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dimanche 6 octobre 2024

La vie des cimetières (114)


Je cherche le repos, et trouver ne le puis...

Joachim du Bellay, Les regrets 1558, sonnet 39.




Légende de l'illustration :

1. Le cercueil dont on ne sait pas encore qu’y git peut-être Du Bellay, lors de sa découverte sous le pavement du transept de la cathédrale de Paris.
2. Les scientifiques se recueillent et prient devant les deux cercueils de plomb avant leur proclamation aux médias.
3. Le corps du cercueil anonyme avait été embaumé et rempli de fleurs et de plantes, jusqu’au crâne qui avec le temps s’est rouvert, laissant échapper du poète les derniers vers.
4. Les scientifiques consultent le manuel d’anatomie et viennent d’identifier sur le cadavre l’emplacement précis du sens de la poésie, situé près du cœur.
5. Après récupération des données statistiques les scientifiques referment les cercueils et effacent avec précaution, pinceau fin de martre et gratte-éponge côté doux, toute trace de leur curiosité.


Dans son Traité des reliques en 1543, Calvin constatait que la convoitise des reliques n’allait "quasi jamais sans superstition", qu’elle était "mère de l’idolâtrie", et qu’on ne saurait adorer les os d’un martyr ou de la Vierge sans être en risque d’adorer ceux d’un larron, d’un âne, d’un chien ou de quelque prostituée. 

Mais les humains n’ont que faire des avertissements de Calvin, qui par ailleurs a proféré tant de bêtises. Ils sont aussi fébrilement avides des miettes de leurs congénères qu’à l’époque du réformateur, et vénèrent avec toujours autant d’ardeur les restes peu ragoutants des personnalités qui fleurissent leurs livres d’histoire.


En 2010, les italiens, grands amateurs dont on rappelle que les reliques de San Gennaro à Naples garantissent contre les éruptions du Vésuve et les épidémies de peste (mais pas contre le SIDA ni le COVID), retrouvaient dans un ossuaire de Porto Ercole, parmi les débris d’environ 200 individus, des restes qui appartenaient - affirment-ils - à Michelangelo Merisi dit le Caravage, avec une probabilité de 85%, ce qui est déjà fort appréciable, bien au-delà de la moyenne.

Et quelle coïncidence, c’était justement le 4ème centenaire de la disparition du peintre !


En France, on a surtout des poètes, dont on nous inculque qu’ils ont créé la langue française à la force des 10 ou 12 pieds de chacun de leurs milliers de vers. Et quel évènement dramatique plus propice à nous rappeler ce passé commun que l’incendie de la cathédrale de Paris, qui réunit en 2019 les citoyens les plus opposés dans une communion de 840 millions d’euros destinés à la reconstruction (pas aux plus démunis, soyons sérieux) ?


Or sous les décombres de la flèche effondrée, dissimulés sous le pavage de la croisée du transept, l’Institut National de Recherche Archéologique Préventive (INRAP) exhumait alors deux cercueils de plomb, dont un sans inscription, anonyme. 

C’était sans compter sur le Sherlock Holmes du monde des morts, comme l’appelle le journal Le Monde, le docteur Crubézy de Toulouse. Après deux ans d’analyse du cercueil et de son contenu, il affirme que ce qu’il subsiste du corps anonyme appartenait au grand poète Joachim du Bellay, l’auteur de La Deffence et Illvstration de la Langue Francoyse, de tant de poèmes mélancoliques rabâchés à l’école, et inventeur de cette "douceur angevine" qui a fait que le monde entier imagine aujourd’hui le climat de l’Anjou comme le plus agréable de la planète.


On savait le poète enterré quelque part dans la cathédrale depuis 1560, sans l'avoir jamais découvert.

Un pays au passé culturel si riche, un pays qui a diffusé son bon gout et influencé les civilisations pendant des siècles, qui a renversé et raccourci certains de ses tyrans, qui vient de choisir une ministre de la culture sans compétence criblée de poursuites judiciaires et seulement préoccupée de son image et de ses intrigues de pouvoir, un pays enfin qui a inventé les cathédrales gothiques, ne pouvait qu’inhumer au cœur de la plus célèbre d’entre elles un des inventeurs officiels de sa propre langue.


M. Besnier, responsable des fouilles, est moins affirmatif que Sherlock Holmes et conseille la prudence, car l’analyse isotopique de ses dents démontre que l’enfance du squelette s’est déroulée à Paris ou à Lyon, loin d’Angers où Joachim aurait vécu sa prime jeunesse.

Mais son chef, le président de l’INRAP, balaie cet argument avec l’ironie des certitudes mathématiques et affirme que l’âge et la pathologie des miettes "offrent une solidité statistique remarquable". Il ne donne pas de chiffres, mais comme pour Caravage en 2010, on a peut-être ici 85% de chance que les restes soient réellement ceux de Du Bellay. Notons au passage que nonobstant ce fort taux de véracité, la relique du poète, si c'est elle, ne garantit manifestement pas contre les incendies.


La presse, confiante dans la science des probabilités, en a fait illico des titres affirmatifs, des dossiers, des cahiers photos, des dépliants centraux détachables à punaiser au mur. Jusqu'à Ce Glob est Plat qui en reproduit les images sans honte.


