Affichage des articles dont le libellé est Moscou. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Moscou. Afficher tous les articles

lundi 5 février 2018

Tableaux singuliers (8)


Dans l’art, indéfiniment, comme dans la vie, l’humain s’ennuie. La Bruyère le disait dès la première phrase de ses Caractères « Tout est dit, et l’on vient trop tard … ».
Alors il ne rêve plus que d’inédit, de jamais vu. Il invente un mouvement artistique chaque matin et le renie le soir-même. Il n’innove pas, puisque tout a déjà été dit, il le croit seulement.

Avant de peindre son célèbre Carré blanc sur fond blanc - en fait un gris pâle sur un blanc cassé un peu jaune - en 1918, Casimir Malevitch s’était exercé en 1915 à réaliser un Carré noir sur fond blanc, notion moins complexe. Il l’avait d’ailleurs antidaté à 1913 parce que les avant-gardismes changeaient décidément trop vite. Il se voulait l’indépassable fondateur de l’art le plus minimal.
En réalité, dans la Galerie Tretiakov, à Moscou, le concept se lézarde de jour en jour et le fond blanc réapparait en centaines de crevasses de la couche noire. Bientôt des éclats de peinture tomberont et il faudra recoller les morceaux.

Tant pis. À ce jeu, c’était loin d’être le premier tableau minimal dans l’histoire de la peinture. Paul Bilhaud, adepte des Arts incohérents, ami d’Alphonse Allais, avait exposé en 1882 à Paris un « Combat de nègres dans un tunnel », ou « Combat de nègres dans une cave, pendant la nuit », tableau totalement noir.

Eh bien, avant toute cette agitation, deux siècles et demi avant Duchamp, Malevitch, Allais et autres Tzara, un certain Cornelius Gysbrechts, spécialiste flamand du trompe-l’œil peint à l’huile, inventait d’un seul geste l’art conceptuel, l’art minimaliste, le constructivisme, le canular et le dadaïsme, en représentant l’envers d'un tableau encadré, comme en abyme. Peint probablement pour le roi du Danemark lors du séjour de Gysbrechts à Copenhague entre 1668 et 1672, on raconte qu’il eut un grand succès.

L’intérêt pour l’envers des tableaux est encore vivace aujourd'hui. En 2016, Vik Muniz, artiste qui reproduit habituellement des tableaux célèbres avec du chocolat fondu, des haricots ou des nouilles en sauce, exposait dans le musée Mauritshuis de La Haye des copies parfaites, en facsimilés, du revers des tableaux les plus illustres de Léonard de Vinci, Rembrandt, Vermeer…


Gysbrechts Cornelius - Envers d’un tableau encadré, c.1670, huile sur toile, 87 x 66 cm (musée national SMK de Copenhague)

vendredi 5 janvier 2007

Grand jeu-concours Verechtchaguine

Verechtchaguine (ou Vereshchagin) ne s'intéressait qu'aux choses grandioses, aux paysages majestueux, aux ruines vraiment monumentales et aux guerres extrêmement sanglantes. Il a suivi et peint les principales campagnes impérialistes de la Russie tsariste jusqu'à la fin du 19ème siècle. Ce qui lui valut un grand succès.
Pourtant ses représentations de la guerre ne sont jamais flatteuses et sont rarement glorieuses.

Pour exemple, l'Apothéose de la guerre, un des rares tableaux connus hors de Russie, exposé l'an dernier au musée d'Orsay. Comme souvent, la reproduction du catalogue officiel de l'exposition est une calamité ; couleurs, contraste... Le réalisateur du catalogue n'a peut-être jamais vu le tableau, il a trouvé son image sur Internet, qui en héberge des farfelues (voir un florilège sur l'illustration ci-dessus - ceux qui avaient parié que c'était une facétie d'Andy Warhol auront perdu).
Si cette chronique avait au moins 4 ou 5 lecteurs, j'aurais lancé un jeu-concours : quelle est dans ce florilège la reproduction la plus proche de l'original?
La photographie étant interdite à l'exposition, j'ai retouché les images disponibles sur la Toile jusqu'à obtenir, de mémoire, ces couleurs vraisemblablement fidèles.

Verechtchaguine était, comme son professeur J.L. Gérôme, "réaliste jusqu'à l'obsession, poétique et finalement abstrait à force de fixité dans la précision" en dit Jacques Foucart en 1976 dans le Larousse des grands peintres.

Ses œuvres sont exposées presque exclusivement au Musée Russe de Saint-Pétersbourg et à la Galerie Trétiakov à Moscou. Autant dire sur la lune. On comprend mieux l'interprétation débridée qui en est faite. Qui ira vérifier ?