vendredi 27 avril 2012

Envies de Venise (3 de 4)

Quelques vues de Venise sans commentaires.

Ombres, lueurs, reflets, lumières.

LES REFLETS



mercredi 18 avril 2012

Le temps des cerises


Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous... Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre... Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ?
Étienne de La Boétie,
Discours de la servitude volontaire, 1549

Dans quelques jours les Français vont peut-être élire un président qu'ils n'aiment pas, alors qu'ils en auraient majoritairement préféré un autre. Ils ne le feront pas exprès, mais le système électoral français est conçu de telle manière que la chose peut advenir. 

Tous les politologues depuis la Révolution Française connaissent l'anomalie, et les électeurs depuis 2002, lorsqu'un candidat qui avait obtenu 21% des voix au premier tour a écrasé son concurrent au second tour avec plus de 82% des suffrages, alors que les Français leur préféraient en majorité un troisième, déjà éliminé.
Car le système du scrutin uninominal majoritaire fonctionne ainsi. Il contraint aux alliances et n'exprime pas des opinions réelles mais des stratégies de vote, qui sont souvent aléatoires et parfois contreproductives. Et ce n'est pas son seul défaut. Michel Balinski et Rida Laraki, mathématiciens et trouveurs au CNRS, en ont fait la liste et ont conçu une méthode de vote, le « jugement majoritaire », censée les éliminer tous et redonner un peu d'air au mot démocratie.

Le principe est simple. Chaque électeur juge tous les candidats, sur une échelle de sept qualificatifs. Balinski et Laraki détaillent et justifient ce système dans le numéro d'avril de la revue Pour la science. Et aussi lors d'une conférence-débat au Collège de France le 29 février 2012. Passionnante, elle est téléchargeable ici. La 29ème minute de la vidéo, sur les élections de 2002, vous clouera sur place !

Le jugement majoritaire comme système électoral, il restera à mettre en place les règles de révocabilité des élus quand ils trompent leurs électeurs. On pourra alors peut-être parler de démocratie en France.
Mais il subsiste hélas une objection majeure : les lois électorales sont confectionnées par les élus. Les élus ne peuvent qu'être satisfaits des règles électorales qui les ont fait élire. Pourquoi les changeraient-ils pour de nouvelles règles qui risqueraient de leur coûter le pouvoir ?
Et là, les mathématiciens sont désarmés.


Le temps des cerises, écoutez la belle interprétation de Jean Lumière

samedi 14 avril 2012

Envies de Venise (2 de 4)

Quelques vues de Venise sans commentaires.


LES LUEURS






dimanche 8 avril 2012

Envies de Venise (1 de 4)

Tout à coup, au bout d'une de ces petites rues, il semblait que dans la matière cristallisée se fût produite une distension. Un vaste et somptueux campo à qui je n'eusse assurément pas, dans ce réseau de petites rues, pu deviner cette importance, ni même trouver une place, s'étendait devant moi entouré de charmants palais pâles de clair de lune. C'était un de ces ensembles architecturaux vers lesquels, dans une autre ville, les rues se dirigent, vous conduisent et le désignent. Ici, il semblait exprès caché dans un entrecroisement de ruelles, comme ces palais de contes orientaux où on mène la nuit un personnage qui, ramené chez lui avant le jour, ne doit pas pouvoir retrouver la demeure magique où il finit par croire qu'il n'est allé qu'en rêve.
Marcel Proust
La fugitive (Albertine disparue), chapitre 2, séjour à Venise.

Tout a été dit sur Venise. Cinq-cents millions de fois, si on croit un célèbre moteur de recherche (et si on inclut les pages en langue étrangère). Tout a été dit, même jusqu'au dégoût (qu'on se rappelle le guide des toilettes de la ville).
Mais que faire contre une obsession ? La satisfaire. Alors le mois sera consacré à des vues de Venise, sans commentaires.



LES OMBRES



samedi 31 mars 2012

La vie des cimetières (42)

L'histoire de la naissance de l'image animée compte nombre de personnages étranges, d'ingénieux précurseurs aussitôt oubliés, des usurpateurs prétendant avoir inventé le cinéma, et quelques visionnaires.
Il y eut l'improbable Louis Le Prince, véritable inventeur du cinéma, auteur du premier film jamais réalisé, le 14 octobre 1888, puis disparu étrangement le 16 octobre 1890 dans le train express Paris - Dijon.
Parmi les usurpateurs, Thomas Edison, l'entrepreneur aux 1000 brevets, qui inonda l'Amérique de films volés à Georges Méliès.

Et puis Méliès, inventeur du spectacle cinématographique, comme le dit justement sa tombe (qui cite Louis Lumière) dans le cimetière du Père-Lachaise. Il fut le créateur des trucages et des premiers films fantastiques.
Mais le cinéma est allé plus vite que lui. Dépassé, ruiné, enseveli par la première guerre mondiale, oublié, on le retrouvera par hasard en 1926, vendeur de jouets et de bonbons dans une boutique de la gare Montparnasse.
Redevenu alors pionnier du cinéma, embaumé vivant, Méliès finira sa vie au château d'Orly, premier pensionnaire de la maison de retraite de la Mutuelle du cinéma. Ses féeries n'amusaient plus le public, mais il était entré dans les dictionnaires et les livres d'Histoire.

