jeudi 30 septembre 2010

Belle journée pour les champignons

Le 12 septembre 2010, un soleil resplendissant se répandait sur le pays. Au lever, le Roi de la France, voyant que que c'était un beau jour pour les champignons, rassemblait quelques sujets amis et partait d'un pas décidé dans son petit hélicoptère fêter le 70ème anniversaire de la découverte de la grotte de Lascaux et de ses spectaculaires peintures pariétales, à Montignac en Dordogne.
Quelques minutes plus tard, après une visite émue de la grotte originale, qui démontrait que les peintures n'étaient pas encore effacées par les nettoyages chimiques successifs, le Roi de la France s'abimait dans un discours visionnaire. Cette allocution déconcerta plus d'un amateur du paléolithique, moins par l'imprécision de ses références préhistoriques (1) que par sa fougue prophétique : il annonçait un Lascaux 4, et dans son élan un Lascaux 5.
Vous en étiez restés à Lascaux 2, et pas vraiment informés des nouveautés du paléolithique, vous n'imaginiez pas la fièvre des «remakes» remuer les berges indolentes de la Vézère. Qui vous le reprocherait ? Mais à Lascaux, le passé change tellement vite. Faisons une rapide rétrospective.

Il y a 17 ou 18 000 ans donc, Cro-magnon, un Homo sapiens un peu négligent, après la chasse, essuyait ses mains grasses et sanguinolentes sur les parois d'une caverne de Dordogne.

Lascaux 1
Découverte en 1940, très aménagée en 1948 pour y industrialiser le tourisme (1000 visiteurs par jour), la grotte commence à montrer des signes de corrosion dès 1955. L'installation d'un système de régulation thermique et hygrométrique en 1957 n'empêche pas l'apparition d'algues vertes et d'une couche opaque de calcite qui envahit les parois en 1960. En 1963, Lascaux 1 est définitivement fermée pour le public sans privilèges. Le système de régulation est remplacé en 1965, et des relevés sont réalisés par l'Institut Géographique National pour aboutir, après nombre de péripéties financières, à l'ouverture au public de Lascaux 2.

Lascaux 2
C'est l'étonnante et exacte duplication d'une partie de la grotte (salle des taureaux et diverticule axial), à 250 mètres de l'original, ouverte au public en 1983. Quelques morceaux supplémentaires (vache noire de la nef, scène du puits...) sont exposés dans le parc du Thot, triste Disneyland de la préhistoire en plastique, à 4 kilomètres, près du château de Losse.
Et Lascaux 2, se décompose également. De Lascaux 1, elle a hérité les 1000 visiteurs quotidiens et les maladies qu'ils transmettent. Sa restauration est devenue nécessaire (lancée en 2009 à raison de 4 mois par an pendant 5 ans) car elle reste la seule source sérieuse de finances. Pour combien d'années ? Trop près de l'original, le trafic qu'elle génère est considéré par certains comme une des principales causes de la dégradation de l'équilibre du site.

Lascaux 3
Décalcomanie en kit, ruineuse expérimentation sans lendemain pour certains, conçu, pour d'autres, comme le Lascaux de l'avenir, en pièces légères et mobiles destinées à la promotion de l'art paléolithique français à travers la planète, ce fac-similé de voyage, partiel (seule la nef est copiée), n'a jamais vraiment voyagé. Exposé en 2009 dans le parc du Thot, sous le nom de «Lascaux révélé», à la place des morceaux volants de Lascaux 2 (mis au rebut sans précautions), il semble aujourd'hui inhumé sous les difficultés techniques, financières, ou les rivalités locales (2).

Lascaux 4
Lascaux 1 qui s'estompe, Lascaux 2 menacé, Lascaux 3 enterré, il fallait bien, ce jour ensoleillé du 12 septembre 2010, que le Roi de la France dévoile un avenir radieux. Ce sera Lascaux 4, projet de Centre d'art pariétal à Montignac, qui exposera - d'après Le Monde - la prochaine copie de la grotte, moderne et complète, peut-être avec des morceaux de Lascaux 3 dedans, ou de sa technologie.
Mise à jour du 12.09.2012 : le nouveau gouvernement, après avoir éjecté le Roi de la France au printemps, vient d'enterrer le projet Lascaux 4 en annulant son aide financière, sous les protestations d'Yves Coppens. De vagues promesses ont alors été murmurées.

Lascaux 5
Et comme les projets autour de Lascaux sont pharaoniques et leur dénouement hypothétique, le Roi de la France a finalement évoqué la réalisation d'un Lascaux 5, un Lascaux populaire, démocratique, que le prolétaire explorerait chez lui après le travail, en allumant son ordinateur. On se met alors à rêver d'une France où les sujets simuleraient pour leurs enfants admiratifs, sur les écrans familiaux, les déplacements surexcités de leur minuscule souverain dans les décors en décomposition de la caverne originale, comme Super Mario dans le célèbre jeu vidéo.

L'invasion des taches grises, que rien ne semble pouvoir arrêter, est particulièrement visible ici, à droite, autour des cornes de la vache noire de la nef (à gauche Lascaux 2, à droite Lascaux 1. L'angle de vue et surtout l'éclairage différent trop entre les deux photos pour permettre une comparaison précise).

Lascaux 0 (zéro)
C'est le sobriquet donné par dérision à Lascaux 1, la grotte originale. Après une longue période de stabilité, le remplacement du système de régulation, en 2000, a déclenché un processus qui semble inéluctable. Dès 2001, un champignon microscopique infeste la grotte de moisissures blanches, c'est Fusarium Solani. En dépit des communiqués officiels déclarant l'envahisseur refoulé, des femmes de ménage expertes en nettoient encore les parois deux fois par mois, en 2006. L'année suivante se dessinent et se multiplient des taches grises et diffuses, dans la nef, l'abside et le passage (souvent nommées taches noires). Depuis, les comités d'experts se succèdent au rythme des remaniements ministériels et des sommations scandalisées de l'Unesco qui avait décrété la grotte «patrimoine mondial de l'humanité» en 1979, et qui menace maintenant de la rétrograder dans la liste infamante du patrimoine en péril. Vexée, la France proteste et accumule contre-expertises et contre-vérités officielles. Lentement, de son côté, la grotte s'obstine à s'effacer, digérée par les bactéries et les champignons.

