mercredi 18 avril 2012

Le temps des cerises


Vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous... Et tous ces dégâts, ces malheurs, cette ruine, ne vous viennent pas des ennemis, mais de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, de celui pour qui vous allez si courageusement à la guerre... Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne vous les emprunte ?
Étienne de La Boétie,
Discours de la servitude volontaire, 1549

Dans quelques jours les Français vont peut-être élire un président qu'ils n'aiment pas, alors qu'ils en auraient majoritairement préféré un autre. Ils ne le feront pas exprès, mais le système électoral français est conçu de telle manière que la chose peut advenir. 

Tous les politologues depuis la Révolution Française connaissent l'anomalie, et les électeurs depuis 2002, lorsqu'un candidat qui avait obtenu 21% des voix au premier tour a écrasé son concurrent au second tour avec plus de 82% des suffrages, alors que les Français leur préféraient en majorité un troisième, déjà éliminé.
Car le système du scrutin uninominal majoritaire fonctionne ainsi. Il contraint aux alliances et n'exprime pas des opinions réelles mais des stratégies de vote, qui sont souvent aléatoires et parfois contreproductives. Et ce n'est pas son seul défaut. Michel Balinski et Rida Laraki, mathématiciens et trouveurs au CNRS, en ont fait la liste et ont conçu une méthode de vote, le « jugement majoritaire », censée les éliminer tous et redonner un peu d'air au mot démocratie.

Le principe est simple. Chaque électeur juge tous les candidats, sur une échelle de sept qualificatifs. Balinski et Laraki détaillent et justifient ce système dans le numéro d'avril de la revue Pour la science. Et aussi lors d'une conférence-débat au Collège de France le 29 février 2012. Passionnante, elle est téléchargeable ici. La 29ème minute de la vidéo, sur les élections de 2002, vous clouera sur place !

Le jugement majoritaire comme système électoral, il restera à mettre en place les règles de révocabilité des élus quand ils trompent leurs électeurs. On pourra alors peut-être parler de démocratie en France.
Mais il subsiste hélas une objection majeure : les lois électorales sont confectionnées par les élus. Les élus ne peuvent qu'être satisfaits des règles électorales qui les ont fait élire. Pourquoi les changeraient-ils pour de nouvelles règles qui risqueraient de leur coûter le pouvoir ?
Et là, les mathématiciens sont désarmés.


Le temps des cerises, écoutez la belle interprétation de Jean Lumière

1 commentaire :

Tilia a dit…

Hélas, pas encore de cerises dans la soupe populaire. Les coquelicots n'ont pas réussi à séduire les godillots bobos.