lundi 29 février 2016

Chronique désabusée du 29 février

Christophe, détail du procès du sapeur Camember, 1896 (Gallica-BNF).


Félix Fénéon le journaliste, Rossini l’inspirateur des grands cuisiniers, le peintre Balthus et le sapeur Camember ont un point en commun, c’est le jour où les fétichistes commémorent leur naissance (ou leur décès pour Fénéon), le jour julien inventé pour pallier les inexactitudes de la mécanique céleste, le jour qui n'existe qu'une fois tous les 4 ans à peu près, en bref c'est aujourd’hui, le 29 février.

Dans le cas du sapeur Camember la date est née de l’imagination de son créateur, Georges Colomb, auteur également du Savant Cosinus et de La Famille Fenouillard, qui signait ses bandes dessinées du pseudonyme désopilant de Christophe. Et s’il faut croire ces histoires illustrées, la nature ne prodigue de l’entendement qu’aux jours anniversaires car le naïf Camember en manquait cruellement plus que son entourage déjà mal loti.

Christophe eut l’heureuse idée de mourir, le 3 janvier 1945. Ainsi, 70 ans après, son œuvre immortelle est devenue libre de droits d’auteur, et on peut donc reproduire sans crainte depuis quelques jours ses calembours élégants et son humour un peu fané. Il était temps, on l’avait presque oublié.

La Bougie du sapeur, journal cocasse qui ne parait que le 29 février pour honorer le souvenir de Camember et se tenir à une salubre distance de l’actualité, est sortie cette année dès le samedi 27, pour des raisons de stratégie commerciale. On peut le comprendre, mais comment lui pardonner d’avoir fait disparaitre la formule d’abonnement centennal, qui comprenait 25 numéros sur un siècle et le distinguait tant de toutes les autres publications éphémères et illusoires ?

Pour finir cette chronique désabusée et quadriennale par une mauvaise nouvelle, signalons que cette année encore le 29 février n'amènera pas le fléchissement des inégalités sociales qui entachent tant la bonne humeur des populations.
En effet pour les salariés qui bénéficient du régime dit du « forfait jours », le plus souvent des cadres qui travaillent donc un nombre constant de jours par an, le jour supplémentaire de l’année est décompté comme un jour de repos et constitue un avantage social.
Pour les salariés rémunérés à l’heure, le jour bissextil est indifférent car ils sont payés en proportion du travail effectué.
Mais pour les salariés classiquement mensualisés, qui constituent la plupart des travailleurs, ce jour additionnel est un jour de labeur bénévole offert gracieusement aux chefs d’entreprise et au redressement de l’économie française.
On murmure à ce propos dans certains couloirs que le gouvernement profiterait de l'état d'urgence et de la générosité de l’article 49.3 pour ajouter désormais deux jours à chaque mois de février, et un jour aux quatre mois de 30 jours, afin de relever le pays définitivement.

Car l'esprit du sapeur Camember, comme celui de Ferdinand Lop et d'Alphonse Allais, planera longtemps encore sur notre monde, tant que l'on n'aura pas octroyé de pension à la femme du soldat inconnu, supprimé le wagon de queue du métro parisien, limité la vitesse de la lumière dans les agglomérations et ralenti subtilement la vitesse de rotation de la Terre pour qu'un jour solaire dure dorénavant 24 heures 3 minutes et 56 secondes, environ.
On dit qu'à l'allure où les marées freinent cette rotation aujourd'hui, et si l'eau subsiste à l'état liquide, ce rythme sera atteint dans 14 millions d'années. Alors la Bougie du sapeur n'aura plus qu'à se saborder.

Christophe, acte de naissance du sapeur Camember, 1896 (Gallica-BNF).

Christophe, On ne pense pas à tout, mésaventure extraite des Facéties du sapeur Camember, édition 1896 (Gallica-BNF).

samedi 20 février 2016

Le Mètre a pensé (l'orthographe)

Mais les générations prochaines
Qui n'mettront plus d'accent à chaines
Jugeront que leurs ainés
Les ont longtemps trainées
Pierre Perret 1992, La réforme de l'orthographe, dans l'album Bercy Madeleine
Je ne me mesle ny d’ortografe, et ordonne seulement qu’ils [les imprimeurs] suivent l’ancienne, ny de la punctuation. 
Montaigne, Essais Livre 3, chapitre 9, de la vanité (vers 1588)

Les réseaux sociaux, dont l’orthographe n’est pourtant pas le souci majeur, frétillent depuis deux semaines, scandalisés par la nouvelle d’une réforme arbitraire et soudaine de l’orthographe imposée par le gouvernement français.
La vérification de l’information ne semble pas non plus être de leurs soucis.

On attendait en revanche plus de circonspection de la part de celui qui est depuis quelques années l’autre philosophe le plus médiatisé, le libertaire, le subversif de la Contre-histoire de la philosophie qu’on écoutait en extase quand il nous contait en 2003 ou 2005 les mésaventures de Démocrite, de Lucrèce ou de Spinoza.
Mais Onfray a vendu tant de livres où il pense, que les médias l’ont couronné spécialiste en idées sur les choses du monde (il ne les a pas contredits) et l’invitent sans discernement dès qu’il est question de penser. Jusqu’à la radio France Culture qui comme pour dire l’oracle à Delphes a créé une émission qu’elle a intitulée « Le Monde selon Michel Onfray », avec une majuscule à Monde. Tous les samedis de 12h45 à 12h50, l’auditeur ingurgite les sentences du prophète avec des cuillérées de ragout.

Fatalement, le Maitre a été consulté le 6 février sur le sujet brulant de la « réforme de l’orthographe ». Mais, alors que les grandes philosophies murissent lentement, durant des siècles, de leur confrontation à la réalité, Onfray n’a eu que trois jours pour y penser. Dès lors il en parle sans réfléchir.

Avant de recevoir l’augure, et pour résumer succinctement l'affaire, personne n’est mieux placé que Michel Rocard alors Premier ministre et coordinateur de l’entreprise de simplification de l’orthographe (car ces rectifications que tous découvrent aujourd’hui datent en fait de 1990), simplification présidée et validée par l’Académie française et annexée à la 9ème édition du Dictionnaire en 1992, contrairement aux récentes dénégations d’académiciens alors somnolents ou devenus depuis oublieux par la force des choses.
Rocard en fait le récit pittoresque au cours d’un entretien « À voix nue » sur France culture en 2013 (13 minutes savoureuses à écouter ici). Il en avait déjà discuté avec brio en 2000, notamment du traitement informatisé de la langue française et de la conservation et la diffusion du patrimoine.

À présent observons quelques extraits de la pensée de Maitre MO (certaines phrases ont été regroupées par thème, dans un ordre logique).

Le journaliste lui demande d’abord s’il est pour ou contre la « réforme » de l’orthographe. « J’ai presque pas envie de répondre à la question pour ou contre » répond MO. On constatera néanmoins dans 5 minutes qu’il y aura répondu, par la négative, mais peut-être est-ce difficile à avouer immédiatement quand on est un rebelle certifié. Ou peut-être veut-il nous dire ici que la vérité est ailleurs, et qu'il sait où elle se trouve.