Après tout est-ce si grave ? Y a-t-il un intérêt à ensevelir définitivement une œuvre dans un sanctuaire exclusivement réservé au plaisir d'un roitelet d'opérette et de quelques scientifiques intronisés ?
Un jour, une convulsion de la Terre emportera l'ensemble, avec les thermomètres, les hygromètres, les sismomètres et les anémomètres.

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
 
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1. « Le brave néandertalien avait parfaitement compris qu'ici c'était plus tempéré qu'ailleurs... qu'il y faisait bon vivre » (discours des Eyzies au pôle international de la préhistoire, 12.09.2010). Attribuer ainsi les peintures de Lascaux à des néandertaliens hédonistes, alors qu'aujourd'hui la science les dit peintes dans une période glaciaire, habitée par des Homo sapiens frigorifiés et seule espèce humaine survivante ! Mais le Roi de la France peut très bien avoir un avis personnel sur ces questions, les manuels scolaires en tiendront compte.
2. Lascaux 1 est désormais, depuis 1963, une propriété de l'État français, les autres Lascaux appartiennent à des entreprises privées, au Conseil général de la Dordogne ou à des collectivités locales concurrentes.
Il est difficile de trouver des informations unanimes sur le sujet de Lascaux et de ses clones, notamment depuis que la gestion de la France est mise en cause. Les contradictions sont fréquentes. Il est donc possible, malgré les efforts de documentation, que certaines affirmations de cette chronique soient inexactes.

samedi 18 septembre 2010

La vie des cimetières (32)

Mais, où se trouve la frontière entre le bon goût et le mauvais goût ?
« Dans ton cul ! » répond tout le monde en chœur.
Nous voilà donc fixés.

Le cimetière monumental de Milan accueille des tripotées de tombeaux aussi légers, exquis et gracieux que celui-ci.

dimanche 12 septembre 2010

Des bienfaits de la lumière

Aux dires du très éclairé Didier Rykner dans sa Tribune de l'Art, on a retrouvé un chef-d’œuvre de Bronzino dans un recoin sombre du musée des Beaux-Arts de Nice. Il y était exposé depuis plus d'un siècle, anonyme. Et ça n'est pas l'effet d'une révision des attributions, mais d'un hasard atmosphérique. Deux experts passaient devant le tableau oublié quand un rayon de soleil l'illumina.
Agnolo Bronzino était un peintre essentiellement florentin, fils adoptif de Pontormo qu'il assista notamment pour l'exécution des fresques de Galluzzo et de Santa Felicità. Il est apprécié pour ses portraits raffinés, froids et distants (certains diront inexpressifs et caoutchouteux) des puissantes familles de Florence.

Ne demandez pas à un visiteur du musée des Offices (Uffizi), à Florence, s'il y a admiré les magnifiques portraits de Bia, de Maria ou de Francesco de Médicis par Bronzino. À peine les aura-t-il entraperçus. Ils sont exposés, dans un petit cabinet qu'on visite à la file indienne en quelques secondes, pressés par le touriste suivant, et en tordant le cou pour les discerner vaguement, perchés très haut, mal éclairés.

À Florence, le moyen le plus sûr d'admirer les portraits de Bronzino est certainement de flâner dans les rues où d'immenses placards publicitaires vantent parfois le mécénat des modernes Médicis. Ici une firme italienne finance en partie la restauration du musée des Offices.

C'est un peu la spécialité de ce prestigieux musée que d'exposer les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture dans des conditions désolantes. Les gardiens ferment les volets dès qu'un rai de soleil ose tracer un trait discret sur le parquet ou sur un mur, au point que rares sont ceux qui peuvent prétendre savoir ce qu'hébergent les grandes salles du premier étage. On suppose qu'il s'agit de toiles en clair-obscur, des scènes nocturnes hollandaises influencées par Le Caravage. Le touriste qui s'aventure à cet étage hésite à pénétrer dans l'enfilade des pièces. Il entend comme des ronflements. L'obscurité lui fait croire qu'il s'est égaré dans les réserves du musée et il rebrousse chemin. Peut-être y découvrira-t-on un jour, à la faveur d'un courant d'air, quelque gardien desséché ou un Caravage oublié.

À quelques centaines de mètres du musée, le Palais Pitti organise de septembre 2010 à janvier 2011 une rétrospective des œuvres de Bronzino. Souhaitons qu'elle permettra aux bienheureux qui iront à Florence de voir enfin, une fois dans leur vie, les portraits de Bronzino dans des conditions acceptables. Mais rien n'est garanti quand on connait, au palais Pitti, la déplorable disposition, entre autres, du plus beau des portraits de Titien.

Mise à jour du 29.10.2010 : C'est en fait au Palazzo Strozzi que sont exposés 54 tableaux de Bronzino, sur 70 connus actuellement, dont 26 proviennent du musée des Offices.

samedi 4 septembre 2010

La sclérose des plaques

Les adeptes de Pythagore, vieux routiers de la numérologie, n'en croyaient pas leurs yeux lorsqu'ils ont vu circuler, au printemps 2009, les premières plaques d'immatriculation françaises au nouveau format, copie exacte du système italien.
Car la nouvelle numérotation débutait à la lettre A. Et ce qui peut sembler logique pour le mortel de base ne l'est pas toujours pour un numérologue avisé (1). En effet, les plaques italiennes (semblables donc aux françaises) ayant déjà épuisé toutes les combinaisons jusqu'à la lettre C, il était évident qu'allaient donc circuler en Europe des voitures aux numéros identiques, alors qu'un des objectifs déclarés du nouveau système est de «répertorier les véhicules volés au niveau européen».
Mais nos numérologues pensaient - leur candeur est touchante - qu'un système qui se dit «européen» avait prévu une méthode pour distinguer les inévitables «homonymes» (2), puisqu'un autre objectif majeur du système est de «lutter contre la délinquance automobile en améliorant l'efficacité des contrôles des forces de l'ordre...»

