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mercredi 10 août 2022

Nouvelles du front

Rappelez-vous, le 15 avril 2019, la cathédrale de Paris, retapée par Viollet-le-Duc au 19ème siècle, pas vraiment gracieuse mais imposant symbole de la France éternelle, Notre-Dame brulait, d’une étincelle profane sans doute, et à un rien de s’effondrer.

Le président français, soutenu par des milliardaires de ses amis alléchés par la vaste opération publicitaire, les marchés à venir, et les exonérations fiscales, promettait alors la réouverture de la cathédrale en 2024, juste à temps pour que l’inauguration à Paris du joyeux et gigantesque gaspillage des Jeux olympiques soit bénie par les représentants du dieu du 4ème arrondissement, aspergée par le goupillon et parfumée par l’encensoir, et afin que le touriste, habituellement deux fois plus nombreux que celui de la Tour Eiffel, revienne y dépenser sa longue épargne.

Mais au vu des fautes et incompétences diverses des gouvernements successifs dans la gestion des épidémies, des hôpitaux, des centrales nucléaires, et de tant d’autres services publics, on imaginait que la conduite des opérations de restauration ressemblerait plutôt au fiasco du réacteur nucléaire à eau pressurisée de Flamanville, et que la liturgie se réduirait à la distribution d’hosties contaminées au plomb sous une tente de la Croix-rouge sur le parvis de Notre-Dame.

Autre chef-d’œuvre du génie humain, la cathédrale de Beauvais, ambitieuse, trop haute, un chœur en voute de 48,5 mètres, qui s’effondrera en 1284, inachevée, estropiée, interrompue par la peste de 1347 et la guerre de 100 ans, une tour-lanterne qui s’écroulera de 153 mètres d'altitude un matin d’avril 1573, puis quelques siècles sous perfusion, et enfin ne survivant depuis les années 1990 qu'enserrée dans une prothèse, une vaste armature de poutres. Des capteurs hypersensibles attendent en temps réel son dernier souffle.

Mais c’était compter sans l’à-propos du président de la République, qui nomma sans attendre, pour piloter l’entreprise, un général à la retraite expert en cathédrales car fervent catholique, ressuscitant ainsi l’alliance, si fructueuse dans le passé, du sabre et du goupillon.
On se souvient que le général avait déjà secoué les amis de l’art gothique en enjoignant à l’architecte en chef des Monuments Historiques de "fermer sa gueule" alors qu’il donnait un avis sur la reconstruction de la flèche de la cathédrale.
C’était une saillie bienveillante, une souriante affirmation de l’autorité pour mobiliser les troupes dans une même direction. D’ailleurs le général d’armée vient d’affirmer la constance de sa détermination et la pondération de son optimisme dans un récent entretien dans le journal Le Figaro

Et ses paroles ont tant de retenue, de sens cachés entre les mots, comme dans une poésie, que les optimistes y voient déjà les présages d’une réussite éclatante et les pessimistes d’une déconfiture assurée.

"2024 est un objectif tendu, rigoureux et compliqué. Mais c’est surtout une ambition au service d’une mobilisation de tous. On se battra pour gagner cette bataille, et pouvoir ouvrir au culte, en 2024. À cette date, Notre-Dame sera complètement nettoyée, au point que les visiteurs auront un choc visuel en entrant."
"Mon travail est de trouver […] des solutions pour s’adapter à l’imprévu. Jusque-là, nous avons toujours trouvé les moyens de nous adapter, d’avancer et d’écouter les clignotants lorsqu’ils passaient à l’orange."

On notera évidemment que ces nouvelles du front n’apportent pas d’information sur l’avancement réel de la bataille, ce qui est normal, c’est la censure de guerre. Le Figaro pourrait être intercepté par l’ennemi, ruinant alors tous les plans du stratège.

Enfin les esthètes auront remarqué le touchant aveu synesthésique du général, quand il déclare entendre les clignotants qui changent de couleur. D’aucuns attribueront ce dérèglement des sens au stress ou au surmenage, mais c’est plus surement un hommage à Arthur Rimbaud, autre grand poète amateur d’armes, quand il écrivait A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu

vendredi 8 avril 2022

Améliorons les chefs-d’œuvre (21)

On oublie trop souvent que le jeune Claude Monet apprit à peindre sur des albums de coloriage que lui préparait Eugène Boudin. Il avait beaucoup de mérite, parce que Boudin ne s’embêtait pas à inscrire sur chaque pièce le numéro de la couleur à appliquer.  Monet se perdait alors dans des nuances très raffinées auxquelles Boudin mit bon ordre en lui interdisant d'utiliser plus de 6 couleurs par tableau. On mesure mal les souffrances qui ont fait les grands génies, et les obstacles qu’ils ont eu à franchir pour atteindre ces sommets, pour avoir un jour un album de coloriage à leur nom.


Dérèglement climatique, épidémies, menaces de conflit mondial et atomique, hystérie générale, l’époque est aux causes planétaires. On en oublierait les scandales français.
Mais M. Rykner veille. La Tribune de l’Art vient de publier un de ses articles accessibles sans abonnement. C’est que la cause lui semble plus grande que le fragile équilibre financier de son site.

