dimanche 27 janvier 2013

Le monde leur appartient

Le domaine Public est l'ensemble des biens matériels et immatériels mis à la disposition du public ou d'un service public, et qui ne peuvent pas faire l'objet d'une appropriation privée. Ils appartiennent à la collectivité (et pas à l'État).
L'objectif de tout pouvoir politique est d'utiliser les biens publics (du Domaine ou non) pour en tirer des avantages personnels, électoraux ou matériels. L'affirmation est démagogique, mais les exemples sont quotidiens.

Aujourd'hui, c'est la Bibliothèque Nationale de France.
Comment profiter d'une révolution technologique pour faire passer le domaine public dans des mains privées ? Fastoche. Au lieu d'utiliser l'impôt pour numériser méthodiquement les livres et enregistrements du domaine public et les mettre ainsi à la disposition de tous, on paie (au rabais) des entreprises pour le faire, qui se rémunèreront alors avec un droit exclusif de commercialisation des œuvres numérisées (en définitive cette solution serait plus couteuse).
La BNF vient de le faire pour 70 000 livres et 200 000 enregistrements. On dit que la période n'est que de dix ans après laquelle les œuvres seront libres d'accès. Mais tous savent que c'est faux. On prolongera l'exclusivité pour financer la maintenance et le renouvellement des équipements. Ça se fait d'ordinaire. Et dans dix ans tout aura tellement changé, les responsables de cette braderie seront oubliés.

Le monde du livre s'en émeut fort sur Internet.

Cependant tout l'avenir n'est pas noir. Ainsi vous ne verrez peut-être bientôt plus aucune interdiction d'enregistrer images et sons dans les lieux publics comme privés, y compris d'œuvres qui ne sont pas dans le domaine public. Cette liberté devient concevable grâce à des brevets déposés en 2008 par Apple et Microsoft, dont ont sait qu'ils cherchent avant tout le bien de l'Humanité. Ces brevets prévoient d'intégrer dans nos appareils électroniques des dispositifs bloquant automatiquement les fonctions indésirables. Par exemple, des bornes savamment disposées dans une salle de concert ou un musée rendraient inactives les fonctions d'enregistrement d'images et de sons.

Mais pourrons-nous réellement profiter de tous ces progrès dans nos loisirs ? Les politiques d'austérité qui glacent actuellement l'Europe du sud paralyseront bientôt le continent entier.
Pourtant d'éminents économistes du Fonds Monétaire International viennent de reconnaitre une énorme faute de calcul. C'est pour un bête paramètre multiplicateur mal estimé qu'on enterre par erreur l'Europe dans une récession sans issue.
En fait, erreur ou justesse du calcul, tous les décideurs en économie étaient déjà persuadés, pour des raisons dogmatiques, des bienfaits du sacrifice. Et comme tous les politiciens impliqués dans cette plaisanterie funèbre sont encore au pouvoir, nationaux comme européens, ils ne reconnaitront leur méprise que lorsque la misère et le chômage viendront sous leurs fenêtres menacer leurs privilèges.

On voit comme les puissants concourent en chœur à notre bonheur futur. Il serait peut-être temps de faire quelque chose pour les remercier.



mercredi 23 janvier 2013

Histoire sans paroles (4)

Briare, décembre 2012


« Perronnet, de Nancy, l'a échappé belle. Il rentrait. Sautant par la fenêtre, son père, Arsène, vint s'abîmer à ses pieds. »
Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes, 735ème sur 1210.


mercredi 16 janvier 2013

Le véritable peintre de Lascaux


La scène du Puits (Lascaux version 3.2). Elle a fait l'objet de centaines d'interprétations très autorisées, qui en disent certainement plus sur les fantasmes des commentateurs que sur les intentions du peintre.


Ne rêve pas, lecteur crédule, à la vue de ce titre racoleur. Car Ce Glob est Plat, malgré des moyens d'investigation modernes et un évident désir de savoir, n'a pas découvert l'identité du créateur des peintures qui tapissent les parois de la grotte de Lascaux, à Montignac en Dordogne. Mort depuis au moins 17 000 ans, les archives municipales font défaut.
Mais Ce Glob est Plat révèlera un secret plus grand encore, sciemment enseveli par les exploitants régionaux actuels, le nom du véritable inventeur de Lascaux 3. Pas le Lascaux zéro (1), celui que les bactéries lessivent imperturbablement, mais le Lascaux quasiment éternel, celui qu'on pourra cloner à l'infini, et dont voici l'histoire.

Le visiteur de « Lascaux l'exposition internationale » qui se tenait à Bordeaux fin 2012 sur les quais de la Garonne aura été surpris d'apprendre, de la bouche d'un guide arrogant, qu'il se tenait alors dans Lascaux 3, fruit d'une technologie ultramoderne et jamais exposé au public. Surpris parce que ce visiteur avait pu admirer les mêmes panneaux mobiles de la Nef et du Puits, aussi finement réalisés, sous le nom de Lascaux 3 également, quatre ans auparavant dans l'exposition « Lascaux révélé », à Montignac. Il y aurait plusieurs Lascaux 3 ?

L'histoire commence en 1981 quand Renaud Sanson, machiniste et décorateur de théâtre collabore à la finalisation de la première reproduction officielle et partielle de la grotte, Lascaux 2. Avec le support bienveillant de Jacques Marsal, un des découvreurs de Lascaux en 1940, il décide de réaliser une copie de la caverne.
De tribulations en péripéties et grâce à quelques commandes, il crée un atelier de reproduction (ZK productions, Atelier du facsimilé pariétal), forme une équipe et perfectionne une technique unique de facsimilés en voiles de pierre (relevés au laser 3D, modelage de coques, projection stéréophotographique).

Vingt ans après, Sanson a convaincu. En 2003, Le Conseil général de la Dordogne lui commande Lascaux 3, copie itinérante des panneaux de la Nef (la Vache noire, les Cerfs nageant, les Bisons croisés) et du Puits (l'homme-oiseau et le bison blessés).
En mai 2005, l'Atelier du facsimilé pariétal est ouvert au public accompagné d'un grand bruit médiatique ; le badaud peut y suivre en détails les étapes du copiage. Dans la presse on promet Lascaux 3 à Paris avant fin 2007, puis à Tokyo.
Mais Sanson est un passionné, un méticuleux, peut-être pas un gestionnaire. ZK productions ne respecte pas ses engagements. Le Conseil général s'impatiente. La liquidation judiciaire est prononcée le 5 juin 2008.
Société d'économie mixte du Conseil général, la Semitour rachète l'atelier qui devient Atelier des facsimilés du Périgord (AFSP).
En juillet 2008, sous le nom de « Lascaux révélé » (ou Lascaux 3) une exposition semblable à celle de 2005, mais plus étoffée et mise en scène avec des films projetés sur les parois moulées, est inaugurée dans l’atelier de Montignac. Sanson en est encore le concepteur, l'orchestrateur et le porte-parole. C'est un succès.

