mercredi 28 janvier 2009

L'impasse de l'Avenir

C'est le nom d'une impasse, à Ivry sur Seine, qui débute boulevard Paul Vaillant-Couturier (intellectuel et député communiste fameux, il y a 70 ans), non loin de la rue Lénine (homme d'état russe illustre, il y a 80 ans). On y croiserait sans doute quelque désespéré chronique, l'ombre de Cioran ou de Schopenhauer.
Face à l'impasse de l'Avenir, de l'autre côté du boulevard, il y a la rue de l'Avenir. Elle est également sans issue. On ne saurait être plus explicite. L'avenir ne sera pas bien gai.

Vue imprenable sur l'impasse de l'Avenir dans Google Maps
Pour les oreilles : l'offre de musique classique de MusicMe est vraiment misérable. On trouve tout de même une interprétation acceptable du merveilleux concerto en sol, pour piano et orchestre, de Maurice Ravel. Écoutez le sublime deuxième mouvement. 9:31 minutes d'une harmonie raffinée, mouvante, délicate.

samedi 24 janvier 2009

Les délices au microscope

Comme tout le monde vous n'habitez pas Madrid ni ses alentours. Comme tout le monde vous avez, un jour d'été, poireauté sous le soleil espagnol de midi, pour réaliser, après deux heures d'attente sans l'ombre d'une ombre, votre ticket d'entrée au musée du Prado en main, qu'il vous restait peu de temps pour admirer tous ces tableaux de Velazquez, Goya, Greco dont vous rêviez depuis si longtemps. Comme tout le monde, quand vous êtes arrivés devant le «Jardin des délices», l'immense collage surréaliste de Jérôme Bosch, vous avez réalisé qu'il était inutile de vouloir le voir en entier tant il y avait de monde devant.

Alors, comme tout le monde, désabusé, vous avez grappillé quelques détails furtifs, aperçus entre deux touristes japonais, au moment où les gardiens annonçaient déjà l'heure de fermeture du musée. Comme tout le monde vous ne reviendrez peut-être jamais à Madrid.



Les années ont passé. Vous vous êtes récemment consolés en constatant que le musée mettait progressivement en ligne sur son site de splendides reproductions détaillées. Vous pouviez alors scruter (1) les personnages ironiques et macabres du «Triomphe de la mort» de Brueghel l'ancien ou les paysages idylliques de Patenier.

Et puis voici quelques jours, Gougueule (encore Elle) annonçait que tout le monde pouvait désormais découvrir les détails les plus microscopiques de certains chefs-d'œuvre du Prado et examiner le «Jardin des délices» comme seul Jérôme Bosch ou quelques experts couverts de laissez-passer ont pu le voir. Et c'est indescriptible (2). Il suffit de lancer Google Earth (3).


Mise à jour du 2 février 2016 : les calomniateurs d'internet n'ont pas tort. Planter des repères, créer des liens vers d'autres sites est inutile, penser qu'une ressource sera disponible plus d'une ou deux années est illusoire. Gougueule s'est probablement fâchée avec le Prado car la gigantesque reproduction du Jardin des délices a maintenant disparu de Google Earth, et avec elle les autres tableaux du Prado. Le musée s'est également volatilisé du site culturel de Gougueule (Google Art Project). Les choses se présentent mal pour les amateurs de Bosch à distance.

Mise à jour du 13 février 2016 : c'est un vrai coup de théâtre, le Jardin des délices est réapparu aujourd'hui. C'est l'image en extrêmement haute résolution photographiée par Gougueule en 2009, pourvue d'une ergonomie idéale. Le voyage peut reprendre dans l'univers de Bosch.


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(1) Cliquez sur la reproduction du tableau, puis à nouveau sur la reproduction suivante. Une fenêtre apparaît alors avec l'image en haute définition.
(2) Les 4 illustrations de cette chronique sont extraites du Jardin des délices. Les droits de reproduction sont détenus par Jérôme Bosch et Google, inévitablement.
(3) Cherchez «Madrid Prado» (ou ouvrez ces coordonnées) avec Google Earth. Assurez-vous que l'option «bâtiments 3D», dans l'onglet «Infos pratiques», à gauche de l'écran, est bien cochée. À l'emplacement du Prado, cliquez sur l'étiquette blanche «Museo nacional del Prado», choisissez un tableau et abusez de la mollette de votre souris.

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Pour les oreilles : Tyranny and Mutation de Blue Öyster Cult, un rock limpide, carré, irréprochable, des phrases de guitare mémorables. Écoutez par exemple «Mistress of the salmon salt».

jeudi 8 janvier 2009

Privés de jardins publics

Inconscients et volages, les enfants des villes modernes ne savent pas le bonheur que les adultes responsables leur façonnent patiemment. Par exemple, depuis quelques années, tous les parcs et jardins publics sont systématiquement fermés (*) au premier flocon de neige un peu tenace. La chute d'une branche alourdie par la neige pourrait blesser quelqu'un.


La subversion objecte qu'on interdit ainsi aux enfants qui n'ont pas les moyens de s'offrir des vacances de ski le spectacle magique qu'est un parc recouvert de cette féerie ouatée.

Rétorquons qu'il reste dans les villes bon nombre de lieux où les enfants peuvent exercer leur désir irrépressible de modeler des bonhommes de neige, de pratiquer des glissades effrénées ou d'engager des batailles de boules de neige : ce sont les kilomètres de trottoirs de la ville. Naturellement, comme tout le monde retrouve un esprit joueur dès que la neige revient, il n'est pas impossible qu'ils y croisent un automobiliste fantasque égaré en travers du trottoir ou éparpillé autour d'un lampadaire. Il conviendra d'être prudents.


