mardi 29 mai 2012

Midi moins libre

Depuis une dizaine de jours (1) le groupe de presse Sud Ouest offre aux auteurs et lecteurs de blogs (notamment ceux du journal Midi Libre) une occasion de jouer en s'instruisant, de se divertir intelligemment.
En effet, le groupe a confié à une entreprise le soin de modérer les commentaires de tous les blogs qu'il héberge, par le moyen d'un logiciel dont elle prétend maitriser la technologie, ce qui la rend manifestement fière. La modération consiste, à l'aide de ce logiciel automate, à repérer certains mots et à interdire la publication des commentaires contenant un de ces mots (et parfois à bloquer tous les commentaires du billet, car les auteurs n'ont plus d'action autorisée dessus).
Les blocages effectués semblent parfaitement aléatoires, parfois contradictoires.

Alors le jeu est de rechercher les mots interdits et de comprendre la logique employée par l'automate. Et là, tous les mots sont permis. Une faille du système permet d'ailleurs d'échanger les mots censurés puisque seuls les commentaires sont modérés, pas le contenu des billets. On commence donc à voir fleurir des chroniques surréalistes qui cherchent en tâtonnant à constituer des listes de mots autorisés ou non.
Mais ça n'est peut-être pas aussi simple car il est possible, pour pimenter le jeu, que certains mots ne soient interdits qu'utilisés dans un environnement particulier (par exemple Fraise des bois ou Talonnettes dans un blog à coloration politique).

Et puis, il n'y a peut-être pas de logique du tout. Franz Kafka, dans ses romans, représente toujours l'Autorité comme arbitraire, et c'est pourquoi on s'y soumet, par obligation, car on n'en connaitra jamais les motivations. Il l'assimile à la vie, barbare et incohérente.
Les raisons de Sud Ouest sont peut-être également despotiques, sans intention. Comment expliquer, sinon, que des blogs aux préoccupations locales, qui parlent essentiellement de météorologie, de recettes de cuisine et de cartes postales anciennes, inquiètent un puissant groupe de presse ?

Las de cet arbitraire, le personnage du Procès de Kafka renonce. Il se laisse conduire dans une carrière désolée et exécuter au couteau de boucher, en s'en excusant presque.
Mais on peut aussi chercher, comme des millions de Chinois le font tous les jours, des moyens de contourner ces interdits. Ou se concerter pour envoyer en même temps des centaines de milliers de mots, en commentaires, et finir par faire exploser les neurones du génial logiciel (et aussi le budget de Sud Ouest qui paye certainement cette censure à la quantité de mots contrôlés).

Post-scriptum : devant les protestations recueillies, Midi Libre semble avoir décidé aujourd'hui même de suspendre, avec effet dans les prochains jours, cette expérience de modération directe qu'il qualifie de dysfonctionnement.
À suivre.


L'intérêt d'une interdiction est de signaler aux esprits étourdis ou peu imaginatifs qu'une action pourrait être envisagée si elle n'était justement prohibée. Par exemple ici, sur la pointe de Pen-Hir en Bretagne, quelle âme perverse aurait jamais pensé lapider des escaladeurs ?

***
(1) Merci à l'Oiseau du soir pour cette information, et pour son commentaire ci-dessous, dans lequel on trouvera un lien vers un billet passionnant de B.Kali sur la société Netino et les prolétaires africains qu'elle emploie (en les appelant modérateurs free-lance) à censurer les blogs pour d'importants groupes de presse français. 
 

1 commentaire :

Tilia a dit…

L'oiseau du soir... quelle tournure poétique pour désigner la chauve-souris, mon animal totem. Je dois avouer que je ne m'étais pas reconnue avant d'avoir passé ma souris (également chauve) sur cette jolie métaphore :)

Mes quelques lignes en bas de mon dernier billet ont donc piqué votre curiosité et vous avez enquêté.

Votre article expose parfaitement le problème. Il y manque juste le fait que Niet&no emploie certes le fameux logiciel dont vous parlez, mais aussi quantité de modérateurs en chair et en os, répartis dans les pays où les salaires sont les plus bas...

La situation étant revenue à la normale pour les blogs ML, on peut à présent se permettre d'en rire, ce qui n'était pas le cas ces jours derniers.
Exemple de franche rigolade ici, où Lou Ravi dit avoir reçu un courriel lui faisant la morale à propos d'un terme cru employé dans l'un de ses commentaires précédents
:D
Je ris mais j'espère bien ne jamais connaître ce genre de situation avec notre hébergeur commun. Comme dit l'ami Michel, restons vigilants.