Mais dès février 2009, remplacé par le directeur de la Semitour, Sanson ne dirige plus. L'atelier doit être libéré pour produire à la chaine du Lascaux 3, itinérant et international, du Lascaux rentable. L'exposition est démantelée pour être installée au musée du Thot à Thonac près de Montignac où croupissaient déjà des copies de l'époque de Lascaux 2. Cinq mois plus tard y est lancé « Toute la grotte de Lascaux », billet groupé pour visiter Lascaux 2 et 3, qui aura peu de succès.

Et le Conseil général se commande (à lui-même) un nouveau Lascaux 3 (disons Lascaux 3.2). pour cela l'AFSP utilisera désormais les données de la base documentaire constituée par Sanson, les moules des parois faits sous sa direction et les artisans qu'il a instruits, mais on ne le verra plus jamais. On fait parler à sa place un plasticien insipide et ennuyeux, disciple ingrat qui ne le citera jamais. Les vainqueurs commencent à réécrire l'Histoire. Renaud Sanson n'a pas existé.

Puis il sera licencié en mars 2010. La suite, sans fin, sera judiciaire.

Lascaux l'exposition internationale (ou Lascaux 3.2) ouvrira en octobre 2012. On y trouvera, en plus pédagogique, le contenu de l'exposition de 2008 et des guides prétentieux qui embrouillent à plaisir le touriste naïf en prétendant qu'il n'y a pas d'autre Lascaux 3. On raconte pourtant qu'il y aurait même une troisième copie de la vache noire, une vache 3.3, promise par contrat à un musée espagnol, et que la Justice recherche encore mais que personne n'a retrouvée jusqu'à présent.
Lascaux 3.2 passera six mois en 2013 au Field museum de Chicago, et à Montréal en 2014...

Et si Lascaux 4, le Centre d'art pariétal de Montignac, parvient jamais à voir le jour, il ne sera, comme le Lascaux du parc du Thot, qu'un assemblage de morceaux des versions du Lascaux de Sanson (2).

Dans un film de 53 minutes (3) déposé anonymement sur Internet en hommage à Renaud Sanson, le même plasticien usurpateur et inexpressif, ancien élève, affirme (à 43'50") que Lascaux a été peint par des êtres supérieurs qui accomplissaient sans savoir qu'ils accomplissaient (sic) ! Il veut peut-être parler de Renaud Sanson et de Lascaux 3.
Hâtez-vous de le regarder, car les vainqueurs officiels le feront bientôt disparaitre d'Internet sous prétexte du droit d'auteur (ils essaient actuellement d'obtenir de l'État tous les droits sur les œuvres pariétales de Cro-magnon et sa famille !).
Et vous pourrez alors raconter à vos petits-enfants la véritable histoire du peintre de Lascaux 3. 

Mise à jour du 8.09.2020 : Les études archéologiques datent aujourd'hui les peintures de 21 000 à 21 500 ans avant le présent.
 
***
(1) Le lecteur déjà égaré par les numéros de version de Lascaux aura avantage à réviser ce récapitulatif de 2010. 
(2) Le Conseil scientifique de la grotte de Lascaux vient d'autoriser Lascaux 4 à refaire des relevés 3D et photographiques de la grotte (9ème réunion de juin 2012). Les données de Sanson étaient peut-être incomplètes.
(3) Lascaux 3 l'exposition internationale la genèse.

jeudi 10 janvier 2013

La vie des cimetières (47)


Dès que l'Homo Sapiens a commencé à « savoir », il s'est mis à décorer tout ce qui bougeait, et tout ce qui restait immobile. Et les coquillages furent parmi les premiers objets utilisés comme parure ou comme décoration.

À Malaga, en Andalousie, tout près de la mer, le visiteur du cimetière anglican de la paroisse de Saint George découvre en se promenant parmi les mille tombes un petit enclos solennel ceint de hauts murs, cimetière dans le cimetière, peuplé de cinquante sarcophages de briques rouges, pour la plupart anonymes. C'est le premier cimetière protestant fondé en 1831.

Chaque cercueil est surmonté d'une forme oblongue de pierres ou de ciment, tapissée de coquilles de coques géantes (1), laissant l'impression étrange que les corps des défunts ont été posés directement sur les sarcophages et abandonnés là.
Le temps et les grandes marées, ou quelque mystérieux rituel, les ont alors recouverts de centaines d'énormes mollusques qui les ont lentement momifiés.

(1) Cardium ou Cerastoderma, Bucarde, Coque des genêts, Hénon, Rigadelle, Fausse Praire, Ameijoa, Clica, Perdigone, Croque, et ainsi de suite...

dimanche 30 décembre 2012

De la nature (billet d'humeur)

Tandis que, partout sur la planète, les habitants se remettent contrariés de ces fêtes annuelles de l'enfance et du commerce qui débutèrent par une fin du monde décevante, le sage profite de ce sursis, s'arrête sur une aire d'autoroute, commande une saucisse avec des frites, se tourne vers l'horizon et contemple le flux inexorable du cosmos.
Et le spectacle qu'il découvre n'est pas rassurant, car, disons-le sans détour au mépris d'avoir à subir un jour ses représailles, la nature pratique une véritable gabegie.

Il y a en premier lieu cette débauche d'énergie. Le soleil émet parait-il 400 mille milliards de milliards de kilowatts par seconde dont la Terre récupère tout de même un demi-milliardième. Et il y a des milliards de milliards de soleils.
Et des sous-commissions parfaitement officielles de ministères importants demandent au bourgeois moyen de baisser son chauffage domestique d'un degré centigrade et d'éteindre la lumières des toilettes après usage. Mais de qui se moque-t-on ?
Est-ce la faute du citoyen honnête si toute ces fusions nucléaires, ces forces physicochimiques dépensées depuis des millions de millénaires se soldent par un résultat dérisoire, quelques animalcules qui se disputent les dernières miettes d'une planète moribonde ?

Et le gaspillage de place, cet espace inutile, mal desservi et ruineux en transports, entre les planètes, les étoiles, les galaxies. Tout ce vide est indécent à qui connait le prix du mètre carré immobilier, notamment en région parisienne.
Et puis l'eau, ces océans d'eau qui envahissent les mers, les lacs, les fleuves, jusqu'au ciel. Sans parler de toutes les espèces d'animaux contrefaits comme le poisson blob, le chat sphynx, le Yorkshire, pauvres rebuts des expériences inavouables de la nature.

Enfin il y a tout ce temps perdu, ces redites, extinctions et recommencements. Trois ou quatre milliards d'années d'impasses et de ratés pour voir la bactérie originelle se transmuer en un mollusque qui contemple sa télévision. Que de temps aurait-on épargné si le projet avait été confié à quelqu'un de moins dépensier, de moins brouillon, avec un calendrier et un cahier des charges détaillés.

Mais la nature, c'est vraiment n'importe quoi !
La prochaine fois, n'oubliez pas de voter contre.