(*) À Paris tous les parcs et jardins publics de la Ville sont fermés. Les jardins des Tuileries et du Luxembourg qui appartiennent respectivement à l'Établissement Public du Louvre et au Sénat sont ouverts...

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Pour les oreilles : The West Coast Sound (Vol. 1), un album rare de «West coast jazz» de 1953, rythmé, allant, inventif et mélodique, avec Art Pepper (saxo alto), Jimmy Giuffre (saxo baryton) et quelques autres sous la baguette de Shelly Manne. «Afrodesia» ou «You and the Night and the Music» sont des bijoux.

samedi 3 janvier 2009

L'année de l'Année

Après quelques «Années Mondiales» qui sont restées dans les mémoires et ont très certainement sauvé leurs dédicataires d'une inéluctable déchéance (1972 année du Livre, 1975 année de la Femme, 2000 année des Mathématiques, 2002 année des Montagnes, 2008 année de la Planète Terre, et année de la Pomme de Terre), l'UNESCO a décrété que 2009 serait l'année de l'Astronomie. Et on dit que 2010 sera peut-être l'année mondiale de la Morale. C'est dire les ambitions de l'organisation internationale.

Aussi Ce Glob Est Plat, dans la lignée des Microsoft et autres L'Oréal, s'associe cette année aux Nations Unies dans la promotion d'un grand concept œcuménique en partageant une grande part de son patrimoine musical avec la planète entière. N'écoutant que son courage et se riant des projets liberticides du gouvernement français, Ce Glob Est Plat s'engage à illustrer régulièrement ses chroniques d'un lien vers un morceau de musique ou un album dont l'écoute sera totalement libre et gratuite.

Nous commençerons par un album exceptionnel de «jazz cool» de 1986, «Somewhere Called Home» chanté par Norma Winstone accompagnée par John Taylor (piano) et Tony Coe (clarinette, saxophone).
Ce Glob Est Plat engage ses quelques lecteurs à proposer également dans les commentaires des musiques qu'ils emporteraient dans une île déserte équipée de l'électricité. Les liens vers les musiques plébiscitées resteront quelques temps, voire plus, dans une rubrique intitulée «Pour les oreilles».

mardi 30 décembre 2008

Dernières nouvelles de la Terre

Nous n'avions pas pris de nouvelles de la Terre depuis bientôt deux ans. Il était temps de faire un bilan. Comme on peut le voir sur notre illustration, il y a apparemment peu de changement depuis notre dernier cliché, mais cela n'est qu'apparent. Sur cette image par satellite d'une précision extrême, à la limite de la résolution de la caméra à haute définition, on distingue comme jamais auparavant des détails éloquents (cliquez pour agrandir la vignette).

On voit nettement au nord-ouest de l'Afrique, le célèbre «pont de la liberté des peuples» qui devait relier le continent à l'Espagne et la France, mais qui est tristement parti à la dérive depuis la décolonisation et rouille désormais en pleine mer. Plus au sud, au niveau de l'équateur, à l'ouest et à l'est au large de l'Afrique, on voit maintenant clairement les deux énormes trous noirs dont certains prétendent qu'ils sont le fruit des expériences des accélérateurs de particules, mais dont il est plus probable qu'ils résultent d'un défaut d'entretien par les populations locales, notamment, à l'est, par le gouvernement des Seychelles, dont chacun sait qu'il affiche une idéologie nettement socialisante. Nous ne pouvons pas examiner ici toutes les dégradations, mais remarquons pour finir, au nord, la longue série des marques blanches ineffaçables qui maculent la Russie, avec, la plus à l'ouest, l'inoubliable tache de Tchernobyl.

Mais nous terminerons cette revue par une remarque optimiste. Les autorités ont eu l'heureuse idée de placer un panneau indicateur afin que les touristes (et éventuels investisseurs) venus de l'espace la repèrent facilement sur le plan, la reconnaissent et ne la prennent plus pour une ordure. Comme on le voit les progrès de l'imagerie par satellite nous apportent tout de même, en cette fin d'année, une petite note d'espoir.

samedi 27 décembre 2008

Le château de notre enfance

Rosebud !À l'ouest de Ligny-le-Ribault, près de l'étang des Thouards, les grilles du château Bonhôtel, où furent tournés quelques films délébiles, évoquent fatalement le plus beau chef-d'œuvre du cinéma, Citizen Kane d'Orson Welles, notamment les trois premières et les trois dernières minutes (les liens sont en version originale américaine. Il est néanmoins déconseillé à ceux qui n'ont pas encore vu le film de regarder les 3 dernières minutes s'ils veulent garder intacte l'émotion qu'elles leur donneront).

dimanche 21 décembre 2008

La vie des cimetières (17)

C'est une vision créée par votre peur ... Pourquoi tant de grimaces? Après tout, vous ne regardez qu'une chaise!Macbeth croit voir le spectre de Banquo, qu'il a fait tuer (Shakespeare, Macbeth acte 3 scène 4)
Lady Macbeth. - «Quelles balivernes! C'est une vision créée par votre peur (...). Oh! ces tressaillements, ces soubresauts, simulacres d'une véritable peur, conviendraient à merveille au conte que fait une femme, en hiver, au coin du feu. - C'est une vraie honte! Pourquoi faites-vous tant de grimaces? Après tout, vous ne regardez qu'une chaise!»

Shakespeare a beau le démentir avec lucidité, l'homme s'ingénie toujours à croire qu'il reste des traces impalpables des morts ailleurs que dans sa mémoire. C'est ainsi qu'il a installé le fantôme de Mozart dans le cimetière monumental de Milan. Une plaque commémorative rappelle que quelque part à Milan, en 1858, est mort l'aîné des fils de Wolfgang et Constance, dernier survivant de la famille Mozart, fonctionnaire à la Cour des Comptes.