Il part alors dans une envolée vibrante sur la nécessité d’apprendre par cœur. « L’apprentissage concerne le cerveau, moins on apprend, moins on sait de choses c'est une évidence, mais moins on fait fonctionner son cerveau, moins le cerveau fonctionne, ça parait évident. […] Dans notre civilisation il n'y a plus d'apprentissage par cœur, on passe aujourd'hui l'épreuve de mathématiques du bac avec une calculette. […] Et on va avoir aujourd'hui une orthographe qui est une espèce de vanne ouverte […] Il faut apprendre du par cœur, et parfois même du par cœur pour du par cœur, on sait bien que plus on apprend de choses par cœur, plus le cerveau devient efficace, mais dans une civilisation où on nous invite à ne pas penser, à ne pas réfléchir, à ne pas poser la question du pourquoi parce que après on aura un comment et que expliquer c'est déjà tout justifier […] Je crains qu'avec la disparition de l'orthographe, de la grammaire, du calcul, de l'apprentissage du par cœur, on fabrique un cerveau facile à gouverner. »

On devine ici la réaction de qui a surmonté la souffrance d’apprendre une orthographe absurdement compliquée, sans la comprendre ni la remettre en question et qui aimerait inconsciemment que les autres en souffrent, désir masqué par un argumentaire dont la cohérence défaille sérieusement.
Résumons sa pensée : l’apprentissage par cœur fait travailler le cerveau et le rend efficace, mais notre civilisation, pour nous soumettre encore plus, nous invite à ne pas réfléchir en n'imposant plus d'orthographe au point que nos encéphales ne fonctionnent plus. MO est bien le dernier à croire que l’apprentissage par cœur fait progresser l’intelligence, alors qu’il fait surtout travailler la mémoire aux dépens de la réflexion, car il évite d’avoir à réfléchir à la méthode ou aux outils qui permettraient de reconstituer les mêmes données.
Maitre MO accuse la civilisation, par sa complaisance, de nous empêcher de poser des questions, quand c'est au contraire le résultat du « par cœur », car apprendre par automatisme revient à renoncer à comprendre les règles, et à rendre ainsi les cerveaux faciles à gouverner, l'inverse de ce qu'affirme MO.

Puis il poursuit. « La simplification n’est pas une bonne raison, simplifier nénuphar qui est un mot qu'on n'utilise pas, pourquoi pas changer les mots qu'on utilise plus souvent, et avoir le courage de tout écrire en phonétique, ce qui est une manière de simplifier, donc de massacrer. […] C’est dommage qu'on ne se permette pas cet apprentissage de la règle (il accentue le mot), parce que la vie en communauté ça suppose des règles (il accentue le mot), parce que la république dont tout le monde se gausse aujourd'hui ça suppose des règles (il accentue le mot) et là on dit bah finalement y'a plus de règles, y'a la règle qu'on voudra, on aura des orthographes diverses et multiples, on n’est plus capable aujourd'hui de proposer une règle en disant c'est la même pour tout le monde. »

Ici Maitre MO a peut-être écouté les réactions indignées des réseaux sociaux et des journaux réactionnaires sans s’informer sur les raisons et le périmètre de ces simplifications de l'orthographie, puisqu’elles visent principalement la rectification d’exceptions, d’anomalies qui n’étaient pas fondées, et qui justement ne respectaient pas les règles.

Quand il dit qu’il n’y a plus de règle, il vise également le caractère facultatif des rectifications. En effet, et ce depuis 1990, les diverses directives de l’Éducation nationale ont toujours affirmé, sur les conseils impérieux de l’Académie, que les deux orthographes étaient autorisées et donc non fautives, même si la nouvelle devait être préférée.

Et si l’affaire ne survient qu’aujourd’hui c’est parce que les éditeurs scolaires profitent de la très discutée réforme du collège et des contenus de la rentrée 2016, qui les oblige à remanier les manuels, pour intégrer à moindre frais les rectifications préconisées en 1990 et qu’ils avaient jusqu’à présent mises au placard.
Seuls les principaux dictionnaires électroniques (Antidote, Robert) et les correcteurs orthographiques des traitements de texte (notamment l’omniprésent Microsoft) les avaient intégrées. Ils acceptent les deux orthographes depuis 2008 au moins. Vous écrivez probablement ainsi les mots « règlementaire, relai, chaine, weekend, évènement, piqure » depuis des années sans savoir que vous appliquez les rectifications de 1990 car les correcteurs d’orthographe ne les soulignent plus d’un pointillé rouge accusateur.

Sur ce point Maitre MO a raison, l’Académie et l’Éducation nationale n’ont pas osé imposer une graphie, attendant sagement que la force de l’usage s’en charge. Mais ce laisser-faire ne concerne finalement que 1300 mots. Le cas du mot nénufar est anecdotique mais exemplaire. D’origine arabe et non grecque, il s’écrivait nénufar au 18ème siècle quand on lui imposa le « ph » car on le pensait par erreur d’origine hellénique.

Le journaliste s’étonne ensuite de cette défense éperdue de la norme et lui oppose le besoin de créativité face à des règles bien souvent arbitraires.

Maitre MO rétorque. « Quand je prends la voiture je suis très heureux qu'il y ait un code de la route, chacun convient qu'il faut des règles [...], je dis que ce refus de la règle est semble-t-il généralisé, mais on ne prend jamais un avion qui est piloté par quelqu'un qui n'a pas son brevet de pilote. [...] La république c'est l'idée qu'une multiplicité d'individus consentent à une règle commune. La liberté n'est pas la licence, ça se construit avec de l'intelligence, de la mémoire, avec de l'histoire, avec du patrimoine, avec bien sûr de l'invention et de la créativité, je ne suis pas sûr qu'avec la licence on invente beaucoup plus qu'avec la liberté. »

Là encore Maitre MO se laisse emporter par l'élan de son exaltation originelle, et compare les règles orthographiques à celles qui contrôlent la circulation aérienne. Subtile analogie qui insinue ainsi que les risques en sont comparables. 
Car pour lui les choses sont limpides, la rectification de l'orthographe est du laxisme, de la licence, c'est à dire le dérèglement des mœurs, le désordre moral, l'anarchie.
Ainsi avec le temps, comme sous l’effet de la cuisine normande, l’homme des envolées libertaires s’est naturellement épaissi, et sa pensée aussi. Il est devenu ce qu’il condamnait. Il est prêt pour un ministère.

Décidément, ce sujet pourtant prosaïque et futile a fait dépasser toute mesure aux réseaux sociaux, aux journaux, à l’Académie des Immortels et aux plus grands philosophes vivants. Mais ces débordements nous auront finalement confirmé que les ruminations de nos penseurs appointés ne nous paraissent perspicaces qu’à la mesure de notre méconnaissance du sujet.

dimanche 14 février 2016

Le calvaire du musée de Gand

Jérôme Bosch, le portement de croix, huile sur panneau c.1516, Gand Musée des beaux-arts.


