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samedi 27 janvier 2024

Ce monde est disparu (10)

Hasui, vue de shinagawa sous la pluie, détail du lot 118 de 3 estampes, Sotheby’s 19.12.2023.


Sous son nom d’artiste Hasui, le japonais Bunjirō Kawase a peint de 1918 à 1957 plus de 750* paysages, essentiellement des aquarelles dont chacune était reproduite sur plusieurs blocs de bois de cerisier par un graveur**, puis les blocs colorés et imprimés par un imprimeur, et le résultat publié le plus souvent en 200 exemplaires, chacun plus ou moins proche de la peinture originale***. Certaines, comme Le temple Zojo-ji à Shiba sous la neige, auraient été imprimées en 3000 exemplaires. 

On peut ainsi supposer que 150 à 200 000 estampes de Hasui ont été commercialisées, et on en imprime encore aujourd’hui si les bois gravés d’origine sont en bon état - quand on ne les grave pas à nouveau, pour les estampes les plus prisées.


*  Voir le catalogue complet en vignettes, classées par éditeur et ordre chronologique (petites reproductions).
**  Pour réaliser l’incroyable casse-tête que représente la gravure du bloc clé (les lignes) et des blocs parfaitement ajustés pour chaque couleur, un jeune graveur japonais en détaille la réalisation à partir d’un dessin original de Yoshida jusqu’aux étapes de l’impression, en 3 vidéos de 40 minutes en anglais. C’est long mais on peut accélérer nettement la lecture avec la flèche droite du clavier.  
***  Voir une étude comparative entre des aquarelles originales et les estampes d’époque supervisées par Hasui.


C’est pourquoi on rencontre souvent les estampes de Hasui sur le marché de l’art. Ainsi Sotheby’s en proposait 76 aux enchères le 19 décembre 2023, en 48 lots (du n°83 au 130) dont 38 vendus souvent largement au-dessus des estimations, jusqu’à 23 000$ pour le fameux Temple Zojo-ji à Shiba sous la neige, l’estampe qui, dit-on, fit nommer Hasui, juste à temps, Trésor national vivant par l’État japonais en 1956, un an avant sa mort.


Avec un peu de mémoire on distinguera une estampe de Hasui à sa signature, mais on la reconnaitra plus surement à la pureté des formes qui rappellent la ligne claire des dessins de Hergé, son contemporain des antipodes, dans les aventures de Tintin et Milou.

Mais chez Hasui le héros est définitivement absent, le regard s’est détourné de la scène pour fixer ce Japon urbain presque désert qui décore les souvenirs de qui n’y est jamais allé, le Japon des films mélancoliques de Yasujiro Ozucet autre contemporain de Hasui. 


Encore quelques images de Hasui pour les fanatiques : un panorama décousu mais complet en vidéo qui laisse défiler 671 estampes et 5 notes de musique durant 67 minutes (200Mo), 8 séries de paysages du Japon et de Tokyo, avec de belles choses, et encore de la pluie, et encore de la neige. 


Hasui, 4 estampes de paysages, lots 92, 91, 106, 126, Sotheby’s 19.12.2023.

samedi 27 février 2021

La vie des cimetières (99)


Hellesylt en Norvège, son cimetière, son église, et au fond la maison à la webcam (d'après une belle vidéo de Arvid Hjelm filmée d'un drone en 2018).

Partout dans le monde fleurissent les pétitions implorant l’ouverture des salles de spectacle et des musées. La culture et l'art seraient nécessaires à la santé des populations guettées par la neurasthénie. En réalité n’importe quelle motif de rencontre ferait l’affaire. Mais ces retrouvailles sont encore interdites un peu partout, et les frontières fermées.
En attendant que le bonheur d’aller voir ailleurs et de s'y agglutiner nous soit accordé par nos maitres, il reste un moyen d’épier ce que deviennent nos congénères en temps réel : les webcams, ces caméras installées dans des sites pittoresques et connectées en permanence à l'internet.   

Nous parlerons prochainement du métier cruel de chercheur de webcams qui fonctionnent. Décevant, il réserve cependant parfois de belles trouvailles. Le site d’Hellesylt, petit village situé au bout d’un fiord (ou fjord) en Norvège est l’une de ces pépites.