Il y est écrit «À la mémoire de Carlo Mozart, dernier fils du musicien suprême, fonctionnaire de la ville de Milan (Vienne 1784 - Milan 1858). Avec lui s'éteint la lignée mais non la gloire impérissable de l'illustre géniteur. Pour le centenaire de sa mort, l'association des autrichiens de Milan, 31 octobre 1958»

Au fond, sur le mur, se trouve l'inscription à la mémoire du dernier des Mozart.

samedi 13 décembre 2008

Tourisme : l'île aux fleurs

Cette chronique est destinée à ceux qui ne connaissent pas L'île aux fleurs (Ilha das flores). C'est un court métrage de 13 minutes de Jorge Furtado. Diffusé de nombreuses fois à la télévision depuis 1989, couronné de l'Ours d'or au festival de Berlin en 1990, abondamment disponible et commenté maintenant sur Internet, il reste peut-être quelques innocents qui ne l'ont pas vu.

Il raconte la destinée tragique de quelques tomates brésiliennes et les péripéties qu'elles subissent au long de la chaîne alimentaire pour finir sur l'île des marins, à deux pas de l'île des fleurs. Le style en est ironique jusqu'au cynisme, d'une logique un peu démonstrative mais au dénouement implacable.

Certains (1) ont voulu y voir une sorte de pamphlet athée et ont cru voir le commentaire «Dieu n'existe pas» à la fin du film, comme une conclusion, ce qui est faux. Ce texte n'apparaît qu'au début, dans le générique. Et on peut dire sans en dévoiler l'intrigue que la conclusion du film n'est pas que Dieu n'existe pas, question sans réel objet et à la limite du théisme, mais la démonstration de ce film, et le véritable drame, c'est que l'homme existe, malheureusement.

Ce film est à conseiller à tous les enfants. Et aux adultes également, même si pour eux il est déjà trop tard.

Cette image n'a rien à voir avec le film, elle n'est là, comme dans tout boniment publicitaire, que pour attirer la curiosité du passant.
Où voir le film sur Internet ?
Sur Youtube, en 2 parties de bonne qualité, sur DailyMotion sans générique de fin, sur le site de la télévision personnelle du Président de la République dans une copie de bonne qualité, et surtout une très bonne copie de 157 méga-octets téléchargeable depuis la page de Wikipedia consacrée au film.

Traduction
Tous les dialogues et commentaires du film sont en français dans l'ensemble des versions en liens, à l'exception de quelques textes intéressants dans les génériques de début et de fin, en portugais non sous-titré.
Au début du film ESTE NÃO É UM FILME DE FICCÃO - EXISTE UM LUGAR CHAMADO ILHA DAS FLORES - DEUS NÃO EXISTE (Ceci n'est pas un film de fiction - Il existe un lieu nommé l'île des fleurs - Dieu n'existe pas). À la fin du film, le générique détaille ce qui est fictif (notamment certains rôles joués par des acteurs), précise qu'il a été principalement tourné à ILHA DOS MARINHEIROS, l'île des marins à 2 km de l'île aux fleurs, et termine par O RESTO É VERDADE (le reste est vrai).

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(1) Notamment le meilleur et le plus complet des articles qu'on trouvera sur le film, sur le site FILMdeCULTE, dans son paragraphe intitulé BRAZIIIIL.

dimanche 7 décembre 2008

Comptes de faits (1)

« Il en est ainsi du soleil, de la lune, des étoiles, croyons-le la lumière que ces astres nous envoient, ils la produisent par des émissions sans cesse renouvelées et ils perdent leurs flammes à mesure qu'elles se produisent. Ne va donc pas les regarder comme doués d'une indestructible vigueur. » (Lucrèce, 1er siècle avant notre ère, « De la nature des choses », livre 5, 300).

Il me semble que c'est Alphonse Allais qui, dans une parodie de programme électoral, proposait la limitation de la vitesse de la lumière dans toutes les agglomérations. Depuis, nul n'ignore que cette vitesse est finie. C'est une des lois fondamentales de la nature. On sait peut-être moins comment cette loi fut découverte. C'est ce que racontera aujourd'hui Ce Glob Est Plat, inaugurant ainsi un nouveau type de chronique intitulé «Comptes de faits». «Faits» parce qu'on n'y parlera que d'événements avérés, de faits indubitables, et «Comptes» parce qu'ils seront relatés chiffres à l'appui, avec toute la rigueur et la probité qu'on attendrait d'un expert comptable.

Il y eut un temps où l'homme pensait déterminer sa longitude (c'est à dire le quartier d'orange où il se trouve sur terre ou en mer) en scrutant la position des satellites de Jupiter et calculant leur parallaxe. C'était une idée de Galilée qui les avait découverts en 1610.
Alors commença l'observation frénétique et méticuleuse des éclipses de Io par Jupiter.

En 1671, Cassini à Paris et Picard à Uraniborg, au Danemark, assistés par Ole Rømer parvinrent à déterminer la différence de longitude entre les deux villes en comparant l'heure précise des éclipses de Io. Ils confirmèrent également des anomalies notées par Cassini depuis 1666 dans ses longues campagnes d'observation pour établir ses éphémérides, les tables des heures des éclipses. Ces dernières prenaient parfois de l'avance, et parfois du retard sur les calculs de Cassini.

Qui, le premier, s'est rendu compte que les retards se produisaient quand la Terre s'éloignait de Jupiter, et les avances quand elle s'en approchait ? Qui imagina l'explication de ces anomalies, et comprit que la lumière mettait un certain temps à parcourir la distance séparant les deux planètes, un temps mesurable et dépendant de la distance ?

