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mercredi 15 mai 2013

HEY! 2, la suite


« Quoi qu'on dise...
Les oiseaux ont eux aussi le vertige. »
Camille (Chanteuse, 1978-)

Vous aimez les oiseaux, les lapins, peut-être même les anges, alors l'exposition « HEY! part.2 » est faite pour vous. Elle se tient, comme la première exposition de 2011, dans la Halle Saint Pierre de Paris, 2 rue Ronsard, depuis le 24 janvier 2013 pour sept mois.
L'exposition HEY! c'est le cabinet des curiosités, la sous-culture, celle qu'on ne montre pas aux enfants. C'est l'art brut, compulsif, pathologique. On y trouve effectivement des oiseaux, mais ils sont pendus par le col aux branches des arbres, sur les tableaux minutieux d'Heather Nevay, et aussi des lapins, crucifiés, et des anges, qui régurgitent, dans les sculptures grandeur nature de Paul Toupet.

On y franchit parfois le seuil de la normalité, voire de la perversité, surtout dans la pénombre du rez-de-chaussée. On croise les céramiques écorchées de Carolein Smit (notre illustration, Skinned ram's head 2008), les obsessions de Giger, les montages photographiques goyesques et parfois malsains de Joel-Peter Witkin, et des choses pires encore que la morale réprouverait certainement.
Et puis une pièce isolée est consacrée à une dizaine de grands panneaux peints à l'acrylique et méticuleusement fouillés de Joe Coleman. Chaque panneau est un livre. Il faut des heures pour examiner les détails obsessionnels et les textes microscopiques qui les couvrent. On s'en fera une bonne idée sur son site où on peut détailler à loisir certains tableaux, notamment Coleman et ses maladies.

À l'étage on se détendra un peu avec des réalisations plus légères, comme les parodies désopilantes de Mariel Clayton, mises en scène miniatures et sanguinaires de la poupée Barbie qui se venge enfin sur son partenaire Ken, ou les détournements humoristiques des grands thèmes iconographiques par Tod Schorr, entre Tex Avery et Jérôme Bosch. Et on notera au passage, parmi des dizaines d'autres artistes, quelques pages originales de la bande dessinée Little Nemo in Slumberland de Winsor Mac Cay, incongrues, et des instantanés au lavis d'encre noire d'Angelo Di marco, étonnant illustrateur des faits divers.

Enfin, un légitime réflexe d'autodéfense viendrait-il effacer de notre esprit toutes les images de cette exposition qu'on ne pourrait certainement pas oublier les quatre gigantesques dessins minutieux au crayon noir du croate Davor Vrankić (Heaven, Hell 2001, la grande collectionneuse 2009, Silent dancer 2010). Vrankic dessine depuis vingt ans à Paris, exclusivement à la mine de graphite de 0,9 millimètres de diamètre et de dureté 2B, une profusion irrépressible de formes, un jaillissement qui n'a pas d'autre raison que son existence propre. La création pure.

Nulle part ailleurs qu'à HEY! vous ne ressentirez aussi clairement cette obsession de la création qui déchire les êtres de l'intérieur, après quoi les belles expositions à la mode que Paris prodigue habituellement vous sembleront tristes et insipides et vous retournerez souvent vers la Halle Saint Pierre, jusqu'au 23 aout 2013, pour y éprouver la vie même, surgissant comme d'une source, grouillante, cruelle et fatale.

samedi 28 novembre 2009

1210 romans en 3 lignes, épisode 2

Comme prévu, voici, classées par thèmes, 45 des plus parfaites Nouvelles en trois lignes, qu'on doit à la fatalité des faits divers de l'année 1906 (on notera que le funeste y domine) et au style glacial de Félix Fénéon.
Les catégories ne sont pas très étanches et certaines nouvelles mériteraient de figurer dans plusieurs. Pour mémoire, les numéros renvoient au catalogue constitué par les frères Wald Lasowski en 1990 pour les éditions MACULA. Enfin, gaspilleuse en place sur la page, la présentation en trois lignes a été abandonnée ici.