On constatera sans doute sur cette illustration que la nature ne sait pas clairement où elle va.


vendredi 21 décembre 2012

La petite apocalypse

Aujourd'hui 21 décembre 2012, le soleil marquera le solstice d'hiver à 12h11'37", heure de Paris, et, comme tous les autres jours de l'année, 140 à 150 000 êtres humains vivront leur propre fin du Monde.

Mais les textes sacrés affirment qu'ils reviendront un jour, comme cette armée de zombis hallucinés découverte dans les sables d'une plage des Hébrides, au nord de l'Écosse en 1831. Près d'une centaine de pièces de jeux d'échecs enfouies depuis sept siècles et maintenant exposées sur des supports de plexiglas au British Museum de Londres et au musée national d'Écosse à Édimbourg.

Réjouissons-nous !


Lewis Chessmen (© The Trustees of the British Museum)


dimanche 16 décembre 2012

Nuages (30)

Castello Aragonese à Ischia Ponte, Italie

Monsieur Chalon, qui fréquente assidument aréopages et académies de météorologie, et qui s'y connait absolument en nuages, en a pesé certains. Et il ne fait pas que les peser, il les scrute et explique leur comportement social et atmosphérique dans un livre édité en 2002 et toujours disponible « Combien pèse un nuage (ou pourquoi les nuages ne tombent pas) ? EDP Sciences ».

Il soutient qu'un cumulonimbus d'un beau gabarit pèse plusieurs centaines de millions de tonnes, soit plusieurs dizaines de milliers de tours Eiffel, ou quelques dizaines de millions d'autobus adultes. C'est parce que leur volume est immense, ajoute-t-il.
Et tout cela au-dessus de nos têtes, dans un paysage idéal...

mardi 4 décembre 2012

Le fétiche

Le 18 avril 1955 à l'hôpital de Princeton (New Jersey), le docteur Thomas Stoltz Harvey autopsie Albert Einstein. Il pèse soigneusement le cerveau qu'il a extrait sans l'autorisation de l’intéressé, le photographie avec précision en noir et blanc puis le range en gros morceaux dans des bocaux à cornichons. Il referme discrètement tout ce qu'il a ouvert et s'offre une petite distraction en prélevant également les yeux qu'il confiera à l'oculiste du défunt.

Après quelque temps, Harvey obtient l'autorisation du fils d'Einstein et peut conserver le viscère paternel à condition de publier une étude scientifique sérieuse sur l'objet.
En 1960, il n'a toujours rien publié et refuse de restituer l'organe. Il est alors licencié de l'hôpital et commence une vie d'errance à travers l'Amérique, avec ses bocaux de formol.

À Philadelphie (Pennsylvanie) Harvey fait découper le cerveau en 240 portions (170 selon certaines sources) de 10 centimètres cubes qui sont numérotées selon l'atlas de Von Economo, et qu'il distribuera épisodiquement, parcimonieusement, gratuitement et en tranches fines, à quelques spécialistes jusqu'en 1996. Harvey pensera toujours être ainsi détenteur de la clef d'une découverte scientifique majeure.

Puis il est quasiment oublié pendant 35 ans.

Au printemps 1994, Kenji Sugimoto, professeur d'histoire des sciences à Nara, au Japon, et obsédé par le cerveau d'Einstein, est filmé par le documentariste Kevin Hull dans une odyssée à travers les États-Unis, en quête du docteur Harvey et de son trésor. Il le déniche inespérément à Lawrence, au Kansas, où il est alors employé sur une chaine de fabrication de pièces de plastique, après avoir perdu le droit d'exercer la médecine en 1988.
Le film est envoutant comme un reportage de Werner Herzog ou un épisode du magazine Strip-tease. Il y a sur Internet une version originale anglaise sous-titrée en suédois et de mauvaise qualité.
Vers la fin du film, Harvey prend un morceau flottant dans le plus petit de trois bocaux qu'il vient d'apporter, et en découpe une tranche comme on le ferait d'un saucisson à l'ail. Sugimoto comblé et rayonnant l'emporte au Japon « Je suis né à Nagasaki deux ans après la bombe. On dit Einstein responsable de la bombe, mais je ne lui reproche pas. J'aime toujours Albert Einstein. »

En 1997, Michael Paterniti, journaliste, réalisera un reportage sur l'homme qui a volé le cerveau d'Einstein (son livre paraitra sous le titre « Driving Mister Albert »). En Buick, il conduira Harvey (et un récipient Tupperware) de Princeton à Berkeley (Californie), pour apporter les restes sacrés à la petite-fille d'Einstein. Elle les refusera. Ils seront alors remis au remplaçant d'Harvey à l'hôpital de Princeton.

Thomas Stoltz Harvey mourra le 5 avril 2007, à 95 ans.
On trouvera ici en français, et là en anglais deux récits plus détaillés des mésaventures du cerveau d'Einstein.


Nul besoin d'être neurochirurgien pour reconnaitre la perfection de l'architecture du cerveau d'Einstein photographié ici le 18 avril 1955. On notera la ressemblance avec le chou-fleur Romanesco, ce qui ne surprendra personne. 
En surimpression, un des derniers quartiers restant du découpage de l'auguste organe par le docteur Harvey. On peut y lire probablement les traces des dernières préoccupations du savant.


En fin de compte, le cerveau d'Einstein était-il particulier ? Quelques découvertes ont été faites, prétendent certains ; un lobe pariétal gauche un peu surdéveloppé, des cellules gliales hors norme par endroits, une absence de démarcation entre deux zones fonctionnelles habituellement séparées... On se disputera longtemps encore sur le sujet.
Le cerveau de l'écrivain Tourgueniev pesait 2000 grammes, celui d'Anatole France 1500 et celui d’Einstein 1250. C'est peu. Mais sa particularité aura été, au moins, d'avoir dirigé la vie d'un des plus importants savants de l'histoire de l'Humanité.
Et l'Humanité vénère ses savants et leur rend dignement hommage. Ainsi, une application destinée aux tablettes numériques intitulée « Atlas du cerveau d'Einstein » propose pour 8,99 euros d'admirer comme dans un kaléidoscope 348 fines tranches du célèbre encéphale. Le tout, proprement ordonné et assisté d'un puissant zoom, prête à la chose un aspect éminemment scientifique.

C'est peut-être là la découverte que Thomas Harvey aura cherchée toute sa vie, en vain. Réussir à exploiter, même après qu'il a cessé de fonctionner, le cerveau d'un savant de renommée mondiale.


mardi 27 novembre 2012

Peut-on vivre sans cerveau ?

Délicate question médicale. Le très savant Albert Einstein l'affirmait. D'après lui l'Homme est capable d'exécuter sans cerveau quelques fonctions de base, comme marcher en rangs et au pas cadencé au son d'une musique militaire, avec comme seule ressource sa moelle épinière. Il faut reconnaitre que la médecine n'était pas sa spécialité, mais il a tout de même mis au point les fondements théoriques de la bombe atomique et de plein d'autres petites choses utiles.

