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lundi 3 février 2025

Ce monde est disparu (17)

Pinel de Grandchamp, Orientale au chasse-mouche, huile sur toile 92x74cm. 
(52 000€ hors frais le 22.01.2025 chez De Baecque)
 

Louis Émile Pinel de Grandchamp, aspirant à être artiste, placé comme secrétaire à 30 ans auprès d’un haut fonctionnaire de l’empire ottoman - on ne sait par quelle mondanité - fera entre 1850 et 1865, sans génie mais avec un certain succès, le portrait peint des sultans, vice-rois, beys, personnalités et monuments des grandes cours orientales, de Constantinople au Caire en passant par Tunis. 

De retour en France il épuisera le reste de sa notoriété jusqu’en 1894 à remâcher ses souvenirs et les enjoliver dans le style plat et commun de la plupart de ces peintres qui ont séjourné en Orient encouragés par l’Empire et l’attrait de l’exotisme, et qu’on qualifie d'orientalistes. 


Parfois, rarement, se présente sur le marché de l’art quelque tableau que Pinel a manifestement soigné plus particulièrement que sa production courante.

C’était le cas chez De Baecque, le 22 janvier dernier, de ce portrait grandeur nature de femme orientale au chasse-mouche, aux lignes délicates et à l’éclairage raffiné, disparu contre 6 fois l’estimation moyenne, environ 70 000$ mérités, frais compris (notre illustration). 


C’était le joyau du contenu (par ailleurs médiocre) d’un appartement de l’avenue Foch, déclarait la maison de vente pour tenter de faire mousser l’ensemble (30% des lots restèrent invendus). 

Le portrait faisait l’affiche du catalogue. Son titre, "Odalisque à l’éventail", au relents d’esclavage et de harem, ne peux pas être dû au peintre, qui savait distinguer un éventail d’un chasse-mouche.

 

Et l’histoire n’aurait pas grand intérêt s’il ne rôdait autour de ce tableau un double fantomatique. 


Le 29 janvier 2021 était passé en vente publique, sous le même nom dOdalisque à l’éventail, un portrait de femme orientale au chasse-mouche signé Pinel de Grandchamp, petit tableau de 35,5 par 27 centimètres, avenant mais au style assez banal et sans relief.

Il réapparaissait fin 2024 (ou peut-être avant), rebaptisé "La Belle Orientale" sur le site de la galerie Segoura Fine Art, antiquaire reconnu du marché Biron, aux puces de Saint-Ouen. 

À ce moment était annoncée la vente du 22 janvier chez De Baecque, où on découvrait donc l’autre odalisque à l’éventail, sans doute inconnue auparavant, copie presque conforme de la belle orientale, mais incomparable dans ses dimensions, ses qualités et son réalisme (le visage, la main gauche, la cassette, les ombres). 

Quel tableau a été le modèle de l’autre ?

Le petit, la belle orientale, est sans doute une étude préparatoire, reportée ensuite sur le grand par mise au carreau. Ce dernier mesure 92 par 74 centimètres, 7 fois la surface du petit, mais leurs proportions coïncident exactement (voir l’image animée ci-contre). Le soin plus ou moins consacré aux détails vient de la différence de dimensions. 

Mais le petit pourrait aussi n’être qu’une copie, éventuellement par une autre main. 
Une étude physique approfondie des deux tableaux (avec radiographie) déciderait de leur chronologie. 
 

La Belle Orientale est toujours en vente, "en stock" sur le site de l’antiquaire. Elle a certainement été fort revalorisée par l’envolée des enchères sur sa belle parente, l’Odalisque à l’éventail.

Mise à jour 3 juin 2025 : "L'odalisque à l'éventail", le grand format vendu le 22.01.2025 chez De Baecque, est aujourd'hui sur le marché de l'art, chez Ary Jan sous le nom de "Beauté orientale au sineklik", dont le prix est bien entendu discret. Sineklik signifie en turc "tapette" ou "moustiquaire". 

vendredi 24 mars 2023

Tableaux singuliers (18)

Mongin Antoine Pierre, Le curieux, 1823 (Cleveland Museum of art)
 
Déambulant récemment dans les réserves des collections du Musée d'art de Cleveland, peut-être avez-vous découvert ce singulier tableau de Mongin (Antoine Pierre).

Mongin était peintre en France à la fin du 18ème siècle et au début du suivant. Il aimait comme son collègue Hubert Robert les pierres et les statues que la mode gréco-romaine avait sorties du placard et que le romantisme naissant cherchait à dissimuler sous la végétation. Il y ajoutait des nymphes dénudées, des soldats de Napoléon, beaucoup d’arbres, et peu de talent.
On connait peu de peintures à l’huile de sa main, mais des gouaches, des lithographies et des cartons de papier peint. Il fallait vivre.

"Le curieux", exposé au Salon de l’Académie de Paris en 1824 comme une "étude d’après nature", donné en 1977 au musée de Cleveland qui ne l’expose pas, représente la vue de toits (à Paris) et d’un homme en haut d’une échelle posée contre le mur d’une institution de jeunes demoiselles. Nonobstant le titre du tableau, la position dynamique de sa jambe droite semble indiquer que l'homme n’est pas un simple voyeur et qu’il pourrait bien franchir le mur. 

Fin 2020, une donation également faisait entrer dans la collection de la fondation Custodia une vue des toits de Paris près du Louvre par Mongin, semblable au tableau de Cleveland mais sans le curieux et son échelle, et que le site de la fondation qualifie d’esquisse. 
Esquisse ? En tout cas les deux sont des huiles sur papier collées sur toile, de mêmes dimensions, et l’effet de contrejour sur l’esquisse est plus subtil que l’éclairage direct assez plat de l'autre.  
Ces esquisses ou études, parfois très abouties comme ici, étaient faites sur place, devant le motif, puis servaient de modèle pour des tableaux plus ambitieux réalisés dans le confort de l’atelier. Elles étaient considérées comme des croquis qu'on n'exposait pas dans les salons (il n’y a pas si longtemps que le Louvre expose une série d’études de paysages que Pierre de Valenciennes peignait à la même époque)
Elles se pratiquent beaucoup moins depuis l’invention de la photographie.

Pour attirer l’attention du bourgeois au Salon avec un paysage, il était alors conseillé d’y situer une anecdote avec des personnages, si possible moralisante, ou à la rigueur grivoise. C'est ce que fit Mongin.
On remarque nettement en zoomant sur le personnage (les lignes horizontales sur le pantalon noir), qu’il a été ajouté après coup, avec quelques plantes, sur un mur déjà peint et sec, et on peut aisément en déduire que Mongin avait réalisé deux études (au moins) de ce point de vue à des heures très différentes et qu’il a choisi plus tard celle de Cleveland, y a greffé l’anecdote et amélioré certains détails, pour l’exposer au Salon.

Notre époque a tendance à préférer la vue naturelle, le paysage pur, à le trouver plus artistique, plus essentiel, et à se rire de l’anecdote. Peut-être se trompe-t-elle, en se privant inutilement d’une dimension. Les ruines d’Hubert Robert deviendraient sans doute démonstratives et ennuyeuses si ne s’y affairaient ces nuées de lavandières indifférentes.