La caméra est placée en surplomb (sur la maison au fond de l’image plus haut). Elle observe en vue d'oiseau le centre du village, le port, le débarcadère pour bateaux de croisière touristique, la conserverie de poissons, le pont qui regarde passer les eaux tumultueuses et glacées de la cascade, et l’église, ceinturée de tombes.
Il n’y passe que de microscopiques insectes et de gros nuages lents et sombres. Quand le soleil parait, les ombres démesurées des hautes latitudes donnent au spectacle sa troisième dimension, et quand la neige arrive le site se transforme en décor d’un film de Walt Disney.


Février 2021, vue plongeante sur le village d'Hellesylt diffusée par la webcam (cliquer pour agrandir le diaporama de 13 vues).
 
À quoi bon rester des heures à regarder le temps qui passe à peine sur ce cimetière de carte postale, direz-vous ?
Mais parce qu’il disparaitra bientôt sous la vague d’un tsunami, avec le village de poupée, les bateaux et tout le décor, et que la scène sera filmée en haute définition. Les sites qui hébergent les données de la caméra (WebcamTaxi et Youtube) conservent en permanence les 12 dernières heures enregistrées. Et la séquence peut être rejouée en manipulant la ligne rouge en bas de l’image.

Les scientifiques norvégiens, qui surveillent en permanence depuis plus de 20 ans l’écartement d’une faille sur la rive ouest du fiord, 15 kilomètres en aval, sont certains que le lourd pan de roche qu’elle sépare lentement du flanc de la montagne Åkerneset s’effondrera soudainement dans les eaux, et que la vague générée rebondira sur la rive opposée jusqu’à 100 mètres au dessus du niveau actuel, et se propagera en quelques minutes à travers le fiord, submergeant le village entier, port, pont, cascade, église et cimetière sous une vague de 85 mètres, ou peut-être de 35 mètres, c’est selon.
Cette imprécision dans la prévision du débit d’eau ne fera pas vraiment de différence pour les habitants de la vallée. Et elle est fournie avec un pronostic temporel aussi vague. Inévitablement, la catastrophe surviendra, dans 30 ans ou peut-être 100 ans, dit la science.

Le cinéaste norvégien Roar Uthaug en a fait en 2015 un film catastrophe, plutôt catastrophique, truffé de tous les clichés américains du genre, « La vague (Bølgen) », afin que les Norvégiens n’oublient pas la menace. Elle s’était déjà concrétisée, dramatiquement, en 1905 et en 1936, dans un autre fiord, plus au nord.

Hellesylt comptait 600 habitants en 2007, et 257 en 2017. Si la fuite de la population conserve cette allure, il ne restera au village en 2025 que les occupants du cimetière.
La vague pourra alors pulvériser et emporter tout ce qu’elle voudra dans la vallée, mais faute de maintenance la webcam ne fonctionnera vraisemblablement plus pour enregistrer l’évènement.

jeudi 8 février 2018

Pénurie soudaine de réalité


Derrière leur cache-nez, les peuples septentrionaux, qui vivent durant presque toute l’année dans des paysages auxquels manque la partie supérieure, la surface, doivent bien rire aujourd’hui du reste de l’Europe.

Soudain bouleversée devant l’effacement d’une partie de son décor quotidien, l’Europe avance à petits pas précautionneux, se congestionne, s’embouteille. Sa réalité lui échappe, comme gommée. Elle n’est pas habituée à se déplacer sur une abstraction, ou alors, une fois tous les dix ans.


Les peuples du Nord, eux, vivent continument dans ces paysages conceptuels qu’il faut reconstituer mentalement, c’est pourquoi ils produisent des films policiers ou des films d’horreur tellement abstraits. Cela tient à leurs paysages épurés, géométriques, désincarnés.

Alors ils sourient certainement de voir les pages des blogs et des médias du reste de l’Europe soudain blanchir à l’unisson. Ils savent que cela ne dure pas, que le Sud est frivole, et qu'ils se retrouveront bientôt à nouveau seuls dans leur décor métaphysique.





vendredi 30 janvier 2015

La vie des cimetières (60)


Les belles dames du cimetière Staglieno à Gênes

Dans la Ballade des dames du temps jadis François Villon regrettait les belles dames du passé, dans un vers devenu immortel,
« Mais où sont les neiges d’antan ? »

On dit qu’il faisait allusion à une tradition répandue au 15ème siècle dans le nord de l'Europe, les fêtes annuelles de la glace et de la neige où des personnages historiques ou mythiques étaient sculptés aux grands froids et fondaient avec la pluie et les redoux.

