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lundi 13 juin 2016

Le commissaire est désappointé

Salle des ventes le 8 juin 2016 à 15h01...

En salle des ventes rue Drouot à Paris, le 8 juin 2016 à 15h01 précisément, un acheteur anonyme et avisé emportait l’adjudication du tableau le plus beau et le plus connu de Luc-Olivier Merson, le Repos pendant la fuite en Égypte, à un prix inférieur à l’estimation basse et dans l'indifférence générale.
Seul le commissaire de la vente, qui venait d’abaisser son marteau, se désolait, d’un « 38 000 euros, c’est pas normal » affligé, sous le regard stupéfait de son assistante (la trace animée et sonore -10Mo- est ici).

Luc-Olivier Merson était illustrateur et peintre d’œuvres mythologiques et moralisatrices, créateur de timbres, de billets de banque et de vitraux, actif et très officiel entre 1875 et 1920 mais touché parfois d’une inspiration inattendue.

Le Repos pendant la fuite en Égypte, toile de 1,30 mètres exposée au Salon des artistes français de 1879 à Paris, a longtemps fasciné public, artistes de toute spécialité, publicitaires et poètes, jusqu’à George Bernard Shaw qui l’imitera dans sa pièce de théâtre « César et Cléopâtre » et écrira en 1918 :

« La scène du sphinx m'a été suggérée par une peinture française sur la fuite en Égypte. Je n'arrive jamais à me souvenir du nom du peintre; mais la gravure que j'ai vue dans une vitrine quand j'étais enfant est restée trente ans dans le grenier de ma mémoire avant que je l'en sorte… »

Aujourd’hui encore le tableau reste l’œuvre emblématique de Merson. En témoignent l’affiche et l’immense banderole de la rétrospective du peintre qui s’est tenue fin 2008 au musée des beaux arts de Rennes ou le très bel article d'Adrien Goetz sur l'exposition.

En 1879 et 1880 devant l’affluence des demandes, Merson en réalisera des répliques. Avec l’original, cinq au moins sont connues (il ne serait pas étonnant qu’il en existe d’autres).


La version du museum of fine arts de Boston datée de 1879 est certainement le modèle initial. Quelques rares étoiles brillent dans un ciel de nuit bleu pétrole, le dormeur au centre se couvre la tête du bras droit.

L’exemplaire de la collection du Hearst castle en Californie, de 1879, est probablement la première variation du thème. Le dessin est strictement identique mais un moment a passé, c’est l’aurore. Le ciel est jaune doré et un pâle croissant de lune brille au dessus du sphinx.

La version du musée des beaux-arts de Nice est une copie exacte de celle de Boston (avec peut-être plus d’étoiles et malgré la couleur bilieuse de l'image infidèle sur le site du musée), mais datée de 1880.

Une version au riche pédigrée décrite comme identique à celle de Nice (photo non disponible), de 1880, a été adjugée chez Sotheby's pour 28 000 euros hors frais le 25 octobre 2006.

Enfin sur l’exemplaire de Drouot, proche de la version de Nice (le ciel est d'un gris plus vert, peut-être dû au jaunissement du vernis), de 1880 également, le dormeur au centre s’est réveillé et, la tête relevée, regarde en direction du sphinx. On trouve parfois cette version, raccourcie et affublée d’une dominante violette ou rose, sur les sites chinois ou bulgares qui vendent des « véritables copies à l’huile peintes à la main ».

Signature et date sur la version de Drouot.

Cette version de Drouot, malgré l’absence d’indications sur sa provenance, a tous les signes d’un authentique Merson, et c’est pourquoi le commissaire est consterné de l’infortune (relative) de son lot numéro 91, ce magnifique exemplaire d’un tableau « légendaire ».

Cependant la cote de Merson n’est pas si élevée, les beaux dessins habiles qui fréquentent quelquefois les salles d’enchères ne dépassent guère quelques centaines d’euros, et les toiles rarement quelques milliers.
Et puis aucun effort n’a été fait pour mettre le tableau en valeur. Le jour même de la vente, pour vérifier le bon état de la peinture, il fallait effacer du doigt une couche de poussière de plusieurs semaines qui la recouvrait encore.