Dès 1672 Rømer travaillait avec Cassini à l'observatoire de Paris. En août 1675 Cassini écrivait «Cette inégalité (les écarts constatés) paraît venir de ce que la lumière met dix à onze minutes à parcourir un espace égal au demi-diamètre de l'orbite terrestre». Mais c'est Rømer qui mit l'Académie des Sciences en émoi en prédisant et justifiant le retard de 10 minutes de l'éclipse du 9 novembre 1676. Cassini avait-il abandonné l'idée parce que Rømer en était le véritable inventeur ou parce que Louis 14 lui avait confié la direction de l'observatoire de Paris et que c'était alors un crime de lèse-cartésien, voire un blasphème d'imaginer que la lumière se propageait à une vitesse calculable, et non instantanément ?
Il opposa à Rømer que les autres satellites de Jupiter ne semblaient pas aussi lunatiques et que les écarts étaient dus à une excentricité de l'orbite de Io. Il savait que les observations des autres satellites étaient à l'époque insuffisantes. On se rangea de son côté.

De retour au Danemark en 1681, Rømer fut durant 30 ans un scientifique et un homme public innovateur, progressiste, estimé et honoré, mais il n'exploita jamais les conséquences de sa découverte. L'idée mit du temps à être acceptée. Elle ne le fut totalement que 50 ans plus tard, en 1727, quand James Bradley la confirma en expliquant le phénomène d'aberration de la lumière.

Quelques savants, comme Empédocle, des siècles auparavant, avaient soupçonné que la lumière se déplaçait, mais Rømer en avait apporté la preuve. Pour la première fois on mesurait une quantité universelle. La lumière donnerait une unité de distance et de durée. On pourrait désormais remonter dans le passé et retracer l'histoire de l'univers. Il prendrait bientôt des dimensions inimaginables, dans l'espace et dans le temps.


La vitesse de la lumière, sources principales :
  1. Une bonne biographie de Rømer (en anglais, la française étant indigente),
  2. Une explication précise de la découverte de Rømer,
  3. Un article sur les modes de calcul de la vitesse de la lumière, intéressant malgré de grandes imprécisions sur certaines dates (Galilée y fait encore des expériences 25 ans après sa mort, et Cassini publie ses célèbres éphémérides à 13 ans),
  4. Un article passionnant de 2001 de JM. Vigoureux, «La lumière se meut» paru dans Ciel & Espace, numéro spécial 11, novembre 2008.

samedi 29 novembre 2008

La vie des cimetières (16)

Lentement, les légumes verts venus de l'espace, rejetons du terrifiant guman, rampent sur la pierre et le bronze. Bientôt ils étoufferont les statues, puis les humains.



Localisations au cimetière monumental de Milan : en haut à gauche, en haut à droite, en bas à gauche, en bas à droite.

lundi 24 novembre 2008

Quand meurent les liens

Dans l'inépuisable univers que la déesse Gougueule a créé il était inévitable que les plus grandes félicités côtoient le mal absolu, sans quoi ni l'un ni l'autre n'existeraient. Et le chroniqueur consciencieux qui tente de maintenir un blog présentable le sait bien. Le monde s'effrite et disparaît petit à petit autour de lui, gagné par la lèpre, la décomposition. Et ce fléau absolu arbore un nombre, c'est 404, le nombre de la Bête. C'est le numéro d'erreur retourné à l'intrépide navigateur s'aventurant vers des sites qui sont éteints, des pages qui se sont décomposées, des blogs dissous, des liens morts, des mondes inexistants, des trous noirs.

Ce Glob Est Plat est un blog qui n'intéresse quasiment personne. En cela il a été distingué comme représentatif de la grande majorité des blogs par un aréopage de scientifiques désœuvrés. Ils l'ont alors étudié avec des dispositifs sophistiqués et après quelques semaines de cogitations leurs conclusions sont tombées sous la forme d'un graphique désespérant et d'une prévision catégorique «dans 27 ans le blog flottera seul dans un espace totalement narcissique, ayant perdu tout contact avec le monde». Les moqueurs diront que c'est déjà un peu le cas.

La preuve mathématique de l'irrémédiable.Alors que faire ? Colmater au fur et à mesure les fuites signalées par le lecteur charitable. Mais ça ne sera pas toujours facile. L'Internet libre et amoral des premières années s'amenuise, remplacé par celui du profit, du bénéfice jusqu'à l'écœurement, du crétinisme souverain comme dans cet exemple où les paroles d'une chanson populaire sont interdites à la lecture alors qu'est diffusé sur la même page le clip chanté par l'auteur, paroles et musique. Ou dans l'exemple de la Métamorphose de Kafka, supprimée sans doute par les éditeurs ou traducteurs, sangsues écervelées qui n'ont pas encore compris qu'elles font ainsi mourir les liens qui les faisaient connaître.

Mise à jour de 10h25 : quelques heures seulement après la mise en ligne de ce billet un généreux donateur anonyme proposait des substituts parfaitement vivants aux deux liens morts cités en exemple (voir le commentaire ci-dessous). Cette résurrection est un miracle. Le taux d'erreurs 404 du blog est passé de 7% à 6%. La déesse Gougueule existe !

samedi 15 novembre 2008

Nuages (13)

8 Septembre 2008

vendredi 7 novembre 2008

Mystère au Louvre...

Qu'est-il arrivé au musée du Louvre, au moins à son site Internet ?
Il nous avait habitués, en matière de reproductions d'images des collections publiques, à la petitesse et la mesquinerie. On croyait depuis longtemps que le musée n'exposait plus que des miniatures persanes peintes par Mantegna ou des timbres de collection gravés par Rubens tant les reproductions en sont microscopiques, les détails chichement éparpillés ou présentés sous une loupe qui masque plus qu'elle ne dévoile. Il suffisait de les comparer aux images opulentes, lumineuses et abondant de détails du site du Rijksmuseum d'Amsterdam, par exemple.

