vendredi 23 juillet 2010

La vie des cimetières (31)


... Mais le silence en sait plus sur nous que nous-mêmes,
Il nous plaint à part soi de n'être que vivants,
Toujours près de périr, fragiles, il nous aime

Puisque nous finirons par être ses enfants
.

Jules Supervielle

Extrait de «Bonne garde», dans «La fable du monde», 1938.


mercredi 14 juillet 2010

Nuages clairsemés, en fin de compte

Le 30 mars 591 une éclipse totale de soleil balayait d'ombre pendant deux minutes et demi une petite ile déserte et sans nom, couverte d'arbres et de végétation, au milieu de l'océan Pacifique.

Au 7ème ou 8ème siècle vraisemblablement, les premiers aventuriers polynésiens s'y installaient et créaient une étrange société dont l'unique occupation semble avoir été, pendant des siècles d'isolement, d'entourer leur minuscule royaume de centaines de statues stylisées portant d'énormes têtes, le regard tourné vers le centre de l'ile. Ils épuisèrent ainsi tous les arbres, jusqu'au dernier, pour faire rouler leurs gigantesques sculptures de pierre volcanique de la carrière vers la côte.
Au 18ème siècle débarquaient les européens, armés de poudre, de fusils, du christianisme et de la syphilis. Le nombre d'indigènes décrut. Au 19ème siècle, 1000 habitants (presque toute la population active) étaient déportés vers le Pérou, en esclavage. En peu de temps il n'en restait qu'une quinzaine de survivants. Ils retournèrent dans l'ile, avec la variole. Au 20ème siècle, de départs d'iliens en arrivées de chiliens, peu de familles d'origine indigène subsistent.

Beaucoup voient dans cette destinée de l'ile de Pâques une parabole sur l'avenir de l'espèce humaine et des ressources de la Terre. C'est évident. Plus qu'une parabole, c'est même un test, une répétition générale en modèle réduit avant la grande représentation.
Vialatte conseillait de faire confiance aux évènements, ils finissent toujours par arriver, disait-il. Il sous-entendait bien sûr les bons comme les mauvais. Les habitants de l'ile de Pâques, les Rapanui, auront eu leur lot d'évènements funestes. Dimanche, pour la première fois dans leur histoire, ils ont admiré une éclipse totale de soleil. 4000 touristes privilégiés ont partagé leur fortune. Les probabilités statistiques avaient prédit un ciel couvert. Après 36 heures de pluies incessantes, les nuages étaient clairsemés quand l'évènement se réalisa.

Les photos sont de Joaquin Souyris (haut gauche, bas gauche), Juan carlos Casado (haut droite) et Stéphane Guisard (bas droite).

samedi 10 juillet 2010

Nuageux avec risques de pluie

Se trouver précisément sur la fine bande de quelques dizaines de kilomètres que parcourt sur Terre l'ombre de la Lune au moment d'une éclipse totale du Soleil est certainement un des spectacles les plus impressionnants pour un être vivant, même dépourvu d'imagination.
En plein jour, au cœur d'une soudaine pénombre apparait dans un ciel étoilé un gigantesque trou noir cerclé d'un anneau de lumière, toute vie est suspendue pendant plusieurs minutes comme si les astres s'arrêtaient. Le spectateur se sent impliqué dans quelque chose d'immense, de cosmique, comme l'écolier devant la baleine du muséum d'histoire naturelle, ou l'usager qui voit arriver l'autobus.

Et le véritable chasseur d'éclipses ne peut pas le rater quand l'évènement, déjà rare, se produit de surcroit sur un des lieux les plus mythiques de la planète, sur l'ilot le plus isolé de l'océan Pacifique où d'immenses têtes de pierre alignées regardent passer les nébulosités subtropicales et les touristes égarés, aux antipodes.
D'ailleurs vous êtes peut-être déjà en route, rampant épuisé et déshydraté sur les graviers du désert d'Atacama, maudissant le voyagiste qui vous a fait croire qu'une expédition si exceptionnelle se méritait et se rentabilisait en vous faisant crapahuter dix jours durant dans les endroits les plus inhospitaliers des alentours, pour justifier les 7500 euros qui endetteront vos prochaines années. Mais vous résistez à toutes ces humiliations, parce que vous savez que le miracle systématique se produira demain, 11 juillet 2010, entre 20h08'48" et 20h13'35" en temps universel (1). Soyez ponctuel, la mécanique céleste n'attend pas (2).

Au cas où la petite note en bas de page vous aurait échappé, sur le contrat du voyagiste, rappelons que les conditions météorologiques en cette période de l'année sur l'ile de Pâques ne sont pas vraiment propices, et qu'il y a près de deux malchances sur trois pour que les nuages et la pluie fassent chavirer votre rendez-vous astronomique et solaire (3). La météo annonce pour demain des risques de pluie.
Déjà, une masse nuageuse se profile (4).

Ceci n'est pas une éclipse, bien que les couleurs en soient très proches. Ceci n'est pas une baleine non plus. Peut-être un autobus.


