samedi 26 juillet 2008

Lisez «Ce Glob Est Plat»

Le touriste qui visite le nord de l'Italie passe immanquablement par le lac Majeur et fait nécessairement une halte culturelle sur lsola Bella. Le touriste qui pose les pieds sur Isola Bella ne peut éviter de photographier l'île des pêcheurs (Isola Pescatori), face au débarcadère. Et Le touriste qui photographie ainsi l'île des pêcheurs diffuse innocemment la publicité de l'auberge Verbano, dont le nom est peint en grosses lettres blanches sur la façade rouge de l'établissement, au premier plan. Et ils sont des dizaines de milliers chaque année. Imaginez l'impact, qui a dû faire rêver plus d'un investisseur, si on pouvait substituer un message publicitaire, par exemple «Lisez Ce Glob Est Plat» (Leggete, en italien), à l'annonce actuelle. Ainsi, pour compléter notre billet vénal de la semaine dernière, proposons-nous aujourd'hui ce projet mercantile.

vendredi 18 juillet 2008

Nuages (10)

Les actionnaires de Ce Glob Est Plat ne voyant toujours pas venir l'ombre d'un dividende, ont menacé de ne plus soutenir notre action. Nous avons alors envisagé d'apporter notre soutien médiatique à une entreprise française dont les actions humanitaires et les efforts pour l'environnement sont hélas mésestimés, mais dont la prospérité financière est indiscutable. Ce sera notre contribution à la cause planétaire.

mardi 15 juillet 2008

Les perles de l'Encyclopédie (2.2)

Ce qui suit est la fin de la chronique commentant les articles écrits par l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot.

ATHÉES :

Cet article et le suivant sont la quintessence de la production Yvonesque. Il y concentre sa bêtise, sa mauvaise foi, sa rouerie, son venin.
Il commence par démontrer que l'athéisme n'existe pas à l'état naturel, premier élément pour prouver que c'est une perversion. L'historien Strabon et quelques témoignages de voyageurs affirment qu'existeraient des peuples ignorants et stupides vivant comme des bêtes, sans religion; Yvon rejette ces récits comme peu fiables et ajoute que si on a l'impression que tous les chinois sont athées, c'est parce qu'on ne comprend pas le chinois. Puis il démontre que tous les athées sont en réalité des croyants qui simulent: «Il ne saurait assurément y avoir d'athée convaincu de son système; car il faudrait qu'il eût pour cela une démonstration de la non existence de Dieu, ce qui est impossible.».
Enfin il conclut par un interminable sermon moral sur la vertu. La vertu est difficile. Elle n'apporte pas les satisfactions immédiates que procurent le vice et la réalisation de nos désirs réels et imaginaires. La religion imprime un frein à la satisfaction débridée de ces désirs, qui est un ferment du désordre social. Ainsi, les athées sont dangereux pour la société car ils ne croient pas qu'il existe un châtiment perpétuel qui les persuaderait de calmer leurs instincts. C'est le sermon préparatoire à l'appel au meurtre de l'article suivant.

ATHÉISME :

Ici l'abbé se déboutonne allègrement. Abandonnant les règles les plus élémentaires de la logique qu'il professe dans l'encyclopédie, il exige des athées qu'ils prouvent l'inexistence d'un dieu. Admirons la subtilité de l'argumentaire:
«C'est à l'athée à prouver que la notion de Dieu est contradictoire, & qu'il est impossible qu'un tel être existe; quand même nous ne pourrions pas démontrer la possibilité de l'être souverainement parfait, nous serions en droit de demander à l'athée les preuves du contraire; car étant persuadés avec raison que cette idée ne renferme point de contradiction, c'est à lui à nous montrer le contraire; c'est le devoir de celui qui nie d'alléguer ses raisons. Ainsi tout le poids du travail retombe sur l'athée; & celui qui admet un Dieu, peut tranquillement y acquiescer, laissant à son antagoniste le soin d'en démontrer la contradiction. Or, ajoutons-nous, c'est ce dont il ne viendra jamais à bout. En effet, l'assemblage de toutes les réalités, de toutes les perfections dans un seul être doit nécessairement exister, l'existence étant comprise parmi ces réalités: mais il faut renvoyer à l'article Dieu le détail des preuves de son existence
De nombreux auteurs attribuent l'article DIEU à Yvon, malgré l'absence de sa signature. On y retrouve effectivement son style et ses références. Lisez plutôt: «L'existence de Dieu étant une de ces premières vérités qui s'emparent avec force de tout esprit qui pense & qui réfléchit, il semble que les gros volumes qu'on fait pour la prouver, sont inutiles... Pour contenter tous les goûts, je joindrai ici des preuves métaphysiques, historiques & physiques de l'existence de Dieu.». Hélas, ses principaux arguments ont perdu toute pertinence avec les découvertes de l'archéologie et des sciences de l'évolution et de la génétique. Yvon avait même prédit leur invalidation: «Si on prouve que le monde ait existé avant le temps marqué dans cette chronologie, on a raison de rejeter cette histoire». Par Chronologie il entendait celle décrite dans les textes bibliques, qui dataient de 6 à 7000 ans la création de la terre et des humains.

