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mardi 5 décembre 2023

Qu’est-ce que l’art moderne ?

Il est juste que Ce Glob est Plat parle de temps en temps de l’art d’aujourd’hui. Dans l’histoire des traces artistiques laissées par l’humain, longue de 50 000 ans au moins, l’art de notre temps représentera demain l’épaisseur d’un trait, et il n’en restera peut-être aucun vestige, sinon les ruines de quelques monuments prétentieux. Autant en parler tant qu’il est encore visible.


Mais sait-on où voir l’art actuel, dans cette profusion de musées d’art contemporain, d’art moderne, d’art vivant ? Demandons à l’organisme compétent par définition sur la question, le ministère de la Culture, qui répond précisément sur cette page.


D’après le ministère l’art moderne est l’art créé autour de la période 1900-1945 (de l’ère actuelle). Il n’est donc plus très moderne, au sens propre, mais il le reste à l’échelle des millénaires. Il comprend tous les mouvements artistiques de cette période (surréalisme, cubisme, fauvisme, art brut…), qui va des Oréades de Bouguereau, peint en 1902, que le musée d’Orsay n’ose pas exposer (alors qu’on en sent bien sa modernité, en s’approchant un peu), à Evanescence de Georges Mathieu, exécuté en 1945.

Reconnaissons que pour l’adepte d’une classification claire, l’art moderne est quand même un sacré débarras, bigarré et œcuménique, certes, mais un débarras.  


La chose se complique quand entre en scène l’art contemporain, qui succède à l’art moderne, de 1945 à aujourd’hui. Car comment les différencier quand on ne connait pas précisément la date de création d’une œuvre ? C’est simple répond le ministère, l’art moderne bouscule toutes les règles de la représentation alors que l’art contemporain réfléchit, questionne, et critique parfois. 

Soyons sérieux, l’art a toujours réfléchi et questionné. En 1670, Cornelis Gijsbrechts (Gysbrechts) répondait déjà, par ses trompe-l’œil de tableaux retournés qu’il laissait trainer dans un coin de l’atelier, a tous les critères de l’art contemporain.


Et le ministère cite l'exemple de 7 artistes qu’il dit contemporains. Mais leur moyenne d’âge est de 76 ans, et deux d’entre eux sont morts déjà depuis un certain temps.

On aura vite saisi la question que pose cette classification : les artistes contemporains étant déjà sur le point de ne plus l’être, comment appellerons-nous l’art de la prochaine génération ? L’art nouveau ? On plaisante, bien sûr, l’expression est déjà réservée aux créations de 1890 à 1910. 


Finalement il existe un moyen infaillible de reconnaitre l’art de notre temps, c’est par son absence dans certains médias ; il appartient à la catégorie particulière de l’art qu’on n’a pas le droit de voir librement sur internet, de l’art dont les reproductions gratuites sont interdites pour cause de droits d’auteur.

Dans l’encyclopédie Wikipedia, l’article sur le peintre Joan Miro (illustration à venir*) est à ce propos exemplaire. 80 000 caractères qui s’auto-congratulent article de qualité, des dizaines de tableaux cités, et pas une seule reproduction de peinture, pas même une petite vignette. 

Ne cherchez pas non plus à vous faire une idée du style du peintre Jackson Pollock (illustration à venir*), vous n’y trouverez pas une œuvre, seulement une photo de sa tombe, en deux exemplaires. 


* Pour des reproductions de ces tableaux, il vous faudra patienter et revenir sur Ce Glob à partir de 2042 et les années suivantes pour les œuvres les plus prisées - des années 1947 et suivantes - de Pollock, et en 2054 pour l’ensemble de l’œuvre de Miró. En attendant vous en trouverez cependant de médiocres sur les réseaux sociaux, qui se moquent des règlementations et qui sont protégés par l’impunité du grand nombre et de l’immense source de profits qu’ils constituent.


samedi 1 mai 2021

Graff sous graffitis

Les artistes de notre temps côtoient journellement sans trembler les plus profonds gouffres de la pensée, dans lesquels les profanes, vous et moi, verserions au moindre faux pas.

C’est la mésaventure qui vient de surprendre un couple d’amateurs d’art ignorants, quand la police de Séoul (Corée du sud) l’interpela, après l’avoir identifié sur l’enregistrement des caméras de surveillance d’une galerie de peinture qui exposait des œuvres de graffeurs (*).
(*) Artistes révoltés auteurs d’un art de rue illégal et fugace, sous la forme de fresques murales (graffs), mais qui n’a plus rien d’éphémère depuis qu’il se fait en atelier, s’expose dans les galeries chics et se vend chez Sotheby’s ou Christie's.

Le couple ne nia pas l’acte de vandalisme reproché. La scène enregistrée était sans équivoque.

Reconstitution : devant un large tableau d’une quarantaine de mètres carrés couvert de superbes éclaboussures multicolores, à la façon du Jackson Pollock des années 1950, mais en plus guilleret, une silhouette s’empare d’un pinceau, parmi d’autres abandonnés au pied de la toile, le trempe dans un des pots de peinture ouverts proches, et en asperge timidement le centre du tableau de vert émeraude, puis recule pour évaluer et prendre une photo du résultat, tandis qu'une silhouette complice complète calmement le forfait, et repose innocemment le pinceau sur le sol. (voir illustration ci-dessous « Sans titre © JonOne (et Anonymes) », qui alterne l'œuvre avant et après le crime).


Pour justifier cet acte inqualifiable le couple déclara qu’il leur avait semblé évident que les ustensiles de peintre laissés sur place devant ce mur couvert de taches si gaies et fraiches étaient une invitation à participer à la création d'une œuvre d’art publique improvisée.  

Le débonnaire couple savait-il qu’une galerie en vue de la capitale n’expose pas de nos jours le pastiche d’une œuvre du siècle dernier sans une distanciation radicale, sans une audace intellectuelle qui la distinguera ? Et en l’occurrence l’inspiration était dans la présence du matériel de peintre de rue abandonné sur place, comme après un flagrant délit.  

La police, complaisante, relâcha le couple graffiteur jugeant le forfait involontaire et sans intention de nuire.

Décontenancé, JonOne, l’artiste étasunien offensé, qui a fait sa renommée en peignant sur des trains ou des murs de propriétés privées à Paris, et collabore aujourd’hui avec de grandes marques françaises, aurait déclaré à la presse « L’art devrait être religieux, vous ne peignez pas sur une église ».
Il se trouve surtout confronté à un dilemme.
Son œuvre, qu’il avait voulue un hommage à Pollock et que la presse généreuse en zéros estime à 400 000$, attire désormais une foule d’amateurs de selfies. Alors il hésite à faire nettoyer les taches tant qu’elles stimulent sa renommée, et s’oriente probablement - dit un responsable de l’exhibition - vers une remise en état (pour 9000$ couverts par l'assurance) à la fin de l’exposition, quand l’effervescence médiatique sera retombée et que les réseaux sociaux hostiles à la restauration seront passés à autre chose.  

Depuis l’évènement la galerie a installé autour du tableau et du matériel du peintre une clôture basse, dénaturant certes un peu le concept de l’artiste, mais matérialisant plus efficacement cette frontière fondamentale que tout le monde ne perçoit hélas pas immédiatement, et c’est le rôle pédagogique de l’art d’en faire prendre conscience, entre les idées et les choses.
 
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