Mantegna, le Christ au jardin des oliviers (Londres national gallery) et Hergé, le sceptre d'Ottokar, page 52 (Copyright Andrea Mantegna & les héritiers d'RG)Et bien ça n'est plus vrai. Ils ont dû réaliser que montrer de belles images pourrait émerveiller le client au point de susciter son désir d'en voir plus, et consoler celui qui ne peut pas se rendre à Paris pour admirer les originaux. Ça n'est peut-être qu'un coup de folie passagère et on est encore loin des somptueuses libéralités du musée hollandais, mais on peut voir actuellement en grands formats d'excellente qualité une trentaine d'œuvres de la rétrospective Mantegna sur le «mini-site de l'exposition». Choisissez la version HTML (pas la version FLASH avec sa loupe étriquée) et vous enrichirez votre collection de luxueux fonds d'écran. Vous découvrirez également que, malgré les affirmations des encyclopédies de la bande dessinée, ce ne sont peut-être pas Hergé et Jacobs qui ont inventé ce style de dessin souple et linéaire appelé la «ligne claire».

Mantegna, la résurrection du Christ (Tours, musée des beaux-arts) et E.P. Jacobs, le secret de l'Espadon, page 23En haut, Mantegna, le Christ au jardin des oliviers (Londres national gallery) et Hergé, le sceptre d'Ottokar, page 52 (Copyright Andrea Mantegna & les héritiers d'RG). Ci-dessus, Mantegna, la résurrection du Christ (Tours, musée des beaux-arts) et E.P. Jacobs, le secret de l'Espadon, page 23. Remarquez les similitudes dans les décors, les couleurs, les personnages et la dramaturgie.

dimanche 26 octobre 2008

La vie des cimetières (15)

Les banalités qu'on raconte depuis des siècles sur la brièveté de la vie sont incontestables. Le poète Ronsard en abusait. Il aimait particulièrement les jeunes filles, et ne cessait de les effrayer, quand elles se refusaient, en leur chantant leur prochaine flétrissure, comme celle des roses.

Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain : Cueillez dés aujourd'huy les roses de la vie.Milan, cimetière Monumental, Secteur C, Est

Rappel : si, dans une chronique de ce blog, vous remarquez dans la liste des mots clefs le terme «coordonnées», cela indique que quelque part dans le texte (généralement sous une photo) se trouve un lien vers un fichier dont le nom termine par «.kmz». Quand vous cliquez sur ce lien, votre navigateur vous propose d'ouvrir ce fichier avec Google Earth (il faut au préalable avoir installé Google Earth qui est gratuit). Et la magie commence alors. Vous voyez la terre s'approcher à une vitesse vertigineuse jusqu'à quelques mètres au dessus du sol où vous découvrez l'endroit exact de la prise de vue, à quelques centimètres près.

vendredi 24 octobre 2008

Pythagore, une romance

Pour se persuader qu'il maîtrisait une réalité qui pourtant lui échappe toujours et ne le satisfera jamais (car l'insatisfaction est sa nature, son moteur), l'homme a inventé les mathématiques.

Pythagore (*), élève de Thalès et d'Anaximandre eut l'idée de faire des nombres et du raisonnement mathématique une vraie religion, avec ses secrets, ses incantations, et sa hiérarchie dont il était le pape. Il pensait être la réincarnation de quelques héros grecs renommés. Dans sa doctrine, les lois qui régissent le monde ne sont que des relations entre des nombres. Son époque vit une éclosion d'avancées en mathématiques, géométrie, astronomie, logique. Elles lui ont souvent été attribuées, plutôt qu'à ses disciples, sans preuves réellement sérieuses. C'était le début de la légende qui s'est amplifiée jusqu'à nos jours où les plus célèbres numérologues, les loges maçonniques les plus secrètes, et les astrologues les plus en vue vouent à Pythagore un culte définitif. Quelques scientifiques également.
Il ne manquait que le feuilleton sentimental pour midinettes. C'est chose faite. Sa biographie a été romancée par Henriette Chardak. On trouve son roman dans toutes les gares et quelques pharmacies.

Pendant ce temps, la nature qui se fout bien de ces calembredaines se débrouillait pour aller au plus court, au plus simple. Elle inventait le soleil, et la sphère qui est une chose très économique car elle demande peu de calculs. Puis, pour montrer que ça n'était pas qu'une abstraction, elle faisait passer devant quelques oiseaux, qu'elle rangeait ensuite sur un fil, à intervalles ostensiblement réguliers, pour faire croire qu'elle respectait des règles et ainsi faire plaisir aux pythagoriciens. Car elle est tout de même généreuse, même si elle ne donne jamais et prête seulement.

Étourneaux soigneusement rangés sur un émetteur téléphonique(*) Cliquez dans la colonne de gauche sur «Pythagore de Samos», la courte biographie est captivante, et elle console de la romance pondue par Mme Chardak. Dans la même colonne, cherchez également les biographies de Thalès et d'Anaximandre. Et si vous avez un peu de temps, remontez au sommaire de ce site simple et passionnant, fait par le collège Jules Ferry de Montluçon dans le cadre du projet européen SOCRATES COMENIUS. Il semble malheureusement inactif depuis de nombreuses années.

vendredi 17 octobre 2008

Nuages (12)

Ça faisait déjà quelques heures que je marchais sur la route déserte, en plein soleil, quand je sentis au dessus de moi la présence rafraîchissante d'un nuage bienveillant. Je pouvais me reposer un peu, j'étais maintenant certain d'avoir échappé aux sauterelles végétales géantes. Je levai alors les yeux vers le ciel...