Par ailleurs on a bien découvert des braves gens qui vivaient normalement et apparemment sans cerveau, comme en 2007 ce fonctionnaire dont l'organe était tartiné en une fine couche sur la paroi interne de sa boite crânienne presque vide.

Ces histoires sont palpitantes. C'est pourquoi il faut écouter Denis Le Bihan, directeur de NeuroSpin CEA Saclay, qui a inventé des procédés révolutionnaires d'observation des fonctions du cerveau (résonance magnétique à très haut champ).
C'est un peu le docteur Mabuse et son hypnose télépathique. Mais Le Bihan, lui, ne songe pas à détruire l'humanité. Il devise modestement sur l'exploration de la conscience humaine, dans une récente émission médicale de la radio France Culture, comme dans une salon de thé.

Il y parle de la découverte de la localisation matérielle de la parole dans le cerveau par Paul Broca, en 1861. Et on frémit un peu quand il dit avoir vu l'excitation des molécules dans les zones du plaisir, ou constaté une plus grande densité de matière blanche chez les musiciens à la mesure des quantités d'heures de pratique.
On tremble aussi lorsqu'il précise qu'une électrode posée sur le cerveau et déplacée par erreur d'à peine deux millimètres peut entrainer le patient dans une insoutenable envie de suicide, ou quand il affirme avoir reconnu la traduction de formes simples et de lettres de l'alphabet dans l'observation directe du cortex visuel primaire. Le rêve du docteur Mabuse.

Par bonheur, quelques anecdotes récréatives ponctuent ce pataugeage dans la conscience, comme lorsqu'il évoque, succinctement, la destinée rocambolesque du cerveau d'Albert Einstein en personne. Mais cette histoire méritait d'être un peu plus détaillée. Elle le sera dans la prochaine chronique de Ce Glob est Plat.
Cette admirable sculpture antique démontre que la beauté peut aisément se passer de cervelle.
Buste d'Aphrodite, époque d'Hadrien, copie d'un original grec du 4ème siècle avant notre ère, découvert dans l'amphithéâtre antique de Capoue où il décorait le porche d'accès aux gradins supérieurs (Naples, musée national d'archéologie, inv.6019).

samedi 17 novembre 2012

Edward Hopper ou l'ennui

Edward Hopper, The lonely house (gravure 1922)


« L'ennui opère des prodiges : il convertit la vacuité en substance. » 
Cioran, Syllogismes de l'amertume

On pensait jusqu'à présent que le public ne se déplaçait en nombre que pour les évènements optimistes, ceux qui exaltent l'harmonie de la nature, la grandeur de l'Homme et de ses réalisations, d'où le triomphe des expositions autour des peintres impressionnistes ou des joyaux des pharaons.
Il faudra admettre, à la vue des files interminables (jusqu'à 5 heures d'attente) qui piétinent à la porte de la rétrospective consacrée au peintre Edward Hopper au Grand Palais de Paris, que la règle n'est pas aussi élémentaire.

Car Hopper n'était pas un peintre particulièrement jovial. Il décrivait sur de grandes toiles aux couleurs à la fois fades et acides, une réalité américaine généralement urbaine dont il négligeait les objets inutiles pour ne conserver que les plus emblématiques. Et au milieu de ces décors dépouillés à en devenir géométriques, il déposait quelques personnages qui ne font rien, rien qu'attendre l'instant suivant, qui sera identique au précédent.
Hopper est un peintre de l'ennui. Pas l'ennui métaphysique, pas un ennui existentiel noble et mélancolique, mais un mal-être vague et insipide devant la banalité de la vie quotidienne.

Tout cela n'est pas vraiment vendeur. C'est pourquoi la campagne promotionnelle du commissaire de l'exposition, pour qui le mot « réalisme » doit faire un peu minable, lui a joint l'adjectif « paradoxal ». Il faut toujours fabriquer du mystère, le réel ne suffit pas.
Et il ne s'arrête pas au réalisme paradoxal, mais évoque, dans l'ombre du peintre, des écoles prestigieuses en « -isme », surréalisme, cubisme, symbolisme, romantisme... Et pourquoi pas cyclotourisme ?

Finalement l'engouement vient peut-être simplement du fait qu'Edward Hopper est un peintre inconnu, mais dont on a vu mille fois les œuvres reproduites jusqu'à la nausée sur la couverture des romans policiers dans les gares.
Alors comme l'internet est avare en bonnes reproductions, il est conseillé de réserver une place à la première heure de l'exposition (pour ne pas être confronté au douloureux réel qu'est la profusion des autres visiteurs) et de constater par soi-même que ses tableaux n'ont besoin que d'être là. Leur présence est celle de la réalité. Et la réalité est amère, frivole, incohérente. C'est Alexandre Vialatte qui l'a dit.

samedi 10 novembre 2012

L'exception

Un témoin inconscient ayant bravé l'absence d'intérêt de l'exposition Bohèmes au Grand Palais de Paris en rapporte une information incroyable. La plupart des œuvres exposées peuvent être photographiées par le quidam. Le phénomène est rarissime.
Ultime raffinement, les œuvres qu'il est interdit de photographier car soumises à droits d'auteur (1) sont flanquées d'un petit pictogramme noir en bas de la notice qui les accompagne. Il figure un appareil photo barré.

Ainsi, peut-être une des premières fois en France, ce que réclament les défenseurs du domaine public est respecté par un établissement public. Même si ce n'est qu'une éphémère étincelle d'intégrité, et si on ne mesure pas totalement le niveau d'une civilisation à ce genre de détail, le fait mérite d'être cité.

Bien sûr, la mise en place d'un dispositif aussi complexe (ne pas interdire de photographier) est nécessairement chaotique et des erreurs sont commises. Car pour simplifier le casse-tête et éviter de se renseigner sur les droits des tableaux prêtés par des villes étrangères, le musée semble les avoir tous interdits, par défaut.
Ce qui aboutit à des situations déraisonnables ; ainsi le célèbre tableau de Georges De La Tour « La diseuse de bonne aventure » ne peut pas être photographié aujourd'hui à Paris alors qu'il peut être mitraillé sans retenue à New York, au Metropolitan Museum qui l'héberge habituellement. C'est stupide.

(1) On ne rappellera pas ici l'illégalité et l'abus de pouvoir que constitue l'interdiction de photographier même des œuvres encore soumises à des droits d'auteur (c'est la reproduction hors d'un cadre privé qui est interdite par la loi), on en a longuement parlé ici et


Georges De La Tour, La diseuse de bonne aventure, vers 1630
Détail photographié à l'exposition Bohèmes au Grand Palais
au Metropolitan Museum de New York (© 2011 JFP)


dimanche 4 novembre 2012

La vie des cimetières (46)



« La fin est dans le commencement et cependant on continue. »
Samuel Beckett, Fin de partie, 1957

 
Tombe de Samuel Beckett au cimetière du Montparnasse à Paris.
 

dimanche 28 octobre 2012

Un bozoglyphe en Bavière

Vue aérienne du château d'Herrenchiemsee (© Google Maps)

Les tracés de contours d'animaux stylisés qui sillonnent le plateau de Nazca au Pérou (géoglyphes) ou les figures géométriques circulaires imprimées dans les champs d'Angleterre (agroglyphes) sont bien connus des amateurs d'affabulation qui les prétendent réalisés par des extraterrestres, du haut de leurs soucoupes volantes équipées des technologies les plus perfectionnées, stylos à bille 4 couleurs, taille-crayons à réservoir...

