dimanche 11 février 2024

Invendus (5)

Adam de Coster - Reniement de Pierre c.1627, marché de l'art.

"Le marché est hésitant" lit-on à propos de la vente du 31 janvier 2024 chez Christie’s, première grande vente de tableaux de maitres anciens de l’année. On venait à peine de récapituler l’année 2023. En réalité on devrait lire "Les affaires vont mal" ; le marché, quand il s’inquiète, comme quand il se réjouit, le fait discrètement. Et il s’inquiète vite. Deux ou trois signes et il devient morose. Déjà à Paris fin octobre Miró avait déçu, 22M$ alors qu’on le voyait dans le panthéon des tableaux à 50 millions, Magritte également avec ses 12M$. 

Monet décevra-t-il le 7 mars avec une énième Matinée sur la seine disparue depuis 45 ans, ou le même jour Magritte, tellement ennuyeux quand il se pastiche, ou le 24 avril Klimt quand il finit ses vieux tubes de couleur inutilisés ?

Comme toute économie, le marché de l’art ne tient que par la confiance. Il est convaincu que le chiffre de demain sera plus gros que celui d’hier. Or le bilan de la vente du 31 janvier n’est pas fameux. Ilgiornaledellarte en a fait un long article qu’il titre avec retenue "Bilan tiède".


Sur 66 tableaux, 30 étaient invendus, 25 partis au plus bas de leur estimation, et 8 très en dessous.

3 tableaux ont tout de même réussi à disparaitre en doublant leur estimation moyenne ; Thomas Lawrence avec une tête réussie noyée dans un tableau grossier, l’inévitable Artemisia Gentileschi avec une jolie draperie dans un vilain portrait, un de ses meilleurs tableaux néanmoins, parti contre 84$ le cm², et une très belle et sobre nature morte d’Osias Beert aux noix et noisettes avec papillon et verre de vin, rare parce que ses tableaux sont habituellement très surchargés (le voir en haute qualité).


Parmi les 30 invendus, qui intéressent notre rubrique et qui réapparaitront peut-être dans quelque temps, notons :  


➤ Un Siberechts estimé 14$ le cm², pas au sommet de son art, mais traditionnel, comme on en verrait dans le musée d’une grande ville de province, avec son gué, ses saules, ses vaches et son cheval qui se soulage. Aucun musée n’en a voulu.


➤ Deux tableaux de Thomas Blanchet, peintre français du 17ème siècle formé surtout en Italie par Nicolas Poussin et sa bande, classique parmi les classiques au point d’en être insipide. Dans ses tableaux, tout est parfaitement rangé et réparti pour être lisible, le point de fuite est bien au centre et les ruines impeccablement antiques. Si on ne s’arrête pas aux mythologies désuètes qu’ils sont censés illustrer et si on imagine assister plus prosaïquement aux contrariétés domestiques d’un dieu ou d’un héros grec qui se querelle à propos de la garde des enfants (en bas à gauche) ou s’efforce de repérer l’origine d’une fuite d’eau (en bas à droite), on peut trouver quelque charme dans ces petits personnages perdus dans des architectures au cordeau. Mais à 18$ le cm², personne n’a été tenté. 


➤ Enfin, une nuit avec le Reniement de Pierre, par Adam de Coster, peintre rare, caravagesque hollandais dont il faudra parler un jour dans Ce Glob, n’a pas trouvé amateur à 21$ le cm². 


Rassurons les adeptes du luxe, si le marché de l’art accuse une petite faiblesse momentanée, les maisons de vente l’ont déjà largement amortie en écoulant à profusion leurs sacs à main et autres articles haut de gamme, reconnaissent-elles, et essentiellement parmi la jeunesse, qui sait si bien où sont les vraies valeurs.

Il suffit de regarder la courbe de la bourse, on dirait qu’elle gravit la pente d'un volcan.


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