Tableaux singuliers (13)
Boilly, Le tableau du Sacre exposé au regard du public dans le Grand Salon du Louvre, 1810 (Metropolitan museum, New York - Cat. Bréton et Zuber : 761P)
Jacques-Louis David (1748-1825) était un grand peintre français extrêmement officiel, courtisan au service de tous les pouvoirs, de la Révolution à l’Empire, et chef de file en France du néo-classicisme, qui était l’imitation, en plus pompeux encore, des œuvres de la Rome antique, elles-mêmes imitées de l’art grec classique. C'est aujourd’hui un des peintres qui occupent le plus de surface sur les murs du Louvre.
Louis-Léopold Boilly (1761-1845) était un petit peintre français, artisan appliqué et virtuose, sans autre idéal artistique que d’être le chroniqueur malicieux de la société bourgeoise de son temps, sans autre ambition que de mener cette vie bourgeoise qu’il aimait dépeindre et obligé pour cela de produire estampes et tableaux, dans des formats modestes et dans des quantités industrielles (1).
En février 1808, puis en 1810, David, premier peintre de l’empereur, exposait à Paris une grande machine de propagande de 10 mètres par 6, commandée et supervisée par Napoléon, et le représentant couronnant Joséphine dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 2 décembre 1804, en présence de centaines de figurants, dont le pape Pie 7 et de nombreuses personnalités qui n’avaient pas toutes participé à l’évènement (dont David lui-même).
Le succès fut impressionnant. On achetait des copies gravées comportant une légende et des numéros permettant de localiser sur la toile les personnalités à remarquer.
David en exécutera 10 ans plus tard une réplique presque identique aujourd’hui dans le château de Versailles.
À l’époque, Boilly usinait petit portrait sur petit portrait, éblouissait le bourgeois par ses trompe-l’œil de pièces de monnaie éparpillées sur une table et de fausses estampes à la vitre brisée, et se délectait, dans des scènes de genre (2), à modeler les femmes dans les drapés sinueux de robes de style Empire.
Devint-il un moment las de cette vie confinée de peintre de boudoir, de jouer le rôle de la fourmi de la fable quand David, la cigale, triomphait ? Ou plus concrètement pensa-t-il profiter des retombées du succès du peintre de l’empereur.
Il lui demanda l’autorisation de dépeindre la réception de son chef d’œuvre par le public parisien en 1808. David le reçut aimablement dans son atelier et ne lui montra pas la toile car elle était alors roulée, mais nombre de copies gravées circulaient alors.
Humblement, Boilly en fit un tableau de 83 centimètres par 62, son échelle habituelle ; pas un chef d’œuvre, mais un savoureux travail de miniaturiste.
Dans la foule, il distribua des personnalités qu’il appréciait, deux écrivains et un acteur oubliés aujourd’hui, son fils Julien, le peintre Hubert Robert au centre sous le plumeau rouge, le sculpteur Houdon, à sa droite le visage à moitié caché, et son propre autoportrait de profil à l’extrême droite du tableau, derrière sa famille probablement, et devant le docteur Gall (3), qui regarde le spectateur.
Cherchant à inscrire en entier la toile de David dans son tableau, il en a nettement réduit les vraies dimensions, et sérieusement mitigé la grandiloquence en le plaçant dans la pénombre, et en figurant sous la lumière au premier plan, comme à son habitude, des personnages occupés à des activités frivoles, papotages et séduction, et assez indifférents à la toile de David.
Le tableau ne fit pas un triomphe. Exposé lors d’un hommage à David en 1826, il ne trouva acquéreur qu’en 1829, 19 ans après sa réalisation.
De retour sur le marché de l’art à Drouot en 1982, le Louvre se le faisait souffler par le richissime Charles Wrightsman, dont la femme en faisait don en 2012 au Metropolitan Museum de New York, où il n’est pas exposé.
On ne verra peut-être jamais le modèle gigantesque du Louvre escorté de son interprétation par Boilly. Les termes du legs en interdisent le prêt à d’autres musées.
***
(1) Le premier catalogue raisonné de Boilly, par Bréton et Zuber, édité chez Arthena en 2019, lui attribue 2853 œuvres dont 1420 peintures. Avant la naissance de la photographie, Boilly était le photomaton de la bourgeoisie parisienne. Il peignait à l’huile en une seule pose de 2 heures un portrait fin et très ressemblant de 15 centimètres par 21. Il aurait dit en avoir peint 4000 à 5000. Les auteurs qui admettent leur travail de recherche incomplet en ont recensé 784.
De nos jours, Boilly n’est pas totalement oublié, essentiellement pour la précision de son témoignage sur les habitudes vestimentaires et sociales à Paris au début du 19ème siècle, et pour ses facétieuses études d’expression caricaturales et têtes de grimaces.
(2) Boilly aurait demandé que soit seulement indiqué « peintre de genre » sur sa tombe. Sa volonté a été respectée. L’épitaphe est encore lisible au cimetière du Père-Lachaise, division 23.
(3) Le docteur Gall, peu apprécié de l’Académie des sciences qui désapprouvait son manque de rigueur, était le célèbre inventeur de la phrénologie. Il savait repérer, à la forme d’un crâne, la bosse des mathématiques ou les protubérances de l’immoralité.
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