lundi 12 mars 2018

Et encore un scandale scandaleux

Il faut s’y habituer, et accepter le fait qu’une proportion non négligeable des tableaux admirés dans les expositions ou les musées sont des faux, surtout la peinture moderne, depuis la deuxième moitié du 19ème siècle, qui est facile à contrefaire. « Faux » signifie en fait qu’ils ne sont pas attribués, sciemment ou non, à ceux qui les ont réellement peints.

Et à ce propos, la directrice du musée de Gand en Belgique, très riche en peintures flamandes, n’est pas vernie. À peine prenait-elle ses fonctions en 2014, que l’aréopage d’experts réunis pour le 500ème anniversaire de la mort de Jérôme Bosch déclassait le tableau fétiche du musée, sa « Joconde », le célèbre Portement de croix, et le confinait au rang de « travail d’un épigone de Bosch ». Ce mot cruel, épigone, était tellement vexant que le musée, appuyé par une autre école d’experts, décidait de ne pas corriger l’étiquette qui commente le tableau.

Fut-ce l’évènement déclencheur qui incita la dame à défier depuis toutes les expertises, et l’entraina dans la spirale infernale d’une fuite en avant sans fond, jusqu’à la conduire au pinacle de l’opprobre ? En bref, la directrice vient d’être suspendue de son poste par la ville de Gand. Il faut admettre qu’elle n’avait pas lésiné.

Conservatrice de la Biennale de Moscou en 2013, spécialiste en art contemporain, elle avait organisé fin 2017 dans son musée l’exposition de 24 tableaux et sculptures rares de « l’avant-garde russe (Malevitch, Kandinsky, Larionov…) »
Les œuvres appartenaient à un milliardaire russe fraichement émigré en Belgique et dont la collection était déjà mêlée à plusieurs affaires actuellement en justice ; une exposition à Tours en 2009, fermée et saisie avec mise en examen de l’expert et organisateur pour contrefaçons diverses, une autre affaire à Wiesbaden en 2013, une enquête autour d’un trafic de faux dans une galerie moscovite, une accusation de falsification d’un catalogue du musée de Kharkov.

En janvier 2018, une quinzaine d’historiens et marchands d’art donnaient l’alarme par une lettre ouverte, résumée ainsi par le directeur du musée d’art contemporain d’Anvers « Ces pièces majeures, cataloguées nulle part, doivent susciter le doute, tant l’avant-garde russe est un domaine peu ordonné. »
Le scandale s’amplifiant, les tableaux et sculptures étaient retirés fin janvier et le ministère de la Culture nommait un comité d’experts pour les authentifier. Le comité démissionnait illico en raison, semble-t-il, des conditions imposées par le collectionneur, qui avait dénoncé le contrat de prêt et aurait fait enlever les œuvres fin février.
La directrice suspendue du musée, également « conseillère scientifique » du milliardaire, se réfugiait derrière la confidentialité des informations sur l’authenticité, fournies par le collectionneur même, et affirmait avoir consulté deux expertes de l’art russe pour organiser l’exhibition. Mais dans sa confusion, tête de linotte, elle avait oublié de les prévenir. Lesdites expertes ont démenti.

Tout cela est regrettable, le tableau de Kandinsky, entre autres, avait un air bien décoratif avec toutes ses couleurs pimpantes. Et puis une exposition de plusieurs mois dans ce musée à la réputation internationale en aurait affermi le pédigrée, un grand pas vers l’authenticité.


On ne se rend jamais bien compte comme il est laborieux et délicat de réaliser un beau Kandinsky original. On peut considérer celui-ci en illustration comme assez réussi, et même, si son expertise scientifique est un jour pratiquée, peut-il se révéler peint par Kandinsky en personne, ou au moins, ne soyons pas trop gourmand, par un contemporain proche. Pour l’instant il fait l’objet de sérieuses suspicions dans l’affaire du musée de Gand.

Laissons au lecteur fidèle et pointilleux le soin de constater la tendance de ce blog à parler de plus en plus souvent des fraudes retentissantes, comme dans la meilleure presse à scandale. Mais on ne peut pas oublier que c’est au cœur du musée de Gand, dans un grand atelier vitré, que se poursuit sous les yeux du public, depuis 2012 et jusqu’à fin 2019, l’une des opérations les plus périlleuses de l’histoire de la peinture, le ravalement, pardon, la restauration du prodigieux polyptyque de l’Agneau mystique de Van Eyck.

2 commentaires :

Martin-Lothar a dit…

Au moins une chose est sûre : ce n’est pas Jérôme Bosch qui a peint le Kandinsky que vous nous présentez.

À propos de la liste canadienne de Magritte (votre billet précèdent) celle de JB (le peintre, pas le whisky) doit être fort longue et évidemment passionnante et amusante à dresser. On ne devrait certes pas y trouver de locomotive, bien que chez notre sagace et espiègle Jérôme, le diable et le génie se cachent souvent ensemble dans les détails. Bien à vous

Costar a dit…

Oui mais une pipe reste une pipe, et un chapeau reste un chapeau, quoi qu'en dise Magritte. La liste est primaire.
Trouver les mots qui décriront les bestioles humanoïdes et autres ornithorynques qui composent la ménagerie de Bosch demandera infiniment plus de doigté, même s'il y a cent fois moins de tableaux à inventorier.