Martin Scorsese en a fait un joli film très mièvre, en 2011, un hommage assez peu réaliste. Il altère au passage l'orthographe de son nom en oubliant l'accent grave sur le deuxième E, quand l'automate de Méliès dessine la célèbre lune éborgnée par l'obus, et signe le dessin.
Il n'est pas le premier. C'est en 1954 probablement, quand un certain Carvinnari sculpta le buste de Méliès, que la stèle qui le supporte fut gravée. Le ciseleur traça soigneusement les accents aigus des É et omit l'accent grave du È.

Isolée, malaisée à repérer, la tombe de Georges Méliès sans accent grave et sa famille, au cimetière du Père-Lachaise, 64ème division.

Détail d'un générique de l'époque de Méliès avec accent grave.

samedi 24 mars 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (2)


Léonard de Vinci n'a peint que des plus beaux tableaux du monde, et aussi des ultimes chefs-d’œuvre. C'est le Louvre, le plus grand musée du monde qui expose le plus grand nombre de plus beaux tableaux du monde, qui l'affirme. C'est écrit dans la magnifique brochure d'une prochaine exposition incroyablement excitante sur un chef-d’œuvre absolu et mystérieux de Léonard, qui était il y a peu dans un état lamentable (pas Léonard, le tableau évidemment), et que les restaurateurs du musée ont sauvé de l'anéantissement.

Ce tableau, inachevé par Léonard mais sauvé par la technologie française, c'est La Vierge et l'Enfant avec sainte Anne. Vous savez, c'est le tableau sur lequel, après l'avoir tourné de 90 degrés vers la droite, le grand Sigmund Freud s'est ridiculisé en imaginant le dessin d'un vautour dans les plis de la robe bleue, et en déduisant, à partir du souvenir d'enfance d'un milan relaté par Léonard, une théorie abracadabrante prouvant indubitablement son homosexualité (pas de Sigmund, de Léonard évidemment).

Dans cette exposition sera également, parait-il, l'extraordinaire et fragile dessin au fusain (sur un thème similaire) de la National Gallery de Londres, ainsi qu'une copie de la Joconde dont la presse vient de beaucoup parler. Nombreuses sont les imitations de la Joconde qui se morfondent dans les caves des musées. Le Prado de Madrid en avait une dans ses réserves, moins médiocre que la plupart, répertoriée depuis longtemps. Une analyse approfondie afin de préparer l'exposition révéla, sous le fond alors noir (repeint de la fin du 18ème siècle), un paysage proche de celui du Louvre, et surtout des détails qui, sur l'original, avaient été recouverts par le lent travail de retouches en glacis de Léonard et que personne (à part les radiographies récentes) n'avait jamais vus depuis. Les experts en ont déduit que la copie a été exécutée en même temps que l'original, dans l'atelier de léonard par un de ses élèves. Ce qui avait été une copie incertaine devenait un témoignage irremplaçable, plus proche de l'original que l'original même.

On se souvient qu'il y a quelques années, devant la timidité des conservateurs du Louvre (dont il est clair qu'ils n'ôteront jamais
la couche de saleté qui enfume et décolore la Joconde), Pascal Cotte avait investi des sommes faramineuses pour la débarbouiller virtuellement et recalculer ses couleurs originelles sur ordinateur. Avec des moyens plus modestes mais à l'aide des découvertes les plus récentes, Ce Glob est Plat ouvre aujourd'hui la fenêtre et vous propose une version oxygénée en appliquant sur l'original les couleurs de la pimpante version du Prado (avec une variante aux manches jaunes, Léonard n'ayant en apparence pas choisi l'option manches rouges de la copie).

Malgré ce courant d'air on notera que la scène reste assez compassée. Il serait peut-être profitable, dans une prochaine amélioration, d'ajouter quelques accessoires, histoire de lui apporter un peu de naturel et de spontanéité.

samedi 17 mars 2012

Nouvelles du monde en vrac

Tandis que, langue pendante et remuant la queue, les Français sont essentiellement affairés à se choisir un nouveau maitre, des évènements fondamentaux s'obstinent à survenir, un peu n'importe où, et ils sont parfois le résultat d'erreurs humaines.

En Allemagne, la nation est en deuil. Til, le petit lapin né sans oreilles, devait être exhibé lors d'une conférence de presse. L'homme de l'art venu le filmer lui a marché dessus par erreur. Il sera certainement empaillé. La Fontaine ou Anouilh en auraient fait une fable.