***

1. 14h08 en heure locale, 22h08 en heure française.
2. Il faudra attendre sept ans, le 21 aout 2017, la prochaine éclipse qui ne passera pas en plein milieu des océans. Elle dessinera son pinceau d'ombre sur toute la longueur des États-unis, d'ouest en est. Et la suivante la croisera du sud au nord-est, le 8 avril 2024 seulement.
3. Pour mémoire, vivre une éclipse totale sous les nuages c'est un peu comme écouter des commentaires radiophoniques sur un spectacle qu'on ne verra pas.
4.
Le deux liens conduisent, le premier vers une vue par satellite actualisée du Pacifique centrée sur l'ile de Pâques et le second vers le bulletin météo actuel de l'ile, au moment de votre consultation.

lundi 5 juillet 2010

De l'exactitude de la Loi

« Faire taire ceux qui ne pensent pas comme les autres par respect pour ceux qui ne pensent pas comme eux ». C'est la saine logique des commentaires outragés qui ont fleuri les forums des grands journaux depuis l'affaire du drapeau français utilisé comme torchecul. Pour mémoire, une grande surface de la culture à Nice, relayée par un journal gratuit, avait exposé, dans le cadre d'un concours sur le thème « politiquement incorrect », la photographie, lauréate, d'un homme se nettoyant soigneusement le postérieur avec l'emblème de la Nation.

Devant les réactions ulcérées, et n'écoutant que son courage, le pédégé de la grande surface à licencié illico deux des responsables de la diffusion sacrilège, qui n'avaient fait que respecter la décision du jury. Et dans leur grande sagesse, la Garde des sots et le ministre de l'Inférieur, étonnés que la loi ne châtie pas encore ce genre de profanation, ont présenté en urgence un décret punissant sévèrement toute « dégradation ou utilisation indécente du drapeau français ».

Ainsi, quand le décret sera entériné par le Conseil d'état, on n'aura plus le droit, en France, de photographier un cul derrière le drapeau sacré de la République, mais on pourra évidemment, comme toujours, le photographier devant, et afficher le résultat dans les mairies, les écoles, les ministères et les lieux publics. La justice française est d'une étonnante précision.

Jougne dans le Doubs, le monument aux morts, ou comment inculquer aux enfants le respect des morts, de l'armée, des obus phalloïdes, de l'éclairage urbain, en bref des valeurs de la Nation.

mercredi 30 juin 2010

La vie des cimetières (30)

Il n'est pas rare, cherchant une tombe particulière dans un cimetière, de ne pas la trouver quand on possède pourtant son adresse précise et un plan détaillé. Parce que les tombes se déplacent pendant la nuit. C'est un fait bien connu des écumeurs de cimetières. Longtemps pris pour une légende, nous en apportons la preuve aujourd'hui sur ce cliché exceptionnel. Un défaut de direction assistée, dans un virage un peu difficile à négocier, fut la cause pathétique de cette épave échouée au milieu d'une allée du Cimetière Monumental, à Milan. Si le conducteur ne fait rien, sa tombe sera vite dépouillée par les pilleurs nocturnes. À moins qu'il ait été blessé dans l'accident et qu'immobilisé sous l'éboulis de pierres il ne puisse pas même appeler à l'aide.


vendredi 25 juin 2010

Le visiteur à l'état fluide

Voilà. Dorénavant, entrant dans le musée d'Orsay (1) après avoir payé votre droit de visite et acheté une réserve de jetons d'un euro à la caisse idoine (2), vous pénétrez dans une immense galerie réaménagée et méconnaissable, baignée d'une reposante pénombre, ponctuée de petites oasis intermittentes de lumière. Les approchant, vous réalisez que ce sont les tableaux et sculptures du musée, momentanément éclairés par l'obole du visiteur précédent. Un jeton glissé dans une ingénieuse tirelire à minuterie donne droit à deux minutes d'éclairement par objet, comme cela se pratique depuis longtemps dans certaines églises richement dotées. Pour compléter le dispositif, un discret parcours lumineux au sol informe et oriente le touriste.

Florence, église Santa Felicità. Cette déposition de croix de Pontormo (ici un détail) considérée comme un de ses plus beaux tableaux, est enfermée au fond d'une petite chapelle latérale, dans le noir. Un euro versé dans une tirelire à minuterie éclaire la chapelle pour cinq minutes, mais n'ouvre pas les grilles.


Ne vous inquiétez pas, le système n'est encore qu'un projet. Ça n'est pour l'instant que l'ironique suggestion de F. P., professionnel déçu qui s'attriste dans le livre d'or du site du musée. Car une chose est en revanche certaine : les gestionnaires d'Orsay viennent soudainement d'interdire toute photographie à l'intérieur du musée, œuvres et architecture du site, sous le prétexte facilement réfutable de la fluidité du visiteur.

On ne reviendra pas sur l'illégalité du procédé, elle a largement été démontrée en 2005 lors de l'affaire de l'article 33 du règlement de visite du Louvre, où l'autorisation de photographier est encore aujourd'hui dans une situation incertaine. La photographie y est interdite mais tolérée, dans l'attente peut-être d'un incident qui justifierait alors l'application stricte du règlement.

Comme le ressent N.D. de B., un des nombreux scandalisés qui se soulagent sur le livre d'or, ne pas autoriser la photographie dans un musée, c'est comme demander au visiteur d'effacer ses souvenirs en sortant. Cette nouvelle manifestation de la longue série des petits abus de pouvoir et des détournements du bien public ne mérite que le mépris et évidemment l'irrespect.

Actualité du 05.12.2010 : Didier Rykner (La Tribune de l'Art) couvre une périlleuse manifestation pacifique dans le musée d'Orsay (15 participants) organisée avec le soutien de LouvrePourTous.fr, en protestation contre l'interdiction de photographier.
Six mois après sa publication au Journal Officiel le 22.06.2010 sous le numéro 81937, la question écrite au ministre de la Culture n'a toujours pas de réponse.
Actualité du 15.03.2011 : Le Sinistre de la culture vient de répondre à la question écrite 81937. On en parle ici, hélas !


