samedi 25 juillet 2020

Les Christo vivent encore

Les Christo, célèbre duo d’entrepreneurs américains spécialisé dans le divertissement populaire de grande envergure, connus pour leur impressionnante habileté à obtenir l’appui des élites et dirigeants politiques et pour l’autofinancement de leurs réalisations, est mort définitivement, avec le décès de Christo le 31 mai dernier (si cette phrase donne l’impression de flotter grammaticalement entre le pluriel et les singuliers, l’auteur n’y est pour rien, c’est un problème courant avec les duos).

Le duo était composé de Jeanne-Claude Denat de Guillebon, porte-parole qui s’occupait surtout de la commercialisation des documents préparatoires et du financement et de la logistique des installations, et de Christo Javacheff, qui réalisait les études techniques, les plans, esquisses, dessins et maquettes des projets. Les investisseurs étaient rémunérés en œuvres de Christo.
En 1994, après 20 ans de collaboration, Jeanne-Claude (madame Christo) obtenait que son nom soit systématiquement cité à égalité au générique de leurs projets, ce qui était bien naturel. Elle mourut en 2009.

Le duo était renommé pour la création d’évènements populaires, d’une durée de 16 jours (pour faire 3 weekends), autour de l’emballage sous toile plastifiée de monuments en vue, comme la statue de Victor Emmanuel 2 à Milan en 1970, le Pont-neuf de Paris en 1985, l’imposant Reichstag de Berlin en 1995, mais aussi pour quelques autres réalisations aquatiques à succès comme les merveilleux quais flottants sur le lac d’Iseo en Lombardie, en 2016. Ces évènements étaient toujours gratuits pour le public.  


Avec le succès vinrent la mode et les imitateurs. À la saison froide, les statues des sites historiques du Domaine public français se mettent à copier Christo, comme ici au château de Fontainebleau.

Christo était obsédé par le phénomène du drapé, d’où sa compulsion pour les emballages gigantesques. C’est un engouement très partagé. Le drapé cache les objets, mais les évoque, en montrant leurs formes élémentaires, comme la neige adoucit et simplifie les volumes d’un paysage. Il permet tous les fantasmes sur la réalité qu’il masque.
Certains, iconoclastes, pensent même que l’emballage par Christo embellissait les monuments laids et massifs qu’il dissimulait.

Fatalement, avec le succès, les Christo eurent des ambitions artistiques, égocentriques, voire pharaoniques, jusqu'à multiplier les esquisses, maquettes, modèle réduit, d’un tombeau dans le style égyptien, plus haut que la pyramide de Khéops, constitué de centaines de milliers de barils de pétrole, et qu’ils souhaitaient ériger en plein désert d’une des petites dictatures familiales de la péninsule arabique, l’émirat d’Abu Dhabi.
Contrairement à leurs autres réalisations toujours éphémères, ils l’imaginaient éternel.

Cela ne se fit pas, mais le duo conclura cependant bientôt son existence par un geste posthume triomphal, si tout va bien.
Car le survivant devait être à l’honneur au printemps dernier avec l’emballage de l’Arc de triomphe de Paris, sur la place de l’Étoile, combiné à une exposition au Centre national d’art et de culture de Beaubourg. Mais les méfaits du virus à couronne puis la mort de Christo ont bouleversé ce programme.

Finalement, l’occultation monumentale est renvoyée au 18 septembre 2021, et l’exposition est ouverte depuis le 1er juillet 2020, dans un Beaubourg en travaux. Étienne Dumont l’a visitée, et le relate sur son blog avec son habituelle liberté de ton. Il n’a pas été emballé.
 

lundi 20 juillet 2020

Arithmétique récréative au Louvre

Le mensonge, ou plutôt le « n’importe quoi pourvu que ce soit gros » a de tout temps été le moyen de communication favori des humains (remplacez gros, au choix, par grossier, simpliste, caricatural, primaire).
Les neurologues les mieux informés affirment que le cerveau humain préfère entendre ce qu’il sait déjà ou ce qu’il a le moins de mal à comprendre, comme cela il peut économiser son énergie et continuer à flotter doucement dans le formol de ses inclinations routinières.

Admettons, mais alors, quand le « n’importe quoi » est très gros à avaler, disons comme un autobus, toutes ses alertes devraient se mettre à sonner et le réveiller en sursaut « Attention, surcharge, on coule ! »
Il semblerait que non. Quelques moins crédules jetteront peut-être l’intrus par-dessus bord, mais pour la plupart, contre les lois les plus élémentaires de la physique, le poids de l’autobus renforcera la flottaison cérébrale.
Il en est même qui excusent cette conduite du cerveau en prétendant que l’humain n’aurait pas vécu bien longtemps s’il avait fallu qu’il doute de tout ce que ses sens lui rapportaient. C’est un peu facile.

Lorsque l’Agence d’État en voie de Privatisation (AFP) annonçait, dès le 25 février 2020, sous la dictée du président du musée Louvre, que l’exposition Léonard de Vinci avait reçu 1 071 840 visiteurs en 4 mois exactement, personne ne fut surpris. Le matraquage médiatique avait été si intense pendant les mois précédant l’exposition que pour tout le monde Léonard était un génie omniscient et universel, qui avait choisi de mourir en France, et de prendre le Louvre comme impresario, en lui confiant le plus grand nombre sur terre de ses chefs-d’œuvre immortels, dont la légendaire Joconde, connue même hors du système solaire.

Alors, une moyenne de 9783 visiteurs par jour, personne ne tiqua. Pourtant la chose était impossible.

Seul M. Rykner, la petite bête du site La tribune de l’art, qui ne cesse d’aller gratter les contrevérités des grandes institutions de l’art, s’en inquiétait 4 mois plus tard dans un long article plein de laborieux calculs de jauge et concluait tièdement qu’il restait un mystère.

Pourtant les calculs sont simples. Pour mémoire « Les normes de sécurité (notamment incendie) dans les lieux recevant du public, musées ou expositions, interdisent de dépasser une personne pour 5 mètres carrés accessibles au public, sauf autorisation d’une commission de sécurité ».
Dans le cas du hall Napoléon du Louvre, l’aire d’exposition de 1350 mètres carrés devait donc refuser plus de 270 visiteurs simultanés.