Et bien les premières erreurs policières où des véhicules et leurs conducteurs, victimes de cette homonymie, ont été arrêtés par les forces de l'ordre, viennent démentir l'optimisme des numérologues. La preuve est faite : dans la base d'information de la délinquance européenne, les numéros de voitures volées italiennes et françaises sont identiques (3).

Afin d'aider les services de police, voici un petit truc simple pour différencier une immatriculation. Le nombre 000 n'ayant pas été jugé valide pour l'administration française, toute voiture dont le bloc central est 000 sera donc nécessairement italienne. Ou peut-être slovaque. En tous cas elle ne sera pas française, ce qui est déjà un grand pas vers l'identification d'un véhicule.


Alors un jour sur la route, si vous êtes arrêtés sans ménagement par un barrage de police sûr de son droit et surarmé, ne manifestez pas votre terreur, levez calmement les mains en l'air. Avec un peu de chance, il s'agira d'une petite erreur due à cette imprévoyance bien humaine dans la grande harmonisation européenne.

Cette amusante anecdote rappelle l'histoire fameuse de la sonde américaine «Mars Climate Orbiter» dont personne ne prévoyait qu'elle s'écraserait sur le sol martien avant même d'avoir commencé sa mission, en septembre 1999. L'enquête démontra que des éléments de navigation chargés du calcul des poussées, fournis par Loockeed, s'exprimaient en livres anglo-saxonnes, alors que la NASA, depuis longtemps convertie au système métrique international, espérait ces valeurs en newtons. C'est bête (4).
Mais c'est l'éternelle malédiction de la tour de Babel. L'humain, ce gros orgueilleux, croit pouvoir contrôler la circulation routière en Europe et comprendre la météorologie sur Mars. Or le Bon Dieu, qui est jaloux de tant de pouvoir, fait échouer ces projets grandioses en inventant de sournoises différences de langage entre les hommes.





À la nouvelle numérotation ont été joints de discrets aménagements du Code de la Route. En cas de vol de voiture notamment, des peines exemplaires seront appliquées (Photo : San Gimignano, musée de la torture et de la peine de mort).



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1. Pour désamorcer toute critique qui prétendrait abusive la classification de cette chronique dans la catégorie «numérologie», au prétexte qu'une lettre n'est pas un chiffre, nous rappellerons qu'en numérologie les mots n'ont pas le sens trivial que leur attribue le langage courant, et qu'un alphabet n'est qu'un système de numération comme un autre où chaque lettre possède la valeur de sa position dans l'alphabet et dans le mot. Dans le cas de la numérologie minéralogique, l'alphabet, légèrement mutilé, comporte 23 lettres (les voyelles I, O et U étant administrativement exclues pour éviter certaines confusions ou plaisanteries, ainsi que l'association de deux S ou deux W).
2. Le code des lettres signifiant le pays, minuscules en blanc sur fond bleu, à gauche, est illisible pour les systèmes d'identification automatisés (radars).
3. On remarque, sur le site officiel SIV, une phrase ajoutée en fin de page, qui précise «La présence de tirets entre les blocs de chiffres et les blocs de lettres permettra de distinguer les plaques françaises des plaques italiennes». Signalons tout de même que les plaques italiennes affichent parfois des tirets, et que la Slovaquie a choisi le même système de numérotation avec, nuance délicate, un tiret (ou un logo) entre les deux premiers blocs. Tout ceci est bien complexe et un peu oiseux puisque ces petits caractères ne sont de toutes façons pas lus par les radars. (Informations vérifiables dans le foisonnant site de l'association Francoplaque)
4. Lisez l'histoire passionnante, voire touchante, qu'en fait Philippe Labrot sur son site consacré à la planète Mars, monumental, fascinant et si bien écrit.

samedi 28 août 2010

Encore un coup de Trafalgar

Le rideau se referme sur un Christ qui n'est plus qu'une grisaille, détail des «Ambassadeurs» peint par Hans Holbein en 1533. (© National Gallery London)

Cela se passe place Trafalgar, c'est l'adresse à Londres d'un des plus beaux musées de peinture, «The National Gallery». L'entrée est gratuite.
Et les anglais viennent encore une fois de ridiculiser la conception française étriquée et corrompue (1) du «patrimoine artistique» en mettant en ligne, sur le site internet du musée, l'intégralité de la collection de peintures dans des reproductions d'une dimension et d'une qualité impressionnantes.

On y découvrira des détails qu'on remarquait à peine devant les tableaux originaux. On pourra, pendant des jours, contempler jusqu'au plus petit brin d'herbe les merveilles de Gerard David ou se noyer des heures dans les détails des naufrages de Claude-Joseph Vernet sans appréhender la courtoise insistance des gardiens qui annoncent à heure fixe la fermeture du musée.



Quelques détails remarquables de la collection : de Philips Wouvermans une réjouissante scène de bataille, de Salvator Rosa des sorcières font signer un squelette, de Verrochio un chien fantomatique chemine aux pieds d'un ange, de Gainsborough le regard de ses filles. (© National Gallery London)

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1. Nous avons déjà évoqué ici et, la forte tendance en France (ou en Italie comme on le verra bientôt) à considérer le patrimoine artistique comme la propriété de ses administrateurs, des élus politiques et de leurs amis.

dimanche 22 août 2010

Mars, ou la blague du 27 aout

Ce mois-ci, le 27 à minuit-trente, dans le ciel nocturne s'il est bienveillant, au lieu d'une, vous verrez deux lunes. La deuxième sera la planète Mars, exceptionnellement proche de la Terre par une rarissime concordance des effets de la gravitation. C'est ce que prédit un courrier électronique que vous avez nécessairement reçu ou que vous recevrez bientôt (1), car on a toujours autour de soi des amis sympathiques et peu rigoureux.

