samedi 18 août 2007

Ceci n'est pas un Rembrandt

Quand les experts s'ennuient, ils se mettent à examiner avec des moyens plus modernes ce que leurs aînés avaient passé des années à laborieusement étiqueter. Chaque musée connaît périodiquement ces vagues d'effervescence purgative. C'est le grand nettoyage, la valse des attributions.
Le profane ne s'en rend pas immédiatement compte. Les gardiens de l'authenticité accomplissent leur lente érosion dans la pénombre. On se réveille un matin ensoleillé, et «l'homme au casque d'or», chef d'œuvre de Rembrandt unanimement admiré à la Gemäldegalerie de Berlin, se retrouve attribué à un vague imitateur anonyme et retournera peu à peu dans l'ombre.

Entourage de Rembrandt - L'homme au casque d'or
(Berlin Gemäldegalerie)

De même on conseillait à tous, depuis longtemps, le voyage à la National Gallery de Londres, ne serait-ce que pour y admirer le stupéfiant «homme lisant dans une pièce». On le cherche maintenant fébrilement dans un catalogue complet des peintures de Rembrandt pour le trouver enfin, minuscule cartouche en noir et blanc relégué dans une annexe, près des toilettes et attribué à un peintre sans nom. Exclu pour raisons «stylistiques».

Entourage de Rembrandt - Homme lisant dans une pièce
(Londres National Gallery)

Mais la résistance s'organise. Les gardiens de l'authenticité classent le «philosophe méditant» du Louvre, icône de nos livres d'écoliers, dans les tableaux douteux. Le musée refuse qu'il retourne dans l'ombre et l'attribue encore à Rembrandt, même s'il ne fait pas partie des 47 œuvres choisies, distinguées sur la page des peintures hollandaises du musée du Louvre.
Le musée a raison de résister. Les gardiens de l'authenticité reviennent parfois sur leur jugement. Le «cavalier polonais» de la Frick Collection de New York a fait l'objet d'une exclusion discutée à la fin du siècle dernier, mais, si on en croit certains bruits, il serait actuellement réhabilité, par les mêmes juges, d'une courte tête. Il suffirait d'un rien...

Par chance le «Souper (ou les pélerins) à Emmaüs», une des merveilles du musée Jacquemart de Paris, le plus beau Rembrandt en France, tient bon. Il est encore authentique aujourd'hui. Isolé dans ce discret musée parisien, il a probablement été oublié. Mais pour combien de temps?

Rembrandt authentifié - Le souper (ou les pélerins) à Emmaüs
(Paris musée Jacquemart-André)

Au rythme des dépossessions * récentes, dans un siècle à peine, Rembrandt n'aura pas existé.
Tout cela serait après tout plutôt indifférent si tous ces tableaux orphelins ne risquaient pas de s'égarer un jour dans les caves poussiéreuses d'un musée, ou les couloirs d'un ministère.
Alors, afin qu'on ne les oublie pas, diffusons à outrance les reproductions de ces tableaux d'imitateurs. Ils sont parfois plus beaux que les «authentiques».

***
* Le site extraordinaire de Frank J. Seinstra de l'université d'Amsterdam présente la reproduction chronologique de l'intégralité des peintures de Rembrandt (ou de ses imitateurs), accompagnées des péripéties de leur authenticité.

5 commentaires :

Anonyme a dit…

C'est dommage pour ces tableaux, mais tant mieux si on sait exactement ce qui a été réalisé ou pas par un artiste.

Costar a dit…

Oui. Mais pour ceux qui ont eu un grand atelier et beaucoup d'élèves, on ne saura probabalement jamais faire cette distinction et les attributions valseront toujours en fonction des modes et des générations d'experts.

Anonyme a dit…

…Exact, et si les experts achètent de plus grosses « loupes scientifiques » les caves des musées vont se remplir et les murs se vider ;-)

Unknown a dit…

Peut-on se demander ce qui le plus imoportant : l'auteur ou l'oeuvre ?

Parce que ce n'est pas du pinceau de Rembrant, ce serait moins bon ?

Je trouve cette attitude d'un profond snobisme. Faudrait-il retirer des musées tout oeuvre dont on ne connaitrait pas l'auteur ? Les musées sont pleins d'inconnus. L'Homme au casque est extraordinair. Quoi de demander de plus ? On ne sait pas de qui ? On ne met rien. C'est tout. Mais on l'expose. Ailleurs que dans le musée consacré à Rambrant, c'est tout.
L'oeuvre prime sur tout. Tant mieux si on sait de qui.

Claude Salvaille
Québec

Costar a dit…

Oui Claude, je suis d'accord avec vous, l'œuvre prime. Mais entre un beau tableau anonyme et un Rembrandt moyen, les musées préfèreront toujours exposer le Rembrandt attesté (attesté pour combien de temps d'ailleurs ?) et reléguer le tableau anonyme dans une salle mal éclairée, ou en réserve, ou encore dans les bureaux d'un ministère. Alors dans ce cas je préfère que le tableau anonyme soit attribué même par erreur à Rembrandt et il sera alors exposé dans de bonnes conditions.