En prenant une moyenne, large, de 12 heures d’ouverture par jour (comptant les jours avec nocturne et les prolongations), et un temps de visite moyen par client d’une heure et demi (ce qui est déjà sportif, ça revient à consacrer 30 secondes seulement à chacune des 175 œuvres exposées), le nombre de visiteurs quotidiens n’aurait pas dû dépasser 2160 [(12 / 1,5) x 270].
Or le Louvre en déclare une moyenne de 9783, soit 4,5 fois la limite, c’est à dire 1200 personnes simultanément devant 175 œuvres. À peine plus d’un mètre carré par visiteur. Est-ce vraiment sérieux ?

À moins qu’une majorité de clients soient entrés, puis sortis immédiatement après avoir constaté que la Joconde, seul motif de leur visite, n’y était pas. Dans ce cas l’exposition serait plutôt un échec, puisque la Dame voit habituellement passer plus de 20 000 touristes par jour. C’était d'ailleurs exactement la raison invoquée par le président du Louvre pour justifier son absence « les espaces d’exposition ne permettent d’accueillir que 3 à 5000 personnes par jour ». Et ces espaces en auraient toutefois ingurgité près de 10 000 par jour sans interruption pendant 4 mois ?


À la revue de son royaume, quand il longe la cour intérieure où sont remisées les sculptures antiques, le président du Louvre ressent toujours un frisson de terreur devant cette statue chthonienne qui lui indique, menaçante derrière sa grille régulière comme les repères d’un graphique, la courbe que devront suivre sans faute les résultats de sa gestion du musée.

Ainsi les chiffres annoncés par le Louvre, et sans doute ceux d’autres grandes expositions, privées ou publiques, sont des bobards. Le billet unique ou jumelé permet de noyer les visites dans un grand nombre global qui évite les statistiques détaillées. Le seul objectif étant la surenchère, il suffit de déclarer plus que le voisin, et tout le monde le croit. Personne ne vérifiera, et les données réelles (billetterie, avis de la Commission de sécurité…) ne seront éventuellement publiques que s’il arrive une catastrophe, suivie d’un déballage médiatique où chacun essaiera de se défausser sur l’autre.

Et comment peut-on affirmer que ce sont des fables plutôt que des erreurs ?
C’est simple. Un mensonge est une donnée imaginaire, sans référence objective, et on doit donc le conserver précisément en mémoire, qui est faillible. Ainsi le 25 juin, 4 mois après la clôture de l’exposition et l’annonce du record de 1 071 840, le président du Louvre annonçait fièrement au New York Times, en anglais (*), que l’exposition Léonard avait accueilli 1 200 000 visiteurs. La fréquentation enregistrait alors une belle progression de 12%.

On ne saurait illustrer plus clairement qu’on peut raconter n’importe quoi.

***
(*) NYT : How much did your blockbuster Leonardo da Vinci exhibition, which closed right before the lockdown, bring in?
    JLM : We had 1.2 million visitors, which works out to about €2.5 million in revenue. That’s quite exceptional. Generally, exhibitions are loss-making, which is not a word I like to use. They cost us money.
 

mardi 14 juillet 2020

Histoire sans paroles (37)

Sans paroles ? C'est vite dit ! Car il en a été proféré des myriades en un siècle, et des milliers d’articles à sensation, des faux reportages, des romans de gare, et il en coulera encore, du haut des 500 mètres du piton rocheux de Rennes-le-Château

Au début de l’histoire c’était un petit village occitan et somnolent de 200 habitants, au pied d’une église délabrée, à 50km au sud de Carcassonne. Arrive en 1885, envoyé par l’évêché, un abbé relégué, un peu escroc. Il pille quelques tombes derrière son église, organise un trafic de messes et de sacrements et, soutenu par des amitiés royalistes, restaure l’église (elle sera inscrite aux Monuments historiques en 1994), l’ornant d’un décor tape-à-l’œil sulpicien, puis se fait construire un belle demeure Renaissance entourée d’un parc arboré, d’un belvédère, d’une serre pour quelques animaux exotiques et d’une petite tour très gothique. 
Réprimandé puis déchu par l’Église en 1911, il prétendra pour sa défense avoir trouvé un trésor. 

L’histoire aurait pu se conclure à la mort du curé, très endetté, en 1917, et de sa servante et légataire, en 1953 (il l’avait intéressée très jeune à ses affaires), mais le nouveau propriétaire du domaine, qui avait tant attendu la fin du viager, transforma promptement le tout en « hôtel-restaurant de la Tour » et fit publier dans la Dépêche du Midi en janvier 1956 une série de chroniques promotionnelles racoleuses sur un trésor caché par le curé de Rennes-le-Château. 
C’était le début de la légende et des mystifications, charlataneries, chasses au trésor et autres impostures. 

Depuis, une nuée d’auteurs et d’éditeurs cupides alimentent sans arrêt les crédules d’une quincaillerie mythologique qui va de Blanche de Castille à Léonard de Vinci (tiens, encore lui !), passant par les Templiers, l'apocalypse du calendrier Maya, les extraterrestres et le Christ (qui serait venu à Rennes), sans oublier les pratiques ancestrales de méditation relaxante.
Mythologie bénigne, triste pacotille ennuyeuse et sans imagination, elle fait vivre aujourd’hui un village qui n’a plus que 80 habitants, mais 4 restaurants et 3 librairies ésotériques, quelques artisans d'art parasites, un modeste festival du film insolite (catégorie mysticisme et paranormal), un parking payant de 100 places en bas de la colline, et la crédulité de 30 000 béats annuels, parait-il.

Et le pauvre Satan, claustré sous le bénitier aux initiales du curé dévoyé, en est au moins à sa troisième tête. Elle avait disparu, avec les bras, en 1995. Recréés, ils viennent d’être à nouveau détruits à coups de hache par une jeune illuminée en 2017. La justice lui réclame 17 718 euros pour rembourser la restauration (notre illustration date de septembre 2019), ce qui parait très excessif pour une attraction de carton-pâte de style Disneyland, même inscrite aux Monuments historiques.

mercredi 8 juillet 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (3 de 3)



Posologie : cette chronique contient presque autant de liens externes que de mots. Elle est par conséquent à manipuler avec précaution, voire à ingurgiter en plusieurs séances séparées par des périodes de repos d'une durée appropriée. Vous êtes avertis.

