mardi 15 mars 2011

Respectons les imbéciles

C'est sans doute dans les émissions de radio et de télévision people (prononcer « pipole ») qu'il anima avec passion pendant plus de vingt ans, en fréquentant l'aristocratie et les célébrités, que l'actuel ministre de la culture a aiguisé sa rigueur intellectuelle, car c'est un métier exigeant que la flagornerie. On ne sera donc pas étonné de la réponse qu'il vient enfin d'apporter à la question écrite numéro 81937. Pour le lecteur oublieux, elle interpellait le ministre sur la décision très contestée du musée d'Orsay d'interdire au public toute photographie dans son enceinte.

Pour le résumer, le ministre estime que la mission de « démocratisation culturelle » est parfaitement satisfaite par la mise à disposition sur le site du musée, et sur d'autres bases numériques, d'images en basse définition (il l'admet) mais de « bien meilleure qualité » (dit-il) que les photos prises généralement par le public. L'objectif étant atteint, l'interdiction de photographier n'est plus qu'un acte de gestion quotidienne laissé au libre jugement du musée.

En effet, quand on compare une photo du musée à une autre prise furtivement par un contrevenant, dans de mauvaises conditions de lumière et à main levée avec un petit appareil de poche (voir l'illustration), on peut affirmer avec le ministre « qu'il n'y a pas photo ».

Il ajoute, pour charpenter sa réplique, un argument fort rigoureux « La décision a été bien accueillie par les agents de surveillance ». Effectivement, les agents d'accueil sont certainement ravis de voir ainsi évoluer leur métier qui consistera désormais à épier et réprimander le plus infime geste vers son téléphone du touriste qui simulera alors l'ignorance à grand renfort de « no comprendo, no comprendo ». Une vie palpitante.

Puis vient le troisième justificatif du ministre, sorte d'argument d'autorité « D'autres grands musées européens l'ont fait avant lui ». Et il cite en exemples le Prado de Madrid ou le Rijksmuseum d'Amsterdam. C'est vrai, mais ces musées ont au moins l'excuse d'être renommés pour la qualité et les dimensions des reproductions de leur catalogue en ligne, au contraire d'Orsay.

Enfin toute cette rhétorique est vaine, car la véritable question n'est pas abordée. Il y a mille autres raisons de prendre des photos dans un musée, mille motifs qui sont désormais interdits à Orsay. On ne pourra plus montrer à la famille admirative et envieuse qu'on était réellement à Paris, si près de ce tableau de Van Gogh. On ne pourra plus entretenir le souvenir d'une œuvre qu'on aura aimée et qui n'a pas la chance d'être parmi les clichés élus par le goût officiel et reproduits à l'infini. On ne pourra plus conserver la mémoire de certains détails jamais reproduits. On ne pourra plus illustrer un article par une image originale, inattendue (Ce qui semblait chiffonner le ministre qui s'étonne « De plus certaines photos sont utilisées sur des blogs » Quelle horreur !).
Cette décision liberticide du musée, avec l'appui d'un ministre, est aussi une imbécilité contre-productive. Si elle est respectée, toutes les images du musée et des collections disparaitront en quelques mois des sites internet, des forums et des blogs du monde entier, et on ne trouvera plus que de rares photos officielles fournies par le musée, achetées au prix fort, ressassées, retouchées et élogieuses à la gloire d'Orsay, comme dans les bonnes vieilles dictatures.

Alors essayons de respecter l'oukase imbécile d'Orsay, oublions désormais le musée. N'en parlons plus.

Ajout du 23.03.2011 : Une avocate (A.L. Stérin) détaille sur le site de l'ADBS les motifs d'illégalité de l'interdiction.
Ajout du 15.10.2012 : Vous trouverez un récapitulatif complet, documenté et inquiétant des atteintes publiques au domaine public (CopyFraud) sur SILex, le blog de Calimaq.



3 commentaires :

Tilia a dit…

Bien dit ! un bon coup de gueule, ça fait du bien.
J'ignore le nom du ministre en question, ma mémoire à d'autres choses bien plus importantes à enregistrer.
Le site du musée d'Orsay est une honte comparé à ceux que vous citez et que j'ai l'habitude de fréquenter avec plaisir.

Le Professore a dit…

On ne saurait mieux dire, comme d'habitude ; cette décision imbécile montre une fois de plus la ringardise de nos élites politiques et économiques vis-à-vis d’internet : le monde a changé, mais elles ne l’ont pas compris… car il est tout simplement impossible d’appliquer cette décision ; n’importe qui a désormais sur lui en permanence non seulement un appareil photo, mais aussi un navigateur internet, ca s’appelle un téléphone, monsieur le ministre !

Et bien sur, je rejoins Ostarc sur mon antienne favorite ; il me semblait que la mission de l’état (et donc du Musée d’Orsay) était la propagation de la culture…

Costar a dit…

On lit maintenant dans les statuts des institutions publiques des choses du genre « entretenir, informer, propager et faire FRUCTIFIER ». Et comme il est facile de vendre de la carte postale en privant le public d'un droit, n'hésitons pas, se sont-ils dit.
La petite note d'espoir est que le Louvre y a renoncé après sa décision de 2005, voyant que c'était totalement inapplicable.