Accidents, chutes de corps et d'objets divers

106. Tombant de l'échafaudage en même temps que le maçon Dury, de Marseille, une pierre lui broya le crâne.

418. Congestionné par la chaleur, Hélectre, couvreur à Reims, qui travaillait à 20 mètres du sol, s'y est abîmé.

643. L'alpiniste Preiswesk chancela, se ressaisit, enfin dégringola par bonds : chute mortelle que l'on regardait de Chamonix.

Accidents de la circulation

363. M. Chevreuil, de Cabourg, sauta d'un tramway en marche, se cogna contre un arbre, roula sous son tram et mourut là.

370. Tombée d'un train lancé à toute vitesse, Marie Steckel, de Saint-Germain, 3 ans, a été ramassée jouant sur les cailloux du ballast.

513. Lucienne Debras, 4 ans, jouait devant sa maison, à Saint-Denis, quand le tram de la madeleine passa, qui lui broya le crâne.

Accidents divers

540. Me Tivollier, avoué à Grenoble, chassait. Il trébucha, le coup partit, Me Tivollier était mort.

625. Le professeur de natation Renard, dont les élèves tritonnaient en Marne, à Charenton, s'est mis à l'eau lui même : il s'est noyé.

762. Allumé par son fils, 5 ans, un pétard à signaux de trains éclata sous les jupes de Mme Roger, à Clichy : le ravage y fut considérable.

769. De l’eau-de-vie, croyait-il. Bon : du phénol. Aussi Philibert Faroux, de Noroy (Oise), ne survécut-il que deux heures à sa ribote.

Autour de l'Amour

151. Quittée par Delorce, Cécile Ward refusa de le reprendre, sauf mariage. Il la poignarda, cette clause lui ayant paru scandaleuse.

322. Par haine d'amour, Alice gallois, de Vaujours, a vitriolé son beau-frère et, par maladresse, un promeneur. Elle a déjà 14 ans.

364. Entre arabes de Douaouda : un couple a capturé un galant trop hardi et l'a mutilé, annulant à jamais sa concupiscence.

371. Jugeant sa fille (19 ans) trop peu austère, l'horloger stéphanois Jallat l'a tuée. Il est vrai qu'il lui reste onze autres enfants.

663. Bien ivre, Langon, de Sceaux, rencontra sa femme et, comme elle se faisait acariâtre, il lui martela le crâne à coups de clefs.

1165. D'ordinaire battue par lui, Fleur des Bastions a pris sa revanche à coups de canif dans la figure du pantinois Gabriel Mélin.

Faits divers : octobre 2007, la ville de Paris lance une campagne de prévention contre l'utilisation abusive des autobus.Faits divers

539. Un plongeur de Nancy, Vital Frérotte, revenu de Lourdes à jamais guéri de la tuberculose, est mort dimanche par erreur.

819. L’ex-maire de Cherbourg, Gosse, était en proie à un barbier, quand il cria et mourut, sans que le rasoir y fût pour rien.

1007. V. Kaiser, 14 ans, allait à Mt-St-Martin (M.-et-M.) voir son père. Le satyre du bois qu'elle traversait se dressa devant elle...

1033. Derrière un cercueil, Mangin, de Verdun, cheminait. Il n'atteignit pas, ce jour-là, le cimetière. La mort le surprit en route.

Meurtres, ou pas

413. À Verlinghem (Nord), Mme Ridez, 30 ans, a été égorgée par un voleur, cependant que son mari était à la messe.

573. La Verbeau atteignit bien, au sein, Marie Champion, mais se brûla l'œil, car le bol de vitriol n'est pas une arme précise.

574. Alb. Vallet frappait de la crosse de son fusil le propriétaire Ferrand, de Chapet. Le coup partit et le chasseur tomba mort.

616. L'examen médical d'un garçonnet trouvé dans un fossé d'un faubourg de Niort montre qu'il n'eut pas que la mort à subir.

1111. Avec un couteau à fromage, le banlieusard marseillais Coste a tué sa sœur qui, comme lui épicière, lui faisait concurrence.

1121. Rue Neuve-des-Boulets, la ménagère Dumé, 42 ans, de la rue de la Petite-Pierre, a été percée d'une balle venue d'on ne sait qui.

