dimanche 26 avril 2009

Une victoire de la nécrophagie

Nous célèbrerons aujourd'hui les mérites des industries du son et de l'image. Elles se dépensent sans compter pour faire fructifier leur patrimoine artistique et il n'est pas un jour qui ne nous apporte des nouvelles relatives à leur pouvoir de conviction sur les représentants du peuple (1). Régulièrement, lorsqu'elles voient approcher l'échéance d'une usure de leur rente, elles déploient généreusement leur force de persuasion et obtiennent immanquablement une prolongation de leurs droits sur les œuvres des autres, généralement des morts.

C'est ainsi qu'avait été votée la loi du 3 juillet 1985, qui avait étendu la durée des droits patrimoniaux des œuvres musicales (droits de reproduction et de représentation cédés par contrat) de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur. Il était temps ! L'œuvre de Maurice Ravel allait tomber dans le domaine public, et avec elle les droits sur le célèbre Boléro, qui rapporte toujours une fortune aux ayants-droit (2). Hélas ces manipulations, dans le cas de Ravel, n'ont repoussé l'échéance que jusqu'au 2 mai 2016. Il va falloir réagir !

Hyène scrutant le tombeau de Maurice Ravel pour y trouver un dernier morceau (allégorie). Taxidermie, Florence, Musée de zoologie La Specola.

Depuis, la durée de 70 ans a été généralisée à toutes les œuvres de l'esprit par la loi du 27 mars 1997.
Mais plus rentables encore que les droits d'auteur, il y a les «droits voisins», ceux des interprètes et producteurs de choses sonores et visuelles enregistrées. Leur statut juridique est très injuste. En France, leurs droits patrimoniaux s'éteignent 50 ans après l'enregistrement de l'œuvre, alors que les États-unis les font durer au moins 95 ans.
Avec la révolution numérique, en 20 ans à peine, on a bien réussi à contraindre la terre entière à régénérer sa discothèque sans avoir à renouveler le patrimoine musical, mais cette source s'épuise (3). Comment tenir jusqu'à l'imprévisible prochain bouleversement technologique avec le vieux fonds d'enregistrements des artistes morts ou presque ? Dans quelques mois, les enregistrements des Beatles, ceux de Maria Callas quand sa voix déclinait ou de Karajan qui s'embourbait dans des interprétations boursouflées, vont tomber dans le domaine public. Il y a urgence. Que faire ?

C'est simple. Obtenir de nos représentants, complaisants et sensibles aux questions financières, une augmentation de la durée des droits voisins. Et c'est précisément ce que vient d'accorder le Parlement Européen, jeudi passé. Il est vrai que les Industries y étaient allé un peu fort en réclamant 95 ans, presque un doublement de la durée des droits. Le Parlement leur a accordé 70 ans. C'était bien joué, ça laisse 20 ans pour peaufiner la prochaine «négociation».

On ne chantera jamais assez l'ingéniosité prodiguée par les industries rentières pour faire vivre les grandes œuvres du passé et éviter qu'elles ne sombrent dans l'oubli du domaine public. Et pour les grincheux qui y verraient malice, il reste toujours les fabuleux enregistrements phonographiques du pétomane. Ils datent d'avant 1914 et sont dans le domaine public.








Ci-contre Maurice Ravel, éveillé dans son cercueil, condamné à attendre le repos définitif tant que survivront ses droits d'auteur (allégorie). Cire anatomique, Florence, Musée de zoologie La Specola.



Mise à jour du 12.09.2011 : Le Conseil de l'Union Européenne vient d'émettre une directive qui n'est que la mise en application du texte voté par le Parlement le 23.04.2009, au moins sur le point de prolonger de 20 ans les droits voisins (interprètes et producteurs). Pourquoi 29 mois après ?

***
(1) On ne parlera pas ici de la célèbre et contre-productive loi Hadopi dont on peut prévoir sans risque qu'elle sera contournée avant sa promulgation et qu'elle aurait de toutes manières été inefficace. Les curieux pourront s'en informer sur le site de la Quadrature du Net.
(2) Il est amusant de noter l'ironie du paradoxe commenté maintes fois par Ravel à propos du boléro «Je l’ai composé comme un défi, on n’avait jamais écrit un morceau composé du même motif infiniment répété et de plus en plus fort. Hélas c’est ma seule pièce a avoir eu du succès, un succès considérable, un chef d’œuvre, mais un chef d’œuvre sans musique.»
(3) Bien que la vente de sonneries musicales pour téléphones mobiles soit prometteuse, malgré les doutes émis par certains cuistres sur la portée artistique du médium.

dimanche 19 avril 2009

Grimshaw, biographie

Atkinson Grimshaw, peintre crépusculaire autodidacte.
6 septembre 1836, Leeds, Yorkshire, Angleterre,
31 octobre 1893, Leeds.