Il continue sa démonstration, juge les systèmes athées trop complexes et difficiles à comprendre comparés à la simplicité de la solution religieuse qui dissout toutes les questions, affirme que l'athéisme avilit et dégrade la nature humaine, et couronne son raisonnement par cette mémorable profession de foi humanitaire:
«L'homme le plus tolérant ne disconviendra pas, que le magistrat n'ait droit de réprimer ceux qui osent professer l'athéisme, & de les faire périr même, s'il ne peut autrement en délivrer la société... Par conséquent le magistrat doit avoir droit de punir, non seulement ceux qui nient l'existence d'une divinité, mais encore ceux qui rendent cette existence inutile, en niant sa providence, ou en prêchant contre son culte, ou qui sont coupables de blasphèmes formels, de profanations, de parjures, ou de jurements prononcés légèrement. La religion est si nécessaire pour le soutien de la société humaine, qu'il est impossible, comme les Païens l'ont reconnu aussi bien que les Chrétiens, que la société subsiste si l'on n'admet une puissance invisible, qui gouverne les affaires du genre humain.»
Tout est dit.



On raconte parfois que les gargouilles représentent les êtres égarés sans le secours de la foi, rejetés par l'église. L'incroyant a donc le choix: périr par la justice humaine suivant les conseils de l'abbé Yvon ou finir pétrifié pendant quelques siècles dans une pose grotesque, comme ces gargouilles de Notre-Dame de l'Épine, en Champagne.

ATOMISME :

Nous finirons un peu plus légèrement cette balade dans les idées de l'abbé Yvon, par la conclusion de son petit article sur l'Atomisme.
«Le tout s'est fait par hasard, le tout se continue, & les espèces se perpétuent les mêmes par hasard; le tout se dissoudra un jour par hasard; tout le système se réduit là. Il serait superflu de s'arrêter à la réfutation de cet amas d'absurdités.»

Vous n'avez pas rêvé. Tout cela a été écrit dans la grande Encyclopédie du siècle des lumières par l'abbé Yvon. Le lecteur qui désirera poursuivre la lecture de ces sophismes et démonstrations fumeuses, dont les raisonnements recueillent encore une étonnante considération auprès de certains athées contemporains, en trouvera la liste complète en suivant ce lien, et je lui conseillerai de débuter par la description des monstrueuses conséquences de l'adultère dans la société.

Enfin au lecteur qui s'exclamera «C'est facile de se moquer des erreurs du passé!», je répondrai «Oui». Et je lui suggérerai de rechercher et corriger lui-même les erreurs du présent, au hasard dans la célébrissime et omniprésente encyclopédie participative Wikipedia, qui en fourmille. Par exemple, l'article sur la ville de Jéricho. Tout le monde connaît le récit biblique du petit air de Louis Armstrong qui, joué sept fois consécutives, fit s'écrouler les murailles millénaires qui protégeaient la ville. Le 2 juillet 2006, ce récit était dans le chapitre Histoire de l'encyclopédie Wikipedia. Le 4 juillet un lecteur plus rigoureux créait un chapitre Mythologie et y déplaçait le récit. Le 10 juillet un lecteur croyant (ou conciliant) remplaçait le titre du chapitre par Récit biblique, solution molle qui a l'avantage de ne plus choquer personne.

samedi 12 juillet 2008

Les perles de l'Encyclopédie (2.1)

Il y eut un temps où la preuve ontologique faisait taire les contradicteurs. Quand Descartes disait «si j'ai en moi l'idée d'un Dieu infini alors que je suis un être fini, c'est nécessairement qu'un Dieu infini existe» Tout le monde le croyait sur parole. Personne n'aurait osé lui opposer que les éléphants roses qu'il voyait lorsqu'il abusait de la bière devaient alors également exister.
Puis avec le siècle des lumières, les grandes questions métaphysiques suscitèrent des argumentaires plus techniques, plus scientifiques, comme dans les articles de l'abbé Yvon pour l'Encyclopédie de M. Diderot. Diderot avait recruté Yvon et quelques autres ecclésiastiques pour rédiger les articles les plus délicats, démarche stratégique à une époque où la religion instituée avait le pouvoir de faire envoyer les incroyants en prison, voire en enfer. Mais la collaboration d'Yvon ne dura que quelques mois et 45 définitions ; il s'arrêta fin 1751 au mot Censure, au moment où, mêlé à l'affaire de Prades, il dut fuir la France, et où les deux premiers volumes de l'Encyclopédie étaient interdits de vente et de détention.

Feuilletons donc un petit florilège des démonstrations lumineuses de l'abbé Yvon dans l'Encyclopédie, qui était destinée à faire rayonner l'esprit français pour l'éternité.

ABDUCTION :

C'est un type de raisonnement logique. Ici Yvon commence fort sa première collaboration alphabétique, en affirmant dans son exemple «Tout ce que Dieu a révélé est très certain; c'est une de ces premières vérités que l'esprit saisit naturellement, sans avoir besoin de preuve.» On remarquera que nombre d'articles de l'encyclopédie dans le domaine de la logique utilisent des exemples avec Dieu, ce qui les rend incompréhensibles, voire absurde aux incroyants. Remarquons également qu'il entend par révélation les choses que la raison naturelle n'enseigne pas et qui ont été dévoilées par Dieu à ses prophètes et consignées dans la Bible. On retrouvera régulièrement cet «argument» chez Yvon.

ACATALEPSIE :

C'est un article sans intérêt particulier d'Yvon et Diderot, mais qui renvoie vers l'article anonyme PROBABILITÉ, qui est un délice de lecture, influencé par l'esprit d'Yvon, où on apprend que les lois de la nature sont de pure convenance et que Celui qui les a établies peut les éteindre le soir quand il se couche. «Nous savons que Dieu a établi lui-même les lois de la nature, qu'il est constant dans l'observation de ces lois; ainsi l'esprit répugne à croire qu'elles puissent être violées. Cependant nous savons aussi que celui qui les a établies a le pouvoir de les suspendre; qu'elles ne sont pas d'une nécessité absolue, mais seulement de convenance. Ainsi nous ne devons pas absolument refuser notre confiance aux témoins ou aux preuves extérieures du contraire.»