Les épisodes précédents ont montré que la visite virtuelle du musée de l’Ermitage à Saint-pétersbourg était une promenade plaisante, mais que la fonctionnalité était trop fantasque, voire aléatoire, pour une découverte instructive des collections.
Pour cela le site propose un catalogue, complet (antiquités, peinture, sculpture, gravure, dessin, mobilier, horlogerie, armurerie, numismatique, orfèvrerie, fiacres…) et efficace.
La recherche se fait en anglais (или по русски), elle privilégie la saisie multimot, les mots recherchés sont complétés en cours de saisie, les caractères jokers simple (?) ou multiple (*) sont autorisés (exemple : RU?SDAEL).  
Les images sont généralement de dimension et de qualité correctes (2000 pixels) et libres.

Le musée est si riche qu’il donne l’impression d’héberger peu de chefs-d’œuvre. C’est sans doute vrai relativement, mais il recèle une profusion de curiosités dont voici une liste évocatrice, incomplète et désordonnée, mais avec tous les liens (qui ne vivront peut-être plus si vous lisez cette chronique dans quelques années).

Plus de 50 Hubert Robert, beaucoup non exposés, 26 paysages du nord de Rockwell Kent, non exposés, des Rembrandt comme s’il en pleuvait, des David Teniers en pagaille, une vingtaine de paysages de Claude-Joseph Vernet, une dizaine de Bellotto, des Van Dyck à ne plus savoir où les mettre.

Huit Boilly dont la splendide scène de billard, deux nocturnes de Wright of Derby, des Degas exceptionnels, trois Willem Duyster aux mises en scène toujours aussi curieuses, plusieurs intérieurs d’église de Granet, comme d’habitude, dont un avec un chat inattendu, de splendides Alessandro Magnasco.

Une série de bluettes anecdotiques où François Flameng, vers 1900, imaginait Napoléon lutinant dans le parc de Malmaison ou pouponnant sur la terrasse de Saint-Cloud, des contes lestes de La Fontaine illustrés par Subleyras (non exposés), un tableau heureusement rarissime de l’actrice Sarah Bernhardt, et le célèbre et édifiant tableau de Jean-Paul Laurens qui figure l’empereur Maximilien du Mexique, juste avant d’être exécuté, promettant au prêtre effondré qu’il lui enverra des nouvelles du ciel.

Sans oublier ce charmant tableautin d'Hans von Marées avec sa gracieuse fontaine dont l’eau coule d’endroits imprévus, un Jacob Vrel agrémenté d'un gros numéro peint en rouge, quelques anonymes remarquables, comme ce saint Jean-Baptiste raccourci dans une architecture infernale, ou cette allégorie sanglante de la Révolution Française fourmillant de détails réjouissants, sans compter un nombre certain de tableaux en très mauvaise condition.

Enfin quelques magnifiques tableaux de peintres rares, Oswald Achenbach, Jan Asselijn, Gerard Ter Borch, Karl Buchholz, Jakob Hackert, Louis Tocqué, et la découverte d’un peintre remarquable, August Matthias Hagen, russe de la Baltique, certainement marqué par Friedrich, et dont l’Ermitage possède trois beaux paysages qu’il n’expose pas.



Et pour finir le plus beau tableau du musée, de 1699, cette merveilleuse femme au voile, sans doute le plus beau de Jean-Baptiste Santerre, portraitiste inégal universellement méconnu.

Avec vos propres critères de recherche, vous trouverez évidemment des dizaines d’autres merveilles dans ce catalogue.
Mais vous y ressentirez peut-être aussi un vague ennui, un sentiment de déjà vu, comme d’un voyage qui finalement ne vous aura pas divertis. C’est que l’Ermitage est un musée européen, fait à l’image des grands musées de l’Europe, pour leur ressembler et les dépasser, avec les mêmes artistes, et fait pour attirer sans les dépayser les 3 à 4 millions annuels de touristes européens d’aujourd’hui.

Il suffirait de sortir de l’Ermitage par la perspective Nevsky, de suivre les quais de la Moyka sur quelques centaines de mètres, de contourner la cathédrale Saint-Sauveur-sur-le-sang-versé, énorme pâtisserie bourrée de crème et de fruits confits, puis de traverser le jardin où Pouchkine tend un bras de bronze couvert de pigeons et indique un grand bâtiment triste et ocre clair à l’architecture néo-classique. C’est le Musée Russe.
Là, vous seriez dans un autre monde. Celui de l’art russe. Mais le flux pâteux des touristes n’y passe pas, et le musée n’a pas les ressources pour construire un grandiose site virtuel à l’image de son voisin prestigieux.

Mise à jour le 15.07.2020 : Pour information, le musée de la vraie vie vient de rouvrir doucettement après 4 mois de lutte sans merci contre le virus planétaire. Le masque et les gants de caoutchouc sont obligatoires.

Détail des illustrations de la page : en haut August Hagen (bord de mer), au centre Jean-Baptiste Santerre (femme au voile), ci-dessous, Jan Asselijn (rupture d’une digue), Gerard ter Borch (portrait de Catarina van Leuninck), et un montage de 3 détails, de Flameng (Napoléon), Magnasco (bandits dans des ruines) et Oswald Achenbach (Fête nocturne à Naples).



 

lundi 29 juin 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (2 de 3)


Comme dans ce tableau de Jan Kobell (Ermitage, non exposé), ouvrir une simple porte dans le musée virtuel de l’Ermitage est une expérience troublante qui ne vous mène pas toujours où vous le pensiez.

Exaltés par votre errance dans le palais de l’Ermitage, vous n’avez probablement pas résisté à chercher les artistes que vous aimez, et pour cela à consulter le catalogue des collections en ligne.

Mais les liens du catalogue vers la visite virtuelle ne sont pas fiables. Ils vous entrainent le plus souvent sur de fausses pistes.
Vous voulez voir un tableau dans son contexte, cliquez sur le numéro de la salle (Room), êtes transportés vers un nouveau plan, peu ou pas interactif, qui ne comporte pas toujours la salle demandée, ou qui mène à une page vide, et quand vous trouvez par hasard le bouton « Virtual visit 3D » ou « View in 3D », vous êtes admonestés d’un « Erreur 404 non trouvé ».
Alors vous renoncez et revenez au plan de visite virtuelle.
Mais vous savez, depuis l’épisode précédent, que nombre de salles manquent sur ce plan, notamment les arts du 19ème au 21ème siècle.