Finalement le commissaire n’a fait que constater, avec amertume, que la valeur d’une chose dépend assez peu de ses qualités esthétiques ou artistiques.

***
Dernière minute : un étrange phénomène s'est produit. Dans le compte rendu des résultats de la vente sur le site du commissaire priseur, le lot numéro 91 (reproduit page 89 du catalogue) est absent de la liste des lots vendus ! Cette vente a-t-elle été rêvée ? Si le prix de réserve n'était pas atteint, le commissaire n'aurait pas adjugé le lot ? Affaire à éclaircir.

Mise à jour du 27.03.2019 : le tableau mystère est reparu aujourd'hui dans une vente Artcurial à Paris, dépoussiéré, les lacunes de 2016 repeintes, restauré, et emporté pour 40 000 euros (50k avec les frais), un peu au dessus de l'estimation haute.


L'âne et la poussière sur la version de Drouot.

dimanche 12 septembre 2010

Des bienfaits de la lumière

Aux dires du très éclairé Didier Rykner dans sa Tribune de l'Art, on a retrouvé un chef-d’œuvre de Bronzino dans un recoin sombre du musée des Beaux-Arts de Nice. Il y était exposé depuis plus d'un siècle, anonyme. Et ça n'est pas l'effet d'une révision des attributions, mais d'un hasard atmosphérique. Deux experts passaient devant le tableau oublié quand un rayon de soleil l'illumina.
Agnolo Bronzino était un peintre essentiellement florentin, fils adoptif de Pontormo qu'il assista notamment pour l'exécution des fresques de Galluzzo et de Santa Felicità. Il est apprécié pour ses portraits raffinés, froids et distants (certains diront inexpressifs et caoutchouteux) des puissantes familles de Florence.

Ne demandez pas à un visiteur du musée des Offices (Uffizi), à Florence, s'il y a admiré les magnifiques portraits de Bia, de Maria ou de Francesco de Médicis par Bronzino. À peine les aura-t-il entraperçus. Ils sont exposés, dans un petit cabinet qu'on visite à la file indienne en quelques secondes, pressés par le touriste suivant, et en tordant le cou pour les discerner vaguement, perchés très haut, mal éclairés.

À Florence, le moyen le plus sûr d'admirer les portraits de Bronzino est certainement de flâner dans les rues où d'immenses placards publicitaires vantent parfois le mécénat des modernes Médicis. Ici une firme italienne finance en partie la restauration du musée des Offices.

C'est un peu la spécialité de ce prestigieux musée que d'exposer les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture dans des conditions désolantes. Les gardiens ferment les volets dès qu'un rai de soleil ose tracer un trait discret sur le parquet ou sur un mur, au point que rares sont ceux qui peuvent prétendre savoir ce qu'hébergent les grandes salles du premier étage. On suppose qu'il s'agit de toiles en clair-obscur, des scènes nocturnes hollandaises influencées par Le Caravage. Le touriste qui s'aventure à cet étage hésite à pénétrer dans l'enfilade des pièces. Il entend comme des ronflements. L'obscurité lui fait croire qu'il s'est égaré dans les réserves du musée et il rebrousse chemin. Peut-être y découvrira-t-on un jour, à la faveur d'un courant d'air, quelque gardien desséché ou un Caravage oublié.

À quelques centaines de mètres du musée, le Palais Pitti organise de septembre 2010 à janvier 2011 une rétrospective des œuvres de Bronzino. Souhaitons qu'elle permettra aux bienheureux qui iront à Florence de voir enfin, une fois dans leur vie, les portraits de Bronzino dans des conditions acceptables. Mais rien n'est garanti quand on connait, au palais Pitti, la déplorable disposition, entre autres, du plus beau des portraits de Titien.

Mise à jour du 29.10.2010 : C'est en fait au Palazzo Strozzi que sont exposés 54 tableaux de Bronzino, sur 70 connus actuellement, dont 26 proviennent du musée des Offices.