***
(1) Célèbre établissement public parisien présentant des œuvres principalement françaises créées entre 1848 et 1914.
(2) Le maximum autorisé par visiteur est de 50 jetons, surnommés «photons» par le personnel du musée.

jeudi 17 juin 2010

Proverbe congolais


« Lorsque les éléments commencent à se confondre, le ciel, la terre, et l'eau, le sage apprend à nager, le fou apprend à voler, le canard reste impassible. »


dimanche 13 juin 2010

79 avenue du docteur Goût

Une rue de Carcassonne porte son nom, près des rues Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne. Les 3000 pages et 6 volumes du Dictionnaire Universel de la peinture (Robert, 1975) ne le citent pas, même parmi les peintres post-impressionnistes, pointillistes ou divisionnistes. Le musée d'Orsay qui possède quatre toiles de lui, n'en expose aucune et ne les reproduit pas sur son site, mais précise dans sa notice n°16296 que c'était un homme, français, né en 1861 et mort en 1944 dans l'Aude, et peintre. C'est tout.

Achille Laugé, petit bouquet de fleurs et vase, 1892. Histoire d'aider un peu plus la reconnaissance du peintre, les photographies de l'exposition n'étaient pas autorisées. Il est donc possible que des ayant-droits réclament un jour le retrait de cette illustration.Il faut admettre qu'Achille Laugé a mis beaucoup de soin à se faire oublier, déjà de son vivant. Il ne peignait que des sujets peu spectaculaires, des motifs ressassés, des portraits austères et des perspectives de prunus en fleurs. Pas une fois il n'a succombé au ridicule de représenter les grandes idées, comme l'ont fait ses amis célèbres pour obtenir des commandes officielles. Sa vie entière fut retirée dans un bourg du sud-ouest de la France. Seuls deux ou trois amis fidèles et influents l'aidèrent de quelques commandes, par exemple des cartons de tapisseries pour la manufacture des Gobelins.
Son style, son obstination, était de géométriser, simplifier les formes ainsi que les couleurs qui en deviennent souvent étranges, atones, théoriques, dominées par des roses fades et lie-de-vin. Les tableaux d'Achille Laugé sont des surfaces décoratives que les lois de la nature effleurent à peine. Ses paysages de printemps ont le dépouillement et la raideur glaciale de l'hiver.

Le musée de la chartreuse de Douai dans son assistance à la résurrection des peintres post-impressionnistes vient de clore une magistrale rétrospective (1) consacrée à Laugé, à la hauteur des expositions passées sur Le Sidaner et Henri Martin.

La rue Achille Laugé à Carcassonne (Copyright Google Street View)Cette histoire démontre qu'avec beaucoup de rigueur et de ténacité, on finit par être récompensé et par obtenir, de manière posthume, une rue à son nom dans une ville de province d'importance relative, dans un quartier parsemé d'habitations à loyer modéré. La rue Achille Laugé débute au croisement du 79 avenue du docteur Goût.

***
(1) Goûtez ce reportage digestif de France3, nappé de harpe et de flûte, pour promouvoir le passage de l'exposition à Carcassonne et à Limoux (patientez pour son chargement).

dimanche 6 juin 2010

Chapardage au musée d'art moderne

Celui qui visite un musée entre dans une sorte de grenier dont les propriétaires ont disparu. On y montre avec mille coquetteries des objets leur ayant appartenu, qu'on agrémente d'étiquettes surannées pour se rappeler leurs noms. Les gardiens des lieux, inanimés, s'y ennuient comme dans les tableaux de Paul Delvaux.
Les musées ne retracent jamais que le passé, c'est leur raison d'être. Leur désuétude palpable, à peine camouflée par l'odeur de cire fraiche des boiseries, est justement la condition nécessaire au fonctionnement du rituel que s'invente chaque visiteur, à la persistance du passé. Tous les musées devraient être vétustes, démodés, mal équipés, un peu poussiéreux et habités de fantômes neurasthéniques. Ils le sont souvent.

Il est donc logique que se produisent de temps en temps des chapardages comme ce vol récent de quatre tableaux, dont un Picasso, au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Leur caractère spectaculaire est exagéré volontiers, car tout le monde profite de l'opération. Dans la presse, les œuvres volées sont surévaluées et leur cote multipliée par 5 ou 10, quand elles ne sont pas attribuées à un maitre alors qu'elles étaient, avant le larcin, tout juste qualifiées de copies ou «de l'école de...». Les journaux, intrépides, dénoncent le scandale. Le service chargé de la surveillance exhume alors un rapport d'audit jauni qui pointe avec précision, dans une note de bas de page d'une annexe, un dangereux manque de personnel qualifié et de moyens technologiques appropriés. Tout le monde est absous. Le responsable sera l'électeur qui change si souvent d'avis et aura choisi l'autre couleur politique, créant ainsi une discontinuité fatale à une saine administration du patrimoine.

Le musée Correr, Piazza San Marco à Venise, trois globes (encore) et un lustre.
Pourtant les vols d'œuvres d'art ne sont pas si fréquents, parce qu'ils ne sont pas rentables. Connues et documentées, elles sont invendables et réapparaissent généralement après quelques années d'occultation. Les rançons sont rarement payées, ou alors très discrètement. Bien sûr certaines œuvres ne reparaissent jamais, mais elles représentent peu en regard des milliers anéanties par les guerres et pillées par les armées et les trafiquants. Les grands musées débordent encore des razzias du passé. Sur 15000 pièces volées (et beaucoup plus de détruites) dans le musée de Bagdad en 2003 sous les yeux de l'armée américaine indifférente, 6000 seulement ont été restituées.