Cette histoire est une blague, un bobard, une sottise. Elle se répand sur l'internet dès que l'été arrive, régulièrement depuis 2003. La petite histoire dit que l'origine en est un texte d'astronomie spécialisé, érudit, qui décrivait un fait absolument authentique : le 27 aout 2003 Mars était effectivement au plus près de la Terre, comme elle ne l'avait pas été depuis des milliers d'années et comme elle ne le sera plus avant longtemps. Le texte aurait été tronqué, par erreur peut-être, puis interprété par une personne prévenante, probablement sympathique et peu rigoureuse.

Image très légèrement arrangée, mais entièrement de bonne foi.Une vérification sommaire (par exemple avec le logiciel Stellarium encensé ici) suffisait à démontrer que la Lune serait cette nuit-là totalement invisible, trop proche du soleil sous l'horizon, et que Mars brillerait seule, du crépuscule à l'aube, minuscule point rougeoyant, comme une étoile, un peu plus brillante qu'à l'habitude.
Et si un jour l'Humanité voyait Mars aussi grosse que la Lune, c'est qu'elle contemplerait sa propre fin. Mars ne serait alors qu'à deux fois la distance actuelle de la Lune, le système solaire aurait subi de telles perturbations gravitationnelles que Mars percuterait bientôt la Terre. Déjà, raz-de-marée et déformations de l'écorce terrestres auraient certainement anéanti toute espèce vivante évoluée.

Vous vous exclamerez certainement, outré, « Cuistre ! Pédant ! Tout le monde n'a pas la chance de savoir. Et puis, c'est aimer bien peu l'espèce humaine que de mettre en doute systématiquement les choses merveilleuses que nous annoncent les gens bienveillants, qui n'en retirent ni intérêt ni prestige, et qui ne nous informent que par altruisme ! »
Sur la question de la connaissance, c'est juste, et Ce Glob Est Plat, trop incompétent lui-même, ne s'amusera jamais de l'ignorance d'autrui (sauf négligence). L'innocent, le candide, l'ingénu, le crédule ne peuvent pas se douter que la Terre tourne autour du Soleil, quand l'évidence leur montre l'inverse. D'ailleurs 56% du public invité sur la première chaine de télévision française ne s'y sont pas trompés et l'ont affirmé en chœur lors d'une émission mémorable.

Mais il faut cependant se demander quel est ce besoin vital de merveilleux qui empêche l'humain de se satisfaire d'un monde avec une seule Lune. Serait-il contenté avec une deuxième que le besoin d'une troisième surgirait. Puis il réclamerait des anneaux autour, quelques comètes à heures fixes, des éclipses tous les jours. Il convoite tant ce qu'il n'a pas, qu'il désire même ce qui n'existe pas. Trop d'imagination, trop peu de discernement. En fait il ne désire que désirer. Une question d'hormones sans doute.
Méfions-nous donc des informations amicales. Remettons-les en question, et dès lors fâchons nos amis à l'esprit critique engourdi.


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1. Voici un des modèles du message qui envahit les boites électroniques de la planète : «Le 27 août prochain, à 0:30 minutes, regardez dans le ciel. La planète Mars sera la plus brillante dans le ciel étoilé. Elle sera aussi grosse que la pleine Lune. Mars sera à 34,65 millions de miles de la Terre. Cela nous apparaîtra aux yeux nus, comme si la Terre possédait 2 Lunes. La prochaine fois cet événement se reproduira l’année 2287, puis l'année 25695. Partagez cette information avec tous vos amis car PERSONNE en vie aujourd'hui ne pourra voir cela, une seconde fois.»

dimanche 15 août 2010

Nuages (22)

Orvieto est une petite ville d'Ombrie perchée sur un rocher italien, près des frontières de la Toscane et du Latium. Un peu éloignée des grands centres artistiques que sont Pise, Florence ou Rome, elle fait rarement partie des itinéraires obligés que parcourt le touriste en bêlant.
On peut ainsi, même en été, y contempler sereinement celle que certains (notamment l'office du tourisme d'Orvieto) appellent la plus belle cathédrale du monde.

Effectivement, bien que surchargée de sculptures, de bas-reliefs, de mosaïques, sa façade montre une distinction, une élégance incomparables à côté de quoi celle de la cathédrale de Sienne fait figure de gâteau d'anniversaire, lourd et indigeste avec ses bougies dégoulinantes.

À Orvieto, les gracieuses sculptures de bronze, les bas-relief délicats, et la conception de la façade sont sans doute de la même main, celle de Lorenzo Maitani, maitre d'œuvre de la cathédrale de 1310 à sa mort en 1330. Et puis dans la chapelle droite du transept, Luca Signorelli a peint de 1499 à 1502 son extraordinaire et fantastique cycle de fresques de la fin du monde.


dimanche 8 août 2010

Le culte du soleil

L'hélianthe (hélianthus annuus!), appelée tournesol ou soleil par le vulgaire, est décidément une merveille de technologie et de haute précision. Comme toutes les inventions majeures dans l'histoire de l'humanité, du bas nylon à la fermeture éclair, elle nous vient évidemment d'Amérique du nord.

Cette superbe plante ne s'épanouit que dans les régions correctement ensoleillées. Et le génie de la chose est qu'elle héberge, pendant sa période de croissance rapide, avant la floraison, une hormone (l'auxine) qui favorise l'allongement des cellules, mais déteste le soleil. Fuyant opiniâtrement la lumière, l'auxine s'ingénie à migrer dans les endroits ombragés de la tige et des feuilles, et partout où elle passe la plante croît. Ainsi, comme les cellules situées à l'ombre s'allongent plus rapidement, la tige se courbe et la tête penche humblement vers l'autre côté et pivote d'est en ouest au long de la journée, donnant l'impression hypocrite de rendre un hommage quotidien au soleil (l'héliotropisme).