On sait peu de sa vie. Il n'a laissé ni journal ni correspondance, a peu exposé ses tableaux en public et les a vendus à la bourgeoisie anglaise. Rares sont ses œuvres accessibles de nos jours, et quand elles le sont, c'est dans quelques rares musées anglais (notamment Leeds).

Knostrop Hall au clair de lune, vu de la rivière Aire. Un modèle de la manière de Grimshaw.Hormis quelques paysages méticuleux à la manière préraphaélite, quelques portraits de femmes dans le style de Tissot et quelques féeries médiévales, l'essentiel de son œuvre est fait de paysages nocturnes où des lumières fantomatiques se noient dans les brumes de banlieues, de villes, ou de ports anglais. Pour réaliser ces effets qui étaient sa marque de fabrique (imités et contrefaits de son vivant même), il expérimentait des préparations à base de sable, qui permet de fins dégradés.


En 1870, grâce au succès de ses paysages de faubourgs fortunés au clair de lune, Grimshaw put louer Knostrop Old Hall, un vieux manoir de pierres construit à Leeds au 17ème siècle, et y installer sa famille et son atelier. Au cours des vingt années qui suivirent, il représentera Knostrop Hall de nombreuses fois, plus ou moins fidèlement, souvent sous les feuilles, en automne, à la tombée ou au lever du jour.

Grimshaw, 4 vues de Knostrop Hall à l'aube.Grimshaw habitera d'autres lieux mais restera fidèle à Knostrop Hall. Ses biographies disent qu'atteint d'un cancer, il y retournera en 1893 pour peindre ses derniers tableaux, une série de paysages de neige.

Knostrop Hall, photo vers 1910. Copyright Leeds Library & Information Services, http://www.leodis.net/Knostrop Hall a été rasé au début des années 1960.

«Le souvenir d'une certaine image n'est que le regret d'un certain instant; et les maisons, les routes, les avenues, sont fugitives, hélas, comme les années.»
Marcel Proust, Du côté de chez Swann.

lundi 13 avril 2009

Publirepotage touristaque (*)

Monument aux morts, «Perche la Patria viva, oggi si muore» 1915-1918Naguère appelée «Reine du lac», aujourd'hui submergée de touristes en été, Verbania est une pittoresque localité d'Italie du nord, sur les rives du lac Majeur. Au moyen de quelques monuments historiques choisis, la Municipalité a su ponctuer avec goût la magnifique promenade qui longe le lac, et mettre ainsi en valeur le panorama grandiose des Alpes piémontaises.

Le roi Victor Emmanuel 2, grâce et élégance. Le roi Victor Emmanuel 2, grâce et élégance.

(
*) Vous excuserez ces graphies incertaines. Suite à un bien légitime mouvement social, notre correcteur d'orthographe a quitté Ce Glob Est Plat depuis le 19 février dernier.

***

Pour les oreilles : Au printemps 1968, le monde découvrait subjugué un long poème cinématographique, une sorte d'expérience extatique visuelle et sonore. C'était «2001 l'odyssée de l'espace». On le devait à Stanley Kubrick. Beaucoup y firent aussi la découverte d'un immense musicien de notre temps, György Ligeti, qui venait à peine d'écrire la dernière note de son Requiem quand Kubrick en fit la musique du film.
Pour nombre d'entre nous, le sombre murmure des chœurs du Kyrie évoquera toujours les espaces sans fin où dérive l'humanité.

samedi 4 avril 2009

Propagande lucrative

Pour les plus défavorisés, le gouvernement vient d'ouvrir une ligne budgétaire exceptionnelle. Elle consiste à inonder la presse et Internet de délicieux encarts publicitaires de propagande. Vous ne pourrez pas les rater. Toujours en quête de ressources, Ce Glob Est Plat a choisi de profiter lui aussi, comme les autres médias, de cette manne financière facile et morale.

mercredi 1 avril 2009

Les mornes sermons de Monsieur Merson

Il y a quelques jours s'achevait au musée des beaux arts de Rennes une exposition très attendue consacrée au peintre français Luc-Olivier Merson. Personne ne connaît Merson, mais tout le monde a vu un jour une reproduction du «repos pendant la fuite en Égypte», tableau fascinant, presque uniformément gris et quasiment vide, représentant une scène de la mythologie chrétienne.

Les deux versions exposées à Rennes, côte à côte : à gauche celle de Boston, à droite celle de la collection Hearst. La version de Nice était absente.Cette belle composition eut immédiatement, en 1879, un succès considérable. Les américains en réclamèrent des quantités. Merson en fit quelques variations (qu'on trouve notamment aux musées des beaux arts de Nice et de Boston).