Quand, en vue de fêter dignement l’anniversaire de sa mort, une bande d’experts internationaux s’agglutine pendant 6 ans autour des rares tableaux d’un peintre disparu depuis 5 siècles, on peut s’attendre à tous les débordements. Car tant de dépenses et d’expertise ne peuvent être engagées pour rien et produiront nécessairement des découvertes.

Comme pour Rembrandt en son temps, c’est aujourd’hui le tour de Jérôme Bosch, le peintre des délires et des chimères, l'inspirateur des surréalistes et de leurs collages incongrus quatre siècles plus tard.
Mort en 1516, une rétrospective de 71% de ses œuvres présumées originales sera présentée du 13 février au 8 mai, à Bois-le-Duc (Den Bosch) en Hollande où il naquit et mourut.
Puis 75% seront exposés du 31 mai au 11 septembre à Madrid où il ne mit jamais les pieds de toute sa vie pantouflarde.
L’écart de 4% représente le prodigieux et célébrissime « Jardin des délices » qui ne bougera pas du musée du Prado.

La bande d’experts réunie pour l’occasion s’est appelée BRCP (Bosch Research and Conservation Project).
Bien entendu, elle a attribué à la main de Bosch quelques œuvres qu’on disait jusqu’alors de son entourage, et inversement détrôné deux ou trois tableaux, dont un, que les experts du monde entier désignaient comme « la plus impressionnante et peut-être la dernière des œuvres authentiques incontestées de Bosch » (Bosch Tout l’œuvre peint, Rizzoli 1966). Ce tableau destitué c’est le « Portement de croix » du musée des beaux-arts de Gand en Belgique.
On dit que l’attribution de cette composition hallucinante jusqu’alors regardée comme l'égale du Jardin des délices dans l’œuvre de Bosch était depuis quelques temps discutée.

Les experts, qui ont « utilisé les techniques les plus récentes », estiment avec une grande précision que le panneau a été peint dans l’entourage ou l’atelier de Bosch, mais vers 1520, soit 4 ans après sa mort.
Cependant l’affaire n’est pas encore totalement jugée. Le musée de Gand, mortifié, soutient que l’examen du tableau n’est pas terminé et que la publication des conclusions du BRCP est prématurée, et que de toute manière ça reste quand même un chef d’œuvre, na !

Il restera à découvrir qui, dans l’entourage contemporain de Bosch dont on ne sait rien, aurait pu peindre un des plus beaux chefs d'œuvre de Jérôme Bosch. Comme c’est un tableau unique et qui n’a pas d’équivalent dans la peinture de l’époque, on pourra toujours, en l’absence de preuve objective, en dire n’importe quoi.

Entourage de Jérôme Bosch, le portement de croix (détail), huile sur panneau c.1520, Gand Musée des beaux-arts. (Photo JFP)

vendredi 5 février 2016

Ne lisez pas cette chronique

Êtes-vous certains que la page que vous êtes en train de lire n'est pas de celles dont la simple lecture est depuis quelques jours passible de deux à cinq ans d'emprisonnement ?
Comment vous êtes-vous assurés qu’elle ne fait pas l’apologie du terrorisme ?
Savez-vous que la définition du terrorisme n’existe pas dans la loi et dépend seulement du bon plaisir d’un fonctionnaire, sans le contrôle d’aucun juge ?

Tout cela ne vous rappelle rien ?

Il est trop tard pour se poser ces questions car la loi Anti-terrorisme est aujourd'hui en cours d’adoption et vogue sans obstacle du Sénat vers l'Assemblée nationale. Elle mélange gaiement dans son article 10 (Art. 421-2-5-2 du code pénal) les actes de terrorisme et les images pornographiques de mineurs.
Car finalement tout peut être du terrorisme et la définition évoluera sans cesse. Aujourd’hui par exemple, grâce à l’état d’urgence, un brave écologiste qui souhaite s’exprimer en défilant dans la rue devient un dangereux extrémiste méritant l'assignation à résidence. C'est pourquoi personne ne vous dira si le site que vous visitez enfreint la loi ou non, il ne sera pas désactivé, ni bloqué, et vous ne le saurez qu’après avoir été pris sur le fait.

Car saviez-vous de surcroit que depuis la loi Renseignement adoptée le 24 juin 2015 un fonctionnaire rudimentaire peut surveiller discrètement et impunément vos communications (courriel, téléphone, textos), le contenu de votre « nuage » et votre navigation sur internet ?

Et comme l'état d'urgence actuel, qui autorise l’intervention non motivée des forces de l’ordre en pleine nuit à votre domicile, est en voie de devenir permanent (jusqu'à la chute de l'État islamique aurait déclaré le Premier pitre du gouvernement), un commando de brutes excessivement armées est peut-être déjà dans votre cage d’escalier sur le point d'exploser votre porte, alors qu’elle n'est pas fermée à clef et qu’il suffirait de tourner la poignée.

Tout cela ne vous rappelle rien ?

Allez, on plaisante, c'est de la fiction. Depuis que vous suivez les conseils de Ce Glob est Plat vos communications électroniques sont protégées par un réseau privé virtuel (VPN), vous êtes anonymes et vous ne laissez plus rien filtrer de vos faits et gestes.


Maison de la banlieue parisienne venant de faire l'objet d'une visite, courtoise car la porte d'entrée est intacte, dans le cadre des lois d'exception.

samedi 30 janvier 2016

La maladie de l'immortalité

Le prophète de LA civilisation, le résistant contre l’anti-France, l’expert en idées générales et en opinions sur tout, bref, pour le spectateur du journal télévisé, l’archétype du philosophe français a fait jeudi la lecture de son discours protocolaire de réception solennelle à l’Académie française, devant le Premier pitre du gouvernement et un parterre de momies.

Il est ainsi devenu gardien de la langue française, Immortel parmi les Immortels, seizième postérieur à occuper le fauteuil numéro 21 de l'auguste institution.
En fait parmi les 731 fessiers qui ont pensé sur les fauteuils de l’Académie française depuis 1634, bien peu ont survécu, même dans les mémoires. Citons cependant Honorat de Porchères Laugier, Népomucène Lemercier, Hardouin de Péréfixe, Désiré Nizard ou Esprit Fléchier.

Enfin reconnaissons dans le discours de remerciement du 731ème un maniement maitrisé de la langue française et célébrons cet évènement en citant une des sentences les plus visionnaires de son auteur, du 18 décembre 2009, afin de l’immortaliser plus encore, si la chose était concevable.

« Internet, cette poubelle, ce lieu d'anarchie est en train de contaminer les médias traditionnels civilisés » Alain Finkielkraut.