Sur ce cliché d'une statue perchée sur une cimaise de la cathédrale de Reims, pris au moment précis où Dieu avait la tête ailleurs et suspendait momentanément les lois de la nature, on reconnaîtra peut-être un éléphant qui a pu servir à prouver sinon l'existence de Dieu, au moins celle des éléphants.

AGIR :

L'article est amusant. Il utilise presque 1800 mots pour expliquer qu'il ne sait pas définir le mot «Agir», s'embourbe dans une tentative d'associer les actions de l'âme et de Dieu à des effets dans le monde réel, pour conclure sagement «La vraie Philosophie se trouvera fort abrégée, si tous les Philosophes veulent bien, comme moi, s'abstenir de parler de ce qui manifestement est incompréhensible.»

ÂME :

Article étrange. D'abord très historique et scolastique, où pendant de longues pages il réfute les plus grands philosophes (Thalès, Aristote, Épicure, Spinoza, Locke...) pour démontrer que l'âme est immatérielle et immortelle, l'article se termine par un coup de théâtre qui peut faire soupçonner qu'il a été partiellement révisé, peut être par Diderot.

L'abbé commence donc par une longue démonstration décousue sur les divers aspects de la question (l'âme est-elle une qualité ou une substance unique, matérielle, nuageuse ou spirituelle, universelle, éternelle, étendue ou ponctuelle, contient-elle des morceaux de Dieu...), et agrémentée de lumineux éléments de dialectique.
Il apporte par exemple, sur l'immatérialité de l'âme, la preuve qui tue : «L'esprit de l'homme est de sa nature indivisible. Coupez le bras ou la jambe d'un homme, vous ne divisez ni ne diminuez son esprit, il demeure toujours semblable à lui - même, & suffisant à toutes ses opérations comme il était auparavant. Or si l'âme de l'homme ne peut être divisée, il faut nécessairement que ce soit un point, ou que ce ne soit pas un corps... Ce serait une extravagance de dire que l'esprit de l'homme fût un point mathématique, puisque le point mathématique n'existe que dans l'imagination... Puis donc que l'âme de l'homme ne peut être divisée, & que ce n'est ni un atome ni un point mathématique, il s'ensuit manifestement que ce n'est pas un corps.»

Sur la manière dont l'âme interagit avec la matière il se trouve un peu à court d'argument et préfère faire appel à la révélation divine: «Cette dépendance mutuelle du corps & de ce qui pense dans l'homme, est ce qu'on appelle l'union du corps avec l'âme; union que la saine Philosophie & la révélation nous apprennent être uniquement l'effet de la volonté libre du Créateur.»

Puis, à la fin de l'article, survient le retournement.
Après avoir épuisé 20000 mots pour réfuter les philosophes et affirmer sa définition d'une âme immatérielle et immortelle, il termine par la description d'expériences et de constats médicaux qui démontrent l'impact des défauts du cerveau sur les fonctions de l'âme. Cette «conclusion» déconcerte par son humeur noire et désabusée, et sa contradiction avec le reste de l'article: «Voilà donc l'âme installée dans le corps calleux, jusqu'à ce qu'il survienne quelque expérience qui l'en déplace, & qui réduise les Physiologistes dans le cas de ne savoir plus où la mettre. En attendant, considérons combien ses fonctions tiennent à peu de chose; une fibre dérangée; une goutte de sang extravasée; une légère inflammation; une chute; une contusion; & adieu le jugement, la raison, & toute cette pénétration dont les hommes sont si vains.»

Cette scène, sculptée sous un porche latéral de la cathédrale de Reims, illustre cruellement jusqu'où pouvaient aller les différentes expériences conduites par le clergé pour tenter de prouver le bien-fondé des hypothèses sur l'immatérialité et la localisation de l'âme.

Signalons en passant que l'ÂME des bêtes fait l'objet dans l'encyclopédie d'un article distinct sévèrement argumenté (presque 13000 mots) par Yvon en personne, où on découvre un abbé progressiste qui s'oppose courageusement à Descartes et considère que même les bêtes possèdent une âme immatérielle, puis qui s'empêtre dans des justificatifs bancals pour lui nier toute immortalité. «L'immortalité de l'âme des bêtes est une opinion trop choquante & trop ridicule aux yeux de la raison même, quand elle ne serait pas proscrite par une autorité supérieure, pour l'oser soutenir sérieusement.» Il faut lire la suite dans le texte pour savourer le problème de logique soulevé par cette question, et la pirouette habituelle de la révélation divine qu'il utilise pour s'en sortir.

À SUIVRE...