L'originalité du tableau et le titre de l'exposition de Rennes (L'Étrange Monsieur Merson) ne pouvaient qu'attirer l'esprit curieux, qui était hélas consterné, au fil de l'exposition, par la pesanteur grossière des compositions, la pauvreté expressive des visages, le dérisoire de l'inspiration, l'omniprésence des tableaux d'histoire moralisateurs. En bref l'ennui.

Détail d'un vitrail illustrant Gargantua de RabelaisIllustrateur au talent mièvre et fade, Merson fut un peintre sans grâce et un dessinateur sans finesse. Apprécié et honoré, il vécut des commandes de l'État, de l'Église et de la bourgeoisie, pour qui il réalisa des fresques, des vitraux, des billets de banque et des timbres poste.


Alors pourquoi «L'Étrange M. Merson» ?Une vision de L.O. Merson - Musée de Lille
Parce que s'il a toujours peint des anecdotes édifiantes, et dans un style académique et pompeux, il les a souvent illustrées par des scènes inédites, et inattendues. Témoin cette toile, «Une vision», où Jésus crucifié hésite entre un vague éclair au chocolat et une meringue opulente, pour finalement désigner la meringue.
Mais était-il nécessaire de déterrer Merson pour cela, et au même moment enterrer indéfiniment tous les chefs d'œuvre de la collection permanente du musée, aujourd'hui invisibles pour cause de réorganisation ?

mardi 24 mars 2009

La vie des cimetières (20)

Dans les longues allées ennuyeuses des grands cimetières humains, parmi les milliers de monuments aux lignes grossières, aux gestes conventionnels et aux douleurs sempiternelles, se produit parfois un sortilège.

Vous l'approchez alors avec précautions, le contournez lentement, chaque point de vue vous émerveille. Avec fébrilité vous cherchez la signature du sculpteur, vous pestez parce qu'elle est presque illisible et vous regrettez de ne pas être dans un musée devant une étiquette soigneusement calligraphiée. Mais vous êtes dans le Cimetière Monumental de Milan, au bord du secteur 4, devant la tombe d'Enrichetta Maggioni Venegoni que vous ne connaissez pas, et dont les restes sont veillés depuis cent ans par une fillette de bronze à patine bleutée.
(coordonnées à coller dans un logiciel de cartographie : 45.48715, 9.17794).




Appel à la délation : un abonnement gratuit et perpétuel à Ce Glob Est Plat sera offert à toute personne qui fournira des renseignements sur l'auteur de cette sculpture, actif en Italie du nord à la charnière des 19ème et 20ème siècles et dont les initiales sont peut-être R.D.



mercredi 18 mars 2009

Recrudescence de trous blancs

Et voilà, ils ont fait l'expérience ! Comme dans les mauvais films de science-fiction. Pire que les trous noirs du LHC, il y a maintenant les trous blancs du ministère de la Défense.
Prenons l'exemple emblématique de Taverny (mais il y en a d'autres que nous vous invitons à rechercher). D'après l'encyclopédie Wikipedia, il y a dans la forêt de Montmorency, à Taverny, le cœur du système de défense nationale français, dont les installations seraient en cours de démantèlement.

On peut effectivement constater sur l'illustration jointe, issue des pages jaunes, qu'il s'agit d'une liquidation totale, voire mieux. Le plus troublant est le désaccord des cartographes. Pour Google Maps, sur la photo par satellite datée du 21 octobre 2007 (1), les installations militaires semblent au complet, alors que la photo vide des pages jaunes date de 2005. Qui croire ? La rumeur qui prétend que presque tous les articles de Wikipedia sont écrits par le porte parole du gouvernement serait-elle fondée ? Et la végétation n'est-elle pas un peu trop verte et pimpante sur la photo de Google Maps (2) prétendument prise à la fin de l'automne ?

Qui dira les expériences de chimie monstrueuses qui se perpètrent actuellement à notre porte et répandent ces trous blancs, annihilant des hectares du territoire français sous le couvert de la défense de l'État et dans l'indifférence des médias ? Imaginez que cette infection se propage un jour jusqu'aux cabinets des plus hautes instances de notre pays... Où irait alors la France ? Que deviendrions-nous ?