En Suisse, au Centre de Recherche Nucléaire, une connexion mal fichue entre le système de positionnement et un ordinateur était responsable de ce qui aurait pu être un bouleversement scientifique. Des neutrinos dépassaient la vitesse de la lumière dans le vide
. Albert Einstein aux orties. Finalement les scientifiques reconnaissent timidement l'erreur, compensée en partie, disent-ils, par une autre erreur, histoire de faire encore de longues vérifications, le temps d'oublier cette étourderie.

En Suède, où la liberté de penser est vénérée, on officialise les religions à la pelle. Paganisme, Christianisme, Scientologie sont des religions officiellement reconnues avec une vingtaine d'autres. Elles acquièrent ainsi respectabilité, protection juridique, avantages fiscaux, subventions.
Considérant, avec la science contemporaine, que la vie n'existe que par un processus de reproduction de l'information (l'ADN) et en concluant que l'information est sacrée et la copie un sacrement, une nouvelle religion, l'église missionnaire du Kopimisme, vient d'obtenir de l'administration suédoise le statut de religion officielle.La nouvelle religion nie toute filiation avec le Parti Pirate suédois dont elle partage néanmoins les idéaux. Le sens de la vie est de copier, mixer éventuellement, et distribuer librement l'information. C'est son Credo. Kopimisme vient de l'anglais «Copy me - Copiez-moi» (*).

On le voit, l'actualité ne manque pas d'éventualités qui se sont réalisées.


Toute religion est admise en Suède, mais il faut un nombre minimum d’adhérents pour devenir un culte certifié. On ne dénombre pas encore assez d'adorateurs du crabe géant, qui n'a pourtant pas démérité. Contrairement aux prophètes des religions monothéistes, on le trouve dans tous les musées d'histoire naturelle. Ici dans celui de Gênes en Italie.

***
(*) Ce Glob est Plat qui milite depuis des années pour la diffusion libre de l'information ajoute à son habituel message de reproduction autorisée (colonne de droite) la marque de son respect pour cette nouvelle religion, en reproduisant (vaguement) son logo.

vendredi 9 mars 2012

Pentidattilo



Pentidattilo, village calabrais des cinq doigts, peuplé de courants d'air depuis le terrible tremblement de terre de 1783, village fantôme, déjà évoqué ici ou , respire à nouveau, très lentement, de temps en temps, pour accueillir les estivants curieux.


mercredi 29 février 2012

Chronique astronomique du 29 février


N'allez pas penser, lecteur incrédule, que les évènements d'aujourd'hui 29 février seraient fatalement advenus le 1er mars si l'année n'avait pas été bissextile. La preuve, la présente chronique n'aurait pas vu le jour.

On ne compte plus les poètes qui ont chanté l'harmonie des sphères, la beauté de la mécanique céleste et la perfection de ses rouages. Perfection ? Parlons-en. De loin, peut-être, mais en y regardant de près l'horlogerie universelle est assez approximative. Elle n'a pas été capable de faire coïncider un nombre entier de rotations de la Terre (sur elle même) et une révolution autour du soleil. En clair, à la même heure l'année suivante, la Terre n'a pas terminé un tour complet du Soleil. Évidemment les retards s'accumulent. Résultat, au bout de 700 ans, on récolte le blé en plein mois de janvier. Ce qui perturbe un peu l'agriculteur.
Il était temps de prendre une décision, et c'est le grand Jules (César bien sûr) qui s'y frotta vers 45 avant l'ère actuelle. Mais alors que la solution la plus simple eut été de légèrement rapprocher la Terre du soleil par une petite pichenette bien ajustée (une impulsion créée par l'effet de réaction d'une puissante catapulte, par exemple), il choisit la solution de facilité. L'esprit procédurier l'emporta et on décida de modifier le calendrier en lui ajoutant un jour tous les 4 ans. Cette année-là devenait bissextile et comptait 366 jours. Ce fut le calendrier julien.
Évidemment, comme pour tout ce qui est fait à la hâte, les effets néfastes se firent bientôt sentir, et après 1500 ans de ce laisser-aller, la Terre avait, cette fois, pris de l'avance sur le calendrier. Une dizaine de jours. L'équinoxe de printemps s'approchait inexorablement de l'hiver. Ce qui énervait le pape Grégoire 13 qui n'appréciait rien plus que les guerres de religion, les chasses aux sorcières et la ponctualité. Il décida en 1582 de modifier astucieusement le calendrier dans l'autre sens, en rendant non bissextiles les années multiples de 100 (mais pas de 400, ultime raffinement). Ce fut le calendrier grégorien.

Le calcul n'est cependant pas absolument parfait, mais l'espèce humaine et son calendrier auront disparu depuis belle lurette lorsque l'insuffisance de la règle se fera sentir. Et ce ne sont pas les bigorneaux qui infesteront alors la planète qui s'en formaliseront.