 




Illiers-Combray en Eure-et-Loir, devant la maison de la tante de Marcel Proust. On notera sur la pancarte les accents sur les majuscules qui non seulement facilitent la lecture et la compréhension du texte mais sont défendus avec conviction par l’Académie française, Académie qui n’aura pourtant jamais intronisé Proust.

jeudi 21 janvier 2016

Histoire sans paroles (20)

Le Parc des sources est un vaste espace fait d’allées arborées qui relient les établissements de bains et de loisirs du site thermal de la ville de Vichy
C’est un parc au décor suranné, figé dans les années 1900. 
On peut y lire sur des panneaux « Vous êtes les bienvenus dans le Parc des Sources. Ce parc est un lieu privé dont nous vous autorisons l'accès. Cependant nous vous informons que sa fréquentation est placée sous votre entière responsabilité ». 
Car la concession du domaine thermal accordée par l’État à une société privée (aujourd’hui la Compagnie de Vichy, anciennement Compagnie fermière) comprend les sources, les hôtels, mais aussi le parc, son entretien et ses servitudes. 
Or le parc, avec ses essences communes, ses kiosques démodés, libre d’accès et gratuit, n’est pas rentable.

mardi 12 janvier 2016

Le monument des monuments (2 de 2)

Musée des monuments français, Paris palais de Chaillot, place du Trocadéro.

Parmi les spectres du Musée des monuments français, le squelette de Ligier Richier, le jugement dernier du portail de Sainte-Foy de Conques...
 


samedi 9 janvier 2016

Le monument des monuments (1 de 2)

Musée des monuments français, Paris palais de Chaillot.

Aux pieds de la tour Eiffel, au cœur du décor le plus prestigieux de Paris piétiné chaque jour par une vingtaine de milliers de touristes et quelques militaires surarmés justifiés par « l’état d’urgence », il existe un lieu absolument désert et silencieux, vaste comme plusieurs cathédrales, où l’on n'entend que l’écho de ses propres pas et le chuchotement des gardiens qui passent la journée, tant ils s’y ennuient, à téléphoner à voix basse dans des langues lointaines.

Imaginée par Viollet-le-Duc en 1879 comme une arche de Noë de l’architecture, l’immense nef s’est emplie en une vingtaine d’années de moulages de plâtre grandeur nature des plus beaux portails, tympans, linteaux, piliers, chapiteaux, et statues des monuments de France, Moissac, Vézelay, Autun, Strasbourg

Au fil des années le Musée des monuments français s’est enrichi d’un dédale de fausses voutes romanes décorées par des vestiges de peintures murales.
Il a vécu un incendie le 22 juillet 1997, une fermeture pour travaux qui menaçait d’être définitive vu le taux de fréquentation du public, enfin une réouverture en 2007, augmenté d’une galerie consacrée à l’architecture moderne, et honoré du titre de « Cité de l’architecture et du patrimoine ».

Mais sous la douce lumière zénithale du Paris d’aujourd’hui on y déambule toujours comme dans un autre siècle. Le brouhaha s’est tu. Les diables et les saints sont si vieux que la patine a fini par les faire ressembler aux œuvres qu’ils imitent, et paradoxalement, protégées des intempéries, les copies sont devenues plus authentiques que les originaux rongés par l’humidité, la pollution et les aléas.

Touriste, continue d'éviter soigneusement l’endroit, pour que soit possible longtemps encore cette promenade intemporelle.

 


dimanche 27 décembre 2015

Les revenants de 1945

Les lois de la nature sont éminemment mathématiques, notamment en Europe ; à la fin de la 70ème année qui suit un décès, les réalisations intellectuelles et artistiques du mort entrent dans le domaine public et sont alors à la libre disposition de toute l’humanité.
C’est ainsi que nous verrons dans quelques jours paraitre la procession des trépassés de l’année 1945.

Et ce millésime sera spécialement lugubre. On y apercevra, parmi des millions de leurs victimes, les faces sinistres des tordus les plus minables de l’espèce humaine, Hitler, Himmler, Goebbels, Mussolini, Laval, mais aussi quelques musiciens considérables, de grands écrivains et des graphistes de valeur.

Quiconque pourra alors publier les livres d’Emmanuel Bove, Franz Werfel, Paul Valéry, Robert Desnos, reproduire les tableaux de Zuloaga et les illustrations de N.C. Wyeth, les bandes dessinées de Georges Colomb (alias Christophe), Fenouillard, Camember, Cosinus, jouer les quatuors de Béla Bartok, les pièces d’Anton Webern et certaines œuvres de Maurice Ravel.

« Certaines œuvres », car la loi souffre des exceptions. Les bénéficiaires des droits d’auteur se sont toujours ingéniés à prolonger la durée de leur rente, et les représentants du peuple qui ne sont pas insensibles aux arguments pécuniaires ont su pour cela truffer la loi de particularités.
Et comme le précise le site SavoirCom1 qui maitrise toutes ces subtilités (voir son calendrier de l’Avent du domaine public), alors qu’en 1945 Ravel était déjà mort depuis 8 ans, son sempiternel Boléro n’entrera dans le domaine public que le 30 avril 2016 (sauf coup de théâtre - car pour les ayants droit c’est une perte d’un à deux millions d’euros par an) mais son Menuet antique, pourtant antérieur d’une trentaine d’années, devra attendre le 29 septembre 2022 !

Et SavoirCom1 a beau en détailler les règles, il faudrait de longs calculs et une formation en musicologie pour réussir à déterminer la date de délivrance de la « Pavane pour une infante défunte », du concerto pour piano en sol ou de « l’Enfant et les sortilèges. »
Les charognards ont encore un peu à ronger sur le cadavre.


Au musée des confluences à Lyon, la vitrine consacrée aux grands musiciens morts expose le crâne de Maurice Ravel qu’on reconnait à la complexité des zones juridiques qui y sont figurées. Elles désignent le régime des droits d’auteur applicable à chaque pièce de musique sortie de son génial encéphale. On mesure la différence avec la simplicité du crâne de Mozart enfant avec qui il voisine.

dimanche 20 décembre 2015

Les animaux à carreaux de Gilles Aillaud

Gilles Aillaud, Otarie et jet d'eau, 1971, détail (collection M. & M.B.)


Un peu philosophe, un peu décorateur de théâtre, un peu écrivain, Gilles Aillaud était né à Paris en 1928.

En octobre 1965, avec deux amis agitateurs politiques (1) et l'aide de trois autres peintres (2), il assassinait Marcel Duchamp, l'artiste le plus important du 20ème siècle, le fondateur de l'art conceptuel, en l’étranglant et le précipitant nu et émasculé du haut d'un escalier.
La suite des huit toiles qui narrent l’évènement est aujourd'hui au musée de la reine Sofia, à Madrid. Duchamp mourra trois ans plus tard, cette fois réellement.

À l'époque Aillaud fréquentait déjà la ménagerie du Jardin des plantes et le zoo de Vincennes. Il avait été marqué, enfant, par le décor des jardins zoologiques et ne s’en était jamais remis. Fasciné par les grillages, les carrelages, les mosaïques, les plans d’eau, les barreaux dont les ombres formaient des motifs géométriques obsédants, il s’était mis à les peindre à l’huile sur des toiles de grand format.
De temps en temps apparaissaient une forme vague et molle, des taches indistinctes, des zébrures, des ocelles, c’était un animal.
Il représenta ainsi pendant plus de vingt ans des coins de ce monde en miniature, avec une neutralité distante.