C'est la guerre des mondes !

dimanche 5 octobre 2008

Musique libertaire

Imaginons un juke-box de 3,5 millions de morceaux de musique. Supposons que vous n'écoutiez qu'un morceau sur 10, le reste du catalogue ne vous convenant pas. Si chacun dure 5 minutes et en consacrant 5 heures par jour à cette écoute, il vous faudra 15 ans pour les écouter tous.
Imaginons que ces millions de morceaux sont soigneusement classés et qu'une fonction de recherche vous permet de dénicher n'importe lequel en quelques secondes et de l'écouter gratuitement, dans une bonne qualité sonore, avec tout l'album qui le contient.

Ce juke-box existe, il se trouve à cette adresse. Il autorise gratuitement trois écoutes intégrales de chaque morceau. Il suffit de saisir sa propre adresse e-mail et un mot de passe au choix et on peut y écouter tout ce qui nous passe par la tête, tout ce qu'on n'a pas envie d'acheter. Ce site éclipse les sites vaguement équivalents comme ici ou .

Si quelqu'un peut m'expliquer comment on maintient l'équilibre économique d'un tel juke-box... Probablement pas grâce aux publicités animées qui s'excitent toutes seules sans qu'on les regarde, dans une fenêtre ou un onglet qu'on masque. Reste l'achat de musique en ligne, quand on a épuisé le droit aux trois écoutes. Mais il faut être vraiment inconscient pour acheter ainsi une musique qui est tellement protégée qu'on ne pourra plus l'écouter dans quelques mois, lors d'un changement d'ordinateur, de disque dur ou de baladeur. Et qu'on ne pourra de toutes façons pas la partager. Alors qu'il est si aisé d'enregistrer le flux sonore.

Profitons donc immédiatement excessivement et outrageusement de ce juke-box bien organisé, gratuit et illimité. Il ne vivra hélas pas longtemps, pas assez pour avoir le temps d'épuiser les trois écoutes autorisées.

Mise à jour du 8 décembre 2008 : une campagne de mails du site MusicMe signale que la limitation du nombre d'écoutes est supprimée. Toutes les écoutes sont désormais gratuites et illimitées. Gougueule les bénisse !

Un succès méritéVenise, place San Marco

samedi 27 septembre 2008

Ajournement de la fin du monde

On voit nettement ici par où peuvent passer les fuites d'hélium...Sphère armillaire, un des appareils mécaniques les plus perfectionnés de l'antiquité à la renaissance (Musée de la science, Florence).

Que reprennent espoir ceux qui, pour cause de fin du monde imminente, avaient renoncé à se lancer dans des projets à moyenne échéance (repeindre la salle de bain, visiter la section des assiettes de porcelaine historiées du musée du Louvre, arrêter de fumer). Car le Grand Accélérateur de Particules (LHC) ne découvrira pas les derniers mystères de l'univers avant le printemps prochain. Ceux qui craignaient à cette occasion la destruction de la planète, pour octobre ou novembre au mieux, ont donc obtenu un peu de répit grâce à une fuite d'hélium dans le dispositif de refroidissement du Grand Collisionneur de Hadrons. «Ça n'est que partie remise» nous rassurent les scientifiques dans tous les organes de presse. Faisons plutôt confiance aux scientifiques. L'immense Newton lui-même, on l'a déjà vu, ne prédit la fin du monde qu'en 2060, ce qui laisse tout de même du temps pour des projets plus consistants, comme la noble entreprise de l'actuel président américain d'aller faire les poussières sur la lune, qu'on a, il est vrai, laissée en désordre depuis bientôt 40 ans.

dimanche 21 septembre 2008

Fétichistes de tous les pays...

Moitié supérieure de la façade de la cathédrale de Milan. L'autre moitié est actuellement couverte de panneaux publicitaires.Le fétichisme est une affection du raisonnement qui fait croire à ceux qui en sont atteints que la possession (ou le simple contact) d'un objet leur transmettra les qualités qu'ils lui attribuent, transformera leur vie.

Le portail central de la cathédrale de Milan est un panneau démesuré orné de hauts-reliefs de bronze oxydé représentant des moments fameux de la vie du Christ, héros populaire de la mythologie catholique. Certains détails des épisodes qui se trouvent à hauteur de main ont été si souvent touchés, caressés qu'ils ont depuis longtemps perdu leur patine sombre pour un lustre aux reflets d'or.

Le méchant au mollet d'or menace de flageller le gentil au genou du même métal, pendant que ses copains rigolent.Les parties palpées sont en principe nobles et symboliques, la main de la Vierge, celle du Christ, son genou. Mais on observe parfois des dérapages, comme ici à Milan où les parties les plus appréciées sont le pied et le mollet d'un des méchants qui frappent le Christ.

Curieux fétichisme dont l'objet serait devenu indifférent, ou mimétisme approximatif dû à l'ignorance des récits bibliques, ou simple perversité ?

dimanche 14 septembre 2008

La vie des cimetières (14)

Il n'y a rien de particulier à lire dans ce commentaire flottant, désolé !
Les enfants sont régulièrement utilisés dans la statuaire du pathétique. Perdus parmi les tombes, ils suscitent l'émotion du passant qui s'apitoie sur l'injustice de leur destinée, abandonnés si tôt ou frappés sans discernement. Mais la statue présentée aujourd'hui, qui provient d'une galerie du cimetière monumental de Milan, fait exception. Elle évite les ficelles de la dramaturgie primaire.

Une enfant aux pieds nus, assise sur une sorte de tronc d'arbre, montre d'un geste du bras le vaste ciel de mosaïque étoilé qui les entoure à une poupée aux formes sommaires posée sur ses genoux, et semble désigner particulièrement deux étoiles rapprochées et isolées.
L'inscription sur la tombe (visible ici partiellement) désigne deux personnes proches, peut-être frère et sœur. Le visage de l'enfant n'est pas idéalisé comme pour une allégorie, il a le réalisme d'un portrait. Elle est calme, presque souriante.