***
(1) En réalité elle n'est pas datée sur Google Maps mais la même photo exactement est datée sur Google Earth.
(2) Pour des motifs déontologiques et éviter les accusations d'espionnage, voire de haute trahison, Ce Glob Est Plat contrevient à sa règle sacrée «La vérité sinon rien» et ne montrera pas cette image sulfureuse.

jeudi 12 mars 2009

Un peu d'information

Pour les oreilles : Le concert de Cologne (Köln Concert) du pianiste Keith Jarrett est un des disques de «jazz» les plus illustres. À juste titre. On peut écouter mille fois sans ennui son extraordinaire dernier mouvement. Et si on veut éterniser ce même plaisir, les 5 concerts en solo donnés en novembre 1976 au Japon (Sun Bear Concerts) peuvent être écoutés en une seule séance de 6h38...

mercredi 4 mars 2009

Le musée des mots en «-isme»

On apprend avec émotion, sur les autobus parisiens, qu'il y aurait plusieurs impressionnismes, au point qu'il est devenu urgent de leur ouvrir un musée, à Giverny (*).
Certes, la manière impressionniste est très populaire. Parce qu'elle représente la réalité comme un éternel printemps, qui serait vu par un astigmate. Elle enchante les femmes par son univers constamment fleuri et vivement coloré, et rassure les hommes parce qu'il est peuplé de femmes en robes flottantes humblement occupées, dans l'ombre, à des tâches quotidiennes. Et quand elle peint les réalités plus brutales de la ville, elle les noie dans des scintillements de lumière ou des brumes et des fumées qui les voilent avec délicatesse.

C'est un peu le monde merveilleux de Walt Disney.
Alors imaginez plusieurs impressionnismes... Chacun pourrait choisir l'impressionnisme qui lui convient, comme on choisit la couleur d'un papier peint : un impressionnisme à fleurs jaunes pour l'été, un impressionnisme parme à l'automne, vert pomme pour le printemps.

En haut, 4 vues (parmi 28) de la cathédrale de Rouen peintes par Monet autour de 1890. En bas 4 vues (parmi des centaines photographiées par vous et moi et partagées sur Panoramio) du Château de Cendrillon, à Disney World en Floride. Impressionnisme chez Monet, «impressionnantisme» chez Disney, la différence saute aux yeux.

Le musée ouvrira le 15 mai sur un coup d'éclat, une exposition «Le jardin de Monet à Giverny» (hélas pauvre en tableaux, à peine une vingtaine), suivi d'une rétrospective Joan Mitchell, peintre américaine rangée sous l'étiquette «expressionnisme abstrait» et qui a peu à voir avec l'impressionnisme sinon qu'elle a longtemps vécu à Vétheuil dans la maison que Monet avait habitée.
Mais après tout, Monet fut un des précurseurs, derrière Turner, de l'abstraction en peinture. Et puis, tout le monde aura sa place au musée des mots en «-isme».

***
(*) Le Musée des Impressionnismes s'installera dans les locaux du Musée Américain de la fondation Terra à Giverny, qui lui abandonne la place (par défaut de rentabilité ?). Ainsi disparaît un musée qui n'aura pas vécu vingt ans. Où verra-t-on désormais les tableaux de Georges Inness, Guy Orlando Rose, Martin Johnson heade, Edward Hopper, John Singer Sargent ?

jeudi 26 février 2009

La vie des cimetières (19)

Le petit cimetière de Grand' Anse, sur l'ile de Praslin aux Seychelles.

jeudi 19 février 2009

La raiforme de l'ortografe

Dans les sous-sols du palais du CNIT, à La Défense, on n'apprend l'alphabet que jusqu'à la lettre DManet a peint un piquenique empreint d'ambigüité, Monet des amoncèlements de nénufars, Gauguin les iles, et Van Gogh des potpourris d'ognons bien murs, de cèleris et de giroles. Bosch a peint un charriot de foin, Vermeer une dentelière, Harnett un révolver pas complètement règlementaire, Samuel Van Hoogstraten des enfilades de pièces dont chacune doit sans doute recéler pêlemêle un porteclé, un tirebouchon, une serpillère, un faitout voire un curedent. Goya a certainement imaginé une chauvesouris et un millepatte dansant une valse douçâtre devant un parterre de cent-dix-sept sconses, sous les notes suraigües de quelques jazzmans atteints d'exéma, ou d'autres scénarios aussi infernaux où l'abime côtoie la voute étoilée. Ces peintres ont libéré leurs fantasmes, leurs tocades, les ont laissé faire et ont ainsi créé cette pagaille d'artéfacts qui hante désormais notre imaginaire.

Arrêtons-là cette énumération de quincailler et dont vous soupçonnez surement l'apriori : c'était une espèce de gageüre, enchainer un grand nombre d'embuches du français en respectant les prescriptions de la «rectification» de l'orthographe de 1990.

Si, pris d'un doute abyssal, vous avez demandé au hautparleur de votre ordinateur de sonner chaque faute d'orthographe de ce mémento (dont on conçoit que la sècheresse ne vous plait guère), il est probable qu'il n'aura pas cessé de sonner indument. C'est que vous ne l'avez pas autorisé à tenir compte de cette évolution de l'orthographe. Certains correcteurs le permettent.