Politique, séparation de l'Église et de l'État, vie sociale

139. Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d'Herblay, est retrouvé : Jules Ménard, ramasseur d'escargots.

941. Les préfets de M.-et-L. et de la Marne infligent le martyre de la suspension à quatre maires qui voulaient Dieu dans les écoles.

992. Chez un cabaretier de Versailles, l'ex-ecclésiastique Rouslot trouva dans sa onzième absinthe la crise de délirium qui l'emporta.

1031. Quatre maires encore de suspendus en M.-et-L. Ils voulaient maintenir sous les yeux des écoliers le spectacle de la mort de Dieu.

1133. Les jeunes Guillemeau et Boileau ont été arrêtés à Saint-Cloud dans l'exercice de leur profession de cambrioleurs.

1193. «Aïe ! cria le rusé mangeur d'huîtres, une perle !» Un voisin de table l'acheta 100 francs. prix : 30 sous au bazar de Maisons-Laffitte.

Politique, armée, police et gens importants

24. L'affaire des détournements à la direction de l'artillerie de Toulon se réduirait à rien, d'après l'enquête du directeur.

431. Vainement des torpilleurs ont-ils voulu forcer les passes de Lorient: des torpilles y dormaient, mais d'un sommeil léger.

602. Ce n'est pas la charcuterie, c'est la chaleur qui a donné la diarrhée aux canonniers brestois, a décidé leur médecin-major.

699. Louis Picot, fils du secrétaire de l'Académie des sciences morales, etc., s'est tout écorché en tombant de bicyclette.

726. Destin, vingt ans, avant de céder aux policiers d'Aubervilliers, a lancé à l'un d'eux, Lagarof, un fer à repasser, en pleine figure.

Faits divers : un oiseau sur deux est noir et méchant.Suicides divers

234. Dans un hôtel de Lille, M. H. Hallynch, d'Ypres, s'est pendu pour des motifs qui, dit une lettre de lui, seront bientôt connus.

505. À 80 ans, Mme Saout, de Lambézellec (Finistère), commençait à craindre que la mort l'oubliât ; sa fille sortie, elle s'est pendue.

735. Perronnet, de Nancy, l'a échappé belle. Il rentrait. Sautant par la fenêtre, son père, Arsène, vint s'abîmer à ses pieds.

770. À Boucicaut, où il était infirmier, Lechat disposait de foudroyants toxiques. Il a préféré s'asphyxier.

776. Une jeune femme en putréfaction a été repêchée à Choisy-le-Roi. Des bagues de diamant ornaient son annulaire gauche.

779. Bois de Noisiel, gisait en deux parts, sous l'orme où il s'était pendu, Litzenberger, 70 ans, la tête décharnée par les freux.

808. Il y a mévente sur l'article de piété. Mme Guesdon, de Caen, en tenait boutique. En butte à l'huissier, elle se suicida.

995. Émilienne Moreau, de la Plaine-Saint-Denis, s'était jetée à l'eau. Hier elle sauta du quatrième étage. Elle vit encore, mais elle avisera.

À suivre, certainement...

***

Commentaires flottants sur les illustrations :
En haut, Faits divers : octobre 2007, la ville de Paris lance une campagne de prévention contre l'utilisation abusive des autobus.
En bas, Faits divers : un oiseau sur deux est noir et méchant.

lundi 23 novembre 2009

1210 romans en 3 lignes, épisode 1

À la fin du 19ème siècle, un étrange individu portant barbiche effilée, non-conformiste, esthète, un peu mystificateur, hantait les rédactions des revues à l'avant-garde, artistique, littéraire, politique. Auteur généralement anonyme de milliers d'articles, notices, reportages, critiques d'art, on dit que son goût était infaillible. Il suffit de lire les noms qui contribuèrent à la Revue Blanche, dont il fut rédacteur en chef de 1896 à 1903. Des peintres maintenant renommés firent son portrait, Paul Signac, Félix Vallotton. Il s'appelait Félix Fénéon (1).