Lecteur qui n'imaginiez pas ainsi l'Esprit des Lumières, vous n'avez encore vu que des frivolités. Vous apprendrez dans notre prochaine parution comment l'abbé Yvon, en vrai progressiste, propose de faire périr une partie de l'humanité, et qu'il l'écrit dans l'Encyclopédie.

dimanche 29 juin 2008

Une soirée de jazz frit

Le festival de Jazz d'Orléans avait invité le 26 juin un des fondateurs du Free Jazz il y a bientôt 50 ans, Archie Shepp. La soirée fut très sage. Shepp joua et chanta essentiellement des blues ponctués comme habituellement de ces cris enroués qu'il déchire de son saxophone ténor. Et c'était assez beau. Comme d'habitude également dans cette grande fête provinciale de la musique libre et en plein air, toute photographie était prohibée.

mardi 24 juin 2008

D'après Clouet, dans le style de Corneille

Corneille de Lyon était un peintre français d'origine flamande actif entre 1530 et 1575. Ses petits portraits raffinés de la noblesse le rendirent célèbre au point d'être nommé, comme l'était François Clouet, peintre du Dauphin puis peintre et valet de chambre du Roi Henri 2 en 1551.
Peu de tableaux lui sont attribués avec certitude. Les experts parlent le plus souvent d'œuvres de l'atelier de Corneille, ou attribuées à Corneille, ou même, d'après Corneille, comme ce portrait d'une certaine Aimée Motier de La Fayette, peint d'après un dessin de Jean Clouet et qui fait partie d'une belle série exposée au musée Condé. Rien à ajouter, sinon conseiller d'aller le voir au château de Chantilly, qui recèle tant d'autres merveilles.

samedi 14 juin 2008

La porte de Lugano

Il est malaisé d'expliquer ce qui fascine dans la vue d'une porte qui n'isole rien de particulier et qui ne donne sur rien d'autre, dans la vue de ces choses inutiles ou absurdes qui prennent une dimension métaphysique dès qu'elles deviennent un peu monumentales.
Ce portail fantôme, vain décor d'un débarcadère de théâtre, dans le jardin public de Lugano en Suisse italienne, fait penser à la porte incongrue de Font-d'Hurle qui déroutait Vialatte dans une magnifique chronique de 1955 *, ou à Christo quand il emballe soigneusement les édifices les plus volumineux.

C'est ce léger vertige qu'on ressent dans l'observation de la réalité lorsqu'elle prend une apparence irrationnelle.


* Les portes de la Solitude sont des portes monumentales... Il y en a une à Font-d'Hurle (c'est un haut plateau, dans le Vercors) ; elle est en bois, à claire-voie, longue, basse, encastrée dans rien. Il n'y a rien à droite, rien à gauche, pas un mur, pas un fil de fer, rien par-devant, rien par-derrière, si loin que s'étende la vue ; seulement cette inscription grandiose : «Prière aux visiteurs de refermer derrière eux.» On ne saurait mieux dire à l'homme que, d'où qu'il vienne et où qu'il aille, il ne peut jamais ouvrir ou fermer que sur soi. Et ce qu'il y a de plus paradoxal, c'est que, précisément parce que c ' est inutile (ou alors pourquoi ?... je ne sais pas), on se donne la peine de passer par la porte (Kafka en eût fait dix volumes), d'entrer dans un endroit où l'on se tient déjà !
Alexandre Vialatte, extrait de «Mgr Sahara par rené Dupuy», chronique de La Montagne, 22 décembre 1955.

samedi 7 juin 2008

La vie des cimetières (12)

Notre chroniqueur nécrophile n'a rien publié depuis le 11 novembre 2007, mais il n'est pas mort pour autant. Il revient avec un dossier monumental.
Et si, comme la rédaction de Ce Glob Est Plat, vous avez depuis des années éteint radio et télévision et que vous ne vous informez du monde qui change qu'en regardant les arbres, les nuages et les statues grandiloquentes dans les parcs, alors préparez-vous à de grandioses émerveillements.
Car notre nécrophile a rapporté de Milan plusieurs centaines d'images du cimetière des monuments (Cimitero Monumentale), parangon de tous les cimetières, le cimetière qui enterre tous les autres. Les italiens fortunés y font construire depuis 1866, sur 25 hectares, des sépultures à la mesure de leurs vanités, et c'est une surenchère de bon goût et d'élégance plastique.
Et si les noms gravés, défunts comme sculpteurs, sont inconnus ou oubliés, les tombeaux méritent bien la très courte éternité que nous leur consacrerons ici, plus ou moins régulièrement.

Secteur 4, vue sur le Famedio.

samedi 31 mai 2008

Goya et les presbytes

Tout a été dit sur Francisco de Goya, peintre et graveur. Mais on ne louera jamais assez sa contribution à la recherche sur la presbytie.
La presbytie (prononcer presse-bissie) est une dégénérescence naturelle de l'œil due au vieillissement. Comment la dépiste-t-on ? Tous les grands musées lancent assez régulièrement des campagnes de dépistage, dissimulées sous la forme d'anodines expositions consacrées à des gravures et dessins anciens.
Si, lors de la visite d'une de ces manifestations, vous entendez un surveillant zélé sévèrement sermonner un amateur honteux, il y a fort à parier qu'il vient de dépister un presbyte que le manque de lumière a contraint à aventurer son nez un peu trop près d'une gravure. Parfois, ce sera la sirène du système électronique de surveillance habilement dissimulé et spécialement entrainé à détecter les presbytes trop curieux qui se mettra à hurler dans le silence de la salle d'exposition. D'autres fois, vous remarquerez un amateur étourdi qui semble regarder le plafond avec attention. C'est un presbyte avisé qui, s'étant procuré les prothèses adéquates, sous la forme de lunettes adaptées à sa vue dans la partie basse du verre, donne l'impression qu'il regarde en l'air alors qu'il pointe son regard exactement en face de lui, horizontalement.
On l'aura
compris, le presbyte a besoin de lumière et découvre ainsi son handicap dans les situations faiblement éclairées. Contrairement à de nombreuses expositions de dépistage, celle que le Petit palais à Paris consacrait * récemment aux gravures de Goya était correctement agencée et éclairée. Elle était probablement consacrée aux presbyties légères, naissantes.