Face au saccage des vestiges de l'antique Mésopotamie, première civilisation de l'écriture, et après l'incendie de la bibliothèque de Bagdad, la disparition d'une œuvre de Picasso fait un peu figure de «chien écrasé». Il en restera encore près de 23000 dans les musées et collections du monde entier, et non des moindres, comme ce pathétique hommage à Joseph Staline, dessiné au lendemain de la mort du héros soviétique, inventeur du bonheur des peuples, plus lumineux que le soleil, plus haut que les espaces célestes, le 5 mars 1953.

samedi 29 mai 2010

lundi 24 mai 2010

Bricoler l'univers

Tant de choses nous dépassent... À commencer par le nombre de textes religieux, philosophiques, voire scientifiques sur le sujet, qui déclarent que l'univers est inconnaissable puisqu'on en fait partie. Des milliers de pages pour affirmer que l'inconnu restera à jamais inconnu. La démarche de la connaissance semblant sans fin, le filon est inépuisable.
Pourtant, certains défricheurs se sont sorti l'esprit de cette glu sophistique pour se mettre au travail. Et le résultat est là. Les éditions Eaglemoss proposent le mode d'emploi, les outils, et les pièces détachées pour «construire le système solaire».

Ce qui étonnera d'abord le lecteur engourdi de «Science & Vie» accoutumé aux débauches d'énergie de l'épopée du Big Bang, c'est la modestie des moyens à mettre en œuvre pour créer un système solaire, incitant l'écervelé à se lancer sans précaution dans cette aventure. L'apport au démarrage est proche de zéro. Mais pour le gestionnaire tatillon, les informations sur les moyens et les délais à investir sont trop escamotées et disparates.

C'est pourquoi Ce Glob Est Plat, champion de toutes les vocations scientifiques inabouties, a expertisé les Conditions Générales de cette offre (onglet "Bon de commande"), et en propose le tableau récapitulatif ci-contre qui figure le calcul le plus optimiste en fonction des éléments fournis par l'éditeur, ici et ici.

Notez qu'après deux ans et demi de persévérance, si vous avez réussi à ne pas perdre la moindre pièce, et si l'horlogerie du système fonctionne, jours, nuits, saisons, rien ne garantit que vous pourrez alors voir apparaitre la vie. En effet la documentation ne cite pour tout «élément» que le laiton chromé. Les composants chimiques nécessaires à la création de la vie seront fournis dans une autre série à venir, sans doute. Mais cette aventure vous aura cependant apporté sagesse et patience. Et elle aura démontré que la légende qui prétend le ciel, la Terre et les grands luminaires créés en quatre jours est largement erronée. 900 jours au moins sont nécessaires pour obtenir une Terre à peu près opérationnelle.



Répétons-le, pensez à nettoyer régulièrement vos outils, notamment si vous réalisez plusieurs programmes simultanément. On remarquera sur l'illustration ci-dessus, à quelques détails subtils, que le montage approximatif de cette planète a été effectué avec des outils qui servaient en même temps au programme «J'épile mon caniche» des éditions Jeunesse et Nature.

samedi 15 mai 2010

Se souvenir de la Grande Grèce




À l'extrême sud de l'Italie, sous un soleil presque africain, de Locri Epizefiri qui fut jadis une cité influente de la Grande Grèce, ne subsiste qu'un terrain vague où se dresse l'unique moignon d'une colonne ionique, près d'un petit musée d'archéologie désert aux vitrines fidèlement entretenues.


Tête féminine de style ionien, 520 avant notre ère (musée archéologique de Locri Epizefiri)

lundi 10 mai 2010

La vie des cimetières (29)



Il existe un cimetière dont tous les habitants sont morts le même jour. Un cimetière dont deux mille occupants ont été méticuleusement exhumés, jour après jour depuis 150 ans, par curiosité. On y expose au public les statues moulées sur leurs restes.



Le 24 octobre 79, ou peut-être en novembre, la ville romaine de Pompéi était anéantie par une éruption du Vésuve, ensevelie avec les habitants qui n'avaient pas encore fui les tremblements annonciateurs. Asphyxiés sous des mètres de poussière volcanique, dans leur gangue de cendres durcies, ils se sont lentement décomposés, réduits en poussières, laissant des cavités creusées aux formes de leur corps.



En 1863, Giuseppe Fiorelli, directeur des fouilles de Pompéi, eut l'idée de couler du plâtre dans ces empreintes providentielles. Une fois le plâtre sec et le moule de cendres ouvert, renaissait alors le dernier geste du moment de la mort.
Depuis, le plâtre a parfois été remplacé par une résine qui laisse apparaitre par transparence, avec la posture, ce qui a résisté à deux mille ans de décomposition, le squelette, les dents, les bijoux.



samedi 24 avril 2010

Histoire sans paroles

Saint-Savin-sur-Gartempe, Vienne, France


Mise à jour du 26 avril :
Il serait amusant que le spectateur inspiré par cette image abandonne dans les commentaires un texte de quelques mots décrivant l'histoire qu'il imagine en la voyant. Par exemple, dans le style de Félix Fénéon, cela pourrait être « Désireux d'en terminer avec la vie, Jérôme Plumier hésitait entre la noyade et la pendaison. Par bonheur la petite porte était fermée et il n'en avait pas la clef. »

- Yvelinoise : « Ce saule a tant et tant pleuré que ses racines en sont toutes inondées. »

dimanche 18 avril 2010

Décervelage, friperie et fuite du cosmos

« Comment va le monde ?
- Il s'use Monsieur, à mesure qu'il devient. »
William Shakespeare, Timon d'Athènes, Acte 1, scène 1.