Mais d'incroyables révélations faites dans ce blog même en décembre 2007 prouvèrent brillamment que des figures illisibles vues du sol pouvaient être réalisés à l'aveugle par des humains entreprenants et motivés par une vénération irrationnelle (bozoglyphes).
Et cette démonstration, dans le parc du château de Versailles, aurait dû immédiatement évoquer Louis 2 de Bavière à tout amateur de majestés et de têtes couronnées.

Car ce malheureux monarque d'opérette admirait tant Louis 14 qu'il fit construire une copie améliorée du palais du Roi-Soleil, sur une ile du grand lac bavarois de Chiem, le château d'Herrenchiemsee. Tout devait y être plus grandiose qu'à Versailles. La galerie des glaces y dépasse l'originale, mais il est resté inachevé. Louis 2 n'y vécut que quelques jours de 1886 (le 12 juin, déchu, il était déplacé et interné au château de Berg, cent kilomètres à l'ouest, près de Munich).

Et la contrefaçon s'étend au dessin des jardins. Le parterre face au château est l'imitation exacte de celui de Versailles, à une nuance près. Si le visage original présente le faciès prospère et réjoui de l'autocrate belliciste qui saignait le peuple, sans complexe, pour assouvir ses plaisirs, le portrait d'Herrenchiemsee, quant à lui, a l'expression mélancolique, l'œil vide et le rictus douloureux.
On y lit la destinée funeste de ce roi neurasthénique découvert gisant dans les eaux glacées du lac de Starnberg, le 13 juin 1886.


Parterre du château d'Herrenchiemsee (© Google Maps)

dimanche 21 octobre 2012

Sur la taxe G...

Son modèle économique fuyant de partout, une part influente de la presse française tente depuis quelques mois, auprès des élus et avec l'appui d'une ministre, de faire voter une loi qui lui procurerait encore quelques ressources sans efforts.
L'idée est de créer un droit aux liens, un droit voisin sur l'indexation des contenus qui serait payé par les agrégateurs de liens sur internet.

Le schéma en clair serait le suivant : les sites d'information recopient (le plus souvent telles quelles) les dépêches de l'AFP sur leur jolies pages bourrées de publicité, puis les vilains moteurs de recherche indexent ces informations dans leurs bases de données secrètes gorgées d'or et de diamants, afin que les internautes les retrouvent facilement sur les sites d'information, dans leur écrin de publicités. Alors les diaboliques moteurs de recherche devront payer un droit pour chaque lien créé vers ces pauvres sites anémiques.
Ce nouveau revenu, dans les couloirs des groupes de pression, est appelé la taxe Google. Étonnant non ?
Que le lecteur distrait ne confonde pas ce droit destiné à créer une sorte de rente pour un nouveau type d'ayant-droit, avec un effort, défendable, pour réguler des abus de position dominante ou une évasion fiscale trop voyante de Google. Ce n'est pas une taxe mais une rémunération destinée à s'approprier une part de ses résultats amoraux.

En résumé, la presse numérique qui vit grâce aux liens que créent les moteurs de recherche, est en train de scier, du côté du tronc, la branche sur laquelle elle est installée. Ubu n'aurait pas mieux fait. Évidemment Google vient d'annoncer qu'elle effacera alors tous les liens de son moteur vers la presse française.
Et les maitres chanteurs de hurler au chantage.

Ne vous étonnez donc pas si demain vos recherches d'actualités sur internet ne vous mènent plus sur les sites français spécialisés. Le Gouvernement de la France aura actionné la scie. À défaut de cervelle on a sa fierté tout de même !

Lire sur le site du Nouvel Observateur la synthèse vue de l'intérieur de Christophe Carron de Voici (avec un lien indirect vers la proposition de loi).




















La Presse hébétée s'agrippe à la branche qu'elle vient de scier (allégorie prémonitoire).


dimanche 14 octobre 2012

La nature est joueuse

Ploumanac'h en Bretagne, au pied du phare de Mean Ruz.

mercredi 10 octobre 2012

Vous êtes ici (à vue de nez)

Pomme est une petite entreprise qui imagine des téléphones avec un environnement logiciel complet, et les métamorphose en ordinateurs de poche. Pomme s’efforce d'empêcher que les vilains concurrents viennent mettre des choses pas propres dans son écosystème, c'est à dire des logiciels qui ne lui rapporteraient rien, car il faut bien vivre aussi.
Et Pomme a besoin d'informations pour nourrir son système, notamment cartographiques. Comme elle n'est pas omnisciente, elle s'est naturellement adressée à la déesse Gougueule, qui voit tout, sait tout et stocke l'ensemble dans des millions de machines éparpillées.
Ainsi au prix de lourdes offrandes, Pomme a été autorisée à puiser dans l'immense savoir de la déesse et peut offrir d'inestimables services à tout utilisateur de son téléphone ; lui confirmer qu'il se trouve bien physiquement où il pensait être, lui préciser éventuellement qu'il a devant lui un large fleuve ou une autoroute infranchissable, lui indiquer la direction de la pharmacie la plus proche (si elle a cotisé). Bref son extrême précision est devenue indispensable à l'être humain contemporain.

Hélas Pomme, qui a toujours eu l'âme narcissique, aimerait être adulée comme l'est la déesse Gougueule. Aussi a-t-elle décidé de renier son panthéon et de créer sa propre cartographie. Elle pensait substituer quelques astucieux algorithmes à dix laborieuses années de collecte minutieuse. C'est dire son exaltation mégalomaniaque.
Le plus sidéré fut certainement le client qui découvrait soudain la ville qu'il habitait encore la veille remplacée par une surface verte immaculée sans la moindre rue répertoriée, ou apprenait que le centre commercial situé hier à trois kilomètres se trouvait aujourd'hui aux pieds de chez lui, dans son propre jardin.
Depuis, tout l'internet n'est plus que plaisanteries et persiflage à l'endroit de celle qui a voulu se mesurer à la déesse Gougueule et s'est lamentablement vautrée.