Nada, Ello dirá (Désastres de la guerre, gravure 69, détail).
Un corps en décomposition s'extirpe d'une tombe et écrit «Nada» (rien) sur une feuille. Gravure absente de l'exposition.

Dans une exposition de Goya, il y a toujours une gravure absente, celle justement qu'on avait envie de retrouver, et il est toujours frustrant de voir des séries incomplètes. Pourtant ici tous les aspects de sa vision des grotesques de l'humanité étaient représentés, sur plus de 200 gravures. On y découvrait même des raretés, comme cette empreinte digitale au coin d'une gravure délaissée (n.79 du catalogue), qui pourrait être celle de Goya et intéresser les fétichistes passionnés d'anthropomètrie. Les mêmes fétichistes peut-être, phrénologues avertis, qui auraient dit-on volé la tête de Goya dans sa tombe. En effet, lorsqu'il fut décidé en 1888 de transférer vers son pays natal le corps de Goya, alors enterré à Bordeaux depuis 60 ans, on ne déterra qu'un corps sans tête. Abandonné dans un dépositoire, le corps ne retourna en Espagne qu'après 10 années de débats. Cet épisode inspirera à Jean Veber, caricaturiste au journal Gil Blas, un hommage sublime et irrespectueux, présenté en fin d'exposition, comme une délivrance après ce parcours au milieu des folies et des cruautés humaines.

Veber jean, le retour de Goya dans sa patrie, 1899 (Lithographie, Paris petit palais). Il est conseillé à l'amateur d'archiver chez lui cette image. Faisant peut-être l'objet de droits de reproduction, elle peut être retirée à tout moment si un ayant droit se manifeste.

Ne serait-ce que pour cet éclat de rire final, allez le voir ! Ah oui, on me rappelle que l'exposition est terminée. Qu'importe. L'Internet regorge de reproductions des gravures de Goya, des séries complètes (chez Wikimedia) des caprices, des disparates, des désastres de la guerre, parfois de très bonne qualité. Certains sites considèrent même le presbyte avec humanité, comme Visipix, monumental dans son désordre encyclopédique et ses détails aux dimensions gargantuesques. Le presbyte y scrutera tranquillement les détails les plus affreux en sirotant un lait grenadine et n'ayant désormais plus à endurer l'humiliation des dépistages en public.

***
* Conforme à sa mission journalistique, Ce Glob Est Plat attend généralement qu'un événement soit passé, révolu, accompli, pour en parler. Le lecteur pourra moins facilement vérifier ses allégations et les contredire.

samedi 24 mai 2008

La Terre en vraies couleurs

Le philosophe grec Démocrite est souvent représenté dans le long débat fait d'exils, d'autodafés, voire de bûchers (et dans lequel par stricte rigueur journalistique nous ne prendrons pas parti) qui oppose depuis 2500 ans les adeptes d'une Terre plate aux apôtres de sa sphéricité.

La tradition picturale le figure avec un sourire moqueur montrant du doigt le
globe terrestre, comme l'ont peint Bramante ci-dessus (vers 1480, à la pinacothèque Brera de Milan), Velazquez ci-dessous (vers 1630, au musée des beaux arts de Rouen), et Ter Brugghen (en 1628, au Rijksmuseum d'Amsterdam). Ce dernier l'a affublé d'un globe céleste, et a octroyé le globe terrestre à son symétrique, le portrait d'Héraclite, auquel Démocrite est fréquemment associé dans l'iconographie.
On a appris depuis que cette tradition sur la personnalité de Démocrite, reprise des auteurs romains, était assez fausse. Mais au moins a-t-elle permis pendant ces siècles obscurs d'afficher des idées alors réprimées et de s'en innocenter en les attribuant à une sorte de savant fou, prédicateur d'un matérialisme absolu et d'un déterminisme inéluctable. Rien dans les fragments qu'il reste de Démocrite ne présente cette vision de la Terre ni ne confirme son cynisme. Mais sa vision prophétique d'une pluralité des mondes, dans des états et des âges différents, et parmi lesquels le nôtre n'a rien de particulier *, est finalement bien illustrée ainsi. Il désigne le globe terrestre avec l'air de nous dire «c'est notre monde, on n'aura que lui, et il faudra faire avec».

On trouve sur Internet des reproductions acceptables des Démocrite de Velazquez et de Ter Brugghen, mais la fresque de Bramante fait l'objet d'une sorte de malédiction. Déjà inexplicablement absente des catalogues et autres guides de la pinacothèque Brera de Milan, on en trouve une seule reproduction passable en ligne, pillée et répétée par tous, dont la source est l'inépuisable base de la Web Gallery of Art. Elle est hélas atteinte d'une sorte de monochromie maladive comme d'un excès de carotène. Dans le cadre de sa série de chroniques «Aime la vie, peins la en rose», Ce Glob Est Plat, défenseur de tous les globes de la Terre, se sentait tenu de corriger la situation, et proposer aujourd'hui au monde ébahi les vraies couleurs naïves et acidulées de la fresque de Bramante. Aparté technique : cette fresque de Bramante aux «vraies» couleurs ci-dessus est un montage, très imparfait. Le dessin, les lignes et détails proviennent de la version Web Gallery of Art, les couleurs sont issues d'une photo dérobée sur place à Milan, mal cadrée et floue, prise subrepticement sans regarder dans le viseur. Les photographies y sont interdites, on s'en sera douté, mais jusqu'où n'irions nous pas pour honorer notre devise «La vérité sinon rien!».
***
* Dans la fable Démocrite et les abdéritains, La Fontaine le fait parler ainsi:
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-être même ils sont remplis
De Démocrites infinis.