Pareil au vieillard qui retourne en enfance, une société sans avenir n’a que son passé pour horizon.


lundi 17 novembre 2014

La comète et le grain de sable

Broderie de Bayeux, dernier tiers du 11ème siècle, détail de la scène avec la comète de Halley qui avait été observée en 1066 (photo Myrabella).

Après avoir passé dix années à faire des calculs, des croquis, des tests dans des baignoires, une joyeuse bande de scientifiques européens lançait le 2 mars 2004 un gros jouet télécommandé dans l’espace, une grande machine à laver avec deux ailes immenses. Sur son flanc était accroché un four à microondes cubique à trois pattes. Le tout partait visiter une comète.

Les scientifiques pensaient que cet attirail leur apporterait une réponse ultime sur l’origine de l’eau et de la vie. Car s’ils sourient à la légende d’un dieu qui aurait séparé les eaux d'en bas de celles d'en haut au moyen d’un toit, ils soupçonnent que l’eau et les molécules organiques complexes ne sont pas nées sur terre mais proviennent d’une époque lointaine du système solaire où les planètes subissaient la lapidation effrénée et incessante des comètes et aérolithes de tous genres.

En 2004 déjà, la crise financière forçait à l’économie, et la machine à laver ne pouvant pas embarquer beaucoup d’essence on utiliserait un procédé malin de rebonds gravitationnels qui lui permettrait de gagner de la vitesse à chaque passage près d’une planète. Mais ce trampoline durerait dix ans.
Ainsi en janvier 2014, et après plusieurs années d’hibernation, les deux machines volantes furent réveillées en douceur, et la comète prit lentement devant leurs yeux la forme d'une cacahuète bilobée, chaotique et poussiéreuse.

Et puis tout s’est passé trop vite.
La tension médiatique savamment entretenue depuis quelques mois devait logiquement conduire à un apogée spectaculaire : l’atterrissage du petit four à microondes sur le sol de la comète à la consistance inconnue et son premier regard panoramique sur ce nouveau monde au moyen de caméras subtilement disposées.
C’était compter sans le grain de sable. Ici le grain de sable était le microonde lui-même. Car s’il pesait cent kilos sur terre, la gravité presque nulle de la comète ne lui concédait plus qu’un seul gramme, et le moindre rebond lui serait forcément fatal.
Alors comment est-il allé s’empêtrer après deux rebonds entre des rochers à l’autre bout de la cacahuète ? Par chance ces rochers l’ont probablement retenu de retourner définitivement dans l’espace, et là, coincé, il a pu effectuer une partie de ses expériences de physique et chimie amusantes.
Mais en quelques heures, batterie vide et surtout panneaux solaires à l’ombre, à bout d’énergie, il s’est éteint, parvenant néanmoins à transmettre des résultats dans un dernier souffle.

Sur Terre les communications officielles, rassurantes, insistent sur le succès de cette exploration sans précédent, car les deux engins ont déjà récolté dit-on des wagons de données et la machine à laver poursuivra et espionnera encore la comète jusqu’à ce qu’elle s’évapore au feu du soleil.
Et puis notre petit microonde, qui a déjà effectué bravement une partie de sa mission, pourrait même renaitre si les conditions de luminosité le permettent, dans huit mois, au prochain été sur la comète.

Le 12 novembre, jour de l’atterrissage, un haut responsable de l’opération lançait avec exaltation « Zissiz eu big steppe for ioumanity ! » (c’est un grand pas pour l’Humanité - en langage scientifique).
Nous, on aurait quand même bien aimé contempler le paysage de ce monde inconnu, vu du sol, comme si on y était, rien que pour le spectacle...

L’Humanité vient certainement de réaliser un exploit, de faire un grand pas scientifique en avant, mais elle a maintenant le pied coincé entre deux rochers indéterminés, sur une comète inamicale à 500 millions de kilomètres de la terre, par un froid glacial.

mercredi 5 août 2009

Les explorateurs

En contemplant la noble fierté de ces intrépides estivants qui voguent à l'aventure, au mépris des dangers, on ne peut s'empêcher de penser à leurs prédécesseurs venus de la Grèce antique par la mer, animés par la même inconsciente témérité, pour installer sur les rivages hostiles de ces territoires inconnus les fondements de la civilisation.

Et à l'heure où sont célébrés les 40 ans des quelques pas poussiéreux et inutiles de l'homme sur la lune, relisons plutôt le fascinant voyage (*) du plus grand de ces explorateurs, le génial Pythéas le massaliote, longtemps pris pour un mystificateur, et qui, s'il avait vécu 2000 ans plus tard, aurait été allègrement carbonisé en compagnie de Giordano Bruno par les autorités catholiques pour ses découvertes et sa conception moderne et cohérente du monde.

***
(*) Lire sur Pythéas :
1. La courte biographie du site du collège Jules Ferry de Montluçon, comme d'habitude passionnante (cliquez dans la colonne de gauche sur «Pythéas de Massalia»).
2. Le site «marseille.pytheas.free» un peu désordonné dans sa navigation, mais plus complet, complémentaire et également captivant.
3. Une rapide synthèse des découvertes de Pythéas dans l'encyclopédie Wikipedia.