À droite, la montre à quartz du pape Grégoire, le 4 octobre 1582, quelques dizaines de minutes avant le passage au calendrier grégorien. C'est dans cette nuit du 4 au 15 octobre qu'est morte Thérèse d'Avila, sainte notoire. La France adopta le calendrier un peu plus tard, dans la nuit du 9 au 20 décembre.
À gauche, la maquette du projet astucieux d'un conseiller du pape Grégoire pour rétablir équinoxes et solstices à leurs justes places par le moyen d'un système de pivots et d'engrenages (Florence, musée d'histoire de la science Galileo). Mais l'époque n'était pas prête, Giordano Bruno n'avait pas encore été brûlé vif ni Galilée déshonoré, la Terre ne tournait pas encore autour du Soleil. On fit une croix sur le projet et sur l'infortuné conseiller.

***
Et comme il n'y a pas de date plus astronomique que le 29 février, n'oubliez pas d'aller en kiosque acheter La bougie du sapeur, le seul journal qui a le point de vue de Sirius pour traiter l'actualité puisqu'il ne parait que les 29 février. Il porte aujourd'hui le numéro 9 et coûte 4 euros. Il y a 4 ans, l'abonnement pour un siècle était proposé à 100 euros (ce qui peut sembler cher pour 24 numéros, mais on spéculera sur l'inéluctable inflation).


samedi 25 février 2012

Regrets

Petit à petit la vieille gare d'Austerlitz disparait...

Les feuilles
Qu'on foule
Un train
Qui roule
La vie
S'écoule

Guillaume Apollinaire,
extrait d'Automne malade, dans Alcools, 1913

samedi 18 février 2012

L'âge de la pierre

Imaginez une planète où la nature a été beaucoup plus généreuse que sur la plupart des autres planètes. Où elle s'est assoupie mollement sous la caresse des vagues de l'océan, durant des milliards d'années, si bien que la vie, et même une sorte d'intelligence, ont eu le temps d'expérimenter, de s'épanouir, de croitre. Imaginez partout des fleurs en sucre, des oiseaux, des lacs de miel, des mers de lait d'amandes.

Imaginez sur cette planète un pays producteur de sirop d'érable, où tout le monde croit au Père Noël et pense qu'il est à l'origine de tous ces bienfaits. Un pays où quelques uns savent que ça n'est qu'une farce absurde destinée à endoctriner et asservir les faibles et les ignorants. Un pays qui cache ses femmes (et parfois les lapide) car leur beauté est l'œuvre du Père Fouettard.

Imaginez dans ce pays un poète naïf qui soudain exprime sur les murs de la ville des doutes (tièdes et plutôt révérencieux) sur le Père Noël. Imaginez alors la réaction de tous ces cerveaux vidés par des siècles de lessivage, quand craignant pour ses privilèges, un triste clown télédiffusé et pleurnichard les menace de la vengeance du Père Fouettard s'ils ne décapitent pas immédiatement le jeune renégat.

Imaginez enfin le silence de la planète entière, qui ne croit pas nécessairement au même Père Noël, et qui calcule que sauver la tête d'un pauvre incrédule ne vaut pas le risque de perdre les flots quotidiens de ce sirop d'érable qui adoucit tant de maux.

Vous jugeriez sans doute cette Humanité indigne de la terre qui l'a créée et juste bonne à retourner à l'âge de la pierre d'où son esprit pesant et superstitieux n'est jamais sorti.

Heureusement, tout cela n'existe pas.


Tuez tous les artistes, Venise janvier 2010

dimanche 12 février 2012

La ruine des ruines


Soyons précis.
« Pompéi, derniers jours » ne signifie pas forcément que ce sont les « Les derniers jours de Pompéi », mais que c'est aujourd’hui le dernier jour de l'exposition Pompéi au musée Maillol, à Paris. Quoique les nouvelles qui parviennent depuis quelque temps du site original près de Naples, après l’effondrement de plusieurs maisons, puis la fermeture récente de treize autres faute de moyens pour les entretenir, inquiètent. À Herculanum, des zones découvertes de la maison des Papyrus ont été de nouveau emmurées, pour les protéger dit-on des intempéries et des déprédations. Paradoxe de la conservation des vestiges exhumés.
La curiosité humaine est un besoin irréductible. À propos de la souffrance de Sisyphe, condamné à rouler au sommet d'une colline un rocher qui en redescendra sans cesse, et dont il fait une métaphore de l'existence que l'être conscient supporte jour après jour, Albert Camus conclut ainsi son essai sur l'absurde :
« Je laisse Sisyphe au bas de la montagne« ! On retrouve toujours son fardeau. Mais Sisyphe enseigne la fidélité supérieure qui nie les dieux et soulève les rochers. Lui aussi juge que tout est bien. Cet univers désormais sans maître ne lui paraît ni stérile ni futile. Chacun des grains de cette pierre, chaque éclat minéral de cette montagne pleine de nuit, à lui seul, forme un monde. La lutte elle-même vers les sommets suffit à remplir un cœur d'homme.
Il faut imaginer Sisyphe heureux. »
Mise à jour du 12.09.2012 : une poutre de la Villa des Mystères, ramollie par les intempéries, a emporté avec elle une partie du toit du péristyle qu'elle soutenait. Cependant la visite de la villa continue.

mardi 7 février 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (1)