Plus tard, dans les années 1980, apprenant que des animaux se trouvaient encore en liberté dans la nature, il s'envola pour le désert africain où il peignit alors les sables, les maigres herbes, les cailloux, les ondulations du sol et du ciel, et parfois un animal.
« Je peins des choses, je suis absolument incapable de peindre une idée. Je peins des choses parce que la force des choses me parait plus forte que toute idée. Pour nier une chose il faut la détruire, tandis qu’une idée, c’est du vent… » disait-il.

Il avait une passion pour Vermeer et pour Spinoza.
Puis il mourut à Paris en 2005.

Le Fonds régional d’art contemporain d'Auvergne à Clermont-Ferrand, après Rennes et Saint-Rémy-de-Provence, lui consacre une modeste et fascinante rétrospective jusqu’au 17 janvier 2016.
Vous regretterez un jour de ne pas y être allé.

***
1. Eduardo Arroyo et Antonio Recalcati (avec Aillaud) ont peint et figuré sur 5 toiles.
2. Fromanger, Biras et Rieti ont exécuté les copies des 3 œuvres de Duchamp.

 


FRAC de Clermont-Ferrand, exposition Gilles Aillaud, décembre 2015.
 

dimanche 13 décembre 2015

Illustration cherche auteur


Le pillage des illustrations de sites ou de blogs est devenu la règle sur internet, et les journaux et télévisions sont les premiers à se servir. C’est très bien. Plus une image est diffusée et vue plus elle fera connaitre son auteur.
Et il faut être particulièrement imbécile pour interdire, comme certains musées ou artistes, la reproduction (non commerciale, au moins) d’images de leurs œuvres. D’ailleurs l’interdiction ne sert à rien sur un internet planétaire aujourd’hui incontrôlable.

Mais il est désolant de constater que cette razzia se fait presque systématiquement en omettant de citer le nom de l’auteur de l’image.

Ainsi le dessin anonyme ci-dessus, astucieux, a été abondamment exploité sur internet pour illustrer les vertus de l’esprit critique et les manipulations des médias.
Les moteurs de recherche d’images en trouvent au moins 500 apparitions, Brésil, Turquie, Russie, Japon, dans les blogs, les réseaux sociaux. Mais aucune ne renseigne sur le nom de l’auteur. Il illustre même La couverture d’un livre, « Rethinking Srebrenica », dont l’éditeur new-yorkais avoue en page 3 avoir échoué à retrouver l’auteur du dessin.

La chasse est ouverte (et l’usurpation toujours possible).
 

lundi 7 décembre 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (9)

Qui n’a pas entendu parler de la comédie des deux maires ennemis du Mont-Saint-Michel, propriétaires de 80% des commerces de l’ile et du village, et qui se disputent depuis 30 ans l’administration municipale ?
Il faut dire que la beauté du site attire tous les ans deux millions de visiteurs (certains disent trois) qui consomment abondamment.

Et la cupidité des deux congénères s’est récemment exprimée à la faveur des grands travaux de désensablement et de retour à l’insularité du Mont.
Car il y a peu de temps encore les touristes étaient dans l’obligation de stationner leur voiture à plus de trois kilomètres de l’ile, puis de traverser à pieds les 1000 mètres de commerces du village (qui est devenu en quelques années le Disneyland de la galette bretonne) pour atteindre enfin la gare des autobus qui font la navette (incluse dans le prix du ticket de parking) jusqu’au pied du Mont, deux kilomètres plus loin.
Or le maire en exercice à l’époque du choix de l’emplacement du stationnement des navettes avait alors intrigué pour qu’il se situe précisément devant ses propres commerces. C’est ce qu’a conclu la justice, actionnée par le maire alternatif malchanceux, en punissant le coupable, pour prise illégale d’intérêt, d’une peine pécuniaire assez douce.

Finalement il a été décidé, certainement face au scandale et à la réticence de la clientèle, de faire partir les navettes depuis le parking des voitures. Le transporteur en tire un bénéfice certain puisque le prix du ticket a nettement grimpé, mais les habitants du village (qui sont tous commerçants) le regrettent, car les touristes, à l’aller comme au retour, ne sont plus obligés de côtoyer leurs boutiques.
Ne les plaignons pas, car le Mont-Saint-Michel, comme l’invention humaine, abonde en ressources insoupçonnées. Le village vient par exemple d’en trouver auprès d’une grosse banque également experte en scandales financiers et qui soutient le maillot jaune du prochain Tour de France.
L’image ci-dessus se passe de commentaires.

La loi n’autorise l’affichage publicitaire sur les monuments historiques qu’en cas de travaux de restauration et sous certaines conditions techniques et financières (articles R621-29.8, -89 et -90 du code du patrimoine), ce qui n’est certainement pas le cas ici.
L’affiche ne serait dit-on restée qu’une heure sur les vieilles pierres grises de l’abbaye, le 19 octobre 2015, le temps de faire la photo pour la conférence de presse des organisateurs du prochain Tour qui justement partira du Mont-Saint-Michel le 2 juillet 2016.
On la reverra alors sans doute plus longuement.

En conclusion, si vous êtes fatigués des paysages de carte postale et des clichés de l’architecture gothique, et recherchez les situations inattendues et les incongruités patrimoniales, prévoyez un séjour dans la région lors du départ du prochain Tour de France cycliste, mais vous risquez alors de ne pas y être seuls.
Et si la mesquinerie, la convoitise et les querelles d'un clocher qui appartient au patrimoine de l'Humanité mais ne surplombe que 43 âmes vous passionnent, abonnez-vous à ce blog que vous trouverez palpitant, « lemontsaintmichel.centerblog.net ».
 

jeudi 26 novembre 2015

Tableaux singuliers (2)

Giovanni Francesco Caroto était un bon peintre de la première moitié du 16ème siècle dans l’Italie du nord. Né à Vérone en 1480, après avoir passé une dizaine d’années à Mantoue ou il se formera à l’école de Mantegna, Lorenzo Costa et Corrège, puis une dizaine d’années à Casale Monferrato, le reste de sa vie s’écoulera à Vérone où il mourra à 75 ans.

Très apprécié, il a laissé nombre de fresques, de retables et de beaux portraits. On voit ses œuvres dans des musées prestigieux comme l’Ermitage de Saint-Pétersbourg ou les Offices de Florence, et un magnifique portrait de femme dans le débarras du Louvre à Lens.

Il est particulièrement présent à Vérone, au musée de Castelvecchio, par une série de tableaux dont se distingue une œuvre singulière, le portrait d’un jeune garçon au sourire étrange et au léger strabisme qui montre un dessin d’enfant au spectateur.