Mise à jour du 10.04.2019 : on raconte que Bramante s'est peint à droite en Démocrite, et qu'il a représenté Léonard de Vinci en Héraclite, à gauche. À l'époque ils travaillaient ensemble sur des projets d'architecture à Milan pour Sforza. On reconnaitrait Léonard à ses vêtements roses et au livre devant lui qui serait écrit de la droite vers la gauche.

samedi 17 mai 2008

Nuages (9)

Paris, le 17 mai à 18 heures.

vendredi 2 mai 2008

L'article 33, épisode trois

Résumé des épisodes précédents :

Épisode un : l'article 33, c'est le funeste article 33 du «Règlement de visite du musée du Louvre» qui paraissait en 2005, instituant l'interdiction progressive de photographier la totalité des œuvres exposées dans le musée. Cet interdit concerne tous les touristes amateurs d'art, ceux qui payent leur ticket d'entrée.

Épisode deux : quelques réactions désillusionnées (que nous relations ici-même) s'ensuivirent, qui montraient l'injustice, voire l'illégalité de cette décision de technocrate mercantile.

Le code d'Hammurabi, à Babylone en 1750 avant notre ère, maintenant au musée du Louvre, un des premiers règlements écrits de l'histoire de l'humanité. Certains de ses 282 articles ont pu inspirer les promoteurs de l'article 33.


Épisode trois : on aurait pu en rester là et s'habituer insensiblement à la perte d'une petite liberté de plus. Mais une récente recherche dudit règlement (dont le lien était devenu erroné) nous conduisait à cette page fourre-tout du site du Louvre, intitulée «Services & Aides». Et sur cette page, à l'article «Règlement de visite du Musée», on peut lire cette déclaration sensationnelle:
Une nouvelle rédaction de l’article 33 du règlement de visite concernant l'autorisation de photographier dans les salles du musée vient d'être adopté par le Conseil d'administration: «Dans les salles des collections permanentes, les œuvres peuvent être photographiées ou filmées pour l’usage privé de l’opérateur. L’usage des flashes, et autres dispositifs d’éclairage est prohibé. Dans les salles d'expositions temporaires, il est interdit de photographier et de filmer. Il est également interdit de filmer et de photographier les installations et les équipements techniques.

Mitigeons notre enthousiasme. On ne sait pas de quand date cette décision du Conseil d'administration. Ce texte mal foutu à l'orthographe incertaine, avec son guillemet ouvert qui ne se ferme jamais, n'est pas daté, ni la page qui le contient. Il pourrait même être antérieur au règlement de 2005 qui est toujours la version officielle diffusée sur le site du Louvre.
Par ailleurs, s'il rétablit le droit, tel qu'il était avant 2005, de prendre des photographies, il pose explicitement l'interdiction de les publier. Est-ce bien légal ? Souhaitons leur du courage s'ils doivent en faire la chasse sur Internet.

Pour résumer, et si cette interprétation est confirmée, on pourra à nouveau aller photographier le zizi de l'hermaphrodite dans la salle du manège du département des sculptures, et on ne pourra plus le montrer en public, mais l'admirer en privé, en cachette.

dimanche 27 avril 2008

Nuages (8)

Le cratère du Vésuve, près de Naples. Le panneau polyglotte conseille la vue sur Pompéi.

vendredi 25 avril 2008

Dieu s'appelle Antoine

Les Athéistes et autres Spinozistes sont bien feintés! Dieu existe. Enfin il a existé. Né en France en 1662, il se prénommait Antoine.

Il ne reste plus grand chose de sa création, quelques œuvres où domine le plus souvent une grande confusion baroque, où se répand un bric-à-brac surchargé. Il s'était spécialisé dans les pesantes allégories bibliques (dont naturellement nombre de scènes avec Jésus) ou guerrières. À peine peut-on trouver un charme un peu fané à ses «jeunes filles jouant aux osselets».

Il était commerçant, dessinateur et peintre, et si on parle encore de lui aujourd'hui, c'est parce qu'il eut la bonne idée de servir les puissants: le duc d'Orléans, le duc de Bourgogne, Louis 14. C'est pourquoi ses œuvres traînent encore de nos jours dans les galeries du château de Versailles, où on ne les remarque pas parmi les ors et la quincaillerie tape-à-l'œil.



Dieu est mort le soir du 17 octobre 1727.*

Que tout le monde se rassure, il reste encore aujourd'hui quelques Dieu. Il sont très discrets mais on peut tout de même les contacter en cherchant leurs coordonnées dans un annuaire téléphonique. Les pages jaunes en dénombrent déjà une trentaine à Paris, et si on en croit les statistiques, il en naît de plus en plus, surtout dans le nord de la France.

***
* En réalité, je ne connais pas le jour ni le mois de sa mort, la date est donc inventée pour embellir les sonorités de cette phrase. J'espère qu'un lecteur savant nous renseignera sur la date précise, et sur la localisation de la tombe de Dieu.
Dernière minute du 30 avril
: Dieu serait mort, en fait, le 12 avril 1727. Nous devons cette révélation à la sagacité d'un lecteur bien outillé (voir les commentaires ci-dessous).

samedi 19 avril 2008

On finira dans un trou noir

Éclipse totale de soleil, Guadeloupe, 26 février 1998

Les centaines de milliers d'infirmes qui survivent avec peine à l'exposition aux déchets (toujours) toxiques de Bhopal ou aux infinies conséquences radioactives de l'explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl, auront beau objecter. La grandeur d'âme des scientifiques du monde entier n'a d'égale que la pureté de leurs intentions. C'est un fait.