Depuis bientôt vingt ans ces rectifications ont peu subi le véto des médias ou la piqure des boutentrains des chaines de télévision, et si elles n'ont pas atteint les maximums de protestation ou de haine qu'on aurait pu prévoir, c'est parce qu'elles sont des recommandations, certes appuyées, mais autorisant l'alternative. Et si la dictée de votre enfant est sanctionnée pour avoir employé l'une des deux orthographes admises, vous pouvez être surs de votre droit et assoir votre protestation sur un texte officiel dument estampillé.

Sauf erreur cette chronique contient allègrement 60 mots dont l'orthographe a été modifiée en 1990. Regrettons de ne pas avoir pu y placer «diésel, ponch, placébo ou relai».
Vous trouverez derrière l'icône ci-contre le corrigé de l'exercice. Après cela les plus inconscients s'aventureront sous ce lien et y dénicheront plus de 1300 mots rectifiés supplémentaires, parait-il.

samedi 14 février 2009

La vie des cimetières (18)

Cimetière américain de Suresnes, sur le Mont Valérien.
Le terrain a été concédé à perpétuité aux États-Unis en 1919.

On dit que le rêve de tout Américain est d'être cosmonaute (1), et que le rêve de substitution, en cas d'encombrement dans les navettes spatiales, est d'être gardien de la Tombe des inconnus (2).
Être gardien de cette Tombe, c'est, après des années d'épreuves insoutenables (dont l'apprentissage par cœur d'un quizz de cent questions), être un jour admis au sein d'une élite qui passe sa vie en habit d'apparat à se dandiner devant un cube de pierre blanche dans lequel sont conservés quelques restes non identifiés de soldats peut-être américains.

Ça se passe au cimetière national d'Arlington près de Washington, selon un cérémonial inchangé depuis 1937. 24 heures par jour, un soldat exécute 21 pas devant la Tombe avec la démarche d'une danseuse qui aurait la colique, s'arrête pendant 21 secondes, puis fait 21 pas dans l'autre sens, agrémentés de quelques gestes équivoques pratiqués avec son fusil rutilant. Il est régulièrement relevé par un clone qui accomplit alors le même rituel. Et ainsi de suite.
Peut-on imaginer métier plus exaltant ? Surveiller pour l'éternité des reliefs de chair à canon (3).

Et si toutes ces solennités patriotiques ne suscitent pas l'envie de se faire tuer pour une idée, un dieu ou une ressource naturelle, c'est à désespérer de la nature humaine. Mais prévenons les postulants, le métier de chair à canon anonyme est sérieusement menacé par les progrès de l'identification par l'ADN. On dit même qu'il n'y aurait plus de soldat inconnu (au moins occidental) depuis les années 1980.

(1) On devrait différencier les astronautes américains, les cosmonautes russes, les taïkonautes chinois et les spationautes français, mais ces distinctions sont idiotes et cocardières. Ils ont toujours fait le même métier, et parfois dans les mêmes engins.
Un extrait du discours de Princhard dans le Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline(2) Si on croit l'article très sérieux de Wikipedia sur ce métier convoité.
(3) L'expression rappelle les «saucissons de bataille» du discours visionnaire de Princhard dans le «Voyage au bout de la nuit» de Céline.


***
Pour les oreilles : dans le chef d'œuvre de Michael Cimino, «Voyage au bout de l'enfer» (the deer hunter), avant de partir pour la guerre du Vietnam où leurs vies vont être détruites, les principaux personnages du film font une fête qui s'achève par la mélodie mélancolique d'une mazurka de Frédéric Chopin, jouée sur un piano incertain. C'est la mazurka opus 17 n°4, une des plus jolies parmi les presque 60, souvent ennuyeuses, composées par Chopin.

dimanche 8 février 2009

Nuages (14)

18h20, ne rien faire...

18h50, regarder passer un nuage...

***
Pour les oreilles : Le 28 avril 1937 le saxophoniste ténor Coleman Hawkins enregistrait à Paris, avec son «All-star jam band», une version époustouflante de «Out Of Nowhere» (1). Il y avait ce jour-là Benny Carter à la trompette, Django Reinhardt à la guitare, Stéphane Grappelly au piano.
On ressent déjà l'ambiance presque funèbre qu'on retrouvera dans sa célèbre version de «Body And Soul» (2) enregistrée à New-York le 11 octobre 1939.