On dit qu’en voyant ce portrait quand il visita le musée le pédiatre anglais Harry Angelman y reconnut le syndrome d’un trouble neurologique responsable d’un retard mental irrémédiable qu’il décrivit en 1965 et qui porte désormais son nom.

Et quelle est cette étrange forme rouge en bas à gauche, une manche, un couvre-chef ?

Inutile de se précipiter aujourd’hui à Vérone pour l’examiner de plus près, car il vient d’être dérobé le 19 novembre 2015, avec un autre portrait de Caroto et 15 toiles de maitres, notamment de Tintoret, Pisanello, Mantegna, de Jode, dont certaines ont été roulées par les cambrioleurs pour le transport, ce qui détériore toujours une peinture sèche depuis 500 ans. Par chance le jeune garçon au dessin d’enfant est peint sur un panneau de bois.

Mise à jour : Les tableaux dérobés ont été retrouvés en Ukraine le 6 mai 2016.

lundi 23 novembre 2015

British Museum, le jeu vidéo

Aphrodite ôtant sa sandale, marbre du 3ème siècle avant notre ère, trouvé à Cnossos, aujourd'hui au British Museum de Londres.

Quand l’état d’urgence est déclaré dans votre pays, que les établissements publics sont fermés, que les fonctionnaires en civil sont armés et que des envies de loi d’exception envahissent les encéphales affolés des élus, il reste à se réfugier dans une des plus attachantes activités nées de la technologie moderne, la visite virtuelle (sur ordinateur) de lieux que l’on a connus ou qu’on aimerait connaitre.
Il suffit pour cela que Google y ait dépêché un de ses milliers de piétons, vélos ou voitures équipés de caméras panoramiques et ait intégré les images dans la fonction « Street View » de sa cartographie.

Et depuis quelque temps Google associe ce savoir-faire géographique et ses prétentions culturelles dans des promenades virtuelles à l’intérieur des musées (ceux qui acceptent de renoncer un peu à leur exclusivité), sur un site appelé « l’institut culturel ».
On peut ainsi visiter aujourd’hui le British Museum, immense musée qui rassemble tous les jours dans le centre de Londres 15 à 20 000 curieux et 50 000 objets artistiques et culturels des civilisations qui ont essuyé la domination britannique.

Amusons-nous à y chercher une des merveilles (il y en a des centaines) de la collection, un petit marbre délicat figurant la déesse Aphrodite enlevant sa sandale, sculpté entre 300 et 200 avant notre ère disent les experts, découverte dans les fouilles de Knossos en Crète en 1858, achetée par le musée en 2000 chez Sotheby’s.

En explorant d’abord la base de 4600 objets du British Museum reproduits en haute définition sur le site, la statuette est introuvable, ou alors sous un critère de recherche trop exotique.
Allons donc visiter virtuellement le musée. Mais on verra que la chose n’est pas vraiment au point et que la visite ressemble plutôt à l’exploration d’un jeu vidéo à énigmes.

Connaitrait-on le numéro de la salle d’exposition (ici G22/dc7) que l’information serait inutile car le plan pour s’y rendre (sur la gauche de l’écran) n’affiche pas les numéros des salles, cependant le G signifie probablement Ground floor. On progresse. En cliquant au hasard, dans le plan, sur une des salles du rez-de-chaussée, on verra peut-être s’afficher une enfilade d’antiquités manifestement égyptiennes ou encore des vitrines de tablettes couvertes d’inscriptions cunéiformes. Mais on cherche les salles consacrées à la culture hellénistique.

Vous vous exclamerez alors « Qu’est-ce qu’ils nous compliquent la vie, au lieu de nous donner le lien direct qui afficherait l’endroit exact, comme dans Street view ! » C’est que la fonction n’existe pas. D’ailleurs, vous devriez également éviter de cliquer sur le bouton de retour arrière du navigateur car il ne vous ramènerait pas à l’étape précédente mais toujours au milieu du hall d’entrée du musée. Et tout serait à refaire.
Google propose tout de même sur un rail en bas de page une centaine d’objets choisis accessibles directement, comme par magie. Et par chance la vitrine recherchée se trouve dans la même salle qu’un de ces objets, une couronne de feuilles d’or.
Vous êtes rassurés. Vous brulez.

Et si persévérant vous parvenez à la vitrine convoitée, vous serez cependant un peu déçus du seul point de vue disponible, de la médiocrité de l’image, et de ne pas pouvoir lire les cartels trop petits.
On aura toutefois échappé à pire, Google aurait pu appliquer ici les algorithmes utilisés dans la rue pour Street view et flouter les visages des statues pour respecter l’anonymat de leur vie privée ou masquer toutes les parties des corps jugées sexuellement explicites.

Finalement la visite n’est pas agréable et pourrait être largement améliorée.
En attendant, on trouvera de belles photos de la statuette, sous des angles variés, sous le numéro 2000,0522.1 dans le catalogue en ligne du site du British Museum.
 

vendredi 13 novembre 2015

La vie des cimetières (67)

Quelques cimetières croisés sur les routes d’Auvergne...

Au sujet de l'Auvergne, Alexandre Vialatte disait qu’elle est pleine « de proverbes et de grand-mères qui enseignent dès la tendre enfance à faire du quelque chose avec du je ne sais quoi, en l'économisant sans cesse. Il n'est pas rare - poursuivait-il - d’y voir des gens partis de rien qui arrivent au même endroit au bout de leur existence. D'autres qui arrivent à du je ne sais quoi avec beaucoup de persévérance. D'autres qui partent de tout et qui n'arrivent à rien. Mais, plus généralement, avec du presque rien ils arrivent à du quelque chose. »

C’est dire sa profonde connaissance de l’être humain, et de l’Auvergne. C’était dans « Chronique du rien et même du presque rien » le 20 mars 1962 dans le journal La Montagne de Clermont-Ferrand.

Ça commence bien, Saint-Bonnet-de-Montauroux dont voici le cimetière n'est pas vraiment en Auvergne, mais dans le département de la Lozère, à 3 kilomètres de la frontière de la Haute-Loire.

Cimetière de Polignac, dans le département de la Haute-Loire (tout de même !).

Minuscule cimetière de La Godivelle, dans le Puy-de-Dôme.

Entrée du cimetière de La Godivelle.

dimanche 8 novembre 2015

Améliorons les chefs-d'œuvre (8)

Depuis que Marcel Duchamp a tenté d’exposer sa première pissotière industrielle en porcelaine (la Fontaine) au salon des artistes indépendants de New York en avril 1917, tout le monde devrait savoir qu’un objet quelconque peut devenir une œuvre d’art et définir une nouvelle valeur si une personnalité en vue l’a décidé.

Mais cette évidence culturelle s’est imposée lentement. Elle n’a pris son essor qu’avec la floraison de l’art conceptuel dans les années 1960, quand Duchamp qui avait égaré les œuvres dadaïstes de sa jeunesse en certifia quelques répliques antidatées.
Et on constate aujourd’hui que certains milieux sociaux sont encore imperméables à cette idée progressiste de l’art.