Ce paradoxe d'un peuple végétal qui se prosterne unanimement vers le soleil sans réellement y croire ne dure que jusqu'à la floraison. Alors, les lourdes têtes fécondées, chargées de graines, s'immobilisent, définitivement inclinées vers le levant.

Horde de tournesols adultes résignés, courbés vers l'est, sous un ciel de plomb fondu, en Toscane.

Les croyants ont développé une formule savante bourrée d'arctangentes et de cosinus pour diriger, sans erreur de navigation, leurs implorations quotidiennes vers la maison de leur dieu, la Mosquée sacrée. Il est vrai qu'en tant que boussole le champ de tournesol est peu fiable. Versatile au printemps, il n'indiquera la divine direction qu'en été, et seulement en Europe. Pour les tournesols incroyants de l'extrême-orient, qui s'obstinent, à la floraison, à tourner le dos au Prophète, il conviendra de leur trancher la tête. Il parait justement que les meilleurs cierges sont fabriqués avec l'huile des graines de tournesol.

Pour terminer, voici un conseil pratique pour tirer avantage d'une autre propriété du tournesol, sa puissante capacité d'absorption des déchets minéraux. En cas d'apocalypse nucléaire, ou simplement de grave excès de plomb et de radioactivité dans l'eau et la terre, plantez-le en quantités dans les zones contaminées ou irradiées. À la fin de l'été, quand ses profondes racines auront pompé et retenu tous les éléments toxiques, fauchez, arrachez, et vous retrouverez en-dessous un sol purifié et fertile. Et surtout, pour ne pas contaminer l'air, n'incinérez pas les plantes mortes, enterrez-les plutôt discrètement chez un voisin qui vous est déplaisant.

Mise à jour du 01.04.2015 : Finalement, d'après des tests effectués en réel à Fukushima, les racines de tournesol n'absorberaient pas les matières radioactives, comme on l'a cru, en tous cas pas le césium.


Face à un champ de tournesols déterminés, on se sent réellement observé, épié. On comprend que des artistes fragiles comme Vincent van Gogh y aient perdu l'esprit jusqu'à se découper une oreille.

vendredi 23 juillet 2010

La vie des cimetières (31)


... Mais le silence en sait plus sur nous que nous-mêmes,
Il nous plaint à part soi de n'être que vivants,
Toujours près de périr, fragiles, il nous aime

Puisque nous finirons par être ses enfants
.

Jules Supervielle

Extrait de «Bonne garde», dans «La fable du monde», 1938.


mercredi 14 juillet 2010

Nuages clairsemés, en fin de compte

Le 30 mars 591 une éclipse totale de soleil balayait d'ombre pendant deux minutes et demi une petite ile déserte et sans nom, couverte d'arbres et de végétation, au milieu de l'océan Pacifique.

Au 7ème ou 8ème siècle vraisemblablement, les premiers aventuriers polynésiens s'y installaient et créaient une étrange société dont l'unique occupation semble avoir été, pendant des siècles d'isolement, d'entourer leur minuscule royaume de centaines de statues stylisées portant d'énormes têtes, le regard tourné vers le centre de l'ile. Ils épuisèrent ainsi tous les arbres, jusqu'au dernier, pour faire rouler leurs gigantesques sculptures de pierre volcanique de la carrière vers la côte.
Au 18ème siècle débarquaient les européens, armés de poudre, de fusils, du christianisme et de la syphilis. Le nombre d'indigènes décrut. Au 19ème siècle, 1000 habitants (presque toute la population active) étaient déportés vers le Pérou, en esclavage. En peu de temps il n'en restait qu'une quinzaine de survivants. Ils retournèrent dans l'ile, avec la variole. Au 20ème siècle, de départs d'iliens en arrivées de chiliens, peu de familles d'origine indigène subsistent.

Beaucoup voient dans cette destinée de l'ile de Pâques une parabole sur l'avenir de l'espèce humaine et des ressources de la Terre. C'est évident. Plus qu'une parabole, c'est même un test, une répétition générale en modèle réduit avant la grande représentation.
Vialatte conseillait de faire confiance aux évènements, ils finissent toujours par arriver, disait-il. Il sous-entendait bien sûr les bons comme les mauvais. Les habitants de l'ile de Pâques, les Rapanui, auront eu leur lot d'évènements funestes. Dimanche, pour la première fois dans leur histoire, ils ont admiré une éclipse totale de soleil. 4000 touristes privilégiés ont partagé leur fortune. Les probabilités statistiques avaient prédit un ciel couvert. Après 36 heures de pluies incessantes, les nuages étaient clairsemés quand l'évènement se réalisa.

Les photos sont de Joaquin Souyris (haut gauche, bas gauche), Juan carlos Casado (haut droite) et Stéphane Guisard (bas droite).

samedi 10 juillet 2010

Nuageux avec risques de pluie

Se trouver précisément sur la fine bande de quelques dizaines de kilomètres que parcourt sur Terre l'ombre de la Lune au moment d'une éclipse totale du Soleil est certainement un des spectacles les plus impressionnants pour un être vivant, même dépourvu d'imagination.
En plein jour, au cœur d'une soudaine pénombre apparait dans un ciel étoilé un gigantesque trou noir cerclé d'un anneau de lumière, toute vie est suspendue pendant plusieurs minutes comme si les astres s'arrêtaient. Le spectateur se sent impliqué dans quelque chose d'immense, de cosmique, comme l'écolier devant la baleine du muséum d'histoire naturelle, ou l'usager qui voit arriver l'autobus.