Jean-Léon Gérôme, Le marchand de couleurs, 1891, retouché en 2012


On trouve dans le catalogue des œuvres du peintre Jean-Léon Gérôme, au milieu des spectacles pompeux et des portraits de naïades en caoutchouc quelques gemmes au charme inattendu, comme « Deux générations sur le pas de la porte » du musée de Rouen, ou « Le marchand de couleurs », reproduit ci-dessus. Ce dernier était exposé dans la récente rétrospective parisienne, fin 2010. L'étiquette le situait au Museum of Fine Arts de Boston, mais il ne fait curieusement pas partie des cinq tableaux de Gérôme recensés dans les collections du musée.
Il est parfois appelé « Le pileur de couleurs ». En effet, sur le tableau original, un personnage pulvérisait d'un geste ample des pigments roses dans le panier à gauche, mais par un adroit subterfuge inspiré des meilleures méthodes de l'information chinoise et des journaux à sensation, la rédaction de Ce Glob est Plat a préféré le supprimer, le jugeant dissonant dans l'harmonie générale du tableau.

Gérôme avait peint un personnage manifestement posé en studio. L'attitude artificielle, raide comme le Vieil Horace dans le Serment peint par David. Les jambes dans une position indéterminable. Affublé d'une lumière qui se raccordait si peu à l'ambiance de la scène que ce corps qui ne projetait pas d'ombre semblait découpé dans un livre illustré et collé approximativement ici, quelques centimètres au dessus du sol.

Absolument conscient du sacrilège que constitue cette atteinte à l'intégrité du patrimoine de la France, Ce Glob est Plat proposera dans cette nouvelle série de massacrer également des tableaux italiens, par exemple en redonnant un peu de vie au sourire inanimé et enfumé de la Joconde, ou des tableaux espagnols, en effaçant certains angelots grotesques.

lundi 30 janvier 2012

Andrew Wyeth

« Lorsqu'ils me rencontrent pour la première fois, les gens me disent généralement - Je ne savais pas que vous étiez encore vivant. » Andrew Wyeth interviewé par la NBC en 2006.
Mosaïque de détails de tableaux d'A. Wyeth

Mise à jour du 13.08.2024 : À la vitesse de la disparition des liens sur internet - un lien meurt en moyenne au bout de 2 à 3 ans - la plupart des reproductions de cette chronique ne sont plus disponibles et le renouvellement des liens est presque impossible car les bonnes reproductions des œuvres de Wyeth sont rares sur internet et le seront encore longtemps. Mort en 2009, la législation sur les droits d’auteurs évoluant constamment, il ne sera dans le domaine public, s’il y arrive un jour, que vers 2085, voire 2110. Il y aura probablement bien longtemps que la civilisation se sera effondrée. En attendant, tout le contenu des liens de cette page (illustrations, vidéos, textes) est sauvegardé et disponible à la demande en laissant un commentaire en bas de page.
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Novembre 1966. Un tableau de Van Gogh disparait dans l'incendie de la niche du chien Snoopy. Charles Schulz, créateur de Peanuts, Charlie Brown et Snoopy, le remplace bientôt par un tableau d'Andrew Wyeth. Schulz était alors milliardaire, ses bandes dessinées publiées dans 2500 journaux du monde et lues par centaines de millions. Il déclarait pourtant qu'il n'était pas un artiste, comparé à Andrew Wyeth, qu'il admirait.

Andrew Wyeth (prononcez aine-drou ouaille-œuf) était le fils du plus célèbre des illustrateurs américains de livres d'aventure, N.C. Wyeth. Célèbre au point que les cinéastes américains en quête de crédibilité auprès du public s'obligèrent longtemps à reproduire à la lettre ses superbes illustrations, tant elles avaient, malgré leur vraisemblance très relative, impressionné l'imaginaire populaire.
Andrew réalisa l'exploit d'être encore plus renommé que son père, alors qu'il vécut en ermite durant 91 années, à peindre (1) des paysages désolés, de vastes étendues hivernales ponctuées de maisons et d'objets abandonnés à la poussière, traversées quelquefois par une silhouette fantomatique

Son tableau « Le monde de Christina », peint en 1948, était dès 1949 acheté par le MoMA de New York, Wyeth avait 32 ans. L'Amérique s'identifia alors à cette image. Elle devint une icône. Elle décrit pourtant une scène lugubre. Christina Olson, voisine des Wyeth dans le Maine, revient du petit cimetière d'Hathorne Point où reposent ses parents, au dessus de la crique de Maple Juice, près de Cushing. Handicapée, elle rampe lentement dans le champ vers sa maison en haut du coteau. 
Cette maison Olson est depuis 2011 un monument national américain. On la visite. Elle abrite le Farnsworth Art Museum consacré aux Wyeth, avec 25 œuvres d'Andrew. 