Le drame s'est produit au Museion de Bolzano, musée consacré à l'art d'aujourd'hui, dans le nord de l’Italie.

Deux jeunes artistes italiennes, qui voulaient exprimer leur réprobation envers la corruption et les orgies organisées par les politiciens socialistes italiens dans les années 1980, avaient empli une pièce du musée de restes de bombance, cadavres de bouteilles, cotillons et mégots. On pourrait douter de la modernité du propos, mais gardons-nous de tout jugement esthétique à priori.
L’œuvre s’appelait « Où allons-nous danser ce soir ? ».

La suite de l'histoire était écrite, car il n’y a pas un mois sans qu’un scandale ménager n’agite dans les médias le monde de l’art contemporain et de ses détracteurs.

En effet le lendemain de l’installation de l’œuvre, le personnel d’entretien nécessairement matinal découvrait l’état de dégradation de la salle et s’affairait pour tout débarrasser avant l’ouverture du musée.
Quand les visiteurs arrivèrent, la pièce était immaculée. Dans de grands sacs de plastique noir reposaient les reliques de l’exposition triées par type de déchet, chacun dans sa poubelle dédiée, bouteilles, confettis et serpentins…

En quelques jours l’œuvre fut reconstituée et exposée de nouveau. C’est la grande force de l’art conceptuel que de s’adapter sans effort à toutes les conditions matérielles.

Les artistes voient dans cet accident la « preuve de la vitalité et de l’irrémédiable nouveauté de l’art contemporain », « s’il a été jeté comme des ordures c’est qu’il est toujours radical et subversif ».
N’exagérons pas, il s’agit ici d’un banal défaut d’information, d’une méprise que n’importe qui d’insuffisamment aguerri aux raisonnements conceptuels de l'art moderne aurait commise.

On devrait d’ailleurs récompenser les gens du ménage pour avoir porté cette œuvre d’art vers une sorte d’accomplissement. Par leur rafraichissante ingénuité, ils sont allés plus loin dans le concept, et plus radicalement que ne l’avaient osé les artistes qui s’étaient frileusement limitées à exposer les ordures sous les couleurs vives et les jolis scintillements d’une lumière de cabaret.

Homme de ménage en train de remettre de l’ordre dans les salles d'art contemporain du musée des beaux-arts de Nantes, ou bien sculpture de Daniel Firman intitulée Gathering exposée en 2003 ? Cette vertigineuse mise en abyme conceptuelle pourrait, au premier faux pas, se terminer par la réquisition en urgence du personnel d’entretien du musée.

vendredi 30 octobre 2015

Nuages (38)

Colonnades de l’agora dans les ruines d’une des plus belles cités de l’antiquité grecque puis romaine, Pergé, aujourd’hui au sud ouest de la Turquie, à 17 km d'Antalya. À l'horizon la chaine occidentale des monts Taurus.

dimanche 25 octobre 2015

Mais pourquoi tant de haine ?

Mark Antokolski, Socrate mourant, 1875, parc municipal de Lugano, Suisse.


Mark Antokolski était un sculpteur lituanien de la fin du 19ème siècle, donc russe, et croyant aux idéaux du naturalisme ou du vérisme, bref du réalisme.

Ainsi quand il décida de représenter la mort de Socrate, sujet émouvant qui avait inspiré tant d’artistes avant lui, au lieu de l’imaginer traditionnellement buvant la cigüe dans une grande scène théâtrale où le philosophe entouré de ses amis en larmes désignerait le ciel d’un geste grandiloquent, il choisit de le représenter mort, avachi comme un ivrogne endormi, et seul.

Il exposa le résultat à Paris en 1878, en obtint un succès certain, une médaille d’or et quelques commandes. Le marbre original est au Musée russe de Saint-Pétersbourg, et une des répliques qu’il en fit repose aujourd’hui à l’ombre d’un bosquet dans le parc municipal de Lugano, offerte à la ville par la famille de l’acquéreur en 1917.

En 1881, Antokolski qui décidément aimait à déshonorer les plus grands philosophes représentait Baruch Spinoza comme une vieille femme impotente et transie.

dimanche 18 octobre 2015

Beaucoup de bruit pour presque rien

Anonyme du 17ème siècle - Reniement de Pierre, copie d'une gravure d'après un tableau de Gérard Seghers, attribuée étourdiment à Georges de La Tour sur le nouveau site Images d'art de la Réunion des musées nationaux.

À l'heure où les grands musées de la planète partagent déjà gratuitement en ligne des reproductions de leur collection, le ministère de la Culture et de la Communication réalisant le retard de la France et les carences de ses grands musées en la matière vient de déployer son savoir-faire dans le lancement d'un site internet, Images d'art, consacré au partage des images des collections des musées français.
Et quand on se rappelle l'ingéniosité (les mauvais esprits diront l'ingénuité) avec laquelle il a récemment imposé la liberté de photographier dans les établissements publics nationaux récalcitrants, on peut s'attendre au meilleur.

Les réseaux sociaux bien dressés bruissent depuis quelques jours du slogan du ministère « Découvrez, collectionnez, partagez les œuvres des musées français. »
En arrondissant les nombres, Images d’art présente 12 000 sculptures, 22 000 gravures, 13 000 aquarelles, 85 000 dessins de toutes techniques et 21 000 peintures.

La première mission du site est de faire découvrir la richesse des collections françaises. En effet chaque lancement de la page d’accueil affiche 20 vignettes différentes, mais tirées au hasard parmi un nombre limité des grandes locomotives des musées français, si bien que pour découvrir quelque chose, mieux vaut connaitre à l’avance ce qu’on cherche.
En revanche après une recherche, quand une vignette est sélectionnée, le site détaille l’œuvre et en suggère 20 autres qu’on suppose lui être liées par de subtiles affinités. L’association d'idées qui les choisit n'est pas vraiment limpide et parfois incongrue, mais c’est peut-être cela la découverte, de ne pas connaitre les règles et de les confondre avec le hasard.

Il faudra néanmoins veiller à ne pas considérer comme des découvertes certaines attributions hasardeuses ou carrément erronées, comme ce tableau en illustration fièrement attribué sans réserve à Georges de La Tour, quand il y a bien longtemps que plus personne n’ose le lui attribuer.

La deuxième mission du site, collectionner, est facilitée par des fonctions de création d’albums personnalisés, de diaporamas, ou de téléchargements d’images. Mais elles sont soumises à la création d’un compte utilisateur et à des procédures ennuyeuses de saisie d’information. Toutefois si quelque chose ne fonctionne pas dans ces démarches (comme lors de nos tests), leur contournement est aisé car les fonctions de copier ou de glisser-déposer des images n’ont pas (encore) été inhibées.

Remarquons que les reproductions proposées gracieusement sont en basse définition (maximum 750 pixels, donc de qualité médiocre ne permettant pas d’examiner les détails des œuvres) alors qu’on peut les trouver parfois en meilleure définition sur internet.
L’achat à usage personnel de reproductions en moyenne définition (2 à 3000 pixels) est proposé, mais il n’est disponible que pour de très rares œuvres (non identifiées, il faut appuyer sur un bouton malaisé pour s’en rendre compte) et semble ne pas fonctionner non plus.