Et le véritable chasseur d'éclipses ne peut pas le rater quand l'évènement, déjà rare, se produit de surcroit sur un des lieux les plus mythiques de la planète, sur l'ilot le plus isolé de l'océan Pacifique où d'immenses têtes de pierre alignées regardent passer les nébulosités subtropicales et les touristes égarés, aux antipodes.
D'ailleurs vous êtes peut-être déjà en route, rampant épuisé et déshydraté sur les graviers du désert d'Atacama, maudissant le voyagiste qui vous a fait croire qu'une expédition si exceptionnelle se méritait et se rentabilisait en vous faisant crapahuter dix jours durant dans les endroits les plus inhospitaliers des alentours, pour justifier les 7500 euros qui endetteront vos prochaines années. Mais vous résistez à toutes ces humiliations, parce que vous savez que le miracle systématique se produira demain, 11 juillet 2010, entre 20h08'48" et 20h13'35" en temps universel (1). Soyez ponctuel, la mécanique céleste n'attend pas (2).

Au cas où la petite note en bas de page vous aurait échappé, sur le contrat du voyagiste, rappelons que les conditions météorologiques en cette période de l'année sur l'ile de Pâques ne sont pas vraiment propices, et qu'il y a près de deux malchances sur trois pour que les nuages et la pluie fassent chavirer votre rendez-vous astronomique et solaire (3). La météo annonce pour demain des risques de pluie.
Déjà, une masse nuageuse se profile (4).

Ceci n'est pas une éclipse, bien que les couleurs en soient très proches. Ceci n'est pas une baleine non plus. Peut-être un autobus.


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1. 14h08 en heure locale, 22h08 en heure française.
2. Il faudra attendre sept ans, le 21 aout 2017, la prochaine éclipse qui ne passera pas en plein milieu des océans. Elle dessinera son pinceau d'ombre sur toute la longueur des États-unis, d'ouest en est. Et la suivante la croisera du sud au nord-est, le 8 avril 2024 seulement.
3. Pour mémoire, vivre une éclipse totale sous les nuages c'est un peu comme écouter des commentaires radiophoniques sur un spectacle qu'on ne verra pas.
4.
Le deux liens conduisent, le premier vers une vue par satellite actualisée du Pacifique centrée sur l'ile de Pâques et le second vers le bulletin météo actuel de l'ile, au moment de votre consultation.

lundi 5 juillet 2010

De l'exactitude de la Loi

« Faire taire ceux qui ne pensent pas comme les autres par respect pour ceux qui ne pensent pas comme eux ». C'est la saine logique des commentaires outragés qui ont fleuri les forums des grands journaux depuis l'affaire du drapeau français utilisé comme torchecul. Pour mémoire, une grande surface de la culture à Nice, relayée par un journal gratuit, avait exposé, dans le cadre d'un concours sur le thème « politiquement incorrect », la photographie, lauréate, d'un homme se nettoyant soigneusement le postérieur avec l'emblème de la Nation.

Devant les réactions ulcérées, et n'écoutant que son courage, le pédégé de la grande surface à licencié illico deux des responsables de la diffusion sacrilège, qui n'avaient fait que respecter la décision du jury. Et dans leur grande sagesse, la Garde des sots et le ministre de l'Inférieur, étonnés que la loi ne châtie pas encore ce genre de profanation, ont présenté en urgence un décret punissant sévèrement toute « dégradation ou utilisation indécente du drapeau français ».

Ainsi, quand le décret sera entériné par le Conseil d'état, on n'aura plus le droit, en France, de photographier un cul derrière le drapeau sacré de la République, mais on pourra évidemment, comme toujours, le photographier devant, et afficher le résultat dans les mairies, les écoles, les ministères et les lieux publics. La justice française est d'une étonnante précision.

Jougne dans le Doubs, le monument aux morts, ou comment inculquer aux enfants le respect des morts, de l'armée, des obus phalloïdes, de l'éclairage urbain, en bref des valeurs de la Nation.

mercredi 30 juin 2010

La vie des cimetières (30)

Il n'est pas rare, cherchant une tombe particulière dans un cimetière, de ne pas la trouver quand on possède pourtant son adresse précise et un plan détaillé. Parce que les tombes se déplacent pendant la nuit. C'est un fait bien connu des écumeurs de cimetières. Longtemps pris pour une légende, nous en apportons la preuve aujourd'hui sur ce cliché exceptionnel. Un défaut de direction assistée, dans un virage un peu difficile à négocier, fut la cause pathétique de cette épave échouée au milieu d'une allée du Cimetière Monumental, à Milan. Si le conducteur ne fait rien, sa tombe sera vite dépouillée par les pilleurs nocturnes. À moins qu'il ait été blessé dans l'accident et qu'immobilisé sous l'éboulis de pierres il ne puisse pas même appeler à l'aide.


vendredi 25 juin 2010

Le visiteur à l'état fluide

Voilà. Dorénavant, entrant dans le musée d'Orsay (1) après avoir payé votre droit de visite et acheté une réserve de jetons d'un euro à la caisse idoine (2), vous pénétrez dans une immense galerie réaménagée et méconnaissable, baignée d'une reposante pénombre, ponctuée de petites oasis intermittentes de lumière. Les approchant, vous réalisez que ce sont les tableaux et sculptures du musée, momentanément éclairés par l'obole du visiteur précédent. Un jeton glissé dans une ingénieuse tirelire à minuterie donne droit à deux minutes d'éclairement par objet, comme cela se pratique depuis longtemps dans certaines églises richement dotées. Pour compléter le dispositif, un discret parcours lumineux au sol informe et oriente le touriste.

Florence, église Santa Felicità. Cette déposition de croix de Pontormo (ici un détail) considérée comme un de ses plus beaux tableaux, est enfermée au fond d'une petite chapelle latérale, dans le noir. Un euro versé dans une tirelire à minuterie éclaire la chapelle pour cinq minutes, mais n'ouvre pas les grilles.


Ne vous inquiétez pas, le système n'est encore qu'un projet. Ça n'est pour l'instant que l'ironique suggestion de F. P., professionnel déçu qui s'attriste dans le livre d'or du site du musée. Car une chose est en revanche certaine : les gestionnaires d'Orsay viennent soudainement d'interdire toute photographie à l'intérieur du musée, œuvres et architecture du site, sous le prétexte facilement réfutable de la fluidité du visiteur.

