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dimanche 21 février 2010

La vie des cimetières (27)

Inachevée, par endroits contradictoire, difficile à dater, écrite par un autre d'après certains, réécrite parfois pour la rendre plus cohérente, «La vie de Timon d'Athènes» est un pièce très sombre de (peut-être) William Shakespeare. Le personnage, généreux, probablement par intérêt comme dans toute charité, puis désespéré de l'ingratitude des bénéficiaires, s'exile définitivement et maudit l'humanité.

Le texte foisonne de splendides imprécations misanthropiques, et finit par cette épitaphe sur le tombeau de Timon :
«Ci-gît un corps malheureux, séparé d'une âme malheureuse. Ne cherchez pas à savoir mon nom... Que la peste vous dévore tous, misérables humains qui restez après moi!»

La sculpture est de Floriano Bodini (1933-2005) dont on trouve plusieurs œuvres dispersées ici dans le cimetière monumental de Milan.

dimanche 13 septembre 2009

Au bonheur des misanthropes

Les plus anciens se souviennent peut-être de leurs premières apparitions. On les croisait dans la rue. Ils avançaient comme des fantômes shakespeariens, fixaient le vide, proféraient des paroles incompréhensibles vers des interlocuteurs invisibles, en conciliabule avec le néant. On a d'abord imaginé que les asiles d'aliénés avaient décidé de libérer les malades les plus inoffensifs. On détournait alors pudiquement le regard. Très vite, la maladie s'est propagée dans notre entourage, et il n'est pas rare, maintenant, dans une conversation banale, de voir notre interlocuteur changer soudainement d'attitude et commencer à parler d'un autre sujet dans un dialogue avec un absent, ou sortir de sa poche un téléphone vibrant, s'excusant et prétextant une éventuelle urgence. Ça refroidit le dialogue.
Nous étions les spectateurs désarmés d'une mutation de l'espèce humaine. Comme il s'était mis, il y a quelques millions d'années, à la bipédie et à la parole, l'être humain évoluait vers un nouvel état où il n'est plus totalement à l'emplacement où on le perçoit et vit à distance de son propre corps.




Et nous sommes peut-être aujourd'hui, avec la nouvelle grippe, à l'aube d'une mutation comparable où seuls survivront ceux qui méprisent le collègue de bureau et le voisin de palier, ceux qui refusent le rituel quotidien de la double bise machinale ou du serrement de main flasque et confraternel. Ceux qui fuient les foules et les rassemblements, et ne fréquentent les grands magasins et les cinémas qu'à l'heure des finales sportives ou des élections décisives, quand les rues sont désertes. Ceux qui espèrent toujours qu'un orage violent viendra disperser le brouhaha dissonant de la brocante ou du marché voisins. En bref, les vrais misanthropes, les déçus de la relation sociale.
Certains, dit-on, souhaiteraient que l'épidémie devienne pandémie, voire hécatombe. Mais sur ce point les médecins sont rassurants.

Alors pour adoucir la déception des plus insociables, voici quelques vues de Roghudi Vecchio, village de Calabre totalement déserté depuis 1973, après des inondations dévastatrices en 1971. Le fleuve même est faux, c'est en permanence un lit de caillasses. Les villages abandonnés par les hommes sont nombreux dans cette région, abandonnée par l'Italie.