Andrew Wyeth vivait à notre époque sans être vraiment un peintre contemporain, sans suivre les courants artistiques ni copiner dans les cénacles qui font l'opinion. Solitaire, il ne s'intéressait qu'à représenter les quelques hectares qui entouraient la propriété familiale de Chadds Ford en Pennsylvanie, et la résidence d'été de Cushing dans le Maine. 
Aussi était-il systématiquement insulté, à chaque exposition, par les critiques américains qui brassent les grands concepts, ceux qui font l'Art Moderne (2). Jugements complaisamment répétés par la presse française. Le 16 janvier 2009, le journal Le Figaro annonçait la mort de Wyeth en le nommant maitre du réalisme magique. Pour Le Monde, c'était un peintre réaliste régionaliste américain. En d'autres termes, un campagnard sentimental et folklorique (3)
C'est pourquoi on ne l'avait jamais vu en France, excepté une jolie exposition de la Galerie Claude Bernard, voilà plus de 30 ans. C'est aussi pourquoi l'extraordinaire exposition de la fondation Mona Bismarck du 10 novembre 2011 au 13 février 2012 n'a fait l'objet que de furtives affichettes et d'entrefilets réservés. Andrew Wyeth y est représenté par 29 œuvres, en sandwich entre une quinzaine de toiles assez mineures de son talentueux père, N.C. Wyeth, et une trentaine de réalisations quelconques (à l'exception du portrait d'Andrew) de son fantasque fils, Jamie Wyeth, peintre des célébrités mondaines, des mouettes et des citrouilles
Le fétichiste y retrouvera également, dans une vitrine, le costume à plumes qu'Andrew porta à Paris le jour de son intronisation à l'Académie des Beaux-Arts en 1976 (son seul voyage hors du nord-est américain, dit-on). 

Admirer autant de merveilles dans une seule pièce à Paris est si exceptionnel qu'on pardonnera à la fondation Mona Bismarck d'enterrer un peu plus Andrew en ne le présentant que comme un des membres d'une dynastie de peintres, renforçant ainsi cette impression factice de couleur locale, de régionalisme. 
Peu importe. Un jour, quand l'écume des vogues actuelles aura été emportée par le temps, quand les époques seront confondues et qu'on ne se rappellera plus très bien dans quel siècle vivait Andrew Wyeth, reviendront ses images obsédantes d'un monde indifférent où les choses ont autant de présence que les êtres, comme dans les tableaux de Vermeer ou de Rembrandt. Andrew Wyeth sera devenu un grand peintre
Le pèlerin qui se rendra alors au minuscule cimetière d'Hathorne Point dans le Maine, déchiffrera peut-être encore, non loin de la tombe de Christina Olson inhumée en janvier 1968, sur l'inscription d'une modeste pierre tombale qui fait face à la maison Olson, le nom et les dates d'Andrew Wyeth (4).
« Quand vous commencez à observer réellement une chose, un simple objet, et si vous réalisez le sens profond de cette chose jusqu'à en ressentir une émotion, c'est sans fin » Andrew Wyeth.
*** 
(1) Exclusivement à la tempera au jaune d'œuf ou à l'aquarelle presque sèche. 
(2) Ce dédain de l'élite n'empêcha pas le succès. Un prix Einstein en 1967, une exceptionnelle rétrospective au Metropolitan Museum de New York en 1976, prix, honneurs et médailles à la pelle, membre élu de nombreuses Académies des Beaux-Arts, un grande exposition à Philadelphie en 2006, avec 175000 visiteurs. Vous trouverez, en anglais, une nécrologie - biographie de 4 pages par le New York Times en janvier 2009, et une étude biographique passionnante de 6 pages par le Smithsonian Magazine en 2006. 
(3) Andrew se considérait comme un peintre presque abstrait. Ces grandes surfaces d'herbe monochrome ou de terre blanche, qui envahissent l'espace du tableau, comme des formes pures à peine ponctuées d'objets ou de personnages placés là comme par hasard, à la limite de l'équilibre, atteignent en effet un certain degré d'abstraction. Vous trouverez ici un florilège de 140 œuvres de Wyeth (principalement), certaines utilisées dans la mosaïque qui illustre cette chronique. les reproductions sont grandes mais de très moyenne qualité. Cliquez sur chaque image pour afficher la suivante.
(4) Andrew n'est pas enterré près de sa famille à Chadds Ford en Pennsylvanie, où il est né et mort. Il a voulu être enseveli ici à Hathorne Point.

jeudi 19 janvier 2012

Alerte !


Les alertes n'ont pas sonné. Les journaux n'en ont pas parlé. Et s'il n'est pas déjà trop tard, tout amateur d'art devrait aller exactement ici, à Paris près du Trocadéro, avant le 13 février 2012, sauf les lundis et mardis.
29 œuvres, et parmi les plus beaux tableaux, du plus grand peintre américain vivant (enfin, il est mort en 2009, mais en France personne ne s'en est rendu compte), d'un peintre qu'on n'a pas vu depuis 30 ans (depuis la galerie Claude Bernard en 1980), entouré de tableaux de son père et de son fils. Imaginez, comme si la famille Brueghel exposait aujourd'hui des œuvres récentes.
L'exposition de la décennie !
C'est dans de telles occasions, quand on veut montrer la profondeur d'une œuvre, qu'on réalise la pauvreté des mots, mais aussi la chance qu'existent les autobus et les restaurants japonais, car ils acceptent d'exposer ces affichettes publicitaires qui nous informent sur l'existence d'une exposition. Parfois trop tard.