Or il existe un moyen d’atteindre ces salles hypothétiques, c’est d’utiliser la visite virtuelle en partant d’une salle que vous estimez proche de votre objectif. Pour cela vous disposez, en plus du plan interactif, de deux outils.
Le zoom, qui permet de lire les numéros de salles apposés près de l’encadrement des portes (mais ils manquent souvent et ne sont pas toujours ordonnés), et 150 raccourcis vers des salles prestigieuses que l’Ermitage a distinguées sur une page spéciale. Évidemment, les salles y sont baptisées mais pas numérotées, histoire de brouiller les pistes, mais c'est de là que vous pourrez accéder à Bonnard, Degas, Monet, Vallotton, et tant d'autres.

Illustrons. Vous bruliez de voir dans quel contexte est présenté le « carré noir sur fond blanc » de Malevitch, un des fondements de l’art moderne, dont l’auteur déclarait, dit la notice « Le carré n’est pas une forme subconsciente. C’est une création de la raison intuitive. […] Le carré est vivant, c’est le premier pas vers la créativité pure ».
Le catalogue le localise salle 443, qui est absente des plans.
En examinant la liste des 150 salles, vous trouvez sur l’onglet 11 des salles dont l’art vous parait moderne, le nom de Malevitch se trouve même sur la vignette de la salle « Dmitry A. Prigov ».
Vous êtes près du but. Vous cliquez sur la vignette…, puis sur le bouton « View in 3D »…

Sur place vous inspectez les salles avoisinantes. Pas de numéros de salle. Pas de Malevitch alentour. Mais vous arrivez par hasard dans une salle où vous reconnaissez, sur certains tableaux, un style caractéristique. Le titre de la page le confirme, vous êtes dans la « salle Friedrich ». Vous cherchiez la 443, vous êtes dans la 352, inaccessible autrement.

L'exceptionnelle salle des 8 tableaux de Caspar Friedrich, dont le catalogue des collections dit qu’elle porte le numéro 352, mais qu’on ne peut atteindre qu’en fouinant autour des salles de l’art contemporain, elles-mêmes accessibles un peu au jugé.

D’accord, l’exemple était mal choisi. Qu’à cela ne tienne, la physique la plus moderne prétend que la matière se comporte ainsi dans la réalité, qu’elle peut se trouver n’importe où et dans plusieurs endroits en même temps. Les physiciens appellent ce phénomène la non-localité. Et puis avouez que vous vouliez voir cette riche collection de paysages de Friedrich.

Abordons enfin un sujet gênant. Dans l’épisode précédent nous promettions de résoudre le mystère de l’introuvable salle 308, qui recèle notamment, dit le catalogue, 3 des tableaux les plus fameux de Jean-Léon Gérôme, dont sa plus grande version du nébuleux et pathétique « après le bal ».
Hélas, après des heures d’errantes insomnies, reconnaissons que c’était pure vantardise.
Nous nous excuserons en offrant un abonnement au blog, gratuit et à vie, pour tout indice déposé dans les commentaires.

Nonobstant ces petites déconvenues, maintenant familiers des lieux, vous avez réalisé que la plupart des œuvres (98%) ne sont pas exposées (Not on display), ou sont fréquemment introuvables, mais qu’elles sont bien documentées dans l'excellent catalogue en ligne qui regorge de curiosités et de raretés. Nous le feuillèterons dans le prochain épisode.

Au cours de votre visite de l’Ermitage virtuel, si vous êtes ici, c’est que vous êtes perdus, toujours dans le musée, mais dans une zone étrange qu’il vaudrait mieux éviter. Revenez sur vos pas, retrouvez les salles Picasso en passant par la salle Vlaminck, ou vous resterez à perpétuité dans cet environnement carcéral. 
À défaut reprenez le jeu au début, ou éteignez tout.

lundi 22 juin 2020

Il n’y a pas d’H à Ermitage (1 de 3)


Saint-Pétersbourg, la place du Palais et la façade du Palais d’hiver, jadis résidence des empereurs de Russie et aujourd’hui musée de l’Ermitage, théâtre de notre quête. Ici l’histoire se fait à chaque instant. Le 20 juin à 1h, c’était la féerie d’un soir de printemps, et 6 heures plus tard une tentative de putsch militaire sans doute, infructueux si on en croit le silence des médias sur le sujet.

On raconte que le virus à couronne, devenu mondialement célèbre en mars dernier, souhaiterait refaire un tournée planétaire, qu’il réapparait en Chine et qu’il sera peut-être en Europe dans quelques mois. Préparons-nous, par précaution, pour un long voyage immobile.

D’abord, déçu par d’anciennes excursions, on pense qu’il est inutile de retourner à Pétrograd, enfin Léningrad, disons Saint-Pétersbourg, sur le site du Государственный Эрмитаж (musée d’État de l’Ermitage). La randonnée a toujours été épuisante. On le dit le musée le plus copieux du monde en nombre d’objets, en réserves ou exposés, mais les recherches y étaient trop laborieuses, en cyrillique, et les reproductions épouvantables.

Et puis un jour au gré d’une dérive distraite, on voit passer une page, en anglais. On constate en fouillant que ce ne sont pas seulement 3 ou 4 pages clairsemées, comme souvent, mais que le site du musée de l’Ermitage au complet, avec le catalogue détaillé des collections, existe désormais en deux langues, russe et anglais, et que les reproductions y sont maintenant d’une qualité suffisante pour une déambulation agréable et instructive, pour qui sait déchiffrer un peu la langue de Disney.
On va finalement pouvoir errer dans ce mystérieux musée inaccessible pendant près d’un siècle, dont on disait qu’il regorgeait de Rembrandt, de hollandais, de français, d’italiens, de Léonard de Vinci, de millions de choses merveilleuses que personne n’avait jamais vues.

Cette « ouverture » du musée n’est pas si soudaine, c’est en fait un long travail depuis la fin du siècle dernier, couronné et soutenu en 2011 par la création de la « Fondation pour le développement de l’Ermitage ». Et comme en France, où les véritables spécialistes de l’art sont les fournisseurs d’énergie, de béton ou de produits de luxe, dans la Russie moderne, les grands musées sont encore contrôlés par les représentants de l’État, mais à travers sa participation majoritaire dans de grandes firmes.
Ici, la fondation est pilotée par la banque Gazprom, une des plus grosses entreprises stratégiques russes, principale émettrice des gaz qui détruisent l’atmosphère terrestre, assistée par Coca-Cola, Vuitton, Samsung, et autres bienfaiteurs de l’humanité.