Face à la dérision des utilisateurs, la réponse de Pomme fut d'abord de conseiller « Plus vous utiliserez notre cartographie et signalerez les erreurs, plus elle deviendra précise ». En d'autres termes, plus vous vous perdrez dans des agglomérations inconnues, plus vous arriverez en retard à vos rendez-vous, plus vous vous engagerez sur des routes à contresens, et plus l'action en bourse de Pomme sera florissante.
C'est la grosse blague de la cartographie participative, la cartographie de la majorité, où on doit faire confiance au voisin plutôt qu'à un professionnel (rappelons que 56% des téléspectateurs de la première chaine de télévision française pensent encore que le Soleil tourne autour de la Terre, alors imaginez une géographie majoritaire à deux tours...)
Et croyez-vous qu'en réaction à cette arrogance de Pomme le client frustré aura répondu « Gardez votre tartographie pour Disneyland, moi je retourne chez Gougueule, je n'engraisserai pas vos actionnaires avec mes informations. Je change de téléphone et on se retrouvera dans dix ans peut-être » ?
Les ventes, d'après Pomme, ne semblent pas affectées. Alors son président a humblement suggéré « En attendant l'amélioration de notre déjà merveilleuse cartographie, nous vous engageons à utiliser d'autres logiciels, comme celui de Gougueule, même s'il n'est pas intégré à notre environnement magique ».

Il est douteux que Pomme parvienne un jour à combler le retard (la concurrence s'y ingéniera). Et le client ravi aura longtemps encore entre les mains, sans en avoir toujours conscience, un outil de cartographie insuffisant et incertain.

Mise à jour du 30.10.2012 : Pomme annonce aujourd'hui d'importants remaniements dans sa Direction, notamment l'éjection du responsable du système d'exploitation du téléphone, sans cacher que la cause majeure de ce départ est l'échec de la nouvelle cartographie.
Mise à jour du 28.11.2012 : Aujourd'hui Pomme se sépare du responsable direct de l'application de cartographie.
Mise à jour du 12.12.2012 : La police australienne déconseille officiellement l'utilisation de la cartographie de Pomme et la qualifie de potentiellement mortelle. Elle situerait une ville à 70 km de son emplacement réel, et en plein milieu d'une zone dangereuse sans point d'eau ni réception téléphonique.


Quelques mètres plus à gauche et on assistait à un lamentable fait divers. Ce qui prouve l'importance de l'exactitude en matière de cartographie. (Bretagne, pointe de Pen hir)


dimanche 30 septembre 2012

La vie des cimetières (45)

Un jour, dans l'interminable odyssée de l'espèce humaine, les liens sociaux et affectifs s'étant peu à peu renforcés, quelqu'un refusa qu'un parent fraichement mort soit abandonné aux animaux nécrophages ou dégusté par le groupe. Après de longues palabres on l'autorisa à enterrer le corps. C'étaient les débuts du fétichisme et de la pensée magique. Bientôt se répandrait dans l'espèce humaine la réconfortante croyance en deux mondes distincts séparant la matière et l'esprit.

C'était il y a cinq-cent-mille ans, ou plus. Puis les pratiques funéraires se diversifièrent.
On enterra le mort avec des objets quotidiens, parfois avec quelques proches encore bien vivants, souvent dans le sol même de la maison, quelquefois dans une distante nécropole. Puis on lui construisit un abri de six planches, un tombeau de pierre, des monuments, des dolmens, des pyramides. Les dimensions du mausolée augmentaient avec l'importance du mort ou les ambitions de la famille. Certains peuples incinéraient le mort, ou le découpaient en morceaux digestes et l'exposaient à l'appétit des vautours.
Toutes ces méthodes perdurent. Le sort réservé aux défunts, comme toute pratique sociale, s'adapte aux aspirations religieuses, idéologiques, hygiéniques et économiques des peuples.

Le gouvernement chinois (1) l'a bien compris qui, dès la république nationaliste en 1928, interdit la plupart des rituels, relayé vers 1950 par le gouvernement communiste qui instaure un système funéraire moderne, matérialiste, égalitaire et obligatoire : la cérémonie est organisée par l'État, dans un lieu public, une unique musique officielle est jouée systématiquement, les proches n'ont pas le droit d'organiser de réception, d'offrir des cadeaux, de s'habiller en deuil, de pleurer. La crémation est immédiate et parfois collective pour mettre fin au culte des morts. Parallèlement sont lancées des campagnes de suppression des tombes pour libérer les terrains improductifs.
Et depuis 60 ans, la population chinoise s'ingénie à contourner ce système funéraire officiel, avec succès dans les campagnes. Le gouvernement relâche un peu la pression sur les points de croyance et de doctrine mais amplifie, par vagues, les actions de récupération des terrains rentables en généralisant exhumations et incinérations gratuites.
C'est un de ces fréquents épisodes qui émut récemment la presse internationale. Se sentant menacés parce que leurs quotas de crémation étaient faibles, les dirigeants municipaux de quelques villes du Henan (dont Zhoukou), ont relancé un peu fermement le programme officiel de suppression des cimetières.


Quand on exhume un corps, même dans le but louable de faire le bonheur du peuple, le mort vous regarde généralement d'une orbite désapprobatrice. (Gênes, cimetière Staglieno)


Aujourd'hui en Chine les cendres des trépassés, quand elles ne résultent pas d'une crémation collective, peuvent encore être récupérées par la famille, et quelquefois enterrées, à prix d'or, dans des cimetières administrés par les potentats locaux. Le mètre carré y est plus cher que celui des habitations dans la capitale.
Mais les théoriciens du Parti prévoient d'interdire un jour la conservation des cendres, prochaine grande étape vers la Lumière de la Vérité Ultime.
Sans défunts ni cimetières, la mort alors disparaitra, et cette chronique n'aura plus de raison d'être.

(1)  Les informations sur le système funéraire en Chine proviennent de cette étude de Fang et Goossaert en 2008 (également au format PDF)  

samedi 22 septembre 2012

Goya gratuit

Goya - détail d'une gravure des Caprices n.71
Si amanece, nos vamos (Museo Nacional del Prado)

Contrairement au musée de Monsieur Loyrette, qui est le plus grand de l'Univers et qui n'a donc pas l'utilité de diffuser une information de qualité (il lui suffit d'éparpiller des panneaux indiquant « Joconde »), les petits musées provinciaux que sont le Prado de Madrid, la National Gallery de Londres ou le Rijksmuseum d'Amsterdam ont depuis longtemps compris que la culture ne vivait que par le partage et la diffusion large et gratuite.
Ainsi leurs sites sur internet sont remarquables par la présentation et la reproduction de qualité de leurs collections.

Le musée du Prado vient de mettre en ligne le catalogue intégral des 140 œuvres de Goya qu'il conserve (la moitié des Goya connus se trouve au Prado). On peut y détailler les portraits, les peintures noires, les dessins, les recueils de gravures, et même les télécharger pour en tapisser son propre caveau.
Le tout est abondamment commenté, en espagnol seulement. Mais la traduction en ligne de l'espagnol vers le français par la déesse Gougueule est parfois un exercice oulipien rafraichissant.

jeudi 13 septembre 2012

Mais où diable était le peintre ?