Et pourtant deux américains, L. Wagner et L. Sancho, ont assigné le Centre Européen de Recheche Nucléaire (CERN) devant la cour de justice de Hawaï, pour tenter d'empêcher la mise en route imminente du plus grand accélérateur de particules jamais construit sur terre, le LHC (Large Hadron Collider). Ils insinuent que les expériences qu'on y ferait risquent de générer un trou noir et d'y engloutir la terre entière.
Le CERN n'aura pas de difficultés à produire, si nécessaire, les rapports des plus éminentes autorités scientifiques garantissant la sécurité des expériences et ridiculisant les prétentions des deux hurluberlus hawaïens.

Pourquoi détester d'une telle ardeur un petit tube circulaire de 27 kilomètres enfoui à 100 mètres sous terre dans lequel on ne fera déambuler que des particules élémentaires, c'est à dire des choses dont les physiciens discutent encore la réalité ?
Il est vrai qu'ils n'affichent pas une réelle assurance dans le numéro d'avril du magazine Ciel & Espace, où on peut lire qu'ils «espèrent élucider quelques unes des plus grandes énigmes de l'univers» mais qu'il est «impossible de savoir ce qu'on découvrira» et «qu'on pourrait être amenés à remettre en cause notre conception de l'univers».

Ils y énumèrent les missions du LHC : créer un gelée de quarks et de gluons, un nouvel état de la matière, découvrir peut-être le mythique boson de Higgs qui aurait donné son existence massive à notre univers, atteindre une énergie telle que les 4 forces de l'univers n'en feront plus qu'une, traquer les particules de l'énergie du vide, la matière et l'énergie noires, fignoler des micro-trous noirs, trouver peut-être une quatrième dimension de l'espace et y faire passer la gravité, hésiter entre matière et antimatière...

Ça ressemble plutôt à un inventaire de Jacques Prévert ou à une liste de courses de Darth Vader (alias Dark Vador). Et les deux hawaïens n'ont pas rêvé. Les trous noirs sont dans la liste. Cependant leur cause échouera évidemment ; allez démontrer à un brave juge un peu constipé les conséquences de ce que les scientifiques même avouent ne pas bien comprendre, tout en pensant le contrôler parfaitement !

Il n'empêche que si les deux plaignants ont un jour raison...
Un simple trou entre la France et la Suisse qui sucerait en quelques instants la terre entière, en émettant le sifflement d'un ballon qui se dégonfle, serait une fin assez brutale. On la préférerait plus tranquille ; une fin qui accorderait à l'humanité le temps de se retourner sur ses réalisations, de s'attendrir sur son passé et prononcer de graves sentences poétiques, avant de disparaître.
Pour cela, Ce Glob Est Plat a décidé d'investir ses bénéfices dans des domaines d'activité réputés pour leur effet certain dans le lent dérèglement du climat de la terre, et de soutenir la cause de Wagner et Sancho.

Éclipse totale de soleil, Sidé - Turquie, 29 mars 2006

Mise à jour du 25 juin : les scientifiques, par la voix du Groupe d'étude sur la sécurité du LHC, viennent de réaffirmer dans un rapport récent leur confiance dans l'innocuité du LHC. On en trouve le résumé dans un article du site Techno-Science qui affirme qu'à la lumière des connaissances théoriques actuelles «Et bien non, le LHC n'engloutira pas l'Univers dans un trou noir...». Rappelons que Wagner et Sancho n'ont jamais eu la prétention de mêler l'Univers à cette histoire, mais seulement la terre. Les premiers essais de collisions sont toujours prévus pour le mois d'août.

mardi 8 avril 2008

Trois clichés de Florence

Localisations : Place de la république, l'Arno, vitrine dans une ruelle
(Pour le visiteur qui arriverait directement de la planète Gluon sans escale nous rappelons que les fichiers proposés par les liens ci-dessus, dont le nom termine par ".kmz", seront décodés sans aucune hésitation par Gougueule Eurf, également connu sous le nom de Google Earth.)

samedi 29 mars 2008

Chimère

Lorsqu'on voit pour la première fois cet animal insolite, dans une galerie ensoleillée du musée d'archéologie de Florence, on se demande s'il est le fruit de manipulations génétiques immorales ou d'un abus inconsidéré de produits psychotropes.

Il n'est en fait qu'une représentation fidèle de la célèbre Chimère, fille d'Échidna qui était moitié nymphe et moitié vipère et de Typhon, décrite par les plus grands auteurs de l'antiquité grecque. Dès le 8ème siècle par Hésiode dans sa Généalogie des dieux et par Homère dans le sixième chant de l'Illiade.


Hésiode en dit qu'elle «vomissait avec un bruit affreux les tourbillons d'une dévorante flamme», ce qui effrayait considérablement la population. Le héros Bellérophon, qui avait un bon niveau d'études, utilisa pour la tuer une ingénieuse lance faite de plomb. Le métal fondant à la chaleur de la propre flamme de la chimère, soit au moins 327 degrés centigrades, entraîna sa fin pathétique, carbonisée.


On comprend mieux la posture défensive de cette antique statue étrusque et l'impression de souffrance qui émane de son regard.