Les grands cimetières monumentaux ont aussi leurs dames du temps jadis. Elles se couvrent lentement de mousse et de poussière, mais de mémoire d'homme elles ne disparaissent jamais.












jeudi 14 juillet 2011

Commémorons l'hiver

Rappelant la fête nationale française, Guy Sorman vient d'écrire aujourd'hui un court billet (14 juillet, Fête de l'amnésie) excellent, comme souvent. Il n'y a pas grand chose à y ajouter, sinon l'illustrer d'images qui n'ont surtout rien à voir avec un sujet aussi faisandé.


jeudi 8 janvier 2009

Privés de jardins publics

Inconscients et volages, les enfants des villes modernes ne savent pas le bonheur que les adultes responsables leur façonnent patiemment. Par exemple, depuis quelques années, tous les parcs et jardins publics sont systématiquement fermés (*) au premier flocon de neige un peu tenace. La chute d'une branche alourdie par la neige pourrait blesser quelqu'un.


La subversion objecte qu'on interdit ainsi aux enfants qui n'ont pas les moyens de s'offrir des vacances de ski le spectacle magique qu'est un parc recouvert de cette féerie ouatée.

Rétorquons qu'il reste dans les villes bon nombre de lieux où les enfants peuvent exercer leur désir irrépressible de modeler des bonhommes de neige, de pratiquer des glissades effrénées ou d'engager des batailles de boules de neige : ce sont les kilomètres de trottoirs de la ville. Naturellement, comme tout le monde retrouve un esprit joueur dès que la neige revient, il n'est pas impossible qu'ils y croisent un automobiliste fantasque égaré en travers du trottoir ou éparpillé autour d'un lampadaire. Il conviendra d'être prudents.


(*) À Paris tous les parcs et jardins publics de la Ville sont fermés. Les jardins des Tuileries et du Luxembourg qui appartiennent respectivement à l'Établissement Public du Louvre et au Sénat sont ouverts...

***
Pour les oreilles : The West Coast Sound (Vol. 1), un album rare de «West coast jazz» de 1953, rythmé, allant, inventif et mélodique, avec Art Pepper (saxo alto), Jimmy Giuffre (saxo baryton) et quelques autres sous la baguette de Shelly Manne. «Afrodesia» ou «You and the Night and the Music» sont des bijoux.

samedi 10 février 2007

Ces œuvres n'existent pas

Friedrich C.D. - L'hiver, détruit en 1931
Le 6 juillet 1931, brûlaient à Munich, dans l'incendie du Glaspalast, 3000 tableaux, dont 110 romantiques allemands, dont 9 de Caspar David Friedrich. Au début de l'année 1945, sous les bombardements aériens, de nombreuses œuvres de la Nationalgalerie de Berlin étaient détruites, dont certains tableaux de Caspar David Friedrich.

Friedrich C.D. - Paysage d'automne, détruit en 1931
Il ne reste d'eux que des photographies en noir et blanc. On trouve sur Internet des essais de mise en couleurs qu'il est préférable d'oublier. Peut être existe-t-il encore quelque vieil amateur qui a vu ces tableaux et leurs couleurs. Mais on lit aussi sur Internet, à propos du "cimetière sous la neige", que l'absence de couleur n'est pas critique, s'agissant d'un paysage de neige.

Friedrich C.D. - Cimetière sous la neige, détruit en 1945
C'est juste. En art, c'est à présent le concept qui importe, l'œuvre peut être absente. D'ailleurs, les conditions d'exposition des tableaux sont souvent tellement pénibles (mauvais éclairage, foule...) qu'on les apprécie mieux en reproductions. Qui peut se vanter d'avoir réellement vu la Joconde. Entr'aperçue, derrière une épaisseur mouvante de touristes et les reflets de la lumière artificielle sur la vitre blindée, la mauvaise copie d'un débutant ferait l'affaire. La Joconde est une abstraction. Elle n'a plus besoin d'un support matériel. Les paysages de Friedrich non plus.