vendredi 18 décembre 2020

Améliorons les chefs-d'œuvre (18)

 
Bien avant que la longue péninsule de sable de 25 kilomètres, à l’extrême nord du Jutland, où se rencontrent la mer du Nord et la mer Baltique (les vagues y sont perpendiculaires, racontent les voyagistes), ne devienne l’endroit à la mode où les peintres danois et la société bourgeoise - jusqu’au monarque - iront prendre l’air des beaux jours de la fin du 19ème siècle et se faire construire des résidences d’été, le coin était depuis mille ans renommé pour ses tempêtes et ses naufrages.

Tout y est instable. Le vent emporte irrémédiablement les dunes vers le nord-est (de 18 mètres par an dit-on), et  on a vu un jour disparaitre dans la nuit, emportée dans les eaux par l’effondrement d’une dune, la moitié d’une bourgade pourtant convenablement administrée. Et comme les courants marins déplacent aussi les fonds sablonneux et les dunes sous-marines alentour, il était fréquent de voir apparaitre des cadavres de naufragés déposés par la marée. C’était le bout du monde, les cimetières étaient rares, alors on les enterrait dans les dunes, parfois surnommées pour cela « collines des hommes morts » (Dødemandsbjerget).

Le premier peintre à esquisser quelques vues de la région aurait été Rørbye, venu visiter de la famille en 1833. Plus tard, le jeune paysagiste Vilhelm Kyhn y fut plus assidu, entre 1845 et 1850, 25 ans avant les premiers peintres de la célèbre et mondaine école de Skagen, le village le plus septentrional de la péninsule.

En 2017, la collection Hirschsprung, 2ème grand musée de Copenhague, dédié à la peinture danoise du 19ème siècle, faisait l’acquisition d’une vue des dunes de Skagen signée « Kyhn 1845 ». Le paysage était assez ordinaire, et endommagé.
Début 2020, dès les premières phases de la restauration du tableau, madame L., conservatrice, y découvrait une histoire funèbre. 
 
En réflectographie infrarouge (une sorte de radiographie) elle constatait que la dune à deux cimes du premier plan recouvrait, sous de sournoises retouches de peinture, un sommet unique et plus élevé, et qu’à sa base une large tâche de couleur sable masquait deux silhouettes, une femme, qui semblait lire un livre, et un enfant jouant dans le sable.    
Armée des diluants adéquats et d’une curiosité plus que scientifique elle découvrait peu à peu sous les repeints une scène macabre, dont elle reconstitue l’histoire sur le site du musée, en danois sous-titré en anglais, dans une vidéo de 5 minutes, mise en scène à la manière des « reportages » fabriqués du National Geographic, mais avec une retenue toute protestante (notez, à 2’17, le gros plan inopiné sur ses délicieuses chaussures corail à talon plat).

AltEn réalité, l’enfant dans le sable est un homme debout dans une tombe qu’il creuse. À sa gauche, la femme avec un livre (madame L. imagine que c’était une Bible) aurait été effacée par Kyhn en cours de réalisation. Étendu dans le sable devant eux, un cadavre de naufragé n’est apparu qu’à l’enlèvement de la peinture qui le recouvrait alors qu’il n’était pas visible en infrarouge. Madame L. n’explique pas cette énigme physicochimique.  

Quant au mystère de l’effacement de la scène et de la transformation de la dune, une collègue de madame L. a retrouvé dans l’historique du tableau qu’il avait appartenu en 1919 à un monsieur Schou, marchand d’art peu scrupuleux et un peu faussaire, qui n’aurait pas hésité à effacer un enterrement lugubre dans un paysage de dunes devenu très en vogue, et signé par un peintre de renom mort quelques années plus tôt.

Le tableau est maintenant exposé « tel que Kyhn l’a peint », déclare madame L. Elle ne précise pas le titre attribué au tableau pour sa présentation au public. Certainement plus « Dunes à Skagen », mais peut-être « la colline de l’homme mort ».

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