On ne reviendra pas sur l'illégalité du procédé, elle a largement été démontrée en 2005 lors de l'affaire de l'article 33 du règlement de visite du Louvre, où l'autorisation de photographier est encore aujourd'hui dans une situation incertaine. La photographie y est interdite mais tolérée, dans l'attente peut-être d'un incident qui justifierait alors l'application stricte du règlement.

Comme le ressent N.D. de B., un des nombreux scandalisés qui se soulagent sur le livre d'or, ne pas autoriser la photographie dans un musée, c'est comme demander au visiteur d'effacer ses souvenirs en sortant. Cette nouvelle manifestation de la longue série des petits abus de pouvoir et des détournements du bien public ne mérite que le mépris et évidemment l'irrespect.

Actualité du 05.12.2010 : Didier Rykner (La Tribune de l'Art) couvre une périlleuse manifestation pacifique dans le musée d'Orsay (15 participants) organisée avec le soutien de LouvrePourTous.fr, en protestation contre l'interdiction de photographier.
Six mois après sa publication au Journal Officiel le 22.06.2010 sous le numéro 81937, la question écrite au ministre de la Culture n'a toujours pas de réponse.
Actualité du 15.03.2011 : Le Sinistre de la culture vient de répondre à la question écrite 81937. On en parle ici, hélas !


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(1) Célèbre établissement public parisien présentant des œuvres principalement françaises créées entre 1848 et 1914.
(2) Le maximum autorisé par visiteur est de 50 jetons, surnommés «photons» par le personnel du musée.

jeudi 17 juin 2010

Proverbe congolais


« Lorsque les éléments commencent à se confondre, le ciel, la terre, et l'eau, le sage apprend à nager, le fou apprend à voler, le canard reste impassible. »


dimanche 13 juin 2010

79 avenue du docteur Goût

Une rue de Carcassonne porte son nom, près des rues Renoir, Toulouse-Lautrec, Cézanne. Les 3000 pages et 6 volumes du Dictionnaire Universel de la peinture (Robert, 1975) ne le citent pas, même parmi les peintres post-impressionnistes, pointillistes ou divisionnistes. Le musée d'Orsay qui possède quatre toiles de lui, n'en expose aucune et ne les reproduit pas sur son site, mais précise dans sa notice n°16296 que c'était un homme, français, né en 1861 et mort en 1944 dans l'Aude, et peintre. C'est tout.

Achille Laugé, petit bouquet de fleurs et vase, 1892. Histoire d'aider un peu plus la reconnaissance du peintre, les photographies de l'exposition n'étaient pas autorisées. Il est donc possible que des ayant-droits réclament un jour le retrait de cette illustration.Il faut admettre qu'Achille Laugé a mis beaucoup de soin à se faire oublier, déjà de son vivant. Il ne peignait que des sujets peu spectaculaires, des motifs ressassés, des portraits austères et des perspectives de prunus en fleurs. Pas une fois il n'a succombé au ridicule de représenter les grandes idées, comme l'ont fait ses amis célèbres pour obtenir des commandes officielles. Sa vie entière fut retirée dans un bourg du sud-ouest de la France. Seuls deux ou trois amis fidèles et influents l'aidèrent de quelques commandes, par exemple des cartons de tapisseries pour la manufacture des Gobelins.
Son style, son obstination, était de géométriser, simplifier les formes ainsi que les couleurs qui en deviennent souvent étranges, atones, théoriques, dominées par des roses fades et lie-de-vin. Les tableaux d'Achille Laugé sont des surfaces décoratives que les lois de la nature effleurent à peine. Ses paysages de printemps ont le dépouillement et la raideur glaciale de l'hiver.

Le musée de la chartreuse de Douai dans son assistance à la résurrection des peintres post-impressionnistes vient de clore une magistrale rétrospective (1) consacrée à Laugé, à la hauteur des expositions passées sur Le Sidaner et Henri Martin.

La rue Achille Laugé à Carcassonne (Copyright Google Street View)Cette histoire démontre qu'avec beaucoup de rigueur et de ténacité, on finit par être récompensé et par obtenir, de manière posthume, une rue à son nom dans une ville de province d'importance relative, dans un quartier parsemé d'habitations à loyer modéré. La rue Achille Laugé débute au croisement du 79 avenue du docteur Goût.

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(1) Goûtez ce reportage digestif de France3, nappé de harpe et de flûte, pour promouvoir le passage de l'exposition à Carcassonne et à Limoux (patientez pour son chargement).

dimanche 6 juin 2010

Chapardage au musée d'art moderne

Celui qui visite un musée entre dans une sorte de grenier dont les propriétaires ont disparu. On y montre avec mille coquetteries des objets leur ayant appartenu, qu'on agrémente d'étiquettes surannées pour se rappeler leurs noms. Les gardiens des lieux, inanimés, s'y ennuient comme dans les tableaux de Paul Delvaux.
Les musées ne retracent jamais que le passé, c'est leur raison d'être. Leur désuétude palpable, à peine camouflée par l'odeur de cire fraiche des boiseries, est justement la condition nécessaire au fonctionnement du rituel que s'invente chaque visiteur, à la persistance du passé. Tous les musées devraient être vétustes, démodés, mal équipés, un peu poussiéreux et habités de fantômes neurasthéniques. Ils le sont souvent.

Il est donc logique que se produisent de temps en temps des chapardages comme ce vol récent de quatre tableaux, dont un Picasso, au Musée d'Art Moderne de la ville de Paris. Leur caractère spectaculaire est exagéré volontiers, car tout le monde profite de l'opération. Dans la presse, les œuvres volées sont surévaluées et leur cote multipliée par 5 ou 10, quand elles ne sont pas attribuées à un maitre alors qu'elles étaient, avant le larcin, tout juste qualifiées de copies ou «de l'école de...». Les journaux, intrépides, dénoncent le scandale. Le service chargé de la surveillance exhume alors un rapport d'audit jauni qui pointe avec précision, dans une note de bas de page d'une annexe, un dangereux manque de personnel qualifié et de moyens technologiques appropriés. Tout le monde est absous. Le responsable sera l'électeur qui change si souvent d'avis et aura choisi l'autre couleur politique, créant ainsi une discontinuité fatale à une saine administration du patrimoine.