Au nord de l'Europe, le plan machiavélique du Père Ubu vient d'échouer. Afin de prendre le pouvoir en Pologne et y mener force décervelages et manger constamment de l'andouille, on se souvient que le Père Ubu avait, la semaine dernière, envoyé par avion les plus hauts dignitaires de l'État polonais, président, gouvernement, armées et banque, rendre hommage aux milliers de compatriotes massacrés par son copain Staline en 1940. On se souvient en outre qu'ayant instauré un impôt sur le décès (15 francs), le Père Ubu avait saboté l'avion présidentiel, ce qui lui rapporta presque 1500 francs.
Son but était d'organiser de colossales obsèques à Cracovie, d'y attirer les dirigeants éplorés de tous les états du monde et de les supprimer sur place. Malheureusement, l'espace aérien européen est vide, interdit depuis quelques jours, et les chefs d'état, américain, anglais, allemand, espagnol, français ont tous annulé ce déplacement funéraire. Le grand décervelage n'aura pas lieu. Et le Père Ubu ne peut s'en prendre qu'à lui-même, car désireux d'être seul au pouvoir, il avait expédié la Mère Ubu dans l'espace à l'aide d'une catapulte de son invention. Mais l'horrible femme et son énorme postérieur, par gravité, sont retombés précisément dans le cratère ressuscité d'un volcan islandais célèbre depuis, faisant ainsi fondre un glacier millénaire et libérant une vapeur pestilentielle (des années d'alimentation à base d'andouilles) qui couvre maintenant toute l'Europe et paralyse la circulation aérienne.

Les restes calcinés de la Mère Ubu.

Pendant ce temps, entre le 10 avril et le 23 mai, des millions de personnes apparemment saines d'esprit et un Pape se rendront à Turin, et adoreront une pièce de toile, datée d'à peine 6 siècles d'après la méthode du carbone 14, et qui aurait enveloppé le corps de leur dieu crucifié voici 2000 ans. Ils appellent cet événement rare une «ostension extraordinaire du Saint-Suaire».
La croyance est invulnérable ; elle ne fait appel ni à la raison ni au doute. «Heureux ceux qui croient sans avoir vu» dit le Christ à Thomas (Jean 20-29). Ces foules qui s'entassent pour adorer une relique effraient, comme les festivités wagnérienne de Bayreuth, les fêtes de la bière, les matchs au stade de France, les pèlerinages rituels dans les pas des prophètes. On y entend comme le beuglement angoissé de l'espèce humaine.

Et on apprend en couverture du numéro de mai de la revue Ciel & Espace que le cosmos s'enfuit ! Comprenez par là que tout s'éloigne définitivement, et de plus en plus rapidement, ça vient d'être prouvé. C'est à cause de l'énergie du vide. Parce que le vide n'est pas réellement vide, en fait. Alors les galaxies se séparent des galaxies, les étoiles des étoiles, et un jour les atomes s'éloigneront des atomes.
On s'en doutait un peu. Il suffisait de compter les amis qu'il nous reste, de regarder l'état du plafond, de dénombrer la récolte quotidienne de la brosse à cheveux ou de rechercher un nom ou un mot connus sans jamais y parvenir, pour constater que tout s'enfuit, sans avoir à invoquer ces hypothétiques forces de l'univers. La véritable question est combien de temps cela s'éternisera. Et bien la science répond qu'on en aura pour 100 milliards d'années, pas plus. C'est embêtant.

Pour finir, le président de la République vient de nommer, le 15 avril, le nouveau président de l'Agence France Presse (AFP), agence «indépendante» de toute pression et influence, source principale de l'information en France. Dans ces conditions, Ce Glob Est Plat pourra difficilement garantir les informations qu'il diffuse.

Enfin n'oubliez pas de régler vos 25 euros de cotisation à l'AAAV (Association des Amis d'Alexandre Vialatte). Le blog est mourant, mais l'association active. Elle vient de publier son 35ème cahier annuel, une constellation de correspondances, critiques et manuscrits autour des Fruits du Congo, le grand roman mélancolique de Vialatte, hanté par Monsieur Panado, qui est un peu le rejeton du Père Ubu.

samedi 10 avril 2010

Irons-nous à Baltimore ?

Une poignée d'inoffensifs idéalistes prétend que les œuvres produites dans l'histoire de l'humanité appartiennent à tous, et que les établissements publics, les musées, qui les administrent grâce à l'impôt, doivent les entretenir, les protéger, et les mettre en valeur afin de faire fructifier intellectuellement ce patrimoine de l'espèce humaine.
D'autres, réalistes, considèrent ces biens comme leur propriété et s'organisent pour en tirer un profit matériel, parfois personnel. On les repère notamment à la pauvreté et la mesquinerie des reproductions qui illustrent leurs sites sur internet, malgré l'obscène opulence de leurs collections. Le sujet a déjà été évoqué ici-même.

Le badaud qui, un soir de déambulation, entre sur le site du Walters Art Museum de Baltimore sentira immédiatement, à l'émerveillement de chacun de ses pas, qu'il a découvert un pays de cocagne et qu'il y restera jusqu'à l'indigestion. Le musée et la collection ont été légués en 1931 à la ville de Baltimore, « au profit du public et pour son éducation », par Henry Walters, héritier et magnat des chemins de fer. Et après 80 ans, son vœu semble encore respecté à la lettre. 7500 objets du musée sont reproduits sur le site, en belles images qui peuvent être agrandies et même téléchargées. La collection est variée, des tablettes mésopotamiennes, des dizaines de scarabées égyptiens, une série de toiles des plus pompeuses de Jean-Léon Gérôme, un des plus beaux tableaux printaniers de Claude Monet, l'extraordinaire portrait de Maria et Giulia Salviati de Pontormo...