La troisième mission du site, partager, est encouragée par les divers boutons qui accompagnent chaque image, cependant la lecture des CGU (conditions générales d’utilisation) découragera certainement les élans les plus optimistes.
D’abord, tout usage commercial, avec ou sans bénéfice financier, des images d’œuvres qui sont dans le domaine public est strictement prohibé. La Réunion des musées nationaux s’arroge ici la plupart des droits d'auteur des œuvres qui sont dans le domaine public (CGU.2.4), opération illégale comme cela a été maintes fois commenté (copyfraud). Le plus cynique est que la vérification de l’appartenance des œuvres au domaine public, ou au contraire de l’existence de droits d’auteur encore actifs qui interdiraient toute publication et tout partage, est laissée à la charge de l’utilisateur, à ses risques et périls (CGU.2.1).
Petite curiosité, CGU.2.2 déclare qu’il faut avoir atteint la majorité de 18 ans pour visiter le site, ou être sous la surveillance de parents ou de responsables légaux. C’est dire la perversité des collections nationales.

Enfin, CGU.2.7 et CGU.4 interdisent à peu près toute publication sur un site ou un blog faisant preuve de la plus légère indépendance d'esprit, qui diffuserait « des propos diffamants à l'égard d'une personne morale (CGU.2.7.5) », ou « des informations polémiques ou pouvant porter atteinte à la sensibilité du plus grand nombre (CGU.4) ». Ne riez pas !

Reconnaissons tout de même que si l'interface vieillotte du site mérite corrections et améliorations, la flânerie n'y est pas désagréable, comme dans un vieux dictionnaire illustré. On se croit de retour aux débuts de l’internet, dans un musée qui sent la cire et la poussière. Certaines salles y sont fermées par manque de personnel de surveillance. On contemple de loin un panorama certes lacunaire mais évocateur.
Cependant l’amateur rigoureux, le scientifique exigeant et le journaliste intègre auront intérêt, comme le signale Didier Rykner dans la Tribune de l’art, à faire leurs recherches plutôt sur le site de l’agence photos de la Réunion des musées nationaux, l’original du site Images d’art, moins brouillon et plus complet, ou dans les collections du site Culture.fr réellement plus professionnel et exhaustif.
De son côté SavoirCom1 fait aussi une limpide revue critique d'Images d'art.

Mais c’est peut-être après tout la seule ambition du ministère, que de proposer une promenade virtuelle lénifiante au bon peuple distrait, celui qui fréquente assidument et exclusivement Facebook ou Twitter, puisque les autres réseaux sociaux sont explicitement exclus de l’autorisation de partager ses images. C’est ce que précise CGU.2.4.3.
 

samedi 10 octobre 2015

Le Maitre de Moulins

Jean Hey ou Hay (alias le Maitre de Moulins) : trois anges du panneau central du triptyque de la Vierge de l'apocalypse, vers 1500. On ne trouve pas de bonne reproduction du triptyque sur internet.


Il ne fait pas de doute que si le triptyque de Jean Hey, la Vierge de l'Apocalypse, était exposé au Louvre de Paris, sur un mur normalement fréquenté et sous une honnête lumière zénithale, il éclipserait rapidement les plus grands chefs-d'œuvre du musée.
On viendrait des antipodes admirer ses fines nuances colorées, la suavité de ses volumes, la grâce naturelle des visages, notamment des douze anges du panneau central, douze fois le même modèle, qui mime avec application les poses et les sentiments demandés par le peintre sans parvenir à vraiment masquer, à l'égard de la scène qu'il simule, son orgueilleuse indifférence.

Mais en réalité le triptyque est conservé depuis cinq cents ans dans la cathédrale de Moulins-sur-Allier, en Auvergne, aujourd'hui rassemblé dans la Chapelle des évêques, sur le flanc nord.

Un guide obligatoire muni d'antiques clefs vous conduit dans la salle d'exposition, derrière une vieille porte sonore.
Sur le mur de gauche, deux répliques en grandeur réelle reproduisent le revers des deux panneaux latéraux du triptyque, peints en grisaille, et que des précautions de conservation empêchent de manipuler. Ce sont des photographies fantomatiques délavées par les années.
Et à droite, sur une estrade élevée de quelques marches trône le triptyque, le trésor de la ville de Moulins, cinq mètres au-delà d’un cordon infranchissable.

N'imaginez pas que vous pouvez alors contempler sereinement le joyau de Jean Hey. Car une malédiction poursuit les plus beaux chefs-d'œuvre de la peinture conservés dans les édifices religieux, l'ignorance (et peut-être l'économie). On croit qu'il est plus convenable de les exposer dans la pénombre, alors qu'en vérité la peinture à l'huile jaunit dans l'obscurité et revit à la lumière indirecte du jour.
L'amateur qui a visité dans la cathédrale Saint Bavon de Gand le polyptyque de l'Agneau mystique de Van Eyck, avant qu'il soit démembré et lessivé dans la longue phase de restauration actuelle, se rappellera la déception d'avoir peiné à distinguer quelques vagues formes dans l'ombre, alors que le peintre s'est ingénié à couvrir chaque centimètre carré de son immense œuvre de détails d'une merveilleuse perfection naturaliste, peints pour être admirés.

Le triptyque de Moulins subit la même punition. L'éclairage est déficient, la distance trop respectueuse, la récitation du guide sans répit et l'exhibition minutée.
On devra donc le vénérer plutôt que le contempler.
Le photographier est également interdit. L'ordre en viendrait de Paris. On peut excuser le mensonge, parce que les conditions de prise de vue seraient de toute manière trop difficiles, et qu'il faut bien additionner quelques ventes de cartes postales aux maigres recettes des billets d'entrée, pour payer la femme de ménage qui l'époussète de temps en temps.

Le sort du triptyque ne serait d'ailleurs pas meilleur s'il était hébergé à quelques pas de la cathédrale, dans le Musée des beaux-arts Anne de Beaujeu, car la collection de peintures, exclusivement du 19ème siècle, y est entassée comme dans un cabinet des siècles passés, en couches successives jusqu'au plafond, et dans une obscurité presque complète.

Cependant la renommée de l'œuvre est maintenant planétaire et il ne serait pas étonnant que quelque édile en quête de visibilité électorale fomente un jour un plan machiavélique pour soustraire le joyau aux griffes du clergé moulinois.
Le rêve d'un triptyque baigné de lumière sur les cimaises d'un grand musée régional, voire du Louvre, se réaliserait alors.

Et puis, après quelques années, sa trop grande notoriété obligerait les conservateurs à le confiner, comme la Joconde, dans une cage de verre blindé à l'abri des touristes fanatisés, cinq mètres au-delà d'un cordon infranchissable.
 

Charles Guilloux, lever de lune sur un canal, détail, vers 1900 
Moulins, musée Anne de Beaujeu.