Et les effets s’en font sentir. Nombreux projets de succursales, à l’image de celle d’Amsterdam, à Las Vegas, Barcelone, Moscou, Vladivostok, ambitieuses opérations de restauration d’œuvres, expéditions archéologiques, traduction totale du site en anglais (Comment, vous ne maitrisez pas la langue des affaires ?), et création d’une visite virtuelle du musée sur internet.

Si beaucoup de ces opérations de prestige semblent s’être évaporées comme de la buée dans les nuits froides de Saint-Pétersbourg, la visite virtuelle de l’Ermitage est bien concrète, si on ose dire. C’est même la plus exceptionnelle expérience de promenade électronique dans un grand musée.
Dans ce monde vaste et silencieux, vous aurez à votre disposition les outils simples et traditionnels des jeux vidéos, pour vous repérer, vous déplacer et interagir.

Les webcams

Elles sont au nombre de trois et montrent le monde réel. Trois caméras en haute définition qui fonctionnent en permanence, placées sur la grande place du Palais face au musée, dans la cour centrale du Palais d’hiver, et dans le hall Raphaël (retenez qu’actuellement l’heure de Saint-Pétersbourg est celle de la France plus une). Vous ne verrez presque personne passer sur l’image des deux dernières, au cœur de l’Ermitage, tant qu’il sera fermé pour raison sanitaire, ou parce que c’est lundi.
Ces caméras vous serviront peu, mais il sera parfois reposant, comme devant le spectacle de la mer, d’afficher en plein écran l’immense place du Palais, aux heures animées, et de scruter les occupations de ces innombrables fourmis (notre illustration plus haut).

Le catalogue des objets à chercher

C’est le cœur de notre quête.
Comme le Louvre, l’Ermitage présente des artefacts de toutes les civilisations, dans un espace de temps plus vaste encore, de la préhistoire à l’art moderne, avec une préférence pour l’époque contemporaine de la création du musée, c’est à dire les arts et artisanats du 18ème siècle, ou très appréciés alors.

Dans le catalogue vous trouverez l'image, les caractéristiques détaillées, et l’historique des 3 millions d’objets conservés par l’Ermitage, ou au moins d’une bonne partie. Notez que 60 000 seulement sont exposées au public.
Nous reviendrons sur ce catalogue dans un prochain épisode. Il ne nous servira pas pour l’instant, car s’il indique la localisation des objets exposés (le numéro de la salle et l’emplacement de la salle dans le musée), il ne nous emmène pas sur place dans la visite virtuelle, ou parfois seulement, et par des détours subtils qui feront le plaisir des esprits fureteurs mais l’exaspération des flâneurs.


L’Ermitage expose deux tableaux de Joseph Wright of Derby, achetés à peine secs pour Catherine 2 de Russie dans les années 1770. Mais comment les atteindre dans la visite virtuelle ?


La visite virtuelle

C’est une fonction exceptionnelle, sans doute unique sur internet, à cette échelle.
Les 66 000 mètres carrés d’exposition du musée, boiseries, marbres, ors et somptuosités sont à la portée de votre main. Vous vous déplacez de salle en salle, zoomez pour détailler les vues panoramiques, vous arrêter sur chaque objet, en lire la notice, et voir l’œuvre de plus près.

Pour ne pas vous perdre, ou vous repérer si vous êtes déjà égaré, vous disposez d’un plan général interactif. Il affiche, sur 3 étages, la liste de toutes les salles (il y en a des centaines), le thème et la période exposés, et vous y emmène directement. Si vous connaissez le numéro de la salle recherchée, vous disposez sur la même page du plan où elle peut être sélectionnée, ce qui vous y téléporte également.

Trucs et astuces

• Il vous faudra quelquefois choisir un autre point de vue dans la même salle (elles sont vastes) pour accéder aux informations sur des objets de la pièce qui, d’où vous êtes, ne semblent pas documentés (signalés par un i cerclé).

• Certaines pièces ont peu d’objets documentés, mais n’oubliez pas de lire, en haut de page, les informations sur la salle, qui en disent parfois long.

• Pris d’un vertige naturel devant tant de luxe, vous ne vous souviendrez pas toujours de quelle salle vous veniez. L’Ermitage l’a prévu et vous indique sur une vignette, quand vous pointez la pièce suivante, si vous l’avez déjà visitée lors de la session.

• Quand vous vous arrêtez devant une glace, ne vous étonnez pas de ne pas voir votre reflet. Pour que l’expérience soit impressionnante, le musée est totalement désert, les visiteurs sont effacés. Mais peut-être réussirez-vous à apercevoir quelques silhouettes floues, au rez-de-chaussée par exemple, vers les vestiaires. Un témoin peu fiable dit les avoir vues, une fois.

• Dans son ensemble, le jeu est savamment développé, mais comme dans toute création humaine un peu complexe, il vous arrivera, pensant entrer dans une pièce, de vous matérialiser dans une autre, très éloignée. Ça ne sera pas un raccourci, mais une anomalie du logiciel.
 
Enfin, souhaitant atteindre un numéro de salle vu dans le catalogue des objets, vous pourriez ne pas le trouver sur le plan, ou tourner autour de la salle sans réussir à l’atteindre.
Ainsi, vous entreverrez peut-être des peintures impressionnistes, des tableaux de Caspar Friedrich, de Matisse, les plus fameux Gérôme, un carré noir de Malevitch, ou 43 Picasso, mais le plan refusera de vous y mener.
Peut-être faut-il, comme dans tout jeu vidéo, avoir acquis un niveau d’expertise suffisant pour que ces salles s'ouvrent, comme une récompense.

Nous verrons, dans le prochain épisode, comment atteindre ces mystérieuses pièces inaccessibles, et tenterons même de résoudre l’énigme de la salle 308.


Où se trouve le plus beau tableau du musée de l’Ermitage ?

mardi 9 juin 2020

Grosse déprime pour Mona Lisa

Alors que la planète sort lentement de réclusion forcée, le monde de l’art cherche à relancer ses activités publiques tout en respectant la règle imposée par les autorités médicales, éviter les rapprochements entre humains.