Les cases des illustrations représentent chacune un détail d'un objet du Walters Art Museum, qu'on retrouvera directement sur le site du musée dans la liste de liens qui suit (classée dans un ordre différent de celui des images) :

Achenbach Andreas, éclaircie côte de Sicile
Anguissola Sofonisba, portrait de Massimiliano Stampa
Anonyme, Allemagne renaissance, Memento mori
Anonyme, Égypte, tête de prêtre (gréco-romain)
Anonyme, Guatemala, urne avec jaguars et crânes
Anonyme, Japon 19ème, mante articulée
Anonyme, pendentif avec un moine et la mort
Anonyme, Pérou, lama
Anonyme, Renaissance, Madeleine pleurant
Anonyme, Renaissance, Saint Joseph
Anonyme, Rome, la muse Clio
Bigot Trophime, Judith coupe la tête d'Holoferne
Bloemaert Abraham, paysage et parabole
Bonnat Léon, Portrait de William T. Walters
Bonvin Léon, oiseaux dans un buisson
Church Frederick, matin tropical
Corente Giovanni, Saint Jean Baptiste dans un paysage
Corot, les saules de Marissel
Daumier, le wagon de seconde classe
Fortuny, un ecclésiastique
Gérôme Jean-Léon, marché romain aux esclaves
Gérôme Jean-Léon, la prière des martyrs chrétiens
Gérôme Jean-Léon, le duel
Giordano Luca, Ecce homo
Giovanni di Paolo, mise au tombeau
Greco, Saint François
Heade Martin Johnson, meules dans les marais de Newburyport
Ingres, odalisque et esclave
Lieferinxe Josse, Saint Sébastien prie pour les pestiférés
Maitre de la nativité de Castello, madone et enfant
Maitre des furies, 1650, figure tourmentée
Matsushige, Ashinaga et Tenaga prennent un poisson
Monet Claude, printemps au jardin
Nomé François de, Saint Paul prêchant
Pontormo, Maria et Giulia Salviati
Trouillebert, Paysage
Van Diest Willem, naufrage dans une tempête
Vernet Claude-Joseph, paysage avec chute d'eau
Veronese, portrait de Livia et Porzia
Woodville, Politique dans un bar à huitres

Chaque détail © Walters Art Museum, Baltimore

lundi 5 avril 2010

La vie des cimetières (28)




Au cimetière du Père-Lachaise, la mémoire est parfois volatile.

vendredi 2 avril 2010

L'écrivain qui s'effaçait

La tortue assiste sans y prêter grande attention au passage de l’homme sur la Terre.
Éric Chevillard, L'autofictif, Samedi 26 décembre 2009, 760-3
Éric Chevillard était un écrivain. Et remarquable probablement. Un styliste drôle, ironique souvent, cynique même, aux phrases belles parfois comme d'un moraliste du 17ème siècle. Hier encore, dans la nuit, il publiait sur son blog monacal les trois aphorismes quotidiens.
Tout écrivain dialogue avec les grandes figures de la littérature et se prend inévitablement pour un de leurs pairs, cela même si le pilon seul dévore ses pages à peine imprimées. Et sans doute, à l’instar de ces immortels génies, ne sera-t-il jamais oublié, puisqu’il y faut cette condition d’avoir un jour été connu.
Éric Chevillard, L'autofictif, Jeudi 15 octobre 2009, 693-2
On est obligé d'en parler au passé, parce que chaque année, alors que paraissent sur papier, en librairie, les aphorismes de l'année qui s'achève, Chevillard les efface définitivement de son blog. Il pense que l'internet est une sorte de palimpseste perpétuel, un vaste tableau noir dont chaque jour nouveau efface le précédent, qui ne peut être qu'une vitrine de passage, mais pas un héritage pour la postérité.
Ainsi, afin de citer une pensée de Chevillard, on ne pourra jamais créer le moindre lien sur internet. On sait qu'il désignerait inéluctablement le vide après quelques mois seulement.
Être recherché sans succès par un admirateur boutonneux, entre Cheval et Chèvre sur les étagères poussiéreuses d'une librairie localisée au 3, impasse de l'avenir, est certainement gratifiant. Mais pas au point de refuser d'éparpiller quelques souvenirs désordonnés sur le réseau, des empreintes également volatiles, certes, mais qu'un farfouilleur aurait toutes les chances d'apercevoir un jour, dans cet immense cabinet des curiosités qu'héberge le deuxième monde, le monde virtuel.
MOI – Je vais quand même changer les assiettes.
LE MONDE ENTIER (d’une seule voix) – Mais non voyons ! C’est bien inutile ! T’embête pas avec ça ! Regarde, elles ne sont pas si sales.
MOI – Bon.
Éric Chevillard, L'autofictif, Samedi 17 octobre 2009, 695-3
Du coup, l'amateur de littérature (pas de livres) n'a plus très envie d'aller voir dans le premier monde les œuvres sur papier, pourtant attirantes à la lecture par exemple des premières pages de Préhistoire. Il redoute de se méprendre, d'oublier de vérifier la date de péremption du livre au risque de voir s'effacer les pages l'une après l'autre, avant qu'il n'ait pu en connaitre le dénouement.
Alors il recueille pieusement, chaque jour, un florilège des pensées de Chevillard, qu'il classe soigneusement dans un petit fichier numérique pour les années de pénurie qui viendront fatalement.