L'interprétation la plus évidente serait qu'elle rejoue avec sa poupée, à sa manière enfantine et un peu théâtrale, l'enseignement des fictions que les parents lui ont inculquées «Ne sois pas triste, les morts ne meurent pas. Leurs âmes sont réunies et resplendissent éternellement au ciel, en haut à gauche».
En dépit de son étrangeté, cette scène jouée dirait finalement, d'une façon plus originale, la même chose qu'une bonne part de la statuaire des cimetières.

Mais cette interprétation est peut-être fausse.

dimanche 7 septembre 2008

Nuages (11)

Impossible de faire ressentir le parfum capiteux et obsédant des azalées jaunes (Azalea pontica ou Rhododendron ponticum)...Kiosque dans les jardins de la villa Melzi d'Eril, au bord du lac de Côme, près de Bellagio en Lombardie.

samedi 30 août 2008

Jusqu'où ira la civilisation ?

Cette image figure l'élan inéluctable vers l'avenir de la science et du progrès. Les mauvais esprits feront remarquer qu'ils écrasent un peu le parterre de fleurs au passage. C'est un hommage à M. Binocle à qui je dois la révélation de la technique des commentaires flottants sur les images. Que la déesse Gougueule le bénisse. Si les ours-momies, les masques respiratoires USB ou les mille-pattes géants vous passionnent, vous serez divertis par son blog où pétillent l'ingéniosité de l'espèce humaine et les excentricités de la nature. (pour exemple cliquez son nom sous l'image).Le progrès chevauchant la science sur un parterre de fleurs jaunes
Hommage à Paul Binocle (voir le commentaire flottant sur la photo).

vendredi 22 août 2008

L'arbre aux huit A

Ces étranges silhouettes aux formes de méduses, flottant entre ciel et terre, sont sans doute familières à l'amateur de préhistoire. Il aura déjà vu des dinosaures extravagants se dandiner lourdement sous ces hautes ombrelles, dans des documentaires anglais.
C'est une espèce survivante, un des rares conifères à avoir échappé aux bouleversements climatiques des dernières centaines de millions d'années, aux glaciations, au volcanisme, aux extinctions massives. Les botanistes le nomment «Araucaria auracana», les autres «pin du Chili».




On le trouve en quantité, pétrifié, sur tous les continents. Mais peu de survivants. Les derniers s'étaient regroupés dans quelques forêts d'Amérique du sud, au Chili et en Argentine, sur les versants des Andes, quand quelques graines comestibles furent emportées par un botaniste anglais au 18ème siècle. Ils devinrent alors des objets décoratifs à la mode dans les jardins anglais froids et humides, puis partout dans le monde. (1)

On dit qu'ils peuvent vivre au-delà de 1000 ans et que leur cime peut atteindre 50 mètres. On dit aussi qu'il y en a plus dans les jardins anglais, domestiqués, qu'à l'état sauvage dans les quelques forêts chiliennes protégées (2) où ils se raréfient. Ce dinosaure qui a résisté au feu des volcans et aux ères glaciaires meurt sur ses terres d'origine.
Souhaitons que persiste cet engouement ornemental et qu'on verra longtemps encore se balancer son profil de monstre marin. (3)

***

(1) Ces informations proviennent d'une excellente source, en anglais. Dans l'index des plantes, cherchez «Monkey puzzle tree»
(2) Les populations locales en tirent le bois de chauffage et de construction, la résine aux propriétés médicinales, les graines (pignons) nourrissantes pour l'homme et le bétail. Cet usage a été réglementé en 2002 ; le pin du Chili était déclaré espèce en danger par le CITES.

(3) Un anglais malheureux qui a vu dépérir de maladie un Auracana de 80 ans dans son jardin de Dartmoor, au pays de galles, a créé un blog le 27 octobre 2006 pour y faire le récit en images de sa mort et de son tronçonnage, comme dans les plus mauvais films d'horreur.

Araucaria auracana au milieu d'un route des Andes, entre le Chili et l'Argentine (passe Mamuil Malal, mars 2008) SOURCE

mercredi 13 août 2008

Gutenberg et la bombe atomique

Le Projet Gutenberg est un projet humanitaire. Son objectif est de mettre gratuitement à disposition sur Internet toute la littérature libérée des droits d'auteurs. Son catalogue est donc constitué de milliers de textes sans valeur économique, et généralement sans valeur littéraire non plus.
22 323 textes en anglais, 1207 en français, 1 en breton et quelques uns dans les autres langues.
N'y cherchez pas des livres qui auraient moins d'un siècle, mais si vos goûts pervertis vous attirent vers la mauvaise littérature farcie de clichés des 18 et 19ème siècles, n'hésitez pas à vous fournir chez Gutenberg. Vous connaîtrez la délicieuse impression d'entrer dans un vieux grenier poussiéreux et de fureter dans des malles pleines d'expressions surannées et d'imparfaits du subjonctif fossilisés (lisez par exemple, en apéritif, le prologue de «La tombe de fer» d'Henri Conscience). On avait oublié que cette époque avait existé. On est d'abord amusé, puis un peu effrayé par ce tableau de la littérature transmis aux générations à venir (1). On y trouvera un opuscule sur les ordres de chevalerie serbes en 1902, une étude très scientifique d'Émile Hureau en 1920 sur la transmission de pensée, un livre sur les procès contre les animaux de 1858, suivi de Peines, tortures et supplices de 1868, un manuel complet des «fabricans» de chapeaux en tous genres, une lettre de Daguerre à Arago en 1844 sur la manière de préparer la couche sensible des plaques photographiques, une quantité d'ouvrages de Georges Sand ou d'Émile Zola, et l'irremplaçable Bulletin de Lille publié sous le contrôle de la Kommandantur de Lille, en 1916.