Ainsi les musées et les salles de vente rouvrent leurs lieux recevant du public sous des conditions de visite radicales, qui font ressembler une visite à l'exposition à un rendez-vous au service des impôts ou au commissariat de police quand vous ne savez pas le motif de la convocation.
Pour combien de temps ? Faisons confiance à l’être humain, il fera tout ce qu’il peut pour tuer le virus, après quoi, il s’amalgamera à nouveau. Il n’y peut rien, il faut qu’il se groupe, c’est ce qui lui a permis de survivre et ainsi se répandre sur Terre.

En attendant, les amateurs d’art en public subiront les modalités de visite suivantes :

Réduction sévère du nombre de visiteurs. Par exemple le Prado de Madrid qui reçoit habituellement 15 000 visiteurs par jour s’est organisé pour un maximum de 1800 et a regroupé ses principales œuvres de tête de gondole en quelques salles seulement pour un survol résumé. 

Visite uniquement sur rendez-vous, réservée à l’avance sur internet en précisant l'heure d'arrivée (s’il reste des places disponibles).

Prise de température à l’entrée. Pas d’information encore sur la température au-delà de laquelle l’entrée est refusée, ni sur les modalités de remboursement (musée Jacquemart, Prado).

Pas de vestiaire disponible, donc pas de sac à dos, gros sac, ni manteau, arrivez léger (voir l’encart du musée Jacquemart).

Pas d’audioguide portable

Pas de coin thé et restauration (mais on ne va pas jusqu'à fermer les boutiques des musées). 

Masque obligatoire (non fourni) pendant la visite. Règle appliquée partout, ici au Louvre Lens.

Durée de visite réduite, au moins pour les expositions temporaires. Le musée Jacquemart par exemple limite les visites à 60 personnes et à une heure. Le musée d'Orsay dit qu'il ne pratiquera pas de restriction pour la collection permanente.

Obligation de suivre un marquage au sol, sens et durée de la visite imposés, au moins pour les expositions temporaires ou dans certains musées zélés comme dans la succursale de l'Ermitage à Amsterdam. Dans ce nouveau jeu de la marelle, qui crée un bouchon ou évite certaines cases sera banni comme nuisible au genre humain.

Nombreuses salles d’exposition permanente fermées puisque le personnel est mobilisé pour l’accompagnement et la surveillance.

Maintien d'une distance d’un mètre entre personnes, regroupements interdits en cours de visite. Pas de visites en groupe.

Plus d’exposition « monstre » et autres superproductions, les couts de prêt et d’assurance des œuvres ne pourront plus être assumés par des évènements qui recevront désormais 5 à 10 fois moins de visites. 

Tout ceci n’est pas une plaisanterie et peut être vérifié. Bien entendu, les sites peu fréquentés ou mal dotés aménageront certainement ces contraintes, par exemple la température du corps ne sera peut-être pas vérifiée sur les sites qui n’ont pas les moyens de la relever sans contact.





Quant aux salles d’enchères, qui sont depuis longtemps entrainées aux ventes à distance, par téléphone et sur internet, elles adaptent leurs expositions aux nouvelles contraintes, les visites se font sur rendez-vous, et les ventes en ligne, donc sans voir les objets, se multiplient.

Les musées américains, qui vivent de grandes difficultés financières, ont obtenu le droit de vendre les œuvres qu’ils détiennent pour échapper à la crise. Ce qui présage des ventes bien attrayantes.

Christie’s reprend les activités sérieuses en ligne avec de l’art gnangnan mais qui a fait ses preuves, qu’elle appelle art européen, vente close le 17 juin, et Sotheby’s avec une valeur sure, les peintres orientalistes, dont les plus fameux, et inévitablement quelques Gérôme, vente close le 11 juin.
Il y a toutefois dans ces ventes de belles choses, dont certains détails illustrent cette chronique (de haut en bas, une vue de Venise par Henry Pether, dans la forêt par Atkinson Grimshaw, Pandora par Odoardo Fantacchiotti, femme au miroir par Anton Einsle, lavandières par Adam Styka, toutes chez Christie).

Et pour finir, le plus grand musée de l’univers n’a pas encore décrit les modalités de visite de sa réouverture du 6 juillet, mais restez à l’écoute, on peut s’attendre à des innovations extravagantes afin d’éviter que la Joconde ne fasse une dépression nerveuse carabinée en voyant le torrent estival quotidien de ses 30 000 idolâtres se réduire à un robinet qui goutte.


Mise à jour le 20.06.2020 : Le Louvre vient de rendre publiques les nouvelles conditions de visite du musée à partir du 6 juillet 2020. Finalement, sans grande surprise, les règles et pratiques énoncées plus haut sont toutes reprises, notamment la réduction de 40% des collections exposées (par exemple Georges de La Tour et Baugin seront invisibles), à l'exception du contrôle de la température corporelle, qui n'est pas évoqué.


mercredi 3 juin 2020

Deux ou trois vérités et quelques mensonges

Récemment encore l’espèce humaine errait sans repères, aveugle car elle ne connaissait pas la Vérité.

La révélation eut lieu entre 2010 et 2015 de notre ère, d’après la majorité des experts. Certains affirmant qu’elle s’est dévoilée peu à peu, d’autres qu’on l’a découverte par deux ou trois phénomènes remarquables, et ils citent comme évènement fondateur le jour de la création, en 2014, d’une rubrique appelée « Les décodeurs » sur le site internet du journal Le Monde, qui partait ainsi en croisade pour exterminer les contrevérités repérées dans les médias.

Par la suite, tout journal un peu responsable créa sa rubrique « la Vérité est ici », par exemple la page « CheckNews » sur le site du journal Libération.
Le gouvernement français aussi en fut piqué, avec la loi sur la « manipulation de l’information », fagotée en 2017, qui ne vise pour l’instant que les périodes électorales. Texte redondant qui permet au pouvoir d’enseigner un peu plus fermement la Vérité aux réseaux sociaux sur internet.
Ainsi armés, loi et médias, ceux qui ont les moyens d’imposer leurs idées pouvaient dormir d’un sommeil sans nuage. La Vérité était bien gardée.

