lundi 17 novembre 2014

La comète et le grain de sable

Broderie de Bayeux, dernier tiers du 11ème siècle, détail de la scène avec la comète de Halley qui avait été observée en 1066 (photo Myrabella).

Après avoir passé dix années à faire des calculs, des croquis, des tests dans des baignoires, une joyeuse bande de scientifiques européens lançait le 2 mars 2004 un gros jouet télécommandé dans l’espace, une grande machine à laver avec deux ailes immenses. Sur son flanc était accroché un four à microondes cubique à trois pattes. Le tout partait visiter une comète.

Les scientifiques pensaient que cet attirail leur apporterait une réponse ultime sur l’origine de l’eau et de la vie. Car s’ils sourient à la légende d’un dieu qui aurait séparé les eaux d'en bas de celles d'en haut au moyen d’un toit, ils soupçonnent que l’eau et les molécules organiques complexes ne sont pas nées sur terre mais proviennent d’une époque lointaine du système solaire où les planètes subissaient la lapidation effrénée et incessante des comètes et aérolithes de tous genres.

En 2004 déjà, la crise financière forçait à l’économie, et la machine à laver ne pouvant pas embarquer beaucoup d’essence on utiliserait un procédé malin de rebonds gravitationnels qui lui permettrait de gagner de la vitesse à chaque passage près d’une planète. Mais ce trampoline durerait dix ans.
Ainsi en janvier 2014, et après plusieurs années d’hibernation, les deux machines volantes furent réveillées en douceur, et la comète prit lentement devant leurs yeux la forme d'une cacahuète bilobée, chaotique et poussiéreuse.

Et puis tout s’est passé trop vite.
La tension médiatique savamment entretenue depuis quelques mois devait logiquement conduire à un apogée spectaculaire : l’atterrissage du petit four à microondes sur le sol de la comète à la consistance inconnue et son premier regard panoramique sur ce nouveau monde au moyen de caméras subtilement disposées.
C’était compter sans le grain de sable. Ici le grain de sable était le microonde lui-même. Car s’il pesait cent kilos sur terre, la gravité presque nulle de la comète ne lui concédait plus qu’un seul gramme, et le moindre rebond lui serait forcément fatal.
Alors comment est-il allé s’empêtrer après deux rebonds entre des rochers à l’autre bout de la cacahuète ? Par chance ces rochers l’ont probablement retenu de retourner définitivement dans l’espace, et là, coincé, il a pu effectuer une partie de ses expériences de physique et chimie amusantes.
Mais en quelques heures, batterie vide et surtout panneaux solaires à l’ombre, à bout d’énergie, il s’est éteint, parvenant néanmoins à transmettre des résultats dans un dernier souffle.

Sur Terre les communications officielles, rassurantes, insistent sur le succès de cette exploration sans précédent, car les deux engins ont déjà récolté dit-on des wagons de données et la machine à laver poursuivra et espionnera encore la comète jusqu’à ce qu’elle s’évapore au feu du soleil.
Et puis notre petit microonde, qui a déjà effectué bravement une partie de sa mission, pourrait même renaitre si les conditions de luminosité le permettent, dans huit mois, au prochain été sur la comète.

Le 12 novembre, jour de l’atterrissage, un haut responsable de l’opération lançait avec exaltation « Zissiz eu big steppe for ioumanity ! » (c’est un grand pas pour l’Humanité - en langage scientifique).
Nous, on aurait quand même bien aimé contempler le paysage de ce monde inconnu, vu du sol, comme si on y était, rien que pour le spectacle...

L’Humanité vient certainement de réaliser un exploit, de faire un grand pas scientifique en avant, mais elle a maintenant le pied coincé entre deux rochers indéterminés, sur une comète inamicale à 500 millions de kilomètres de la terre, par un froid glacial.

4 commentaires :

Le Professore a dit…

Bonjour cher ostarc,

J'avoue rester perplexe devant cette notule. Je vous sens sourdement en colère, pour des raisons que je peine à m'expliquer. Qu'y a t il de mal en effet, dans cette expédition. Moi qui suis le premier à refuser de bèler avec le vulgum pecus, j'ai du mal, cher ostarc, à ne pas m' esbaudir devant ces petites images chichiteuses que nous envoie Philae. Et même s'il y a une composante com, c'est au service d'une noble ambition, à savoir plus de crédit pour la recherche spatiale.
Merci de m'éclairer sur votre courroux, s'il existe tellement !

Costar a dit…

Professore, je suis certain que vous ne parlez de courroux que pour faire un jeu de mots sur le nom du site de lancement de Rosetta ! Car je n'ai jamais cherché à exprimer autre chose (sans succès alors) qu'une certaine déception. Vous savez je n'ai aucune imagination et j'ai besoin des images. On nous avait promis (et tous les dispositifs pour cela étaient mis en place) une vue panoramique du sol de la comète, en 16/9ème avec son stéréo 5.1, et Philae se retrouve finalement coincé, peut-être définitivement à l'ombre de rochers, sans énergie, avec des expériences scientifiques en partie compromises et sans images très spectaculaires comme ont su le faire d'autres missions.
Je connais assez bien l'exploration spatiale, elle m’émerveille, et je sais que cet atterrissage raté est déjà en lui-même un exploit, je le dis, mais il était difficile de retenir un sentiment de frustration. Ajoutez à cela l'ironie que j'utilise généralement pour décrire les agitations de l'espèce humaine et les hyperboles qu’elle sait employer quand elle communique pour se persuader elle-même de la grandeur de ses conquêtes, et vous obtenez probablement cette impression négative qui vous a choqué.
Je le regrette, mais je préfère laisser à l’omniprésente presse officielle et ses nombreux experts en communication le soin de présenter unanimement les choses sous un jour glorieux, ce qui est probablement aussi légitime, et certainement plus rentable.

Solvej a dit…

Bonjour, je suis tombée sur votre blog par hasard,( l'article "un Van Gogh sur3", moi aussi j'avais remarqué cette histoire loufoque ) je ne me suis pas fait mal et je le trouve épatant. Mais il n'y a pas de bouton " s'abonner" ? Abonnez-moi, s'il vous plaît...
A bientôt et bravo.
Solvej
http://solvejpeint.blogspot.fr

Costar a dit…

Solvej je vous ai envoyé un mail personnel. S'il n'est pas arrivé, cliquez simplement sur le globe orange dans la colonne de droite du blog...