Les archives désertées de l'Autofictif, le blog d'Éric Chevillard
Une autre preuve de notre solitude ? [...] Par extraordinaire, l’homme ou la femme de notre vie fréquente la même université ou travaille dans la même boîte que nous ! Quelle prodigieuse coïncidence ! Quel miracle ! Et comme nous avons les bras courts ! Et que tout cela est contingent ! Nous sommes seuls parce que les autres, ceux qui peuplent notre existence, ne seront jamais que ces autres-là, qui font l’affaire aussi bien que ces autres-ci (auraient pu la faire), indifféremment. Un agrégat fortuit de solitudes, né de la seule circonstance.
Éric Chevillard, L'autofictif, Jeudi 25 mars 2010, 847-1

vendredi 26 mars 2010

Peinture et confiserie

L'amoureux couronné (détail) © Frick Collection, New York.

Il y a des peintres modestes et méticuleux, qui estompent délicatement chaque touche de pinceau et fondent les couleurs entre elles. Artisans besogneux, ils cherchent à effacer, par discrétion, toute trace de leur passage sur la toile.
Et puis il y a les virtuoses. Chaque coup de leur pinceau dépose une crème onctueuse qui retrace le mouvement de la main. Futile ou grave, le sujet du tableau importe peu, il devient abstrait, on en goûte la matière comme une friandise, le regard y vagabonde et s'abandonne au bavardage du geste. Honoré Fragonard est de ces prodiges. La collection Frick de New York héberge une série de ses grandes toiles foisonnantes et frivoles «Les progrès de l'amour dans le cœur d'une jeune fille». Sur le site, un zoom généreux permet d'en explorer la moindre touche de matière. L'amateur gourmet s'en délecte. Peintes vers 1771, elles ont naturellement pour titres «La poursuite», «La rencontre», «La lettre d'amour», et enfin «L'amoureux couronné».

La rencontre (détail) © Frick Collection, New York.

dimanche 21 mars 2010

Un peu de numérologie

Dans la série « Les nombres sont nos amis, nous devons les protéger », examinons aujourd'hui le nombre 666.
Une de ses premières apparitions, la plus fameuse, est dans une fable allégorique écrite sous l'emprise de produits hallucinogènes, vers la fin du premier siècle de l'ère actuelle, et appelée Apocalypse de Jean. L'auteur y décrit la fin pompeuse et pathétique du monde terrestre, et notamment la venue du diable que les clairvoyants reconnaitront au nombre 666 (1), le nombre de la Bête, qu'il dissimulera.

Et quand un bouquin aussi populaire prophétise, forcément, ça impressionne les plus fragiles. Ces obsédés du nombre 666 ont un nom, hexakosioihexekontahexaphobes. On les regroupe dans le même pavillon que les amateurs effrénés des lettres H, X et K réunies dans un même mot (2), qui eux n'ont pas encore de nom. Mais la science progresse.

On le sait en numérologie, même un idiot distrait arriverait à repérer le nombre 666 à peu près n'importe où, par exemple dans des rouleaux de papier toilette... Et c'est bien la plus grande supercherie de Satan que de nous faire croire qu'il n'existe pas, qu'il n'est qu'une farce de collégien. Or il est parmi nous, il nous attend dans l'ombre. Il vit actuellement une retraite discrète dans un quartier reculé de Venise et on voit clairement sur notre illustration, aux corps exsangues pendus au dessus de sa porte, qu'il n'a pas renoncé aux habitudes sanguinaires des époques plus glorieuses.

Cliquez sur l'image pour découvrir le nombre fatidiqueLes malheureuses victimes de la Bête pendent étripées et vidées de leur sang sur une corde à linge devant la porte du Démon. Mais qu'est-ce que le monstre six fois millénaire peut encore faire de ces dépouilles desséchées ? Cette photo a été réalisée sans trucage, au péril, hélas, de la vie de notre reporter.

***


(1) Quelques manuscrits bibliques disent 616 au lieu de 666.
(2) les dictionnaires de Scrabble français ne donnent que deux mots pertinents (ce qui suffit à justifier l'état dépressif de ces amateurs).

samedi 13 mars 2010

Nuages (20)

... Et c'est pourquoi, il y a longtemps,
Dans ce royaume près de la mer,

Un nuage exhala un vent

Glaçant ma belle Annabel Lee.

Alors sa famille advint,

Et m'en sépara. Depuis,

Elle repose au fond d'un tombeau,

Dans ce royaume près de la mer ...


Edgar Allan Poe, Annabel Lee

(extrait librement traduit)