(1) Cliquer sur le petit triangle bleu à gauche du dernier titre
(2) Cliquer sur le petit triangle bleu à gauche du 4ème titre

mercredi 4 février 2009

Zapping 2008, tout est dit

Il n'y a qu'un film essentiel en 2008, c'est le «zapping de l'année», réalisé pour la chaîne Canal+ par Patrick Menais. On peut en voir ici les 50 premières minutes, et ici les 3 heures suivantes.
Tout y est : les fautes de français d'un Président sorti directement de la troupe des Deschiens, la concentration de l'argent et des pouvoirs, les abominables émissions de télé-réalité, les humains dans leur splendeur et leur misérable agitation épileptique, la bêtise, l'envie et le malheur. Et enfin la planète qui s'en fout, qui va lentement balayer toutes les espèces, et l'espèce humaine avec.

Arbre mort près de l'ancienne léproserie,
sur la côte sud de Curieuse, île des Seychelles.

Menais est comme un entomologiste, il regarde à distance les hommes qui gesticulent. Et ce qu'il voit l'effraie, il rit de moins en moins. Année après année son zapping est plus déprimant. Il en a assez de nous faire rire de nos travers, voilà vingt ans qu'il nous les montre, et l'histoire n'est plus drôle. Alors il met le zapping en scène et construit des effets dramatiques. Ses manipulations peuvent sembler démagogiques à certains nostalgiques du zapping de divertissement, et manquer de finesse, mais ça tient au matériau qu'il utilise : la télévision. Il n'invente rien.

Après quatre heures de zapping, il termine par une phrase désabusée de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss en 2005 «L'espèce humaine vit sous une sorte de régime d'empoisonnement interne... et je pense au monde dans lequel je suis en train de finir mon existence, ce n'est pas un monde que j'aime», puis par un slogan des étudiants grecs en révolte «Arrêtez de regarder, sortez dans la rue!», et enfin, dans la bouche d'une jeune femme idiote dans une émission religieuse «Les ballons oiseaux se sont envolés, peut-être avez vous maintenant vous aussi envie de prendre votre envol, chers téléspectateurs»

C'est clair, Menais aimerait qu'on cesse de s'abrutir, qu'on sorte tous dans la rue et qu'on regarde ce qu'on a fait du Monde.
Mais il fait froid dehors. C'est au printemps, de préférence, qu'il faudrait faire le zapping de l'année.

mercredi 28 janvier 2009

L'impasse de l'Avenir

C'est le nom d'une impasse, à Ivry sur Seine, qui débute boulevard Paul Vaillant-Couturier (intellectuel et député communiste fameux, il y a 70 ans), non loin de la rue Lénine (homme d'état russe illustre, il y a 80 ans). On y croiserait sans doute quelque désespéré chronique, l'ombre de Cioran ou de Schopenhauer.
Face à l'impasse de l'Avenir, de l'autre côté du boulevard, il y a la rue de l'Avenir. Elle est également sans issue. On ne saurait être plus explicite. L'avenir ne sera pas bien gai.

Vue imprenable sur l'impasse de l'Avenir dans Google Maps
Pour les oreilles : l'offre de musique classique de MusicMe est vraiment misérable. On trouve tout de même une interprétation acceptable du merveilleux concerto en sol, pour piano et orchestre, de Maurice Ravel. Écoutez le sublime deuxième mouvement. 9:31 minutes d'une harmonie raffinée, mouvante, délicate.

samedi 24 janvier 2009

Les délices au microscope

Comme tout le monde vous n'habitez pas Madrid ni ses alentours. Comme tout le monde vous avez, un jour d'été, poireauté sous le soleil espagnol de midi, pour réaliser, après deux heures d'attente sans l'ombre d'une ombre, votre ticket d'entrée au musée du Prado en main, qu'il vous restait peu de temps pour admirer tous ces tableaux de Velazquez, Goya, Greco dont vous rêviez depuis si longtemps. Comme tout le monde, quand vous êtes arrivés devant le «Jardin des délices», l'immense collage surréaliste de Jérôme Bosch, vous avez réalisé qu'il était inutile de vouloir le voir en entier tant il y avait de monde devant.

Alors, comme tout le monde, désabusé, vous avez grappillé quelques détails furtifs, aperçus entre deux touristes japonais, au moment où les gardiens annonçaient déjà l'heure de fermeture du musée. Comme tout le monde vous ne reviendrez peut-être jamais à Madrid.



Les années ont passé. Vous vous êtes récemment consolés en constatant que le musée mettait progressivement en ligne sur son site de splendides reproductions détaillées. Vous pouviez alors scruter (1) les personnages ironiques et macabres du «Triomphe de la mort» de Brueghel l'ancien ou les paysages idylliques de Patenier.

Et puis voici quelques jours, Gougueule (encore Elle) annonçait que tout le monde pouvait désormais découvrir les détails les plus microscopiques de certains chefs-d'œuvre du Prado et examiner le «Jardin des délices» comme seul Jérôme Bosch ou quelques experts couverts de laissez-passer ont pu le voir. Et c'est indescriptible (2). Il suffit de lancer Google Earth (3).