Rédiger était son obsession. Sa marotte était la phrase, quel qu'ait été le sujet. Il avait débuté comme rédacteur au ministère de la Guerre, de 1881 à 1894, date à laquelle ses amitiés libertaires lui valurent d'être inculpé comme terroriste au Procès des Trente, répression contre le mouvement anarchiste. Acquitté, il poursuivra ses rédactions pour les revues, les grands journaux de l'époque, le Figaro en 1903, et enfin le Matin, en 1906, dans une mémorable contribution de quelques mois à la rubrique des «nouvelles en trois lignes».

Depuis octobre 1905, les nouvelles en trois lignes concentraient, dans une colonne de la page 3 du Matin, les évènements dont on ne pouvait dire que quelques mots, quelques phrases brèves et sans âme, les faits divers. Pendant six mois, Félix Fénéon leur injecta un style précis, chirurgical et cynique, minutieusement ponctué. Il filtrait certainement les sujets pour ne retenir que ce qui le touchait. Ainsi, parmi 1210 nouvelles recensées par P. et R. Wald Lasowski aux éditions Macula en 1990, reviennent avec régularité les découvertes d'engins incongrus pris pour des machines infernales anarchistes, les kilomètres de câble téléphonique dérobés par des ombres insaisissables, les élus récalcitrants à retirer des lieux publics les représentations du dieu crucifié (c'était le lendemain de la séparation de l'église et de l'État).
83. Muni d'une queue de rat
et illusoirement chargé de grès fin,
un cylindre de fer blanc a été trouvé rue de l'Ouest.


1160. X s'était coiffé d'une casquette administrative.
Il put à loisir couper 2.900 mètres de câble téléphonique
sur la route nationale 19.


840. À toute force, le comte de Malartic
voulait suspendre Dieu dans l'école d'Yville (S.-L.).
Maire, on l'a suspendu lui-même.

Mais ce qui émerge dans cette houle des faits divers, ce sont surtout les morts, accidentés par les tramways, les autobus, les trains, ou suicidés, comme dans cette célèbre nouvelle, numérotée 780 aux éditions Macula (et qui contient peut-être une coquille avec la répétition du mot Septeuil).
780. Mme Fournier, M. Vouin, M. Septeuil,
de Sucy, Tripeval, Septeuil,
se sont pendus : neurasthénie, cancer, chômage.

Et Fénéon leur imprime une logique si impitoyable, qu'on croit lire à chaque fois le roman d'une vie. Car après tout que reste-t-il d'une génération ? Quelques rares évènements, qui persisteront un temps dans les esprits et les livres d'histoire, et des milliers d'êtres humains, qui auront vécu sans se faire remarquer, puis auront été écrasés par un train.
316. Comme son train stoppait,
Mme Parlucy, de Nanterre, ouvrit, se pencha.
Passa un express qui brisa la tête et la portière.


592. Monsieur Jules Kerzerho présidait une société
de gymnastique, et pourtant il s'est fait écraser
en sautant dans un tramway, à Rueil.


1021. Le 515 a écrasé, au passage
à niveau de Monthéard (Sarthe), Mme Dutertre.
Accident, croit-on, bien qu'elle fût très misérable.

Aux antipodes des courts poèmes japonais (2) qui évoquent une impression, le sentiment d'un instant, la nouvelle en trois lignes résume une vie, et souvent la clôt.
623. C'est au cochonnet que l'apoplexie
a terrassé M. André, 75 ans, de Levallois.
Sa boule roulait encore qu'il n'était déjà plus.
Félix Fénéon est mort le jour bissextil de 1944. On aimerait retrouver quelquefois sa signature, même au bas d'une notice de médicament, ou du mode d'emploi d'un four à micro-ondes, qui sont la littérature contemporaine. Dans quelques jours, Ce Glob Est Plat présentera, soigneusement classé, un florilège de ses plus beaux romans en trois lignes.

***
(1) La courte biographie que lui consacre Paul-Henri Bourrelier est limpide et exemplaire. Et le docteur Orlof parle de Fénéon avec admiration.
(2) Les tanka faisaient cinq vers, les hokku (haiku ou haikai), trois.