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lundi 25 décembre 2023

Les très riches heures de l’internet

Cette page - le folio 48 des Très riches heures du duc de Berry - peinte par les frères Limbourg peu avant 1416 et numérisée en 2020, représente pour ainsi dire le journal télévisé il y a très exactement 2023 ans et l’annonce des infos du jour faite aux bergers de Bethléem (qui se trouvait alors près de Poitiers, semble-t-il).


Tout le monde l’aura remarqué - même les esprits les plus optimistes - tout fout le camp* ! On en parle régulièrement dans ce Glob à propos d’internet. Trois ans, en moyenne, après une publication en ligne, elle disparait. Tout au moins devient-elle inaccessible, le lien y menant ne fonctionnant plus. C’est ainsi que ce qui aurait pu devenir la mémoire de l’Humanité n’est finalement que l’écume de ses petites lubies quotidiennes. 

* Il suffira de constater ce qu’une équipe déterminée de créatifs inspirés a fait du musée de la Marine du Trocadéro après 7 ans de travaux ruineux. On en reparlera sans doute.

Les organes les plus officiels de la république ne se fatiguent même plus à maintenir leur site. Le CNRS, l’élite de la recherche scientifique en France, sans qui nous en serions encore à bâtir des cathédrales, diffusait jusqu’alors dans sa Bibliothèque Virtuelle des Manuscrits Médiévaux un beau facsimilé des Très riches heures du duc de Berry que nous avions commenté en 2018. Eh bien aujourd’hui son lien ne lie plus. C’est la célèbre "Erreur 404". 

Par chance, les techniques ne cessant d’aller de l’avant, une version plus belle et beaucoup plus détaillée** des Très riches heures vient opportunément d’être publiée en ligne par le Domaine du château de Chantilly et le Cabinet des livres du musée Condé, propriétaires du manuscrit, aidés par la Réunion des Musées Nationaux. Les illustrations de cette chronique en viennent.

** On se fera une idée de sa qualité en comparant le pourfendeur d’escargots du folio 38verso, ici dans sa numérisation récente par la RMN en 2020 et là dans le facsimilé du CNRS vers 2009.

Hélas la chose est desservie par une interface mal pensée, incommode, à la navigation laborieuse comme on en faisait il y a 25 ans aux débuts de l’informatique, à l’affichage parfois déficient (le folio 14v ne répond pas, sur ordinateur), et naturellement parfaitement verrouillée, interdisant toute copie ou exportation***, jusqu’à l’impossibilité de partager un lien vers un folio particulier. Il faut s’y habituer, partout l’interdiction est devenue la norme.
 
*** On se consolera avec le facsimilé complet du CNRS, dont on a malgré tout retrouvé la nouvelle adresse. Moins beau que celui de la RMN, son interface est mieux conçue et il est téléchargeable au complet en une seule opération dans une version de bonne qualité (7000 x 5000 pixels par double page). La récolte des 900 mégaoctets est très lente (212 doubles pages), mais elle est fortement recommandée, car multiplier et disséminer le nombre de sources est peut-être ce qui sauvera l’information…

Un site comme celui des Très riches heures du château de Chantilly, ringard et barricadé à outrance, trop spécifique et déjà démodé, sera malaisé à maintenir, et on peut prédire qu’il ne survivra pas longtemps sur internet. C’est curieux comme notre civilisation continue à alimenter sa gigantesque bibliothèque de ressources sans se soucier de sa préservation, comme si elle savait déjà que là où elle se dirige à plein gaz il est inutile de s’encombrer de tout ce fatras électronique.


Cette page (folio 82), peinte par Jean Colombe vers 1485 et numérisée en 2020, illustre le début du Psaume 114 de la Bible (ou 116 selon certains computs) invoqué pour l’office des morts. C’est toujours la même rengaine, la même ratatouille incohérente. Job devenu miséreux n’écoute pas ses anciens amis riches qui lui montrent un ciel vide de Dieu. Il supporte son malheur car il sait qu’une fois mort il rencontrera l’auteur de tous les bienfaits sur Terre qui lui réservera alors une sacrée surprise.

lundi 16 juillet 2018

Un cadeau ducal (2 de 2)

Les Très riches heures du duc de Berry n’est pas vraiment un livre d’heures, c’est à dire un livre de prières quotidiennes au format de poche.
C’est une œuvre d’art de grand format (21 x 29 cm), commandée à des artistes renommés payés royalement, précieusement conservée dans la librairie du château et exhibée pour afficher surtout l’impressionnante richesse et le raffinement du mécène. On le voit peint entouré de courtisans sur quelques folios très colorés du manuscrit.

Jean de France duc de Berry était un collectionneur incurable et despotique de châteaux, de terres, de serfs, de tapisseries, d’objets précieux, de manuscrits, et de recettes fiscales.

Très riches heures du duc de Berry, folios 152 verso et 153 (détail), à gauche la main de jean Colombe, à droite, de l'un des Limbourg.

Un lecteur pointilleux signale que la chronique précédente ne comportait pas de lien vers le facsimilé électronique cadeau. Quel impair ! Réparons cela illico.