Mise à jour du 2 février 2016 : les calomniateurs d'internet n'ont pas tort. Planter des repères, créer des liens vers d'autres sites est inutile, penser qu'une ressource sera disponible plus d'une ou deux années est illusoire. Gougueule s'est probablement fâchée avec le Prado car la gigantesque reproduction du Jardin des délices a maintenant disparu de Google Earth, et avec elle les autres tableaux du Prado. Le musée s'est également volatilisé du site culturel de Gougueule (Google Art Project). Les choses se présentent mal pour les amateurs de Bosch à distance.

Mise à jour du 13 février 2016 : c'est un vrai coup de théâtre, le Jardin des délices est réapparu aujourd'hui. C'est l'image en extrêmement haute résolution photographiée par Gougueule en 2009, pourvue d'une ergonomie idéale. Le voyage peut reprendre dans l'univers de Bosch.


***
(1) Cliquez sur la reproduction du tableau, puis à nouveau sur la reproduction suivante. Une fenêtre apparaît alors avec l'image en haute définition.
(2) Les 4 illustrations de cette chronique sont extraites du Jardin des délices. Les droits de reproduction sont détenus par Jérôme Bosch et Google, inévitablement.
(3) Cherchez «Madrid Prado» (ou ouvrez ces coordonnées) avec Google Earth. Assurez-vous que l'option «bâtiments 3D», dans l'onglet «Infos pratiques», à gauche de l'écran, est bien cochée. À l'emplacement du Prado, cliquez sur l'étiquette blanche «Museo nacional del Prado», choisissez un tableau et abusez de la mollette de votre souris.

***
Pour les oreilles : Tyranny and Mutation de Blue Öyster Cult, un rock limpide, carré, irréprochable, des phrases de guitare mémorables. Écoutez par exemple «Mistress of the salmon salt».

jeudi 8 janvier 2009

Privés de jardins publics

Inconscients et volages, les enfants des villes modernes ne savent pas le bonheur que les adultes responsables leur façonnent patiemment. Par exemple, depuis quelques années, tous les parcs et jardins publics sont systématiquement fermés (*) au premier flocon de neige un peu tenace. La chute d'une branche alourdie par la neige pourrait blesser quelqu'un.


La subversion objecte qu'on interdit ainsi aux enfants qui n'ont pas les moyens de s'offrir des vacances de ski le spectacle magique qu'est un parc recouvert de cette féerie ouatée.

Rétorquons qu'il reste dans les villes bon nombre de lieux où les enfants peuvent exercer leur désir irrépressible de modeler des bonhommes de neige, de pratiquer des glissades effrénées ou d'engager des batailles de boules de neige : ce sont les kilomètres de trottoirs de la ville. Naturellement, comme tout le monde retrouve un esprit joueur dès que la neige revient, il n'est pas impossible qu'ils y croisent un automobiliste fantasque égaré en travers du trottoir ou éparpillé autour d'un lampadaire. Il conviendra d'être prudents.


(*) À Paris tous les parcs et jardins publics de la Ville sont fermés. Les jardins des Tuileries et du Luxembourg qui appartiennent respectivement à l'Établissement Public du Louvre et au Sénat sont ouverts...

***
Pour les oreilles : The West Coast Sound (Vol. 1), un album rare de «West coast jazz» de 1953, rythmé, allant, inventif et mélodique, avec Art Pepper (saxo alto), Jimmy Giuffre (saxo baryton) et quelques autres sous la baguette de Shelly Manne. «Afrodesia» ou «You and the Night and the Music» sont des bijoux.

samedi 3 janvier 2009

L'année de l'Année

Après quelques «Années Mondiales» qui sont restées dans les mémoires et ont très certainement sauvé leurs dédicataires d'une inéluctable déchéance (1972 année du Livre, 1975 année de la Femme, 2000 année des Mathématiques, 2002 année des Montagnes, 2008 année de la Planète Terre, et année de la Pomme de Terre), l'UNESCO a décrété que 2009 serait l'année de l'Astronomie. Et on dit que 2010 sera peut-être l'année mondiale de la Morale. C'est dire les ambitions de l'organisation internationale.

Aussi Ce Glob Est Plat, dans la lignée des Microsoft et autres L'Oréal, s'associe cette année aux Nations Unies dans la promotion d'un grand concept œcuménique en partageant une grande part de son patrimoine musical avec la planète entière. N'écoutant que son courage et se riant des projets liberticides du gouvernement français, Ce Glob Est Plat s'engage à illustrer régulièrement ses chroniques d'un lien vers un morceau de musique ou un album dont l'écoute sera totalement libre et gratuite.