Chimère en bronze, art étrusque, 5ème siècle avant notre ère, découverte à Arezzo en 1553, restaurée par Cellini (reconstruction de la queue)

samedi 22 mars 2008

Nuages (7)











« Puis quand le ciel se fendra
et deviendra écarlate comme le cuir rouge (37)
On reconnaîtra les criminels à leurs traits (41)
Voilà l'Enfer qu'ils traitaient de mensonge (43)
Ils feront le va-et-vient entre l'Enfer et une eau bouillante (44)
Lequel donc des bienfaits de votre Seigneur nierez-vous? (45) »

Ce sont quelques versets de la sourate 55 du Coran. C'est l'annonce du jugement et de la fin des temps sur terre. Ça finit assez mal pour les incroyants. Suivent, pour les autres, des pavillons emplis de houris semblables au rubis et au corail, jamais déflorées, accoudées sur des coussins verts... On sent bien que des efforts sont faits pour vendre la chose, mais ça fait tout de même un peu «midinette».

D'autant que la menace était déjà frelatée, et les promesses plutôt éventées à l'époque de l'invention du Coran. Des récits écrits des siècles auparavant dans des contrées proches avaient également relaté la fin des temps, de manière un peu plus spectaculaire. Et sans grand résultat non plus. Par exemple dans l'Apocalypse de Jean 6-14 «Et le ciel se retira comme un livre qu'on roule».

Le jour des photos, je ne sais pas ce qui c'est passé par la suite. C'était l'heure des informations télévisées avec le tirage de la super cagnotte du Millionnaire, suivi du dernier épisode du feuilleton «Madame Bovary» d'après Flaubert. Nous étions tous impatients de savoir si, dans cette adaptation, l'histoire finirait bien.



dimanche 16 mars 2008

Les perles de l'Encyclopédie de M. Diderot

On l'aura noté, l'ambition de Ce Glob est Plat est résolument scientifique. Et existe-t-il chose plus scientifique que le 18ème siècle, le siècle des lumières, le siècle du retour de la raison après une éternité d'obscurantisme religieux et monarchique, le siècle de l'illustre Isaac Newton, alchimiste incompris, et prédicateur de l'apocalypse biblique exactement en 2060 ?

Or le 18ème siècle a érigé un phare à la raison et au progrès. C'est l'Encyclopédie de Monsieur Diderot. Et ce monument est accessible en texte intégral grâce aux universités de Nancy et de Chicago, agrémenté de nombreuses coquilles typographiques (1), avec les planches d'illustrations (2). Et chacun peut y faire les investigations les plus saugrenues, une fois compris le mode de recherche assez obscur.

L'édition de l'Encyclopédie, de 1751 à 1772, a traversé de nombreuses interdictions et censures. La qualité des articles s'en ressent, comme de la grande disparité des auteurs. Diderot, cité dans un article modéré et riche en liens de Wikipedia, en dit ceci «Parmi quelques hommes excellents, il y en eut de faibles, de médiocres & de tout à fait mauvais. De là cette bigarrure dans l’ouvrage où l’on trouve une sottise voisine d’une chose sublime, une page écrite avec pureté, jugement, raison, élégance au verso d’une page pauvre, mesquine, plate & misérable».
Parmi les hommes excellents, gens de lettres ou savants, il y eut d'Alembert, Daubenton, évidemment Diderot, Louis de Jaucourt, le baron d'Holbach. D'Holbach était peut-être le seul vrai matérialiste de l'Encyclopédie. Sa contribution sur la définition de concepts ou d'idées aurait été savoureuse, mais on ne lui confia que les articles de chimie, de minéralogie et de métallurgie. Cependant certains affirment que l'article virulent sur les prêtres serait de sa plume.

Et puis il y eut Rousseau, Jean-Jacques. Homme à idées, célèbre philosophe, on aurait pu lui confier des articles de «sociologie». On ne lui octroya que la totalité des articles sur la musique. Rousseau était en effet musicien. Son chef-d'œuvre, le devin de village, opéra apprécié du roi Louis 15, est une insipide suite de pièces sans invention, un long ennui musical où il ne se passe rien (3). Alors on ne s'étonnera pas de trouver parmi ses articles sur la musique des jugements bêtes et péremptoires (4), des règlements de comptes chauvins (5), des balivernes pseudo-scientifiques (6), et un fatras d'absurdités, de mythologies grecques et de sensiblerie immature, notamment dans le long chapitre sur les effets thérapeutiques de la musique (7).

On verra cependant (dans une future chronique de Ce Glob est PLat) que ces niaiseries ne sont rien comparées à certains articles des abbés Yvon, Morellet et Mallet.

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(1) Une version intégrale corrigée est disponible ici, mais ses 26 pages sont lourdes et longues à charger (la page de la lettre C avoisine les 16 mégaoctets)
(2) Planches qu'il est plus agréable de consulter ici, malgré l'absence des pages de légendes. Les illustrations de cette chronique en sont extraites, sous la forme de détails découpés sur les planches CHIRURGIE27, CHIRURGIE20 et ANATOMIE12.
(3) Carnets de sol met l'œuvre à disposition en téléchargement.
(4) «Les fugues en général servent plus à faire du bruit qu'à produire de beaux chants» (article FUGUE)
(5) «Considérons les Italiens nos contemporains, dont la musique est la meilleure, ou plutôt la seule bonne de l'univers, au jugement unanime de tous les peuples, excepté des Français qui lui préfèrent la leur.» (article MUSIQUE)
(6) Article CONSONNANCE
(7) Chapitre EFFETS DE LA, dans MUSIQUE.


Mise à jour le 23.10.2017 : Un site d'une richesse ergonomique extraordinaire consacré à l'Encyclopédie vient de voir le jour. C'est l'ENCCRE, et c'est un plaisir de voleter au dessus de ces pages poussiéreuses et de se poser par instants sur un mot ou une image.