Pourquoi les alertes n'ont-elles pas sonné ?
Nous en reparlerons bientôt.

mercredi 18 janvier 2012

La vie des cimetières (41)

Vues pittoresques de cimetières italiens, Venise San Michele, Gênes Staglieno, Milan Monumentale, et Milan encore.






samedi 14 janvier 2012

Nuages (28)


Au large des côtes italiennes de Calabre et de Sicile, le Stromboli est le volcan le plus régulier d'Europe. Depuis au moins 2500 ans (les premiers témoignages écrits) il émet consciencieusement des fontaines de lave et de cendres à quelques dizaines, voire centaines de mètres, en moyenne toutes les trente minutes. C'est un spectacle nocturne que les touristes embarqués applaudissent avec enthousiasme, et plus timidement ceux qui ont gravi le flanc du volcan. Quelquefois il éternue un peu plus fort. Les visites sont alors interdites.
À 1600 mètres au nord-est, les reliques d'une cheminée depuis longtemps éteinte forment un ilot rocheux, le Strombolicchio, équipé d'un phare automatique.

samedi 7 janvier 2012

HEY! ou l'art ironique

De loin ça ressemble, perçant l'obscurité, à un grand vaisseau fait de mécanismes compliqués, de tuyauteries, de poulies, d'échelles et de roues, d'une matière pierreuse, et d'où émergent, en gloire comme sur un monument aux morts (1), une statuaire de squelettes, de formes humaines et d'animaux chimériques. Puis en approchant le regard, la scène grouille de personnages minuscules, souvent difformes, mutilés, fondus, comme sur les panneaux peints par Jérôme Bosch, et qui arborent des poses héroïques dans cet immense pandémonium.
Kris Kuksi amasse les jouets minuscules et les personnages miniatures, généralement de plastique. Il les découpe, les déforme, les peint et les assemble. Comme il les récupère dans le commerce ou dans des greniers, on y trouve toutes les figures de nos mythologies modernes, des soldats de toutes les époques, des naïades, des moines, des cosmonautes, des papes, des déesses antiques, et encore des soldats. Et c'est ce qui fait de chaque sculpture une mise en scène infernale et méticuleuse des vanités humaines (2).

Plus loin, soigneusement empaquetées en boites vitrines, sont exposées des poupées Barbie un peu dévoyées, avec organes génitaux externes apparents. Celle-ci est vêtue de latex, celle-là urine dans sa boite. Carmen Gomez les a nommées Barbitch. Elles avoisinent les PsychoToys explicites et turgescents de Misha Good, que la rigueur morale de ce blog empêche de décrire.
Ailleurs, deux vitrines alignent une série de vingt petites porcelaines, gracieuses figures en robes de marquise, alanguies ou dansantes. De près, on remarque que chacune a essuyé un léger accident anatomique qui empourpre la céramique. Sur une des plus divertissantes, la figurine se rafraichit d'un souple mouvement d'éventail. La tranche de l'instrument est rouge et la gorge de la marquise béante comme un sourire sincère. Jessica Harrison appelle cette série «mise en pièces».

Mais l'exposition n'est pas réservée à la sculpture. On y présente nombre de graphistes et de peintres. Chris Mars et ses personnages entassés, burlesques, fossilisés vivants, peints d'une chair onctueuse et mordorée (3).
Turf One (Jean Labourdette), peut-être le plus iconoclaste, respectueux à l'excès de la technique méticuleuse, du style raffiné et de l'iconographie religieuse des peintres flamands du siècle de Van Eyck, mais qui remplace les personnages sacrés par des portraits caricaturaux et populaires, ou par des singes et des chiens. Un Van Eyck façon Louis-Ferdinand Céline ou Michel Audiard.

Et puis Erró l'islandais, et l'inénarrable, truculent, libidinal et libertaire Clovis Trouille, qu'on voit si rarement (4).

En tout, 64 créateurs singuliers, monomaniaques, qui pratiquent la transgression sans retenue. C'est à Paris, à Montmartre, dans la Halle saint Pierre. C'est organisé par les très éclectiques créateurs de la revue HEY!, luxueuse publication trimestrielle consacrée aux arts alternatifs, bruts, décalés, insolites
, marginaux, populaires ou underground (rayez les mentions inutiles).