Nous commençerons par un album exceptionnel de «jazz cool» de 1986, «Somewhere Called Home» chanté par Norma Winstone accompagnée par John Taylor (piano) et Tony Coe (clarinette, saxophone).
Ce Glob Est Plat engage ses quelques lecteurs à proposer également dans les commentaires des musiques qu'ils emporteraient dans une île déserte équipée de l'électricité. Les liens vers les musiques plébiscitées resteront quelques temps, voire plus, dans une rubrique intitulée «Pour les oreilles».

mardi 30 décembre 2008

Dernières nouvelles de la Terre

Nous n'avions pas pris de nouvelles de la Terre depuis bientôt deux ans. Il était temps de faire un bilan. Comme on peut le voir sur notre illustration, il y a apparemment peu de changement depuis notre dernier cliché, mais cela n'est qu'apparent. Sur cette image par satellite d'une précision extrême, à la limite de la résolution de la caméra à haute définition, on distingue comme jamais auparavant des détails éloquents (cliquez pour agrandir la vignette).

On voit nettement au nord-ouest de l'Afrique, le célèbre «pont de la liberté des peuples» qui devait relier le continent à l'Espagne et la France, mais qui est tristement parti à la dérive depuis la décolonisation et rouille désormais en pleine mer. Plus au sud, au niveau de l'équateur, à l'ouest et à l'est au large de l'Afrique, on voit maintenant clairement les deux énormes trous noirs dont certains prétendent qu'ils sont le fruit des expériences des accélérateurs de particules, mais dont il est plus probable qu'ils résultent d'un défaut d'entretien par les populations locales, notamment, à l'est, par le gouvernement des Seychelles, dont chacun sait qu'il affiche une idéologie nettement socialisante. Nous ne pouvons pas examiner ici toutes les dégradations, mais remarquons pour finir, au nord, la longue série des marques blanches ineffaçables qui maculent la Russie, avec, la plus à l'ouest, l'inoubliable tache de Tchernobyl.

Mais nous terminerons cette revue par une remarque optimiste. Les autorités ont eu l'heureuse idée de placer un panneau indicateur afin que les touristes (et éventuels investisseurs) venus de l'espace la repèrent facilement sur le plan, la reconnaissent et ne la prennent plus pour une ordure. Comme on le voit les progrès de l'imagerie par satellite nous apportent tout de même, en cette fin d'année, une petite note d'espoir.

samedi 27 décembre 2008

Le château de notre enfance

Rosebud !À l'ouest de Ligny-le-Ribault, près de l'étang des Thouards, les grilles du château Bonhôtel, où furent tournés quelques films délébiles, évoquent fatalement le plus beau chef-d'œuvre du cinéma, Citizen Kane d'Orson Welles, notamment les trois premières et les trois dernières minutes (les liens sont en version originale américaine. Il est néanmoins déconseillé à ceux qui n'ont pas encore vu le film de regarder les 3 dernières minutes s'ils veulent garder intacte l'émotion qu'elles leur donneront).

dimanche 21 décembre 2008

La vie des cimetières (17)

C'est une vision créée par votre peur ... Pourquoi tant de grimaces? Après tout, vous ne regardez qu'une chaise!Macbeth croit voir le spectre de Banquo, qu'il a fait tuer (Shakespeare, Macbeth acte 3 scène 4)
Lady Macbeth. - «Quelles balivernes! C'est une vision créée par votre peur (...). Oh! ces tressaillements, ces soubresauts, simulacres d'une véritable peur, conviendraient à merveille au conte que fait une femme, en hiver, au coin du feu. - C'est une vraie honte! Pourquoi faites-vous tant de grimaces? Après tout, vous ne regardez qu'une chaise!»

Shakespeare a beau le démentir avec lucidité, l'homme s'ingénie toujours à croire qu'il reste des traces impalpables des morts ailleurs que dans sa mémoire. C'est ainsi qu'il a installé le fantôme de Mozart dans le cimetière monumental de Milan. Une plaque commémorative rappelle que quelque part à Milan, en 1858, est mort l'aîné des fils de Wolfgang et Constance, dernier survivant de la famille Mozart, fonctionnaire à la Cour des Comptes.

Il y est écrit «À la mémoire de Carlo Mozart, dernier fils du musicien suprême, fonctionnaire de la ville de Milan (Vienne 1784 - Milan 1858). Avec lui s'éteint la lignée mais non la gloire impérissable de l'illustre géniteur. Pour le centenaire de sa mort, l'association des autrichiens de Milan, 31 octobre 1958»

Au fond, sur le mur, se trouve l'inscription à la mémoire du dernier des Mozart.