Cependant, ranger parmi d’autres une rubrique consacrée à « démêler le vrai du faux », dans un journal ou sur un site d’information, ne pouvait qu’instiller le doute dans l’esprit des lecteurs sourcilleux. Doute sur les médias concurrents, ce qui est le but de la démarche, mais aussi doute sur les autres rubriques du site, qui ne font pas l'objet d'autant de scrupules.
Il y aurait donc plusieurs vérités, et les médias qui prétendent la vendre au singulier ne vendraient en réalité que du vent (ou des vents) ?

Ainsi, c’est sans doute à cette époque, grâce à l’intervention involontaire de ces pionniers de la Vérité, que se fit l'ultime révélation. L’humanité sut que la Vérité n’existe pas, que c’est un mot inutile dans le dictionnaire, mensonger au singulier, et qu’il convenait de le remplacer par des synonymes plus explicites, comme opinion, avis, point de vue, voire biais, préférences ou intérêts particuliers.


Sérieusement, au 3ème millénaire, avec l’encyclopédie électronique Wikipedia en ligne et un système de localisation en main, quand vous voyez ce genre de panneau sur votre chemin, vous y croyez encore ? Alors c’est parce que la réception est mauvaise et que vous n’avez pas de réseau.


Illustrons ce bouleversement cognitif d’un exemple à la mesure du sujet.

Le président de la France aurait déclaré, lors de la réclusion due à la pandémie, qu’en dépit de la fermeture des musées, les Français pouvaient tout de même visiter leurs magnifiques collections virtuelles en ligne. Et de citer le Louvre, Orsay, Versailles, Pompidou…
On l’aura mal informé sur ces sites, dont les outils de recherche et les reproductions sont médiocres, comparés aux grands musées internationaux. Il faut dire que la Vérité est un art dans la communication de ces baronnies opaques que sont les grands musées nationaux.

Prenons, au hasard, le Louvre. Il n’avait jamais imaginé, dans son élan vers l’infini (en nombre de visiteurs), que la source pourrait tarir et que ce nombre passerait brutalement, suite à un décret scélérat, de 30 000 par jour à 0 (zéro). Et ne connaissant pas d’autre public que celui qui se déplace et alimente sa trésorerie sur-le-champ, il n’avait jamais trouvé d’intérêt à faire de la collection publique qu’il conserve une présentation de qualité sur internet, agréable, exhaustive, didactique, conviviale et gratuite, comme l’ont fait beaucoup de musées étrangers moins prestigieux.

Alors cette subite solitude, l’absence de ces interminables files d’attente, le silence éternel de ces espaces inoccupés, ont affolé le Louvre, et on l’a vu se débattre, brassant le vide, recyclant de vieilles vidéos, raclant les fonds de tiroirs, et gesticulant bruyamment sur les réseaux sociaux.

On le croyait perdu, quand ce communiqué victorieux dicté à l’Agence d’État (AFP) inonda la presse, le 24 mai : « Le Louvre virtuel plébiscité par plus de 10 millions de visiteurs en 71 jours ».

Ainsi le Louvre n’était pas mort. Au contraire, il triomphait. « Ce musée, quelle réussite, quelle santé ! » retiendrait-on d’un tel titre.
La lecture détaillée du communiqué ne laisse pas la même impression. Il présente comme une belle réussite les 10 500 téléchargements de la dérisoire petite vidéo en réalité augmentée « En tête à tête avec la Joconde », alors que l’exposition Léonard de Vinci aurait accueilli plus d’un million de visiteurs, avant la pandémie (en réalité ce chiffre d'un million est un mensonge évident. Il dépasserait de 3 fois le maximum toléré par les réglementations de sécurité incendie).
Il s’étonne, sans proposer d’explication, que l’augmentation de la fréquentation du site ait pesé essentiellement sur les premières semaines de confinement et souligne une surabondance de connexions d’origine étrangère (90%), surtout américaine, ce qui n’est pourtant que le reflet à peine déformé des visites réelles.

Peut-être cet excédent de connexions qui rend le musée si fier, entre 3 et 4 fois la fréquentation habituelle, a-t-il été la norme pendant ces 10 semaines de réclusion pour certains sites de loisirs, d’éducation ou d’information. Et puis on sait le flou qui nimbe la définition du « visiteur » dans les statistiques des sites internet. Réclamer le remboursement d’un ticket acheté avant la pandémie, ou chercher sans succès d’éventuelles dates de report d’une exposition annulée constituent aussi des visites.

Néanmoins, comme avec le Louvre tout finit par des superlatifs, le communiqué claironne qu’il est devenu le musée d’art ancien le plus suivi sur Instagram, avec 4 millions d’abonnés, dépassant le Metropolitan Museum de New York.
Instagram est une sorte de réseau social de l’image regroupant plus d’un milliard d’utilisateurs. C’est la quintessence de la photo de vacances appliquée au quotidien et le moyen économique de publicité privilégié des marques et des artistes (Banksy y compte 9 millions d’abonnés). On y publie, sur la page de son propre compte, des petites photos carrées narcissiques souvent inintelligibles et que l’on commente le moins possible. La police puritaine de Facebook veille à ce que rien n’y dépasse (Instagram lui appartient). L’abonné grégaire et compulsif ne peut qu’aimer l’image en appuyant sur un cœur, et Facebook compte alors les points, ou laisser un commentaire, où il dit généralement qu’il aime.
Un cheptel de 4 millions de suiveurs sur Instagram est certes remarquable, mais dans le genre cela atteint à peine les orteils des grands comptes, détenus par des penseurs guides de notre temps, comme le président des États-Unis avec 20 millions de fidèles, ou des personnalités creuses sorties de la télé-réalité, ou des footballeurs, avec 220 millions d’abonnés pour l’un d’eux.

Telles sont les vérités du musée du Louvre. Bonnes ou mauvaises, réelles ou fictives, peu importe, ce qui compte est de hanter le temps de cerveau, conscient ou non, du plus grand nombre, et si possible de toute la planète (traduites en anglais, dans ce cas).

L’IFLA, Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques, sorte de syndicat somnolent des bibliothèques et des services d’information, diffuse une fiche de conseils très pertinents, sinon pratiques, pour repérer les « fake news » ou « infox », disons les tromperies. Elle énumère 8 contrôles de bon sens à effectuer avant d’admettre une information.
Hélas le lecteur consciencieux en aura à peine effectué le premier que l’information sera déjà caduque. Qu’à cela ne tienne, sautons directement au dernier recours, le contrôle numéro 8, il conseille de consulter des experts, bibliothèques ou services d’information, c'est à dire eux-mêmes.