Soyons juste, on y dénichera aussi quelques rares merveilles (2).
Et puis c'est malgré tout une véritable action humanitaire que de rendre le patrimoine de l'humanité à l'humanité (enfin, à celle qui a accès à un ordinateur avec une connexion Internet). Et aujourd'hui, à l'heure où une grande majorité de cette même humanité exalte ses instincts préhistoriques grégaires en applaudissant le spectacle d'une dictature qui a soumis des millions d'êtres humains par la crainte, il n'est pas inutile de rendre hommage à un vrai projet philanthropique.

Présentons donc une très récente publication du projet Gutenberg, en anglais hélas, mais d'un anglais simple et technique THE ATOMIC BOMBINGS OF HIROSHIMA AND NAGASAKI by The Manhattan Engineer District, June 29, 1946.

Monument aux morts, Orléans, parc Pasteur.
Si un lecteur érudit connaissait le nom du sculpteur...

Il s'agit d'un rapport d'expertise de l'armée américaine, assez court (3), décrivant scrupuleusement les effets des deux bombes atomiques larguées les 6 et 9 août 1945 sur le peuple japonais. C'est un plaisir d'y trouver cette rigueur détachée de tout sentimentalisme qu'on attend de militaires bien éduqués ; les effets destructeurs sur chaque ville sont soigneusement décrits et comparés ; le livre foisonne de chiffres, de poids, de distances, de températures et de longueurs d'onde. Mais un esprit rêveur sera également enchanté par quelques images d'une poésie spontanée.

Dans son introduction, l'auteur qualifie la bombe de «plus grand accomplissement scientifique de l'histoire (4)» et décompte «plus de 10 kilomètres carrés de la ville furent instantanément détruits et totalement dévastés, 66000 humains tués, et 69000 blessés.» Le décor est planté. Nous ne conterons pas ici l'intrigue, d'autant que tout le monde en connaît déjà la fin. Nous ne parlerons pas non plus des détails morbides comptabilisés avec soin, fièvres, brûlures, épilations, lésions, vomissements, diarrhées et hémorragies diverses. Nous nous contenterons d'illustrer quelques thèmes par des citations appropriées, pour allécher le lecteur.

La prévoyance et le sens de l'organisation «La première cible devait être relativement intacte de précédents bombardements de manière à déterminer sans équivoque les effets d'une bombe atomique». Il est aussi expliqué, dans le même esprit, que le choix a porté sur des villes construites essentiellement dans des matériaux susceptibles de produire le plus de dommages possibles par la violence du souffle et de l'incendie. (5)
La satisfaction du travail bien fait «Les bombes ont été placées de telle façon qu'il n'y avait pas d'autre emplacement plus destructeur» ou encore «en dépit de son importance extrême, le bombardement sur Hiroshima a été presque une routine.» (6)
Un suspense inattendu «Mais le sort était contre nous, car la cible était totalement masquée par la fumée et le brouillard (7)». En effet pour la seconde bombe la cible n'était pas Nagasaki. Mais la cible originale (8) était par malchance invisible. Nagasaki était la cible de secours.
Un peu de poésie lyrique «Les armatures d'acier des bâtiments étaient courbées comme par la main d'un géant... Les collines alentour étaient brûlées, ce qui leur donnait une apparence automnale (9
Une anecdote saugrenue, mais scientifique «Une caractéristique intéressante de la radiation de chaleur était le degré de brûlure des tissus en fonction de leur couleur ... une chemise rayée de bandes alternées claires et sombres avait les rayures sombres carbonisées alors que les claires restaient intactes. (10

Comme on le voit, si le projet Gutenberg ne publie pas tellement de bonne littérature, ça ne l'empêche pas de remplir avec une certaine fantaisie sa mission humanitaire.

***

(1) 70 000 livres sont téléchargés chaque jour.
(2) Le théâtre d'Aristophane, Les Caractères de La Bruyère, Don Quichotte de Cervantès, beaucoup de Shakespeare, Le neveu de Rameau de Diderot, De l'origine des espèces de Darwin, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, Les possédés de Dostoïevski, Le comte de Monte-Cristo de Dumas, les contes d'Edgar Poe, les chants de maldoror de Lautréamont, quelques livres de poésies de Verlaine, les deux premiers tiers de la recherche du temps perdu de Proust, Ubu roi de Jarry, Locus solus de Roussel, et quelques autres. Notons que les livres qui n'existent qu'en format texte (.TXT) demanderont un travail de mise en page pour devenir agréables à lire.

(3) 24 000 mots, dont 6 000 constitués par le témoignage dramatique d'un père catholique allemand qui a vécu l'événement.
(4) «greatest scientific achievement in history»
(5) «The first target should be relatively untouched by previous bombing, in order that the effect of a single atomic bomb could be determined», «the targets should contain a large percentage of closely-built frame buildings and other construction that would be most susceptible to damage by blast and fire»
(6) «The bombs were placed in such positions that they could not have done more damage from any alternative bursting point in either city», «Despite its extreme importance, the first bombing mission on Hiroshima had been almost routine»
(7) «But fate was against us, for the target was completely obscured by smoke and haze.»
(8) La première cible n'est pas citée dans le rapport. On apprendra dans un passionnant article modéré de Wikipedia que cette ville sauvée par les intempéries, était Kokura.
(9) «The steel frames ... were pushed away, as by a giant hand», « from the point of detonation ... The hillsides ... were scorched, giving them an autumnal appearance»
(10) «One more interesting feature connected with heat radiation was the charring of fabric to different degrees depending upon the color of the fabric ... a shirt of alternate light and dark gray stripes ... had the dark stripes completely burned out but the light stripes were undamaged»