Examinons une scène dont le point de vue d'origine est aisé à reconstituer, l'étonnant « Enterrement à Nemours », signé Boutet de Monvel, attribué à Bernard B. de Monvel, non daté mais probablement peint vers 1905-1910, à l'huile. Il est exposé au rez-de-chaussée du musée des beaux-arts de Brest, qui se régénère lentement après avoir été totalement détruit par les bombardements de 1945, et l'a acquis en 1975.


La scène se passe donc à Nemours, en plein centre ville, près du Loing.

Le peintre est installé au croisement de la place de la République et de la rue du Prieuré, au rez-de-chaussée, dans ce qui est maintenant une banque mais qui était peut-être alors un café (à droite sur la photo). Il voit par la fenêtre, à sa droite l'entrée de l'église Saint-Jean-Baptiste, où attend le corbillard.
Au fond, sur la rue de Paris, la pharmacie prospère toujours au même emplacement (à gauche). La sellerie et l'ironique Hôtel de la providence ont été remplacés par ces seuls commerces qui disposent maintenant du cœur des villes : une banque, une compagnie d'assurances et une société immobilière. Mais les façades, les fenêtres, jusqu'au portail en arcade et aux chiens-assis de la sellerie n'ont pas changé depuis un siècle.

Dans les années 1905-1910 Bernard Boutet de Monvel et son père Maurice, également peintre et unanimement renommé pour sa Jeanne d'Arc illustrée, étaient ensemble à Nemours.
En 1909 y est peint « Le pensionnat de Nemours », aujourd'hui au musée de Pau. On y voit une procession de jeunes filles en noir suivies d'une sœur en cornette. Le tableau est signé « B. de Monvel 1909 », et attribué à Bernard sur l'étiquette du musée comme dans la base de données nationale Joconde, mais il est attribué au père dans l'encyclopédie Wikipedia qui reprend en cela l'avis du biographe et expert des Boutet de Monvel, S.J. Addade.
Dans l'Enterrement à Nemours, on distingue également derrière le corbillard une procession de jeunes garçons au béret noir suivis d'une femme en cornette. Proche du style du Pensionnat dans sa singularité graphique, sans perspective ni profondeur comme dans une illustration médiévale, le tableau pourrait alors être du pinceau du père, Maurice.

Il n'est pas recensé dans la base Joconde. Toute information sera bienvenue.

mardi 4 septembre 2012

L'état des cieux

Un important sondage de l'institut Win Gallup (52 000 sondés dans 57 pays), cité par le Courrier International, affirmait récemment que le nombre de personnes qui croient qu'il existe un autre monde (qui sont religieuses) a chuté de 9% en 7 ans, passant de 68% à 59% de la population mondiale. À ce rythme, plus personne ne croirait aux alentours de l'an 2050. Ne rêvons pas. 
Le sondage confirme que la majorité des croyants se trouve dans les populations pauvres et peu éduquées (pour supporter une vie opprimée il faut bien se persuader qu'il y aura un jour une solution).

Et les Français seraient passés durant la même période de 14% d'athées déclarés à 29%. Une personne sur trois. De là à faire un lien avec l'état dans lequel sont laissées les 4 000 statues qui ornent les flancs de la cathédrale de Chartres, décapitées pour décorer musées et collections privées, abandonnées à la morsure des intempéries et de la vermine...





vendredi 31 août 2012

Améliorons les chefs-d'œuvre (3)

Décidément, le mot d'ordre libertaire de Ce Glob est Plat, « Améliorons les chefs-d'œuvre », a fait en quelques mois beaucoup d'émules. Pour preuve cette mésaventure qui fait actuellement scandale à Borja près de Saragosse, dans le nord de l'Espagne, et dans le monde entier.

Vous connaissez certainement l'histoire. Accoutumée aux petits travaux que nécessite régulièrement l'église du Sanctuaire de Notre-Dame de la Miséricorde dans les faubourgs de Borja, une très vieille femme dévote avait décidé de sauver le Christ d'une dégradation déjà bien avancée. C'était un portrait médiocre peint à la fresque par Elias Garcia Martinez, obscur décorateur et professeur à Saragosse, mort en 1934. La vieille dame avait déjà repeint la tunique pourpre du Christ en faisant au passage une grossière erreur de perspective, avec la bénédiction du prêtre de la paroisse.

Forte de cette approbation, elle s'est donc attaquée au visage qui se décomposait. Emportée par une indéfectible foi chrétienne et des limites techniques incontestables, elle transforma la mauvaise croute en un étrange pâté, dans le style d'un Georges Rouault ou Modigliani terminé au chiffon par Francis Bacon.
Plus de 20 000 internautes déjà ont néanmoins trouvé du charme à ce Christ zombi au point de signer une pétition pour sa préservation.


Soyons modestes, Ce Glob est Plat n'est pas l'inventeur de ce concept prometteur d'amélioration des chefs-d'œuvre du passé. L'archétype, le modèle indépassable, c'est le Spéléo-Club albigeois qui le 5 mars 1992, aidé d'un groupe d'Éclaireurs de France adolescents et filmé par la télévision régionale, effaçait soigneusement, à la lessive et la brosse dure, deux bisons maladroitement dessinés par un peintre inconnu il y a au moins 20 000 ans dans la grotte de Mayrière à Bruniquel.
C'était une méprise, l'intention était bonne, la grotte était aussi couverte de graffitis récents. Ils en obtinrent le prix igNobel d'archéologie en 1992.
Ironie, la peinture rupestre avait été découverte par le même club de spéléologie 40 ans plus tôt. Ce qui prouve bien qu'en matière d'art le progrès n'existe pas.

Mise à jour du 20.09.2012 : la suite devient lamentable, naturellement. La Fondation propriétaire de l'église prélève un euro par visiteur. La vieille dame va demander à la Justice sa part des milliers d'euros, en droits d'auteur. 

dimanche 26 août 2012

Schnackenberg, biographie

Walter Schnackenberg, affichiste, décorateur, graphiste

2 mai 1880, Bad Lauterberg, Basse-Saxe, Allemagne 
10 janvier 1961, Rosenheim, Haute-Bavière, Allemagne

La renommée tient à peu de choses. Walter Schnackenberg portait un nom qu'on ne peut écrire sans erreur, ni mémoriser aisément. Il était cependant, de 1910 à la montée du Nazisme, une personnalité connue dans le milieu culturel et mondain de Munich qui irradiait alors toute l'Europe artistique, après les Sécessions de 1892 et de 1900, naissances de l'Art Nouveau (Jugendstil) et de l'abstraction.

Il y a deux périodes dans l'art de Schnackenberg. Avant la 2ème guerre c'est un graphiste brillant, admirateur de Toulouse-Lautrec, qui déploie avec talent un style sinueux et décoratif. Affiches, costumes et décors de théâtre. Il dessine aussi parfois dans des publications comme la célébrissime revue satirique Simplicissimus, où il rencontre certainement George Grosz et Alfred Kubin, sans que leur forte personnalité sombre et sarcastique ne le détourne alors de ses dispositions à la frivolité. 

