Le 5ème Baugin
Lubin Baugin, Nature morte aux financiers v.1630, 60cm. En vente chez Vichy-Enchères le 16 aout 2025 à 13h45.
Le cliché de Vichy-Enchères n’étant pas présentable dans un blog sérieux et réputé, les innombrables défauts dans la couche de vernis qui la constellent de petits reflets insupportables ont été estompés dans notre reproduction. De même, les couleurs ont été alignées sur celles du catalogue de la vente (PDF 9p.), plus douces et froides.
Le coin de mur à gauche, le manche du couteau, le pain, donnent l’impression que le panneau peint a été rogné pour s’ajuster à un cadre préexistant ; en page 9 du catalogue, la signature en partie cachée par le cadre n’est plus tronquée.
On apprend, chez Vichy-enchères, dans un copieux dossier bilingue de 30 pages, qu’a été découverte, dans une collection privée de la région, une nature morte jusqu'alors inconnue, la 5ème attribuée avec certitude à Lubin Baugin. C’est un évènement. La Gazette Drouot en imprime même deux pleines pages d’un verbiage débordant des poncifs du genre (réservé aux abonnés, depuis peu !). Il est vrai que la trouvaille est exceptionnelle et mérite l’emphase ; il faut relancer le marché qui depuis des mois s’essouffle.
Le peintre
Né vers 1610 dans une famille de notables marchands près de Pithiviers, peintre fameux en son temps pour ses tableaux et décors religieux peuplés de personnages maniérés à l’anatomie vague et molle, comme d’un Corrège en caoutchouc, Lubin Baugin a été vite oublié. Seules quelques-unes de ses œuvres étaient signées, d’une écriture cursive en lettres minuscules.
Or, lors de la mythique exposition "Les peintres de la réalité" à Paris en 1934, un autre Baugin était révélé, auteur de quatre magnifiques natures mortes classiques et sereines, dont trois signées en capitales ⬪ B A V G I N ⬪, dont deux exposées depuis au Louvre et prisées comme les plus beaux exemples de la nature morte française au 17ème siècle. Elles illustraient naguère encore nos livres de classe (pour des reproductions, indignes du plus grand musée du monde, et qui en revendique des droits d’auteur, voir justement le catalogue en ligne dudit musée. Les plaintes sont à adresser à la direction du musée).
La documentation réunie par les spécialistes a montré depuis que les deux Baugin ne faisaient qu’un, qui avait parfait sa formation à Paris dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés entre 1629 et 1632*, où il avait peint les natures mortes, puis était parti à Rome pour l’habituel pèlerinage du peintre, y était resté 9 ans, et obsédé par Reni, Raphaël et surtout Corrège, n’avait plus peint, jusqu’à sa mort en 1663, que des sujets de dévotion dans une manière affectée.
* Peut-être d’abord auprès de Louise Moillon déjà bien établie à Saint-Germain, dont Baugin peint, dans ce qui est considéré comme son premier tableau connu, la même coupe qu’on trouve dans les cerises de Moillon.
Aujourd'hui le Baugin mièvre et sirupeux pour cours d’instruction religieuse n’a plus la faveur que de rares érudits raffinés, quand le rigoureux et parcimonieux peintre des fragiles vanités quotidiennes est admiré comme "pionnier dans l’émergence de la nature morte française", disent les manuels.
La vente
Certainement convoité, le tableau, estimé entre 200 et 250 000€, vient d'être retiré des "enchères en live" mais pas du catalogue de la vente. Sans en saisir clairement les conséquences, on voit se profiler le scénario du panier de fraises : interdiction d’exportation, préemption par le Louvre, couinements simulés de sa présidente en quête de finances, appel éventuel à l'artifice "Tous mécènes", générosité bien calculée d'un mécène marchand de sacs à main, exposition au Louvre avec toute la publicité triomphante qui convient.
Pour connaitre la suite de cette histoire, il vous faudra revenir sur cette page dans un mois, après le 16 aout, ou début septembre quand les médias se réveilleront. Une mise à jour la résumera peut-être si la destinée de ces friandises qu’on consommait jadis en entremets leur a semblé suffisamment croustillante.
4 commentaires :
Merci de m’avoir fait découvrir cet Lubin Baugin, peintre pâtissier (quel beau beau métier, s’il en fut !).
Je trouve sa nature morte (ou « encore vivante » comme disait Darwin) aux financiers mieux réussie que celle des « gaufrettes » qui sont déjà au Louvre.
Il faut dire qu’un peintre né près de Pithiviers, aux rives de l’Œuf, ne peut être que la crème des artistes tout en faisant amende (ou amande) honorable en peignant des saints, des Christ voire des girafes !
Mais c'est vrai ça ! Reconnaissons tout de même que l'Œuf n'est pas bien gros. Cependant cette importante découverte dans la destinée pâtissière de Baugin ne vous autorise pas à émettre cette réserve sur ses gaufrettes. C'est le plus beau tableau du Louvre après le portrait de Madame Lenoir par Duplessis, et ça ne se discute pas. Si vous n'étiez un si fidèle et docte contributeur, cette incartade aurait pu vous couter l'annulation de votre abonnement à Ce Blog, tout simplement. Bon, on me dit dans mon oreillette de faire preuve d'indulgence. Soit.
Ouf, je peux rester sur ce blog plat : merci Costar !
Cela étant, je vais encore vous taquiner en affirmant que la plus belle œuvre de Duplessis (Joseph-Siffred, pour les intimes) reste quand même le portrait de Benjamin Franklin (que l’on adjugera à pas moins de cent dollars, et sans dol art). Du reste, Donald et Joe sont d’accord avec moi, alors camembert !
Ah je vois où se situent vos critères de la beauté. Il a été reproduit à 14 milliards d'exemplaires. voir ma chronique sur le sujet : https://ostarc.blogspot.com/2022/02/non-ca-nest-pas-la-joconde.html
Alors vous savez peut-être qu'une grande rétrospective Duplessis se donne actuellement jusqu'au 28 septembre à Carpentras, que Madame Lenoir y est en compagnie du Benjamin Franklin que le Metropolitan de New York a prêté pour l'occasion (celui avec le col de fourrure de 1778). Tout cela se dit dans cette excellente vidéo ennuyeuse mais très informée : https://www.youtube.com/watch?v=I8RF3xAvBEQ
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