillus restrictus, un organisme minuscule, un vilain champignon, osons le mot, une moisissure. Elle manifeste depuis quelques mois une affection exclusive pour le patrimoine culturel, précise dans le Guardian la responsable de la conservation dans les musées danois, et semble particulièrement attirée par les peintures de l’Âge d’or. En réalité, elle se reproduit dans les atmosphères sèches, or les collections les mieux protégées des méfaits de l’humidité sont fatalement celles qui font la fierté du Danemark. L’envahisseuse a été jusqu’à présent repérée dans 12 musées danois, dont les plus importants, le Musée National de l'art du Danemark (SMK) et le Musée de Skagen.


La chose se manifeste par des taches de mousse blanche à l’aspect duveteux. Le champignon n’endommage pas que les matériaux sur lesquels il se pose, il peut être dangereux pour l’être humain, si les spores sont inhalées. On ne s’en débarrasserait qu’à partir d’un certain degré d’humidité, qu’on ne connait pas encore, et dont on ne sait pas s’il serait viable dans un musée.  


La conservatrice pense que l'attaque est planétaire et qu’avec des méthodes de détection adéquates on le constaterait partout. Le très récent épisode fongique entrainant la fermeture complète du musée des beaux-arts de Brest en France, pour au moins 5 ans, semble lui donner raison. Le champignon breton (décrit dans cette vidéo 1’40" de FR3 Bretagne) ressemble beaucoup à l’assaillant danois mais là, à l’inverse, c’est l’augmentation de la pluviométrie et du degré d’humidité qui est supposée responsable. Il y a pourtant fort à parier qu'il s'agit de la même bestiole*.

Attendons que la science, qui commence seulement à l’étudier, donne son point de vue. Pour l’instant on ferme les salles contaminées, on isole les objets atteints, par milliers, et on suspecte l’emballement climatique.


Le sale virus planétaire qui en 2020, rappelez-vous, n’aimait pas la peinture danoise, la considérait comme une activité "non essentielle", au point de tout faire pour que la plus belle exposition parisienne depuis des années ne soit vue que par quelques milliers de privilégiés masqués, cette petite bestiole* immonde, aura donc transmis son aversion à un organisme parasite, une autre bestiole* profiteuse, nettement plus grosse, qui s’en prend aussi à la culture, en commençant par ruiner, comme par hasard, le meilleur de la peinture danoise, propageant ses sinistres méfaits à travers l’air des musées qu’elle infecte, en apôtre du virus. 


* Ne protestez pas, toute personne informée sait que ni les virus ni les champignons ne sont actuellement classés dans le règne animal, mais si la question flotte encore dans certains esprits moins avertis, c’est bien que les conséquences de leur mode de reproduction paraissent intentionnelles, en étant nuisibles aussi bien à l’être humain qu’à la peinture danoise, et peut-être même à la peinture bretonne.


vendredi 11 août 2023

De la conservation des fruits dans l’art

C’est un phénomène inattendu, mais dans l’art les fruits se conservent d’autant mieux que l’œuvre est plus ancienne. La banane de 2019 de Cattelan doit être renouvelée toutes les semaines d’exposition. Les fruits de Caravage (détail ci-dessus) exposés à la pinacothèque Ambrosienne de Milan n’ont jamais été remplacés depuis plus de 400 ans.

"Art" est un de ces mots bien pratiques qui n’ont aucun sens précis, comme "beau", et qui permettent aux humains de croire qu’ils se comprennent, chacun en ayant une définition personnelle. En fait l’art n’existe pas vraiment, ou alors disons, pour être constructif, qu’on trouve peut-être de l’art quand plusieurs personnes croient détecter une idée, une intention, dans l’activité d’une ou plusieurs autres, et qu’elles se mettent à pérorer sur cette idée.

Maurizio Cattelan, artiste italien, produit au moins une idée tous les matins, quand il s'ennuie sur ses toilettes. Pour montrer ses idées à ses admirateurs, et en vivre, il les matérialise en les faisant fabriquer, par des artisans compétents, par exemple Daniel Druet, réalisateur de nombreux "autoportraits" sculptés de Cattelan et d’autres personnalités, comme le Pape ou Hitler. Druet a d’ailleurs été débouté par la justice après avoir réclamé, assez maladroitement, la reconnaissance de son rôle majeur dans la création des œuvres de Cattelan (parce que l’art est dans les palabres sur les idées, pas dans la chose qui en résulte, on l’a dit plus haut, il faut suivre ! Et que ceux qui se demandent comment on peut trouver une intention en l’absence d'un résultat qui la concrétise n’ont qu’à s’adresser à la justice).

Cattelan produit aussi parfois des idées qui ne demandent pas de compétence particulière, mais qu’il ne réalise pas non plus. Ainsi, en décembre 2019, la foire d’art contemporain "Art Basel Miami Beach" exposait son œuvre appelée "Comedian", une banane scotchée sur un mur à 1,75 mètre du sol au moyen d’un ruban adhésif gris. 

Encore une fois, ne vous méprenez pas, l’œuvre d’art n’est pas la banane mais dans les 14 pages d’instructions illustrées détaillant la méthode pour la fixer et l’exposer, ce qui est très futé. La banane peut bien se dégrader, la procédure prévoit son remplacement hebdomadaire. La banane peut bien être furtivement consommée par un autre artiste à idées en mal de publicité qui passe par là, comme c’est arrivé à Miami ou Hong Kong, car dès le lendemain, si les commerces sont ouverts, une banane neuve reprend la même place, prête à être achetée 120 000$, contre un reçu pompeusement nommé "Certificat d’authenticité". 

Le galeriste de Cattelan aurait vendu trois "Comedian" durant la semaine de la foire, et offert une au musée Guggenheim de New York. La conservatrice en chef du musée en était toute bouleversée. Elle le dit dans un article du New York Times (voir également Artdaily), où s’enthousiasment aussi deux autres heureux propriétaires. 
Le Guggenheim n’a toujours pas exposé la banane, ni intégré cette acquisition majeure sur son site.
La propriétaire d’un exemplaire, qui attend toujours le mode d’emploi, déclare sereinement qu’il n’y a aucune urgence à l’exposer puisque c’est un concept, une idée qui survivra quoi qu'il arrive ; elle peut toujours exposer son reçu.

En réalité personne n’a exposé l'œuvre parce que c’est une idée empoisonnée, et c’est peut-être là la bonne plaisanterie de Cattelan, copiée - et même franchement décalquée - sur des collègues moins célèbres qui ont exposé bien avant lui des sculptures en matériaux périssables, savon, chocolat, couscous, lasagnes, fenouil (l’article du Times en évoque les questions de conservation muséale).
Non seulement les acquéreurs se moquent stupidement d’eux-mêmes en affirmant avoir acheté la banane comme "un symbole ironique de cette société absurde où une banane peut être vendue comme de l’Art", mais par surcroit ils ne peuvent pas matériellement l’exposer, il faudrait la renouveler perpétuellement.
D’ailleurs un des acquéreurs, réalisant un peu tard le piège où il s'est englué, prévoit dignement d’en faire don à une grande institution (moyennant donc déduction fiscale).

Quant à la conservatrice du Guggenheim, toujours ravie, elle représente les bénéfices d'une telle conception de l’art, un art qu’on n’a plus à conserver ruineusement dans des conditions contrôlées, un art ludique qu’on recrée d’après un mode d’emploi (voire au jugé quand la procédure n’existe pas), un art qui peut être dérobé, ingurgité, détruit sans inquiétude ni prime d’assurance exorbitante, enfin un art qu’on peut se procurer au dernier moment chez l’épicier du coin.