Toute personne qui est entrée dans une église catholique sait que sont accrochées, le plus souvent très haut et dans la pénombre, de grandes toiles sombres qu’on devine abimées, lâches, maculées de traces blanches, de reflets douteux, et dont les guides racontent qu’elles dépeignent les épisodes caractéristiques des récits fabuleux qu’enseigne cette religion. Parmi les raisons d’un tel délaissement citons la nationalisation des biens de l’Église et le dépérissement des pratiques religieuses dû à l’amélioration des conditions de la vie quotidienne.

L’histoire, relatée par M. Rykner, révolté, mais aussi par le Figaro, pondéré, et par La Voix de la Haute-Marne et FR3 Grand Est, admiratives, se passe dans l’église du village de Chatonrupt-Sommermont. Pour les fervents de minutie cartographique, c’est entre Toul et Troyes, à peu près.

Là, en haut du clocher, couvertes par près de 50 années de poussière, de moisissures et de fientes, se décomposaient dans leur cadre, disposées comme des livres sur une étagère, 14 toiles peintes d’un Chemin de croix, les 14 stations traditionnelles de la Passion du sauveur des chrétiens, chacune haute d’un mètre.

Comment tout est advenu serait trop long à conter, le lectorat chicaneur se reportera à l’article exhaustif, tempéré, limpide, illustré et d’accès libre de Simon Cherner sur le site du Figaro Culture cité plus haut, et au reportage bariolé de la chaine FR3 (2 minutes 20)
Toujours est-il qu’on se retrouve aujourd’hui avec 11 toiles et demie ressuscitées, pimpantes, bigarrées, rose fuchsia (c’est la couleur de la tunique du Christ) et mauves (c’est la couleur du ciel ténébreux), prêtes à retrouver le chemin des bas-côtés de l’église et le regard émerveillé des derniers fidèles survivants. Le demi-tableau, c’est parce que la Direction régionale des affaires culturelles, réveillée à temps, a sommé le responsable d’arrêter immédiatement, alors qu'il réanimait la 12ème station.

L’artiste responsable de ces restaurations miraculeuses n’est autre que le mari de l’adjointe au maire, anciennement météorologue et libre penseur dans l’armée de l’air, bénévole, passionné de peinture, mais un peu débutant. C’est pourquoi il est resté, par respect, fidèle au dessin des scènes bibliques, comme on suit soigneusement les lignes préimprimées dans un album de coloriage. Pour les couleurs, il s’est approché au plus près des tons originaux, les ravivant évidemment, conscient que les intempéries les avaient éteints, et le choix des teintes s’est fait en fonction des tubes disponibles à la quincaillerie de Joinville.

Depuis, les arguments volent en tout sens.

Pour faire bref, le village défend, solidaire et admiratif, le travail du bénévole, avec enthousiasme mais toutefois un peu penaud des réprimandes à peine voilées du monde de la culture. Pour sa défense, les tableaux, faits à la chaine au 19e siècle par des ateliers locaux (affirmation qui reste à vérifier), ignorés même par un très officiel inventaire du Patrimoine en 2006, appartenaient à la commune qui n’a pas les moyens de financer la moindre opération de restauration et qui les aurait bientôt abandonnés au ramassage des déchets encombrants, ce qu’aucune loi n’interdit.

De son côté, M. Rykner reconnait qu’aucune loi ou procédure n’a été déshonorée dans l’affaire, et que les suspects intervenants n’y ont fait preuve que de bienveillance et de générosité.
Mais on le sent chagrin, peut-être même grognon, à certains termes qui ponctuent discrètement sa chronique, comme barbouillages, technique redoutable, tableaux massacrés, absence de culture artistique historique et juridique, obscurantisme, vandalisme, destruction du patrimoine, couleurs psychédéliques
Il sait que ces pratiques sont régulièrement attestées et craint qu’elles s’attaquent, sans qu’on le sache jamais, à des chefs-d’œuvre méconnus, alors il en appelle au ministre, aux maires de France, à la Nation. Il compte faire changer la loi et éduquer les curés et les maires à la compréhension de ce qu’est une œuvre d’art.

Le brave militaire, restaurateur volontaire, doit s'en morfondre dans son atelier. Il regarde les deux ruines et demie encore à ressusciter. La 12ème station surtout, qui commence à sécher, à moitié renée, à moitié zombie, n’est pas belle à voir. 
Il se demande ce qu’il va faire pour occuper les centaines d’heures de peinture, 200 ou 300, qui devaient encore réjouir ses semaines à venir.
Mais c’est une personne équilibrée et rationnelle, athée probablement, peut-être fataliste. Le printemps revenant, tout en raillant un peu, en pensée, ce monde lointain, toujours assis, qui parle et qui décide, il retournera pêcher dans la Marne, le gardon, l’ablette, éventuellement le sandre. À pied, c’est à peine à 650 mètres de l'église.