Démarche pour obtenir mon cadeau extraordinaire de Ce Glob est Plat :

1. Je transmets, pour information uniquement, mes données de carte bancaire dans les commentaires du blog*.
2. Je me connecte à cette adresse**. C’est la bibliothèque virtuelle des manuscrits médiévaux du CNRS, site pour érudits initiés, pas réellement aménagé pour le confort du touriste du web.
3. Dans la liste de villes qui s’affiche, je sélectionne Chantilly
.

4. À droite apparait une liste rouge de numéros de manuscrit. Je cherche et sélectionne le numéro 0065 (1284).
5. Je clique à droite sur la vignette du manuscrit qui apparait. Je patiente pendant le chargement. À partir de là, je navigue comme habituellement avec le bouton et la molette de la souris.
6. Je me délecte.

* Je ne suis tout de même pas assez simple d’esprit pour obéir à cette instruction.
** Mise à jour du 25.12.2023 : L'adresse ne fonctionne plus. Voici la nouvelle adresse.

Très riches heures du duc de Berry, folio 170v. Inventivité et délicatesse des frères Limbourg et ahurissante qualité des matériaux, ces couleurs ont été peintes sur vélin voilà 600 ans.

Tant de propos intelligents sont écrits dans l’article de l’encyclopédie Wikipedia sur le manuscrit des Très riches heures qu’il ne reste qu’à encourager son exploration contemplative par quelques détails instructifs et croustillants.

En l'examinant attentivement, on distingue les différences de style entre les peintres qui se sont suivis, parfois intercalés (car longtemps inachevés, les folios ont été reliés bien plus tard), et parfois sur une même enluminure (009v).
Les folios 153-152v ou 156v-157 sont deux exemples frappants opposant les styles des Limbourg et de Colombe.
On reconnait Jean Colombe aux mises en scènes et personnages un peu lourds, à ses drapés aux reflets systématiquement dorés, ses horizons aux brumes bleutées (011v), Barthélémy d’Eyck aux traits véristes de ses personnages, à leur légère ombre projetée, unique dans le manuscrit, à l’originalité saisissante de la mise en espace (012v), et les Limbourg à leurs architectures détaillées et précises, à leurs personnages aux courbes gracieuses et maniérées, à leurs coloris raffinés (025v, 038v, 051v).

En déambulant dans les enluminures, on dénichera peut-être, parmi séraphins, saints, arabesques et fioritures, de la fumée qui sort du cadre d’une miniature pour envahir la page (040), un ange au visage à moitié caché derrière l'encadrement d'un paysage (195), des piliers historiés de squelettes dansants (082), des lettrines remplies d’ours, de dragons, des demi-griffons joueur de luth ou pourfendeur de papillons (038v), des soldats surpris au défaut de la cuirasse (095), un pendu qui s’oublie (147v), des crépuscules (157, 182), des ténèbres (142v, 153), et une page inachevée, avec un iris dans un vase et un oiseau, esquissés mais jamais coloriés (026v), peut-être interrompue par la disparition des frères Limbourg, tous trois morts en 1416, de la peste supposent certains.

mercredi 11 juillet 2018

Un cadeau ducal (1 de 2)

Noël approche (affirmation destinée à éprouver les détecteurs de « fake news »), avec son rituel de cadeaux désintéressés et de bonheur du commerçant. Respectueux des coutumes et de leurs usagers, Ce Glob est Plat a souhaité offrir un présent inestimable à ses lecteurs.
Et qu'y a-t-il de plus inestimable que le manuscrit enluminé sur parchemin des Très riches heures du duc de Berry, œuvre unique réalisée entre 1410 et 1489 et conservée au musée Condé, dans le château de Chantilly ?

À dire vrai, Ce Glob est Plat qui divertit régulièrement, depuis 12 ans et 600 chroniques, pas loin de 30 lecteurs, n’offrira pas l’original, le partage aurait créé des chicaneries, mais une magnifique reproduction électronique en facsimilé du manuscrit complet, quatre fois plus grand que nature, indestructible, aisé à feuilleter, et sans copyright.

400 pages qui foisonnent de lettrines historiées, d’illustrations lumineuses, fantastiques (ci-contre la marge du folio 038v), et de 66 enluminures en pleine page minutieusement peintes, au pinceau à 3 poils, d’abord par les trois Frères Limbourg, puis peut-être, disent certains, par Barthélémy d’Eyck (illustrateur de l’autre plus beau manuscrit du monde, Le cœur d’amour épris pour René d’Anjou), et enfin par Jean Colombe.


Pareil présent est-il concevable ? Vous doutez, vous pensez qu’on se joue de votre crédulité, vous préparez déjà les attendus d’une dénonciation circonstanciée aux revues de défense des consommateurs.
Ah méritez-vous pareil cadeau ? Votre méfiance est désobligeante. Vous faut-il des preuves ?

Un détail fripon du folio 002v peut-être ?

Un détail du folio 006v ?

Non, du folio 010v, le plus beau ?

Du folio 064v peut-être ?

Ou du folio 142v ?

Mais, il fait nuit, il est déjà si tard ! Nous continuerons un jour prochain, alors...