Le musée Correr, Piazza San Marco à Venise, trois globes (encore) et un lustre.
Pourtant les vols d'œuvres d'art ne sont pas si fréquents, parce qu'ils ne sont pas rentables. Connues et documentées, elles sont invendables et réapparaissent généralement après quelques années d'occultation. Les rançons sont rarement payées, ou alors très discrètement. Bien sûr certaines œuvres ne reparaissent jamais, mais elles représentent peu en regard des milliers anéanties par les guerres et pillées par les armées et les trafiquants. Les grands musées débordent encore des razzias du passé. Sur 15000 pièces volées (et beaucoup plus de détruites) dans le musée de Bagdad en 2003 sous les yeux de l'armée américaine indifférente, 6000 seulement ont été restituées.

Face au saccage des vestiges de l'antique Mésopotamie, première civilisation de l'écriture, et après l'incendie de la bibliothèque de Bagdad, la disparition d'une œuvre de Picasso fait un peu figure de «chien écrasé». Il en restera encore près de 23000 dans les musées et collections du monde entier, et non des moindres, comme ce pathétique hommage à Joseph Staline, dessiné au lendemain de la mort du héros soviétique, inventeur du bonheur des peuples, plus lumineux que le soleil, plus haut que les espaces célestes, le 5 mars 1953.

samedi 29 mai 2010

lundi 24 mai 2010

Bricoler l'univers

Tant de choses nous dépassent... À commencer par le nombre de textes religieux, philosophiques, voire scientifiques sur le sujet, qui déclarent que l'univers est inconnaissable puisqu'on en fait partie. Des milliers de pages pour affirmer que l'inconnu restera à jamais inconnu. La démarche de la connaissance semblant sans fin, le filon est inépuisable.
Pourtant, certains défricheurs se sont sorti l'esprit de cette glu sophistique pour se mettre au travail. Et le résultat est là. Les éditions Eaglemoss proposent le mode d'emploi, les outils, et les pièces détachées pour «construire le système solaire».

Ce qui étonnera d'abord le lecteur engourdi de «Science & Vie» accoutumé aux débauches d'énergie de l'épopée du Big Bang, c'est la modestie des moyens à mettre en œuvre pour créer un système solaire, incitant l'écervelé à se lancer sans précaution dans cette aventure. L'apport au démarrage est proche de zéro. Mais pour le gestionnaire tatillon, les informations sur les moyens et les délais à investir sont trop escamotées et disparates.

C'est pourquoi Ce Glob Est Plat, champion de toutes les vocations scientifiques inabouties, a expertisé les Conditions Générales de cette offre (onglet "Bon de commande"), et en propose le tableau récapitulatif ci-contre qui figure le calcul le plus optimiste en fonction des éléments fournis par l'éditeur, ici et ici.

Notez qu'après deux ans et demi de persévérance, si vous avez réussi à ne pas perdre la moindre pièce, et si l'horlogerie du système fonctionne, jours, nuits, saisons, rien ne garantit que vous pourrez alors voir apparaitre la vie. En effet la documentation ne cite pour tout «élément» que le laiton chromé. Les composants chimiques nécessaires à la création de la vie seront fournis dans une autre série à venir, sans doute. Mais cette aventure vous aura cependant apporté sagesse et patience. Et elle aura démontré que la légende qui prétend le ciel, la Terre et les grands luminaires créés en quatre jours est largement erronée. 900 jours au moins sont nécessaires pour obtenir une Terre à peu près opérationnelle.



Répétons-le, pensez à nettoyer régulièrement vos outils, notamment si vous réalisez plusieurs programmes simultanément. On remarquera sur l'illustration ci-dessus, à quelques détails subtils, que le montage approximatif de cette planète a été effectué avec des outils qui servaient en même temps au programme «J'épile mon caniche» des éditions Jeunesse et Nature.

samedi 15 mai 2010

Se souvenir de la Grande Grèce




À l'extrême sud de l'Italie, sous un soleil presque africain, de Locri Epizefiri qui fut jadis une cité influente de la Grande Grèce, ne subsiste qu'un terrain vague où se dresse l'unique moignon d'une colonne ionique, près d'un petit musée d'archéologie désert aux vitrines fidèlement entretenues.


Tête féminine de style ionien, 520 avant notre ère (musée archéologique de Locri Epizefiri)

lundi 10 mai 2010

La vie des cimetières (29)



Il existe un cimetière dont tous les habitants sont morts le même jour. Un cimetière dont deux mille occupants ont été méticuleusement exhumés, jour après jour depuis 150 ans, par curiosité. On y expose au public les statues moulées sur leurs restes.



Le 24 octobre 79, ou peut-être en novembre, la ville romaine de Pompéi était anéantie par une éruption du Vésuve, ensevelie avec les habitants qui n'avaient pas encore fui les tremblements annonciateurs. Asphyxiés sous des mètres de poussière volcanique, dans leur gangue de cendres durcies, ils se sont lentement décomposés, réduits en poussières, laissant des cavités creusées aux formes de leur corps.



En 1863, Giuseppe Fiorelli, directeur des fouilles de Pompéi, eut l'idée de couler du plâtre dans ces empreintes providentielles. Une fois le plâtre sec et le moule de cendres ouvert, renaissait alors le dernier geste du moment de la mort.
Depuis, le plâtre a parfois été remplacé par une résine qui laisse apparaitre par transparence, avec la posture, ce qui a résisté à deux mille ans de décomposition, le squelette, les dents, les bijoux.