lundi 8 mars 2010

La photo du photon

Tout lecteur assidu aura noté la tonalité scientifique de Ce Glob Est Plat. Disons même matérialiste. Or depuis plus d'un siècle, quelques savants respectables, à l'aide de concepts insolites, ont troublé cette tranquille vision mécaniste du monde. On trouve leurs noms dans tous les dictionnaires des noms propres, Planck, Einstein, Bohr, Heisenberg, Schrödinger, Dirac, Born, de Broglie... Ils ont inventé la physique (ou mécanique) quantique (1), une description (2) du comportement intime, microscopique de la matière.
Jusqu'alors on considérait la matière un peu comme un voisin de palier. En public, elle se conduisait comme vous et moi, elle suivait son train-train sans surprise, descendait la poubelle à heures fixes et fermait les volets avant de se coucher. Et puis voilà cent ans, on apprenait, à la une des journaux scientifiques, qu'elle avait une vie privée assez déviante, des attitudes fantasques, et qu'elle se moquait même discrètement de la physique classique. Parmi les débordements qu'on lui prêtait, on racontait que dans l'intimité, pour entrer au salon, elle s'évaporait et passait au même instant par les deux portes situées aux extrémités de la pièce, que son chat était à la fois mort et vivant quand elle le cherchait (d'où l'odeur parfois particulière), que son poisson rouge, soluble, dilué dans son aquarium, ne reprenait une forme de poisson qu'à l'écoute de son petit nom, que sa plomberie ne respectait pas la gravitation et que l'eau de son appartement s'écoulait parfois de la bonde vers le robinet. Ainsi, à écouter cette nouvelle physique, la matière était réduite à n'être, dans l'intimité, qu'une vague probabilité, une vibration, un fantôme d'elle-même errant indéfiniment dans un appartement vide, flanqué de quelques ectoplasmes domestiques. C'était une situation désagréable pour le matérialiste, mais après tout, si la matière souhaitait se comporter comme un gamin irresponsable quand personne ne la regarde, c'était son affaire. Au moins savait-on à peu près où la trouver, comment la localiser. Enfin, c'est ce qu'on croyait, car la théorie prévoyait que des particules associées, puis dispersées, continuaient à constituer un tout inséparable quel que soit leur éloignement. Einstein même ne voulait pas y croire. On avait un peu oublié cette plaisanterie quand le coup de grâce advint à Orsay au début des années 1980, par Alain Aspect et ses expériences sur la «non séparabilité». Il démontrait (1) par un brillant bricolage (2) qu'un frère et une sœur jumeaux séparés par des kilomètres, sans pouvoir se concerter, restaient liés, et quand quelqu'un sonnait chez l'un, ils regardaient alors tous les deux par leur fenêtre, au même instant. C'était le pompon! La matière n'était pas seulement impalpable et évanescente, elle devenait unique, continue et indivisible.

  «Ne pas toucher les œuvres». Comment s'assurer que la matière existe, quand il est interdit de toucher les statues des musées?

Il est inutile de résister à une science qui n'a aligné que des succès technologiques, du transistor au laser. Nous en étions donc là depuis une trentaine d'années, à végéter tristement dans l'indécision, englués dans une réalité sans forme, parfait humus pour tous les spiritualismes, les idéalismes, les religions de toutes confessions. Épicure dépérissait et Démocrite faisait rire les enfants. Et puis le 25 février 2010, l'Institut Rayonnement Matière de Saclay, plus précisément le Service des Photons Atomes et Molécules (SPAM), associé à quelques honorables institutions, déclarait avoir enregistré les images du mouvement d'un nuage d'électrons dans une molécule constituée de deux atomes d'azote. Le procédé, décrit avec des mots incompréhensibles (imagerie d'orbitales par la méthode tomographique utilisant l'émission attoseconde en champ laser) est certainement très astucieux. Mais le résultat est là. La matière reprend un peu de consistance. Son image se précise. Finalement il est probable qu'elle existe.

 
***
(1) Vidéo de la conférence UTLS (2) Texte de la même conférence

samedi 27 février 2010

Piette qornichue ilililsbe

Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément.
Nicolas Boileau, L'art poétique, Chant 1.

Viloà qelsuqeu mios, à porops d'nue crihonque de la siére «la vie sde cetmeieirs», dnas un cartomimene sur lse feutas d'harthropoge, nuos mttnoies une licercte au dfei de rusésir à lrie aessz aniésmet un ttxee puqsree ilililsbe.
Le pérocéd n'est pas naouevu. C'est un ménalge de centrèpoterie, d'aamerangme et de doryphorgathise. Il est spoupsé mertron qeu, dnas le glanage éirct, une benon pirate de l'ofornimatin tse linuite à la chionméporsen. Nominanés sand le teetx que vsuo êste en tiran de lier, le baligaulore a été égarexé et des mtos ont été soireenusmont térfarsmons pour remblesser à d'artuse et fiare béruchter le lecture. (Il ets pissbole qu'il stere ecorne neu ou xude featus d'harthropoge.)

Cretinas indecis dnas ctete igame aeesntttt qu'il s'agti du potirart d'nue des sulp cérèbles horïènes de la bielb. On torurave cttee pluscurte sur la culée sud ouste du pnot du ritalo, à envies.

_______

Mise à jour du 23 mars :
Un mois après la publication de ce billet, et sans la moindre réclamation de lecteurs déconcertés, il est aisé de conclure que personne ne lit plus Ce Glob Est Plat. Aussi pour l'hypothétique lecteur égaré qui tombera un jour sur ces lignes, et afin de le retenir un peu, voici la traduction de cette petite chronique illisible.

Voilà quelques mois, à propos d'une chronique de la série «la vie des cimetières», dans un commentaire sur les fautes d'orthographe, nous mettions une lectrice au défi de réussir à lire assez aisément un texte presque illisible.
le procédé n'est pas nouveau. c'est un mélange de contrepèterie, d'anagramme et de dysorthographie. Il est supposé montrer que, dans le langage écrit, une bonne partie de l'information est inutile à la compréhension. Néanmoins dans le texte que vous êtes en train de lire, le brouillage a été exagéré et des mots ont été sournoisement transformés pour ressembler à d'autres et faire trébucher le lecteur. (Il est possible qu'il reste encore une ou deux fautes d'orthographe).
Certains indices dans cette image attestent qu'il s'agit du portrait d'une des plus célèbres héroïnes de la Bible. On trouvera cette sculpture sur la culée sud ouest du pont du Rialto, à Venise.