Après la guerre, Schnackenberg a 65 ans. La Belle Époque est loin. Un miteux aquarelliste autrichien qui s'est métamorphosé en despote bavarois puis en tyran sanguinaire a détruit l'Europe entière. Les dessins de Schnackenberg ne seront plus comme avant. Ses personnages aux lignes souples, dynamiques et équilibrées qui avaient peuplé les affiches et les boulevards se transforment en chimères molles et vaguement humaines, en spectres qui se tortillent dans des décors instables, sur de grandes feuilles peintes à l'encre et à l'aquarelle. On y sent, après tant d'années, l'empreinte irréelle et macabre d'Alfred Kubin

Mosaïque de dessins à la plume et l'aquarelle, faits par Walter Schnackenberg entre 1947 et 1961.

Un descendant de Schnackenberg a créé récemment un site dédié à sa mémoire, en allemand, mal organisé et pauvre en images.
On ne trouve de reproductions acceptables sur internet que dans le blog 50 Watts (anciennement A journey round my skull), alimenté par un fou de littérature, de livres et d'illustrations, fouilleur de brocantes et de sites spécialisés.

Parfois quelques originaux arrivent en salle des ventes, peut-être cinq ou six par an, essentiellement en Allemagne, un peu en Suisse ou à Londres, fréquemment invendus semble-t-il, malgré des estimations de prix relativement modestes (5000 euros en 2006 pour une extraordinaire aquarelle comme celles qui sont assemblées dans l'illustration).
Chacun sait que c'est la renommée de l'artiste, plus que la qualité objective de son œuvre, qui fait sa valeur marchande.
Et Schnackenberg est à peu près inconnu.


dimanche 19 août 2012

L'héritage baroque

Le Baroque est un style, un mouvement qui a traversé l'art italien et espagnol, en gros au 17ème siècle. On le retrouve un peu plus tard en Allemagne, puis irrégulièrement, toutes les périodes ont eu un courant ou des individualités baroques.
Le Baroque est une réaction aux rigueurs du Classicisme. À l'harmonie, la proportion, la symétrie, l'équilibre, il oppose déformations, imaginaire, spectaculaire, pathétisme. Il lui arrive de déraper vers la surenchère, le rococo, puis le kitsch, et quelquefois la nouille et le n'importe quoi.

À la grande époque de l'âge d'or espagnol, l'objectif était d'attirer le client par la magnificence des églises et de l'horrifier par le spectacle des souffrances de l'incroyant et du pécheur.
Les temps modernes, qui ont connu tant de troubles et de drames, ont également ressenti cet élan vital, cet irrépressible jaillissement des formes. On le retrouve dans les architectures démesurées d'Antonio Gaudi à Barcelone, et chez le marchand de glaces de la calle de Zacatin, à Grenade en Andalousie.



samedi 11 août 2012

Les valeurs orthopédiques

Axiome 1 : l'article L.141-5 du code du sport interdit (sauf autorisation expresse) d'utiliser l'adjectif dérivé du nom de la ville d'Olympie qui sert à désigner des jeux organisés tous les quatre ans. On le remplacera donc dans cette chronique par l'adjectif « orthopédique » qui en est relativement proche au moins sur le plan de la prononciation. Ceci nous évitera le paiement d'une lourde rémunération au Comité National ou International Orthopédique.

Axiome 2 : l'article L.141-5 du code du sport interdit d'utiliser, sans autorisation largement rétribuée, le symbole orthopédique constitué de 5 anneaux multicolores enchevêtrés, ou toute variation graphique qui l'évoquerait. Alors qu'il est censé être dans le domaine public depuis 2007 en France (puisque créé en 1913 par P. de Coubertin mort en 1937).

En temps normal, le Comité International Orthopédique est essentiellement occupé à régler ses problèmes internes de corruption et à désigner la prochaine ville qui aura la chance de s'endetter sur les 40 ans à venir en échange de l'hébergement éphémère des prochains Jeux Orthopédiques. Il surveille néanmoins le respect de son privilège, l'utilisation commerciale de cet inépuisable patrimoine constitué d'un drapeau et de trois mots du dictionnaire.

Mais lorsque l'échéance des Jeux Orthopédiques approche, quand l'Homme choisit de s'oublier dans l'admiration patriotique des dieux du stade et demande à la crise de repasser dans trois semaines, c'est l’explosion printanière, l'argent jaillit de mille sources et irrigue la planète, les médias bourgeonnent, c'est le grand cirque de l'amnésie, la gabegie universelle.

Dès lors comment gérer cette abondance publicitaire avec comme seuls moyens quelques petites routines d'administrateurs cooptés ? On en confie le gardiennage au pays organisateur des Jeux, qui peut le faire en usant de pouvoirs de police, ce qui est bien pratique. Par exemple cette année, à Londres, six immeubles privés ont été truffés de lance-missiles, et les habitants, des gens modestes, ont été prévenus peu avant les Jeux, qu'ils avaient la chance d'être choisis pour le système de défense des Jeux Orthopédiques.

Mais cette fois, pour partager les dépenses, le pays organisateur réputé défenseur des droits de l'individu et des libertés civiles, s'est en partie déchargé au profit du Comité Orthopédique en lui confiant, par une loi de 2006, l'Orthopedic Game Act, certains pouvoirs publics : police du langage (certaines associations de mots étant payantes), censure, dénonciation, procédures d'exception.
Le descriptif sur SILex, le blog de Calimaq, des contrôles effectués sur les lieux des Jeux par les escouades des agents du Comité Orthopédique chargés de contrôler et sanctionner le mépris des interdictions est édifiant : pas le droit d'ingurgiter d'autres frites et sodas que ceux des sponsors, d'utiliser sous toutes formes les symboles orthopédiques, de porter des tee-shirts vantant la concurrence, d'utiliser les mots interdits, de transmettre une image des jeux sur les réseaux sociaux...
Toutes ces privations de liberté au seul bénéfice d'entreprises commerciales influentes n'étonneront pas outre mesure l'habitué de Ce Glob est Plat. Elles ont le goût du déjà-vu. C'est la même cupidité qui interdit au visiteur d'un musée ou d'un site remarquable d'enregistrer un souvenir, même flou et mal cadré, de son passage.

Finalement l'idéal orthopédique de paix et d'égalité entre les êtres humains est atteint. Tout le monde porte le même tee-shirt, orné d'un unique symbole, et pour le reste, tout est payant.

Dans quelques jours, les lieux seront abandonnés au vent et à la pluie londonienne, les rats et les cafards grignoteront les derniers papiers gras, et le souvenir des Jeux ne sera plus entretenu dans le cœur des Londoniens que par la dette colossale qu'il faudra lentement rembourser et les édifices pharaoniques qu'il s'agira d'user de temps en temps.

Et subsistera l'article L.141-5. Comme les valeurs orthopédiques, il est éternel.