Cascabel, de Vincent Glowinski, exposition HEY!
Musée de la Halle saint Pierre, Paris, 2011-2012

Vous hésitiez encore entre la lumineuse exposition consacrée par le musée Jacquemart à Fra Angelico et son temps (apothéose des Bisounours mais avec quelques décapitations tout de même), et la réalité contemporaine, sombre et fantasque de l'exposition HEY!. C'est inutile, il est déjà trop tard pour le radieux prêtre florentin, alors que l'exhibition HEY! ne ferme que le 4 mars 2012. Allez la voir tant que vous êtes encore vivants.
Après quoi vous aurez la sensation, errant dans le quartier de Montmartre, au milieu des rues étroites pullulant d'escrocs au bonneteau, de trafiquants divers, de commerçants moroses et de touristes ébahis, de poursuivre la visite de l'exposition. Vous pensiez sortir d'un monde imaginaire. C'était une représentation fidèle de la réalité.

***
(1) Il est possible que ce lien ne fonctionne pas sur certains systèmes. Dans ce cas copiez l'adresse du lien http://artboom.info/wp-content/uploads/2011/07/Kris-Kuksi-The-Art-of-The-Macabre-6.jpg et ouvrez-le dans un nouvel onglet.
(2) Le site de Kris Kuksi est sidérant. Près de 80 sculptures photographiées en vues d'ensemble et en détails. Prévoyez des heures de contemplation. N'oubliez pas de zoomer avec la molette de la souris.
(3) Chris Mars présente sur son site une grande partie de son œuvre. Sélectionnez Paintings, puis choisissez une année et naviguez.
(4) Sont exposés Mon enterrement, Mon tombeau, Le bateau ivre et Le Magicien.

mercredi 28 décembre 2011

Nuages (27)



« Au commencement, la réalité créa les cieux et la terre,
Ce qui fut fut, et ce qui ne fut pas ne fut pas,
L'obscurité enveloppa ce que la lumière n'enveloppa pas,

Et ce qui ne fut ni lumière ni obscurité fut Elle, la Licorne Rose...»

L'époque du solstice et ses nuits interminables a toujours été propice aux rêveries et aux croyances les plus irréfléchies. Rappelons qu'il ne nous reste maintenant plus qu'un solstice à vivre puisqu'au suivant nous mourrons, le vendredi 21 décembre 2012, à 11 heures 11 minutes et 37 secondes TU, exactement.

Pendant ce temps la Licorne Rose Invisible respecte ce qu'elle n'a jamais promis. Elle n'apparait pas dans les buissons d'aubépines ou au fond des grottes humides, ni sur les noyaux de pêche.

Elle se devine à peine dans la couleur des nuages.



lundi 19 décembre 2011

Platon est un con

Tragédie grecque inspirée d'une remarque sur Platon (1) d'André Brahic (qui n'est pas la moitié d'un astrophysicien) proférée à la 17ème minute d'une conférence échevelée pour l'Université de Tous Les Savoirs.


La scène se passe à l'agora d'Athènes

Platon : Le monde sensible, celui qui est perçu par nos sens, est changeant selon les témoins et les opinions. Il n'est que l'ombre du monde parfait des idées, qui est la seule réalité.

Le chœur : Platon est un con !

Platon : Si le monde sensible n'est qu'un simulacre du vrai monde des idées, c'est parce que nos sens nous trompent, et non parce que les idées seraient fausses.

Le chœur : Quel con ce Platon !

Platon : Les idées, les formes ne peuvent être fausses puisqu'elles ne proviennent pas de nos sens. Ce sont des modèles indépendants de toute pensée, et donc les seules réalités susceptibles d'une étude objective. Le monde sensible, subjectif, ne peut pas faire l'objet de connaissances.

Le chœur : Ce Platon, quelle tache !

Platon : Avant d'être prisonnière d'un corps, notre âme immortelle faisait partie du même monde que les idées. C'est pourquoi les idées nous arrivent par réminiscence, et par une laborieuse gymnastique philosophique.

Le chœur : Platon est vraiment très con !

Platon : Seul le philosophe, capable de se défaire des idées reçues et des apparences, sait manipuler les idées vraies pures et éternelles et peut ainsi diriger la cité.

Le chœur : Sacré Platon, il ne pense qu'avec ses pieds !

Le coryphée : Et les conceptions de Platon, l'existence de deux mondes, un monde corrompu, physique, opposé au monde pur des idées et des formes, guideront l'humanité, ses pensées, ses croyances, pendant des millénaires.

Platon : Eh, j'avais pas trop le choix, mon avenir, avec mon physique, c'était lutteur de foire ou phare de l'Humanité, vous auriez fait quoi à ma place ?

Le chœur : Platon est un con !



Sculptures romaines, copies de caricatures grecques. On reconnait sur l'image de gauche le grand Platon écervelé, et à droite le Platon qui ne pense qu'avec les pieds (Naples, musée national d'archéologie).

***

(1) Extrait de L'observation de l'univers a-t-elle encore un sens aujourd'hui : «Platon disait que la pensée pure était la vérité, et c'est la source de tous les massacres de l'humanité, l'inquisition des chrétiens, le fondamentalisme musulman, les camps nazis, les camps sibériens, des gens ont une idée, ils ne la confrontent pas à la réalité et massacrent leurs semblables sous prétexte de les rendre plus heureux.»