La culture en supermarché
"Donner l’accès à la culture partout et pour tous" : c’est la rengaine de la ministre temporaire de la Culture. Autrement dit démocratiser la culture.
Comme les ministres qui l’ont précédée, on l’aura informée sur ces enfilades de salles du musée du Louvre où les surveillants sont plus nombreux que le public, quand au même moment on refuse l’entrée au 30 001ème visiteur du jour, parce qu’au premier étage de l’aile Denon, le 30 000ème tente de se frayer un passage dans la salle 711. Ce sont les consignes.
Quand l’un des objectifs du ministère est de rentabiliser ce vieux patrimoine dont elle a la charge, on comprend que la ministre y voie une sorte de gaspillage.
Le projet de la présidente actuelle du Louvre - isoler l’encombrante Joconde dans un circuit distinct, avec sa propre entrée, son propre tarif, et ainsi espérer satisfaire l’ambition à peine voilée de passer de 9 à 12 millions de visites par an - demandera des années de travaux et n’augmentera sans doute pas sensiblement les visites dans les salles habituellement délaissées du musée. Parmi une population, la part qui s’intéresse aux choses du passé semble modérée et stable ; il suffit de compulser les statistiques de fréquentation des musées (on ne parle pas des expositions temporaires, qui attirent le public en proportion de la quantité de publicité mise en œuvre, quel que soit le sujet).
Mais voilà, quand on est ministre, ou quand on préside un musée, on croit encore que si les gens ne se pressent pas pour admirer les choses et les lieux qui ont imprégné notre propre vie, la culture officielle, c'est que leur méconnaissance et leur condition modeste les en empêchent, mais qu’ils en rêvent.
Aussi, après d’incalculables réunions dépensées auprès de cabinets de conseil en stratégie, est né le projet "J’habite au Louvre" devenu en 2025 "Le Louvre au centre". Titres évocateurs et attractifs, puissance du marketing !
D'abord partenariat à Lille en 2022 entre le Louvre et URW, groupe immobilier qui possède des dizaines de centres commerciaux, puis fin 2024 à Villeneuve-la-garenne avec la présidente du musée en représentante de commerce, l'opération aura été récupérée par la ministre de la culture.
Ainsi au long de 2025, 6 centres commerciaux de la société URW, à Rosny-sous-bois, Dijon, Lyon, Paris, Rennes et enfin Lille, recevront, pour environ un semaine, 22 chefs-d’œuvre du musée du Louvre accompagnés d’un personnel d’animation et d'un dispositif d'appareils ludiques mais culturels, baby-foot culturel, boite à selfie culturel…
La liste des œuvres exposées n’est pas connue mais on remarquera sur les vidéos quelques locomotives du musée : la Joconde (ça alors !), la grande odalisque d’Ingres et son cadre d’une remarquable laideur, le Scribe accroupi, et des noms moins connus mais académiques et très tendance, comme Vigée-Lebrun, Flandrin, Benoist.
Levons tout doute afin d’éviter la déconvenue d’un public pointilleux : les peintures sont en réalité des photographies et les marbres sont en plastique.
Mais déambuler derrière un caddie plein des provisions hebdomadaires, parmi les posters de merveilles de l’histoire de l’art choisies spécialement pour nous, abandonner en toute sécurité les enfants à la garderie érudite du musée, pendant qu'on musarde dans le rayon des fruits et légumes, y a-t-il approche plus démocratique de la culture ?
Et c'est bien la faute des dictionnaires si le mot vulgariser est proche synonyme de démocratiser, et synonyme exact de trivialiser.
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