vendredi 17 août 2018

Nuages (44)

Pline l’ancien, avocat, procurateur, amiral, conseiller de l’empereur Vespasien, aura néanmoins trouvé le temps de compiler, de ses lectures, les connaissances scientifiques et techniques de son temps dans un énorme annuaire en 37 livres (3000 pages au format ePub) qu’il appela « Histoire naturelle » (Naturalis Historia, en latin) ; une énumération consciencieuse et chiffrée. Un travail de Romain.

On y découvre par exemple que « Chez l'homme, la longueur est la même depuis les pieds jusqu'à la tête que d'une main à l'autre […]. Le côté droit est plus fort que le gauche ; chez quelques-uns les deux côtés sont également forts ; chez d'autres c'est le côté gauche qui prédomine, ce qu'on n'observe jamais chez les femmes. » (*)

Sur le sujet des nuages, l’Ancien est indécis. Pour lui, ils sont créés dans un tourbillon cosmique (un peu confus) de la nature contre elle-même. « Ainsi la nature a des mouvements alternatifs, le monde est emporté avec une grande vitesse comme par une machine de guerre, et la discorde s'en accroît. Nulle pause n'est possible dans le combat, mais une rotation perpétuelle l'entraîne, et montre successivement à la terre la sphère infinie où siègent les causes des choses. Parfois même, en interposant les nuages, elle jette au-devant du ciel un autre ciel ; c'est le royaume des vents. »

Mais il reconnait que des nuages plus modestement terre-à-terre peuvent naitre de l’humidité. «  Je ne nierai pas qu'indépendamment de ces causes, il se forme de la pluie et du vent ; car il est certain que la terre exhale des brouillards, […] et qu’il se forme des nuages, soit par la sublimation de l'humidité, soit par la condensation de l'air en eau. »

Quant à mesurer leur distance précise, il estime que ce serait perte de temps. « Plusieurs auteurs ont rapporté que les nuages s'élèvent à une hauteur de 900 stades [166 km]. Ces choses sont ignorées et insolubles ; mais il faut en parler, parce qu'on en a parlé. Dans ces problèmes l'argumentation géométrique est la seule qui ne trompe jamais, et à laquelle il faut recourir si l'on se complait à aller plus loin dans ces recherches, sans toutefois songer à mesurer de pareilles dimensions (le vouloir serait user de son loisir avec folie), mais en se bornant à des évaluations approximatives. »



L’Histoire naturelle était le Quid de l’époque. Aujourd’hui les jeunes ne connaissent pas le Quid, cette énumération de tous les records et de toutes les vanités, qui nous rassurait en nous persuadant que tout le savoir du monde tenait dans un gros livre de 5 kilos (**). Le tranquillisant était renouvelé annuellement, de 1963 à 2007.
Il a été emporté, comme l’Histoire naturelle et comme tant d’autres sous les cendres de l’encyclopédie en ligne Wikipedia, qui tient seulement dans un petit appareil de 100 grammes (et accessoirement dans quelques milliers de serveurs informatiques nettement plus lourds).

Mais où qu’elle se trouve, une encyclopédie ne contiendra jamais que des connaissances passées, dépassées.
Ainsi Pline ne vante du Vésuve que les flancs couverts de vignobles renommés. Il ne peut pas savoir que quelques mois après la publication de son Histoire naturelle, ces pentes seront recouvertes de cendres et qu’il y trouvera alors, asphyxié, sa propre mort, sur la plage de Stabies près de Pompéï.

Il avait conclu le dernier livre de son Histoire naturelle par ces mots « Salut, Nature, mère de toutes choses, et daigne m'être favorable, moi qui seul entre tous les Romains, t'ai complètement célébrée. »

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(*) Les traductions du latin sont d’Émile Littré vers 1835. 
(**)  Les auteurs auraient d’ailleurs dû l’appeler Quot (Combien) plutôt que Quid (Quoi).

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