« Décidément, tout le monde cherche a écouler sa salade ! », remarquerez-vous finement, et vous ajouterez « Il y a bien un moment où la réalité met de l’ordre dans toutes ces vérités ? Il faut bien, un jour, cesser de douter et commencer à agir ? »

Houla houla ! Ne nous emportons pas ! L’éclaircissement de ces questions n'est pas chose aisée. Cela peut prendre du temps.
Mais que le lecteur de tout genre se tranquillise, nous vérifierons scru-pu-leu-se-ment toutes les informations avant de répondre.
 

mardi 26 mai 2020

La vie des cimetières (94)

Toulouse, Muséum d'histoire naturelle

Tout amateur contrarié par ces deux longs mois de claustration virale a aujourd'hui de nouveau le droit d’entrer dans les cimetières, autrement que les pieds devant ou en famille.
Nous conseillerons cependant de ne pas trop se précipiter, et de faire ces premiers pas engourdis au matin, et sur l’herbe d’un cimetière déjà connu et fraichement fréquenté, comme ici la pittoresque nécropole d’Aulnay-de-Saintonge (illustrations).
Et si ces premiers pas sont assurés, sans hésitation, alors on envisagera la reprise des activités taphophiles avec confiance.

On pourra également, si l’on n’ose pas se risquer déjà dans un vrai cimetière, faire un peu d’exercice préparatoire en visitant sur internet des sites dédiés, comme LandruCimetieres.fr, Tombes-sepultures.com, Bertrandbeyern.fr, JeSuisMort.com
Mais vous remarquerez que dans ce domaine les sites sont nettement « orientés pipeule », et s’intéressent essentiellement aux personnalités, mortes ou presque, et peu au point de vue sociologique ou artistique.


Toulouse, Muséum d'histoire naturelle

dimanche 17 mai 2020

Vive la liberté

Cette vue, mille fois reproduite, représente la maison du gardien du parc ostréicole de l’aber d’Étel, sur l’ilot de Nichtarguér. On raconte que nombre de pays du monde, jusqu’à la Chine, ont pris modèle sur ce système de confinement et de surveillance, pour leur population. Il faut reconnaitre que de mémoire de Breton, de l'ilot de Riec’h à l'ilot de Fandouillec, on n’a jamais vu une huitre s’échapper par ses propres moyens, ni entendu de leur part la moindre plainte ou récrimination.


Après deux mois d’enfermement, il se peut qu’enivrés par cette soudaine bouffée de liberté, vous ayez déjà délaissé la lecture attentive de la presse pour courir humer l’air printanier. Finies les auto-attestations infantilisantes, vous gambadez désormais dans les rues, vous embrassez tous les passants (en respectant, bien entendu, les distances sociales et les gestes barrière), vous redevenez majeurs.

Sachez cependant que la loi du 11 mai 2020 vient de prolonger l’état d’urgence sanitaire de 2 mois, ce qui ne nous étonnera pas, habitués depuis les attentats terroristes aux prolongations répétées des états d’urgence provisoires, qui ne cessent que lorsque leurs mesures (1) sont discrètement intégrées dans une loi permanente, votée en principe au mois d’aout.

Éparpillés dans la nature, vous n’avez pas lu le détail de cette nouvelle loi. Qui vous en blâmerait ? Et puis c’est assez technique. Elle autorise la mise en place par décret d’un « fichier informatique de traçage des contacts des malades (sans leur consentement nécessaire, précise la loi), qui sera exploité par des brigades (2) sanitaires ».

Résumons pour les étourdis le fonctionnement de ce système : on suggère au médecin et au malade « Souhaitez-vous lutter contre le virus et sauver la France et les Français ? ».
Le médecin menacé s’assied alors sur le secret médical, et avec son malade en position de faiblesse, ils remplissent une liste informatisée des lieux et des personnes (appelées contacts) que ce dernier aura côtoyées, avec numéros de téléphone et adresses e-mail si disponibles, le tout dans le plus strict secret du cabinet médical.
Au même moment, des brigades de milliers de fonctionnaires, soumis également aux secrets professionnel et médical (3), épluchent et complètent cette liste informatisée, et commence alors, dans la plus extrême discrétion, la traque administrative des contacts, qui seront suivis avec insistance, jusqu’aux résultats des tests médicaux obligatoires qui leur seront prescrits, par les services d’enquêteurs sanitaires et téléphoniques.
Rappelons que tout refus de collaborer communiqué aux autorités est susceptible d'une amende de 135 euros, puis 1500 au deuxième refus, et enfin 3750 et 6 mois de prison, tout en restant dans le cadre strict et parfaitement contrôlé de l'état d'urgence, bien entendu.

En outre, il faudra s’attendre à ce que cette situation se prolonge un peu, tant qu’il n’existera pas de vaccin (les dernières annonces l’espèrent avant la fin de 2021, s’il en existe un), ou à défaut jusqu’à la contamination des deux tiers de la population, puisqu’il est admis chez les épidémiologistes que c’est la limite au-delà de laquelle une pandémie s’éteint naturellement.

Enfin à propos de cette loi, nous serons exhaustifs en mentionnant un article de deux juristes dans le journal Libération, qui extrapolent des incursions de brigades masquées jusqu'au domicile des contacts récalcitrants, qui seraient à leur tour incités à communiquer leurs propres contacts. Les rédacteurs imaginent en quelques semaines le fichage à grande échelle de toute la population française.
Comme ils y vont ! Ne seraient-ils pas légèrement conspirationnistes ou friands de science-fiction ?

Rappelons-leur que le peuple chinois est traité en permanence comme le décrit cette loi, sans consentement ni respect de la vie privée.
Presque un milliard et demi d’êtres humains ! Est-ce qu’on les entend se plaindre ?

*** 
(1) Une mesure d’urgence est en général une opération algébrique assez simple dont les termes sont immuables. On donne, en proportion, autant de pouvoirs à l’administration qu’on enlève de libertés aux administrés. 
(2) Brigade : mot emprunté à l’italien Briga, qui signifie combat, discorde. 
(3) On ne le répètera jamais assez, toute la chaine de ce système d’information, c’est-à-dire des milliers de personnes de bonne volonté, respecteront toujours la vie privée et la dignité humaine, principes fondateurs de notre civilisation.